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Full text of "Revue historique, archéologique, littéraire et pittoresque du Vivarais illustrée"

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puisse comme ici, passer . 


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terre et des hommes soit 
écrite sur le sol en Carac- 


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 Dumonr, libraire: 


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LE | Adresser tout ce qui concerne la Rédaction 
a = à M. BENOIT d'Entrevaux, 


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| Historique Archéologique, Littéraire 6 Pitaresque 5 


DU 


De VIVARAIS 
Las 


wecNlé concours d’un groupe d'écrivains Ardéchois 


ILLUSTRÉE 


M. P.d'ALBIGNY, Fondateur. 


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Vivarnis : 


tères aussi clairs, 
vivants. » 

« Le pays est petit, mais 
si plein de choses belles ou 
mémorables 1 | 

E. MeLcuior pe VOGUE 

de l’Académie. 

(Notes sur le Bas-Vivarais) . 


aussi. 


_ La légende dit : « Les 
morts vont vitel » Mais 
l'oubli va plus vite que. les 
morts. 

Mme de BLOCQUEVILLE 


LYON 
à | BRUN fils, libraire 
PRIVAS 13, Rue du Plat, 


IMPRIMERIE CENTRALE 


Adresser tout ce qui concerne l’'Adminis- 
tration et les Abonnements à M. Ce 
LAURENT, Directeur de l'imprimerie 
Centrale à Privas. 


Directeur, 


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LELE. 


MA. le vicomte Melchior de Vocüé, A. 
MonTRAVEL, BENOIT d'Entrevaux, E.-\. MarTez, Henri 
VaAsCHALDE, LascomBe, Henri LAFAy9LLE, de LuBac, 
Ilenri ArsAC, l'abhé Grimaub, l'abbé Fizcer, Emmanuel 
Nicon, Léopold CHiron, Léonce PiNGauD, GRELLET de 
la Deyre, Prosper FALGAIROLLE, Léon CHARVET, Gaston 


PAGES 

10 Lettre À M, BexoOïT D'ExTRE vaux, par Silvius . . . . . . . i 

2° LES ANCIENS REGISTRES PAROISSIAUX DE ST-AGRÈVE, par A. Mazon . 6 
3° L'ORGANISATION MUNICIPALE À LARGENTIÈRE (Suite IT), La-gentière 

pendant les dernières guerres civiles du xvu* siècle, par A. Mazon. 18 

LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILIE, par R. Tartary 34 

s° Pour ET CONTRE LES CHÈVRES, par E. Nicod . 15 

6e BisiiocraPmg, par B. E+ à: » à % + à ++ 54 

| GRAVURE 
1° EGLISE ET PORTAIL PU PRIEURÉ DE MACHEVILLE, 1860. 34 
-,. ; ] 7 4 ; 
Conditions d'abonnement à la REVUE 
Dévartement et Départements Himitrophes  - Autres Départements 

SUR PAPIER ORDINAIRE | SUR PAPIER ORDINAIRE 

Ce Ms ot er da Re D SRE 6 Lé ve DRE à 

SE MOIS: sas we TE. NS "Gi mots. 7 fr. so 
SUR PAPIER ANGLAIS - SUR PAPIER aus 

Un an. AO: Es; D Ars mobs CT % 

IR NOIM ES 2 600 DURS ,9 _ Six-mois. . .. .. 12fr. »: 


ASS Lam mm OS Er", 


Collaborateurs de la REVUE DU VIVARAIS' 


Mazon, Vicomte EL. de 


Privar, l'abbé N. Bouray, Eugène BourRas, A. VACHEZz, 
Roger VALLENTIN DU CHEyLarD, l'abbé Aug. Rocue, 
l'abbé (). MiraBez, Maurice Massip, Marquis d'ALBON, 
Fenri Bomez, F. Le Sourb. le chanoine Moizter, R. 
Tarrary, François de CHaARBONNEL, À. Le Sourn, F1. 


BEenoir d'Entrevaux, etc. 


SOMMAIRE. OULS-N" 


Payables en souscrivant, par mandat ou timbres-poste. 
Il ne sera pas reçu d' abonnement au-dessous de six mois de 


durée. 


S'ADRESSER POUR LES ABONNEMENTS ET LA VENTE AU NUMÉRO : 


À Paris, chez DUMONT, libraire, 42, rue Barbet de Jouy, vri‘. 
A Lyon. chez BRUN fils, libraire, 13, rue du Plat. 


Il est rendu compte de tout ouvrage dont un exemplaire 


est adressé an Directeur de Ia « Revue ». 


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REVUE 


DU 


VIVARAIS ILLUSTREE 


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REVUE 


Historique, Archéologique, Littéraire et Pitoresque 
JVIVARAIS 


ILLUSTRÉE 


Publiée avec le concours d’un groupe d'écrivains Ardéchois 


Sous la Direction de M. BENOIT d'Entrevaux 


M. P. d'ALBIGNY, Fondateur 


ARAAR LAARA ARAAR RAR 
TOME X. — 107 ANNÉE 


1902 


DES ICE 


PARIS | LYON 
Dumonr, libraire Brun fils, libraire 
42, Rue Barbet de Jouy, 42, vn° 13. Rue du Plat 
PRIVAS 


IMPRIMERIE CENTRALE 


LETTRE À M. BENOIT D'EN TREVAUX 
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Comme suite aux observations que vous avez bien 
voulu insérer dans la /8evue d'avril dernier, voulez- 
vous me permettre de vous présenter quelques 
réflexions nouvelles, inspirées par le désir de voir se 
consolider etse développerle succès de votreintéressant 
recueil ? 

Heureux, pour commencer, d'avoir à confirmer ce 
que vous dites en tête du numéro de décembre, du 
succès moral de la Rerue, de l'estime légitime qu'elle 
a su conquérir, après si peu d'années d'existence, je 
puis ajouter, comme témoignage personnel, que je 
l'ai entendu citer avec éloges par nombre d'érudits 
que j'ai eu l'occasion de rencontrer, et que, dans toutes 
les bibliothèques de villes ou de sociétés littéraires de 
nos départements du Midi, que j'ai visitées dans ces 
derniers temps : à Nimes, à Montpellier, à Toulouse, à 
Lyon, au Puy, à Grenoble, etc., j'aipu voir le volume 
formé par ses douze livraisons, soigneusement relié 
chaque année et tenant désormais la première place 
‘ dans le rayon affecté aux publications vivaroises. 
Même en deux ou trois endroits, j'ai entendu le biblio- 
thécaire exprimer le vif regret de n'avoir pu se procu- 
rer la collection complète, par où j'ai appris que votre 
premier volume (année 1893) était depuis quelque 
temps déjà introuvable, et que ceux des deux ou trois 

I 


2 LETTRE A M. BENOIT D ENTREVAUX 


années suivantes devenus rares étaient eux aussi 
demandés à un prix supérieur à celui de l'abonnement. 

Il est certain que si les publications de la Rerue 
continuent d'être ce qu'elles sont, sa collection est 
destinée à devenir le principal répertoire de toutes les 
connaissances touchant à l'histoire de notre petite 
province, ou, comme je vous le disais dans ma précé- 
dente lettre, un véritable dictionnaire encyclopédique 
de l'Ardèche, dont il suffira, tous les dix ans par 
exemple, de relier les éléments épars par des tables 
qui en rendent la recherche prompte et facile. 

Maintenant, si vous vouliez me permettre une criti- 
que, ilme semble que la /erue manque un peu de 
variété, ce qui tient peut-être simplement au défaut 
d'espace, aux bornes étroites dans lesquelles elle s'est 
jusqu'ici matéricllement confinée. Les articles histori- 
ques y ont un peu trop prédominé, et les sciences 
naturelles, les questions économiques ct d'intérêt 
actuel ct pratique, n'y ont pas occupé une place suffi- 
sante ; mais, sachant bien que toute étude séricusc de 
ce genre aurait reçu de vous un bon accueil, je me 
garderais de vous imputer la responsabilité de cette 
lacune, qui incombe évidemment à ceux qui, pouvant 
la combler, ne l'ont pas fait. En tous cas, 1l était bon 
de le leur dire publiquement, et c'est ce que je fais 1c1, 
certain d'avance d'être en ceci parfaitement d'accord 
avec vous. 

À ce propos, pourquoi n'ouvririez-vous pas dans 
vos colonnes une rubrique spéciale où se rencon- 
treraient les demandes cet les réponses des écrivains 


LETTRE À M. BENOIT D ENTREVAUX 3 
L 4 


et bibliophiles vivarois, faisant pour eux ce que 
l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux fait à 
Paris pour un public plus étendu ? Ne serait-ce pas 
ajouter à l'intérêt de la Rerue, en même temps que 
rendre un vrai service aux amateurs d'histoire locale ? 

D'une manière générale, il serait bon, à mon avis, 
que les sujets traités par la Rerue le fussent quelquefois 
avec moins de développement, afin de faire place à des 
articles courts et plus nombreux, en d’autres termes 
que, pour une égale étendue, votre recueil donnât une 
plus grande quantité de monographies de lieux ou de 
personnes ou d'études diverses. 

Cette critique ne vise en rien vos collaborateurs 
ordinaires, dont personne plus que moi n’apprécie le 
zèle et le talent, et je comprends fort bien que la plupart 
des questions abordées par eux ne pouvaient tenir en 
quelques lignes ou même en quelques pages. Il n’en 
faut pas moins désirer que la Rerue, tout en mainte- 
nant les bonnes traditions du passé, élargisse un peu 
sa méthode et son programme, pour satisfaire d'autres 
goûts et un plus grand nombre de lecteurs. Etcomme, 
dans le nouveau système tel que je le conçois, il n’y 
aurait peut être pas une place suffisante pour tout le 
monde — sachant, d’ailleurs, la trop grande quantité 
d'articles souvent fort intéressants qui attendent dans 
vos cartons leur heure de paraître — je suis obligé 
d'arriver à la conclusion que vous avez déjà pu pressen- 
tir, savoir, que l'éditeur de votre recueil devrait 
donner au moins de temps à autre, quelque feuille de 
supplément. Je sais bien que c'est là une question 


4 LETTRE À M. BENOIT D ENTREVAUX 


délicate, les frais de la Revue devant être nécessaire- 
ment proportionnés à sa publicité, c'est-à-dire au 
nombre de ses abonnés, et l'administration de la Rerue 
étant sur ce terrain plus qualifiée que la direction, 
pour savoir ce qu'il convient de faire. 

Toutefois, 11 me semble que la solution du problème 
dépend ici non de l'éditeur ou du directeur exclusive- 
ment, mais surtout du concours qu'ils peuvent trouver 
dans leurs associés, car une Revue de province est une 
véritable association littéraire, une sorte d'académie, 
où tous les membres, désirant naturellement le succès 
de l'œuvre, sont prêts à y concourir dans la mesure 
de la raison et du possible, pour peu qu'on leur en 
indique les moyens. 

Or, voici ce que J'ai vu pratiquer dans un cas 
analogue. 

Un recucil aujourd'hui en pleine prospérité, végétait 
péniblement, quand l'éditeur, après une enquête 
personnelle auprès de quelques un de ses amis, arriva 
à se convaincre quil y avait dans le public auquel il 
s'adressait un nombre d'abonnables au moins égal à 
celui de ses abonnés, et dont l’abstention provenait soit 
de ce qu'ils n'avaient pas été mis à même d'apprécier 
sa publication, soit même de ce qu'ils en ignoraient 
l'existence. 

Que fit-il alors ? Après avoir dressé une liste des dits 
abonnables, conformément aux indications qui lui 
furent données de côté et d'autre, 1] consacra à chaque 
livraison un certain nombre d'exemplaires qui leur 
furent adressés comme essais pendant un mois ou 


LETTRE A M. BENOIT D'ENTREVAUX 5 


deux, non pas avec l'avis trop en usage et aussi un peu 
cavalier « que tous ceux qui ne renverraient pas le 
numéro seraient considérés comme abonnés », mais 
avec une note brève et courtoise, dont le sens était que 
l'éditeur, très-désireux d’être le fidèle organe de la 
pensée du pays, d'aider aux études locales au point de 
vuc de l’histoire comme à celui de ses intérêts de tout 
genre, et comptant sur le concours de tous les hom- 
mes intellisents, sans distinctiôn de classe, de religion 
ct de parti, sollicitait l'adhésion de son nouveau 
lecteur, quitte à celui-ci de lui renvoyer le numéro, si 
le recueil n'avait pas l'heur de lui convenir. 

Ce procédé, dont l'exécution fut accompagnée, il faut 
bien le dire, de quelques démarches individuelles — 
tellement 1l est vrai qu'on n'a rien sans peine en ce 
mônde — réussit, non pas d'emblée, mais graduelle- 
ment ; lenombre des abonnés fut depuis lors en pro- 
gression constante, et plusieurs exprimèrent à l'éditeur 
combien ils avaient été satisfaits de son initiative. 

Finalement, au bout de trois ans, les prévisions de 
l'éditeur étaient complètement réalisées, c'est-à-dire 
que son tirage avait doublé. 

C'est le même résultat que je souhaite — puisque 
nous sommes encore dans la période des souhaits du 
nouvel an — à la Revue du Vivarais. 


SILVIUS. 


SANS ASSIS << 


LES ANCIENS REGISTRES PAROISSIAUX 
DE S'-AGREVE 


Ces registres, qui furent déposés à la mairie lors de la 
Révolution, se composent de sept pièces : 


1° Un registre des baptêmes, de 1623 à 1644 ; 

2° Un autre, de 1645 à 1658 ; 

3° Un troisième, de 1658 à 1678 : 

4° Un quatrième, de 1678 à 1686; 

s° Un registre des décès, de 1640 à 1684. 

(Ces cinq volumes ont la forme allongée des anciens carnets ; 
les trois volumes suivants sont des in 4°) 

6° Un registre des naissances, mariages et enterrements, de 
1686 à 1717; 

7° Idem, de 1717 à 1741 ; 

8 Actes de décès de 1753 au 30 fructidor an xur1 (21 septembre 
1805). 

Viennent ensuite les registres de l'état-civil moderne,dont nous 
n'avons pas à nous occuper. 

Quant aux anciens registres paroissiaux, nous saisissons 
volontiers cette occasion pour appeler l'attention publique sur 
l'importance qu'ils peuvent avoir au point de vue de l'histoire 
locale. 

L'enregistrement des actes d'état civil, qui existait, sous une 
forme particulière, à Rome, du temps des empereurs, avait été 
abandonné au moyen-äâge. Sa résurrection en France eut pour 
origine le désir d'observer fidèlement les prescriptions canoniques 
interdisant le mariage entre parents et alliés. C'est au commen- 
cement du XVe siècle que les évêques enjoignirent aux curés de 
tenir registre des baptêmes en mentionnant les noms des parrains 
et marraines. On a sur ce point le témoignage précis d'un évêque 
de Nantes de 1406. Le plus ancien registre de baptèëmes connu 
est de 1411. Les registres de mariages et de décès ont une origine 
différente ; ils ne sont au début que des registres de comptes des 
curés ; on en connaît qui remontent aux dernières années du 


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LES ANCIENS REGISTRES PAROISSIAUX 7 


XIV: siècle. Plus tard, l'autorité ecclésiastique et l'autorité civile 
intervinrent pour les rendre obligatoires. Une ordonnance de 
François 1° de 1539 prescrit formellement la tenue des registres 
de baptèmes et veut mème qu'ils soient parafés par un notaire. 
Le concile de Trente, en 1563, réglementa la matière et ordonna 
de tenir des registres de baptèmes et de mariages. En 1579, une 
ordonnance royale s'occupa des registres de baptêmes, mariages 
et enterrements, et imposa aux curés l'obligation de les apporter 
chaque année aux greffes royaux. D'autres ordonnances royales 
furent rendues à ce sujet, notamment en 1667, 1736 et 1782. Enfin, 
la loi du 20 septembre 1792 retira au clergé la tenue des livres 
de l'état civil pour la confier aux municipalités. Les anciens 
registres paroissiaux furent alors portés aux mairies, mais, vu les 
troubles du temps, beaucoup s'égarèrent en route. C'est ainsi que 
nous avons retrouvé, par exemple, les registres paroissiaux de 
Juvinas chez un aubergiste de la Bastide, et tous ceux qui se sont 
occupés de la question savent que les exemples de ce genre ne 
sont pas rares. 

Ces documents n’ont pas sans doute la valeur des mémoires 
proprement dits, puisqu'ils ne contiennent d'ordinaire que des 
listes de naissances, de mariages et de sépultures, maisilya 
parfois çà et là des indications d intérêt général : épidémies, 
famines, inondations, accidents, conflits, phénomènes physiques, 
etc. dont l'historien peut faire son profit, sans parler de l'intérèt 
spécial qu'ils ont toujours pour les familles. Et l'on doit y voir, 
par conséquent, unc de ces sources originales auxquelles le grand 
rénovateur des études historiques, M. Augustin Thierry, 
recommande de puiser. Aussi commence-t-on à mieux les apprécier, 
depuis qu'en y regardant de plus près, on a trouvé dans quelques- 
uns d'intéressantes annotations sur l'état social de nos provinces 
ou même sur les événements du temps. On a vu aussi que ces 
registres pouvaient fournir à la statistique de précieuses données 
qu'on ne trouverait pas ailleurs. Îl résulte, par exemple, d'un 
travail de ce genre, fait sur les archives de Toulon, que, de 1669 
à 1688, le chiffre des naissances aurait été dans cette ville trois 
fois supérieur à celui des décès ; ce même chiffre n'est plus 
supérieur que d'un tiers à la fin du XVIII: siècle.et il est aujourd'hui 
bien inférieur. | 


8 LES ANCIENS REGISTRES PAROISSIAUX 


Les plus vieux registres paroissiaux qui aient été signalés 


jusqu'ici remontent au XV: siècle, mais ils sont pour cette période 


excessivement rares. Du AVI même, on n'en connaît que fort 


peu, et il est bien probable, d'ailleurs, qu'en dehors des 
communautés religieuses, l'usage en était peu répandu. Au XVII: 
siècle, ils deviennent d'un usage général, par suite des ordonnances 
royales (1), et à pa:tir de ceite époque, on en trouve un certain 
nombre dans nos communes de l'Ardèche. 

À côté des regisires paroissiaux, et souvent plus ou moins 
confondus avec eux, il y a quelquefois le carnet des notes et 
impressions personnelies du curé. Les personnes qui ont lu le 
Voyage auiour de Crussoi, ont pu en voir un très curieux spécimen, 
fourni par un ancien curé de Si-Pérav, messire Laurent Rey, 
dont le manus:rit forme le plus intéressant chapitre de l'histoire 
de cette région pendant les dernières guerres civiles du Vivarais 
(1620 à 1630). Au reste, les recherches sur ce terrain ne font que 
commencer, et, bien que n'ayant pas fait de grandes découvertes 
dans les vieux registres paroissiaux de St-Agrève, nous croyons 
qu'un rapide exposé de ce qui S'y trouve pourra, en provoquant 
sur d’autres points du département d'intelligentes curiosités, 
amener de plus notables iésultats. 


s 
e * 


Le premier des vieux registres de St-Agrève, qui va de 1623 à 
1644, mentionne 7 ou 8 baptèmes en 1623 ; 26 en 1624; 25 en 
1625 ; 35 en 1626 ; 30 en 1627 ; 22 en 1628 ; 20 en 1629 ; 33 en 
1630 ; 43 en 1631 ; 38 en 1632 ; 40 en 1633 ; 49 en 1634: c'est le 
chiffre le plus élevé — les années suivantes, les naissances vont 
en diminuant. 

Jusqu'en 1640 ces actes sont signés par messire François Scrres, 
curé moderne de St-Agrève. Après lui, on trouve la signature de 
Trescartes, vicaire puis curé du lieu. Celui-ci note la mort de 
trois hommes, brûlés, le 25 septembre 1640, au village du Pont, 
dans la grange de M: Antoine Lafont, à laquelle la foudre avait 
mis le feu. 


(1) M. Théodore Maignan a publié sur ce sujet vers 1880, dans la Revue des 
questions historiques, une étude intéressante à laquelle nous renvoyons nos 
lecteurs. 


DE ST-AGRÈVE 9 


À partir de 1643, les actes sont signés par le curé Pierre Testud. 

Le 7 avril 1644, « a esté baptisé Jean Cadet, fils d'autre Jean 
et de Marie Arsac, vivans tous deux dans la R. P. KR. » 

Le 1% juin suivant, mort de « Monsieur Marson, sieur de 
Seneclause », décédé au Puw. 

Nous avons déjà signalé, dans l'article précédent, les nombreux 
cas de mort violente survenus à St-Agrève au cours du XVII: 
siècle. Quelques-uns sans doute provenaient des dissidences 
religieuses ; mais, si l'on observe que les autres documents de 
l'époque,et notamment les procès-verbaux des Etats du Vivarais, 
constatent dans le pays en général, surtout dans les contrécs 
montagneuses, une abondance extraordinaire de malfaiteurs, on 
peut supposer que la plupart de ces meurtres furent l'œuvre de 
vulgaires bandits. En 1675, l'année la plus féconde en cas de ce 
genre à St-Agrève, on voit les Etats du Vivarais allouer certaines 
sommes aux prévôts du pays pour captures ou exécutions 
d'assassins. Une allocation de 225 livres fut aussi faite au sieur 
Plantier, bailli de Brion, « pour avoir fait la chasse aux voleurs 
dans la région du Cheylard, qui est une pépinière de scélérats ». 

De 1645 à 1686, c'est toujours le curé Testud qui gouverne la 
paroisse. Les naissances varient généralement de 15 à 30 par an; 
les chiffres extrêmes sont 7 en 1659 et 41 en 1669. 

Sur l'état des mariages inscrits par le même curé de 1663 à 
1686, on remarque pour quelques uns la mention que les mariés 
ont fait « abjuration de l'hérésie ». 

À la fin du dernier registre de Testud, on trouve des vers de 
Boileau, puis ceux-ci : 

Pensez-y bien, le ciel [ne s'ouvre] qu’une lois. 

Songe à l'éternité, le temps fuit con.me l'ombre. 

Si le nombre est petit des amants de la croix, 
Pourquoi vas-tu te perdre avecques le grane nombre ? 
Pour jamais ! 6 mon Dicu, hélas ! que cet espace 

Est long pour un jamais qui jamais ne se passe ! 
Endurer à jamais est un terme bien long. 

Ne reposer jamais, c’est un mal sans second. 


Si c'étoit pour mille ans, on auroit espérance. 
Ce terme au moins fini, finiroient nos souffrances : 


Mais jamais, grand jamais, qui jamais te comprit > 
À jamais, ce jamais interdit mon esprit, 


10 LES ANCIENS REGISTRES PAROISSIAUX 


À la page suivante on lit : 


HIC CODEX 
IN MONVMENTUM 
ÆTERNUM RELICTVS 
EST 
À VENERANDO PETRO 
TESTVD STI AGRIPANI 
VIVENTE PAROCHO. 


À la suite vient l'acrostiche ci-aprés que l'on peut supposer 
être aussi du curé Testud : 


ouis, astre des rois, incomparable Mars, 
racle de la paix, arbitre de la guerre, 

ous qui pas+ez la gloire et le sort des Césars, 
ouissez du repos, n’allez plus aux hasards, 


SI VOL 


i vous voulez soumettre aux lys toute la terre. 


Le registre des naissances, mariages et sépultures, qui va de 
1686 à 1717, est signé par Fournet, prêtre, jusqu'au 26 janvier 
1687, puis par Jean Chambe, curé et prieur de St-Agrève. A 
partir de cette époque, on trouve souvent les signatures des 
parrains ou témoins jointes à celle du curé. 

Le 4 juin 1686. baptème de noble Charles Antoine de Coubladour 
de Montréal, fils de noble Just. « Son parrain a esté Msgr l'évesque 
de Lodève (le futur évêque de Viviers, Charles de Chambonas) 
et sa marraine, dame Catherine de Castrevieille ». Le filleul 
avait 22 ans lors de cette cérémonie. 

Le 29 mars 1687, il y a le baptème d'un enfant que le père 
promet de légitimer par le mariage. 

Le 25 octobre 1688, mariage de Florimond de Truchet avec 
demoiselle Jeanne de Clavière : les témoins sont M° Jean Bollon, 
juge de St-Agrève, et Bertier, consul. 

Le 28 octobre, un baptème est fait par un de Claviére, prêtre 
et recteur, en l'absence du curé. 

En 1689, on compte 62 baptèmes contre 18 mariages et 21 
enterrements. 

En 1692, l'autorité délivra aux curés des feuilles officielles 
timbrées pour servir à l'enregistrement des naissances, mariages 


DE ST-AGRÈVE II 


et décés. Depuis lors, les inscriptions sont plus régulières et 
mieux calligraphiées. Le cahier de vingt feuilles de papier timbré, 
délivré à l'official de Privas pour le curé de St-Agrève, porte la 
date du 8 juin 1692. 

En 1693, nous remarquons la signature de Vigne, vicaire, le 
futur fondateur de la compagnie des Sœurs du Saint-Sacrement. 

En 1694, mariage de noble Hugues de Coubladour, seigneur 
de Montréal, avec Madeleine Bollon, fille de Jean Bollon, juge de 
St-Agréve. 

À un baptème de 1699, on lit : « Parrain Antoine Combette, 
ancien catholique, qui l’a tenu en place de Jacques Cachard nou- 
veau converti, pour n'avoir fait cy devant son devoir pascal. » 


Le curé Jean Chambe mourut le 26 juillet 1699 et ses 
funerailles eurent lieu le lendemain. 

Un enterrement du 1°" août suivant est signé par Vigne, «curé 
commis ». Mais, dès le 11 août apparait le nouveau curé qui 
signe Dubessé, prieur curé. 

Plus loin, on trouve la note suivante où l'on peut voir que 
l'autorité civile tenait alors la main à ce que les registres fussent 
en bon état et complets. 

« Nous Alexis Dubessé, bachelier en théologie, prestre et curé 
moderne de la paroisse de St-Agrève, diocèse de Viviers en haut 
Viverois, certifions à tous qu'il appartiendra, avoir attaché et 
faufilé le cayer en ces ruptures, faites par accident imprévu d'un 
chien qui le déchira ; moyennant quoi rien ne manque audit 
cayer, comme il est aisé de vérifier. Fait ce 22 mars 1701. En foi 
de quoi me suis soussigné — DUBESSE.» 

Dans le nouveau registre, le curé note, le 14 juin 1700, un 
baptême omis par Vigne, son « cy-devant vicaire ». 

Le 11 août, il enterre deux personnes du faubourg de la Font 
de St-Agrève, tuées par la foudre. 

Dans un baptême, en 1702, les 1émoins sont ainsi désignés : 
« Pierre Moins, mon valet, et Pierre Blanc, campanier ». 

Le 17 juin 1703, on enterre demoiselle Catherine Pinot, veuve 
de feu Joseph Bollon, juge de St-Agrève, « dans leur chapelle de 
l'église de St-Agrève ». 


12 LES ANCIENS REGISTRES PAROISSIAUX 


s 
* «€ 


Le commencement du xvini® siècle fut, comme on sait, marqué 
en Vivarais par quelques troubles politico-religieux se rattachant 
plus ou moins au mouvement des Camisards, qui eut surtout 
pour théâtre les Cévennes du Gard et de la Lozère. 

Cette agitation ne paraît pas avoir eu de contrecoup sanglant à 
St-Agrève, comme dans la région de Vernoux. Elle y est indiquée 
simplement par des envois de troupes dont la trace est restée 
dans les registres paroissiaux par suñe de quelques décès de 
soldats, et aussi par quelques baptêmes d'enfants de 
soldats nés dans le bourg, — par où l'on voit que beaucoup 
d'hommes levés pour former les régiments étaient alors suivis de 
leur femme. C'est ainsi que nous constatons la présence succes- 
sive à St-Agrève des régiments qui suivent ou d'une de leurs 
compagnies : 


Le régiment de la Fare (1703) : 
— de vieux Languedoc (1713); 
— dellle de France (1717); 
— de Médoc(1718); 

— de Forest (1720); 

— de Gâtinois (1722 et 1726) ; 
— de Lorraine (1724) ; 

— de Santerre (1725); 

— de Berry (1727); 

— dela Fare (1733): 

— d'Armenonville (1733) etc. 


C'est à ces mêmes circonstances sans doute qu'il faut attribuer 
le séjour à St-Agrève d'un « missionnaire royal », le P. Padel, 
qui y fait quelques enterrements en 1704. 

On trouve dans ces registres quelques autres traits qui tou- 
chent à la question religieuse. 

Ainsi, les actes de décès spécificient presque toujours si le 
défunt a reçu les sacrements ou s’il n'a pas eu le temps de les 
recevoir. 

Lans quelques mariages (vers 1710-1720), il y a ceci : « Les 
mariés m'ont promis et juré de vivre dès à présent dans la 


DE ST-AGRÈVE 13 


religion catholique, apostolique et romaine, niant entièrement 
les erreurs de Calvin ; il ne m'a paru aucun empêchement cano- 
nique etc ; 

D'autres fois : a... ont renoncé aux erreurs et libertinage de 
Calvin » : 

En quoi il est aisé de voir des mariages mixtes. 

Dans quelques baptêmes, les parents protestants sont désignés 
comme personnes non martées, ou bien qui n'ont pas espousé en 
face de l'Eglise ; un peu plus tard, vers 1730, la mention de non 
mariés vu non espousés est même remplacée quelquefois par celle 
de concubinaires ou concubains. 

Il est à remarquer que la plupart des familles ainsi qualifiées 
par l'intolérance dutemps—laquelle était,d'ailleurs,commune aux 
deux cultes, à preuve ce qui se passait dans tous les Etats pro- 
testants — étaient presque exclusivement établies dans les 
villages des environs : Malleval, Monteillet, Rillac, la Chapelle, 
Chomette, Freycenet etc etc., tandis qu'on ne trouve que fort 
rarement la mention de protestants domiciliés dans la ville même 
de St-Agrève ou dans ses deux faubourgs, de la Font et de 
Lestra. Il serait facile, avec les indications éparses dans ces 
registres paroissiaux, de retrouver les noms de toutes les familles 
protestantes du xvri* siècle. 


En dehors des enfants protestants, il y a les enfants sllégilimes 
ou de père inconnu, et il semble qu'il y en ait eu encore plus que 
de nos jours. Cette catégorie vient presque toute de la campagne. 


À ce propos, on voudra bien nous permettre une réflexion qui 
sera comprise de tous ceux qui, ayant lu leshistoriens protestants, 
en ont rapporté, comme cela nous était arrivé à nous-même, 
l'impression de persécutions continuelles et terribles souffertes 
par leurs coreligionnaires sous l'ancien régime. Îl serait puéril de 
nier que l'ancien régime avait sur la liberté de conscience, et 
surtout sur la liberté de culte public, des idées qui ne sont pas 
celles de notre temps, et qui, d'ailleurs, trouvent,sinon leur justifi- 
cation complète, au moins une sérieuse explication dans les me- 
nées perpétuelles des huguenots français avec les Etats étrangers ; 
mais ilest clair, pour ceux qui étudient l'histoire sur documents 
authentiques plutôt que dans les livres. que la plupart de ces 


14 LES ANCIENS REGISTRES PAROISSIAUX 


récits sont entachés d'une flagrante exagération, plus ou moins 
excusable, d'ailleurs, de la part des écrivains protestants. 

En tous cas, nous pouvons dire qu'en fait de persécutions infli- 
gées aux protestants de St-Agrève depuis la fin des guerres reli- 
gieuses, nous n'avons trouvé, dans l'ensemble des documents 
locaux, que les quelques expressions inconvenantes dont se sont 
rendus coupables à leur égard les vicaires ou le curé du lieu — ce 
qui, on en conviendra, ne dut pas troubler bien gravement le 
repos des braves paysans de Malleval ou de Chomette qui en 
furent l’objet. 

Quant aux victimes plus sérieuses nommées par les ouvrages 
protestants, nous n'en connaissons que trois qui figurent pour la 
région de St-Agréve, (sans indication des motifs de leur con- 
damnation) dans la liste des Forçais pour la for que donne la 
France protestante, savoir : 

Arsac (Daniel) de Beauvert, cadissier, 25 ans, condamné à 
Montpellier en 1696, libéré en 1713, mort à Lausanne en 1730; 

Julien Pierre, de St-Agréve, condamné en 1699 ; 

Lafont, de Beauvais (probablent Beauvert) 1687. 

Pour en finir sur ce chapitre, et pour que nos lecteurs puissent 
se faire une idée approximative du chiffre de la population 
protestante de la région de St-Agrève, au xvin® siécle, voici une 
extrait de la statistique catholico-protestante dressée vers 1740 
par M. de la Devéze, commandant en Vivarais(1). 

Arrondissement de Desaignes : catholiques, 175 ; nouveaux 
convertis,205 ; Lamastre, catholiques, 165, N. C. 40 ; Macheville 
et Retourtour, catholiques, 120, N.C. 25 ; St-Basile, catholiques, 
60 ; N. C. 58. Total : catholiques, 487, N. C. 346. 

Arrondissement de St-Agrève : St-Agrève, catholiques, 165, 
N. C. 125 ; St-Romain le Désert, catholiques, 42, N. C. 59 ; les 
Vastres, catholiques, 103, N. C. 72 ; Devesset, catholiques, 30, 
N. C. 35 ; le Pouzat, catholiques, 15, N. C. 1 ; Chaudeyrolle et 
Mézenc, catholiques, 90, N. C. o. Total, catholiques, 445, N. C. 
292. 

Arrondissement de Rochepaule, 3 lieues de circuit : Roche- 


(i) Ce document se trouve à Paris à la bibliothèque d MSS. 
Histoire 290.) 


DE ST-AGRÈVE 15 


paule, catholiques, 90, N. C. 9 ; St-André des Effangeas, catho- 
liques, 73, N. C. 29 ; la Coste la Fare, catholiques, 64, N. C. o, 
Total : catholiques, 194, N. C. 28. 


L 
. 


La dernière signature du curé Dubessé est du $s janvier 1704. 

Les actes des années suivantes sont signés par les vicaires 
Avond, Bollon et Labessée. 

Le 16 avril 1705, mariage de noble Charles de Romieu, de la 
paroisse de St-Clément, avec Jeanne de Clavière. 

En 1707, Avond signe « curé commis ». 

En 1708, c'est Vidilh. et en 1709 Roux et Almaric, qui signent 
avec la même qualification. 

Le 2 août 1709 apparait Camier, curé prieur, qui va occuper la 
cure jusqu'en 1752, où il résignera son bénétice en faveur de 
Claude Brunel. 

Le 8 novembre 1711, M° Claude Brunel d Arcenesche, avocat 
(27 ans), est enterré dans le tombeau de ses prédécesseurs à la 
chapelle de Lestra. | 

Le 8 février 1712, mariage de Charles Joseph de Beaux, sei- 
gneur de Chaillans, avec demoiselle Marguerite Brunel, fille de 
Brunel, notaire de St-Agrève. 

Le 28 juillet, bénédiction de deux cloches (voir au précédent 
chapitre). 

Le 9 mars 1716, mort d'un nouveau converti « qui a reçu le 
sacrement de pénitence du P. Padel ». 

Le 7 avril, mort d'un soldat de la compagnie de Montesquiou, 
régiment de Médoc. 

« Ce soldat, nommé Passemand, a eu la tête cassée par ordre 
du conseil de guerre.» 

Le 19 août 1720, mort de messire Jean de Clavière, comte et 
seigneur de St-Agrève. 

En septembre, attestation (en latin) d'un curé du diocèse de 
Lodève, portant que le fils de Jean Louis, comte de Clavière, a 
été baptisé en janvier 1702 (l'attestation est de 1709). 

Le 10 avril 1726, cérémonie de baptème de Maximilien François . 


16 LES ANCIENS REGISTRES PAROISSIAUX 


de Clavière, né le 10 janvier 1701 et qui avait reçu l’eau du 
baptème sans cérémonie. 

Le 20 septembre 1729, mariage de M° Antoine Brunel, sieur de 
Moze, avocaten Parlement, avec demoiselle Jeanne Marie Bollon. 

Le 26 février 17 2, mariage de M° Christophe Raymondon, 
notaire royal, et demoiselle Claudine Crouzet. Témoin : noble 
Jean Lemègre de Laulanier. Un feuillet manquant est remplacé 
par une attestation du 28 avril 1761, signé Bertholet, curé 
d'Arcens, confirmant ce mariage. Bertholet dit qu'il a desservi 
sept ans et plus la paroisse de St-Agrève. Les témoins du mariage 
furent : Noble Jean Lemègre sieur de Laulanier, fils à autre 
Jean Lemègre, sieur de la Chazotte ; Claude Brunel, châtelain de 
St-Agrève, beau-frère du contractant, et Annet de Soubeyrand 
de St-Prix, avec Pierre et Claude Reymondon, pére et fils, dits 
du Pontet. Il n'v eut qu'une publication, la dispense des deux 
autres lui ayant été donnée par M° Benoit, curé de St-Martial, 
alors official de St-Agrève. Le mariage fut célébré avant le jour 
pour prévenir toute opposition. Bertholet déclare de plus qu'il 
lui a été présenté un cayer-registre sur ce sujet par M° Bernard, 
prêtre, actuellement curé-commis de St-Agrève, etc. 

Le 3 août 1732, Jacques Arsac, le campanier, mœurt d'une 
chute du haut du clocher. 

Le 9 janvier 1736, mariage de noble Claude Lemègre, écuver, 
sieur de Laulanier, avec demoiselle Anne Peyrache, du bourg 
Lestra. 

Le 7 mai 1740, mort de dame Claire Davale, dame de Claviére, 
etc. 

Les cas de longévité sont assez nombreux. En 1717, mort de 
Suzanne Sarret, âgée de 90 ans. La mort de divers vieillards est 
suivie des mots : « âgés de 80 ans et plus ». Il y a même de fort 
respectables centenaires : 

Le 26 novembre 1719, mort d'Elisabeth Jolivet, âgée de 106 
ans ; 

Le 8 janvier 1724, mort de Jacques Chaléat, âgé de 105 ans. 

Mais c'est un village voisin, le Pouzat, qui détiendrait le record 
de la longévité, s'il faut s’en rapporter à une lettre du curé du 
lieu en 1760, adressée aux auteurs de l'Histoire du Languedoc, et 


DE ST-AGRÈVE 17 


d'après laquelle un de ses paroissiens serait mort à l'âge de 135 
ans. Sur quoi, l’on peut observer, que,vu la façon plus ou moins 
irrégulière dont les registres étaient tenus jadis, et par suite la 
difficulté de vérifier la date des naissances, on n'est pas tenu 
d'ajouter à ces paroles unc foi entière (1). 

On peut suivre à la trace dans ces registres toutes les familles 
notables, nobles ou bourgeoises, de la paroisse de St-Agrève aux 
xvut et xvuit siècles. Voici quelques noms : 

Ilonnète Pierre François, châtelain de St-Agrève (1629): 

Claude Bollon, juge (1634) ; Pierie Granjon, châtelain (1635) : 
M: Annet Rouveure, greflier de St-Agrève ; 

Etienne Chomier, chirurgien (1644) ; 

Claude Brunel, châtelain, marié à Catherine Lacour (1663) ; 

Noble Jean Bernard, sieur du Grailh (1675) ; 

Joseph Bollon, juge (1686) ; 

François Brunel, châtelain (1701); 

Antoine Chapellon, sieur de la Bessée, consul (1717); 

Jean Joseph Bollon, consul (1718) ; 

Claude Brunel, consul (1719) ; 

Antoine du Fraysse, consul (1735) ; 

Jean Joseph Bollon, juge et maire (1740) ; 

Antoine Bollon, sieur du Fraysse, seigneur de Claviére, maire 
(1762) ; 

Me Jean Joseph Brunel de Moze, avocat en Parlement, député 
de St-Agréve aux Etats du Vivarais (1770), etc. 

La plupart de ces noms reparaîitront avec plus de lumière dans 
un aperçu des Délibérations municipales de St-Agrève avant la 
Révolution, qui fera l'objet du chapitre suivant. 


À. MAZON. 


Erralum : Dans notre précédent article sur la Chronique de 
St-Agrève au XVIIe siècle, p... (c'est à la $° page de l'article), 
lire : « petit-hls de Phélise d'Assenne », et non proprefils. À la 


ligne suivante, lire : « Jean de Maisonseule », et non Alexandre 
de Maisonseule. 


(1) Le quartier du Pouzat parait vouloir maintenir sa réputation de longévité, 
car les journaux d'Annonay nous apportent le fait suivant : 

Marie Mounier, qui vient de mourir, à l'âge de 104 ans, habitait à une très 
haute altitude sur les limites des Nonnières et du Pouzat. Elle vivait très-so- 
brement. Elle n'avait aucune infirmité et a conservé jusqu’à ses derniers 
moments toutes ses facultés. C'est avec toute son intelligence qu'elle a 
demandé et reçu les derniers sacrements (Croix d’Annonay, 24 novembre 1901). 


à 


L'ORGANISATION MUNICIPALE 
A LARGENTIERE 


(Surre Il). 


LARGENTIÈRE PENDANT LES DERNIÈRES GUERRES 
CIVILES DU XVII: SIÈCLE 


À défaut des Délibérations municipales qui manquent de 1607 à 
1625, nous trouvons, pour les premières années du xvure siècle, 
dans les comptes consulaires, qu'a dépouillés M. Edouard Ardré, 
l'archiviste du département, un certain nombre de faits, qui, 
réunis à ceux que contient notre collection, présentent un ensemble 
assez complet de l'état de la ville à cette époque. 

Le régime de la liberté des cultes, inauguré par l'Edit de 
Nantes, fut des plus favorables à Ja restauration du catholicisme 
si éprouvé dans la contrée. Les Montlor, seigneurs d'Aubenas, 
qui avaient eu tant à souffrir du fanatisme des religionnaires, 
mirent un grand zèle à la réaliser, et ils trouvérent dans les Pères 
Jésuites d'actifs collaborateurs. C'est à la fin de l'année 1601 que 
le recteur du collège de Tournon accorda au seigneur d'Aubenas 
une résidence de Pères Jésuites qui peu aprés devint un collége 
florissant. Le P. Jacques Gautier, d'Annonay (l'auteur de la 
Chronographie du Christianisme), qui en était le supérieur, s'était 
réservé Ja direction spirituelle de la ville d'Aubenas et des 
environs. On trouve souvent à cette époque des missions prêchées 
par des Jésuites à Chassiers, Vinezac et autres paroisses des 
environs. | 

Les comptes consulaires de Largentière 1601 portent : 

« Estans le P. Gautier venu dans cette ville. avec autres 
Messieurs des Pères de la résidence d'Albenas, auroient les 
comptables envoyé à la cloistre trois flacons de vin, trois livres 
et demie de truitces, des poires et pruneaux, 13 sols. » 


Le 16 mai 1603, fête de la Pentecôte, les Pénitents blancs de 


L'ORGANISATION MUNICIPALE 19 


Largentière prirent part à Aubenas à une de ces manifestations 
religieuses qui montrent mieux que tout l'ardent et profond 
catholicisme de nos aieux, et font comprendre comment le 
Vivarais, devenu presque entièrement huguenot {sans le savoir) 
au début de la Réforme, put revenir en moins d'un siècle à sa foi 
primitive et redevint presque entiérement catholique (1). 

Ce jour là, dit le chanoine de Banne, les Pénitents bleus de 
Chassiers et les Pénitents blancs de Largentière, joints ensemble, 
firent une immense procession à Aubenas, à l'eflet d'y rendre 
grâces à Dieu de ce qu'il avoit permis que les Jésuites, religicux 
de très-sainte vic et de très-grande probité, fussent installés dans 
ladite ville où deux des leurs avoicnt esté martyrisés par Îles 
huguenots aux troubles ou guerres civiles dont le pays avoit esté 
affigé. À cette procession assistérent plus de 15.000 personnes. 
Le seigneur de Chalendar de la Motte, très-brave et très-vertueux 
gentilhomme de Vinezac, pria MM. du chapitre de Viviers de lui 
donner quelques uns de leurs membres pour rehausser la céré- 
monie, ce qui lui fut accordé. Ces A\lessieurs lui envoyérent 
MM. Jacques Faure, Mathieu des Aubers et Louis de Cornillon, 
chanoines, le maitre de musique, Charles Valentin, et deux 
enfants de chœur (dont l'auteur, de Banne, fut du nombre). 
On célébra la messe sous la halle de la place d'Albenas avec 
beaucoup de pompe et de magnificence, devant un grand nombre 
de huguenots, qui furent respectueux quoique défiants. Après la 
messe, le P. Gautier fit le sermon en face de trois ministres 
confus et humiliés de cetteimportante démonstration religieuse. » 

Les Cordeliers reparaissent en 1601 dans les comptes du consul 
Bompar, où une petite somme leur est allouée « pour la démoli- 
tion de leur jardin de la porte de Sigalières». On lit dans les 
comptes de 1604 : À Noël Malerbe, gardien du couvent des 
Cordeliers, « pour le jardin que la ville auroit acheté desdits 
religieux, 2 livres 2 sols ; au même, pour avoir prêché la sainte 
quarantaine en 1604, 36 livres 10 sols ». L'allocation de 2 livres 2 
sols revient dans des comptes ultérieurs. 

Les comptes de 1601 portent encore : « Pour une grande barre 
mise à la porte de Sigalières, ayant esté dérobée l'autre qui y 


(1) Voir notre Chronique religieuse du Vieil Aubenas, p. $1. 


20 L'ORGANISATION MUNICIPALE 


estoit...». L'année d'aprés, il fallut aussi remplacer la barre de la 
porte de Mazeau, également dérobée. 


Au mois de mai 1602, il y eut une petite alerte, sur l'avis que 
le Roi avait fait arrêter le comte d'Auvergne et le duc de Biron. 
M. de Montréal vint à Largentière et mit une garde de quatre 
soldats au château. 


À la fin de décembre 1604, on paye la dépense du P. Guyot qui 
a prèché l'Avent. Ce religieux est venu du Puy à cheval, avec un 
homme qui a ensuite ramené le cheval d'Aubenas au Puy : « Pour 
la dépense de bouche du voyage, 5 livres ; pour le louage du 
cheval, 3 livres ; pour quatre journées de l'homme, 44 sols ; pour 
la dépense de bouche que le curé Coronel a avancée pour eux, r2 
livres. » 


Au mois de mai 1606, les Etats du Vivarais se réunissent à 
Largentiére. L'évêque, ayant tour de baron, avait prévenu les con- 
suls pour qu'ils eussent à pourvoir à son logement ainsi qu'à 
celui de Messieurs les députés. Néanmoins il ne vint pas, et c'est 
noble Paul Magnin, son subrogé, qui présida l'assemblée à sa 
place. Les députés, après s'être réunis le 2 janvier au matin dans 
la maison du juge, M° Guillaume Rivière. docteur en droit, 
« suivant l’ancienne et louable coutume, allèrent ensemblement, 
ceux qui sont de la religion catholique, apostolique et romaine 
en plus grand nombre d'icelle assemblée, ouir la messe en l'église 
Notre-Dame des Pommiers. » Les séances commencèrent l'après- 
midi dans la maison de Rivière. Les consuls firent cadeau d'un 
tonneau de vin blanc aux membres de l'assemblée. 


Le passage suivant des délibérations de l'Assictte nous fait 
connaître un petit détail intérieur des Etats : 

« Le syndic dit que si l'Évesque de Viviers, ayant tour de 
baron, n'a fait faire à ceste assemblée les trois repas accoustumés, 
c'est par le désir qu'il a d'en employer en œuvres pies les 400 
livres imposées ordinairement à cet effet. Conclud sera supplié 
l'Évesque d'avoir pour agréable que Iles 400 livres soient 
employées aux états que s'en suivent ? 200, pour la réparation du 
couvent des Rccollets de Bourg-St-Andéol ; 100 pour les Pères 
Jésuites d'Aubenas, afin de les employer à leurs nécessités ou à 


A IARGENTIÈRE 21 


la réparation de leur collège, comme ils adviseront et les 100 
restants à la réparation du couventdes Cordeliers de Largentière. » 

On alloua, de plus, 50 livres pour la réparation de l'église de 
Largentière. 


. | 

On voit aussi par les comptes consulaires que cette année là les 
consuls demandérent à l'évêque 120 livres « pour faire aulcunes 
réparations au couvert du presbytère qui s'en va en ruines et 
démolition entière... attendu qu'ils estiment qu'il est notoirement 
tenu à cette réparation comme possédant les dimes et tenant lieu 
de prieur de cette ville ». 

Les comptes de 1668 portent 9 livres accordées à Jacomy et 
Pouzet pour avoir gardé les portes de Mazeau et de Sigalières 
durant quinze jours « Sur le bruit de maladie contagieuse à la 
Voulte ». 

On sait qu'Henri [IV fut assassiné par Ravaillac, le 14 mai 1610: 
Voici le contrecoup de ce triste événement dans les comptes de 
Largentiére : 


Sur les mauvaises nouvelles de la mort du feu Roy nostre sire, 
et les advis qu'auroient esté donnés sur ce subject tant de la part 
de Msgr le duc de Ventadour que de M. de Montréal, de faire 
garde bourgeoise, auroient fermé les portes de l'église, Razet, 
Chantereine et Ragas à chaux et sable, et pour ce faire auroient 
acheté d'Olivier Deleuze trois charges de mulet de chaux, 45 sols; 

À plusieurs femmes, pour avoir porté du sable et pierres « dans 
l'église des Pénitens pour fermer les fenestres respondans à la 
muralhe de la ville, » 11 sols ; 

Pour achat de poudre pour mettre au chäteau, (« sur advis de 
M. de Montréal » 3 livres 16sols ; 

Pour avoir fait les deux ponts-levis des portes du Mazel et 
Sigaliéres, 30 livres ; 

A deux hommes, pour le temps qu'auroient demeuré à faire la 
garde au château. sur le bruit de la mort du feu Roy, avant les 
six soldats que M. de Montréal y avoit mis, 40 sols ; 

À Pierre Baille, pour avoir fermé la porte de Sigaliéères, et 
ouverte tous les matins durant les mois de juillet, août et septem- 
bre, 36 sols: 

Pour une chapelle ardente faite « suivant le mandement du Roy 
et de Msur l'évesque de Viviers, de faire les honneurs funébres 
du . Roy par toutes les villes et lieux de son évesché, 26 livres 
4 sols. » 


Le Père Recollet, qui vint prècher le carème cette année à 


22 L'ORGANISATION MUNICIPALE 


Largentière, reçut tous les jours la visite du médecin Antoine 
Avril. Plusieurs dépenses figurent à ce sujet dans le compte des 
consuls. 

Les craintes de troubles, inspirées par la mort du Roi, ne 
durèrent pas longtemps, car les villes, qui avaient reçu l'ordre de 
faire des gardes bourgeoises, les cessérent peu après, sur une 
lettre du duc de Ventadour. 

L'Inventaire André relève pour 1612 le fait suivant fort intéres- 
sant pour l'histoire de Largentière : 


Dans une transaction du 30 mars, passée au cours d'un procès 
entre l'évêque Jean de l'Hostel et le premier consul de Largentière 
(Jean de la Motte, syndic général du Languedoc), il est dit : 

« . Oultre ce, sera tenu mondit seigneur évesque et ses 
successeurs, ainsi que libtralement il a accordé auxdits habitans, 
fournir et payer la pension annuelle et perpétuelle de 25 livres 

pour les gages d'un prescheur pour l'advenir qui preschera 
l'Avent et Carême en l'église N. D. des Pommiers, sans qu'on le 
puisse rechercher du passé. 

« Pareillement a esté accordé et convenu que mondit seigneur 
sera tenu confirmer ct ratifier, comme dorénavant par le frésnt a 
été confirmé et ratifié. par son serment présté, mettant la main 
sur sa poitrine en forme de prélat, les anciennes libertés, privilé- 
gcs ct franchises, dont Icsdits habitans ont joui de tout temps, les 
compositions et transactions fuites et passées entre ses feux 
prédécesseurs et les consuls, manans et habitans de ladite ville... 
et par exprès les transactions passées en l'an 1367 le 9 novembre 
et autre de l'an 1464 le 23° octobre, qui ont esté exhibées audit 
seigneur évesque et ensuite retirées par ledit sieur de la Motte, 
consul, et néanmoins données à entendre de mot à mot à mondit 
seigneur qui les a fait voir à son conseil (1). 

« Aussi a esté accordé que mondit scigneur évesque, baron du 
dit Largentière, pourvoira d'un concierge ou geolier à son chasteau 
dudit lieu, tant pour la conservation d'iceluy que pour la garde 
des prisonniers et lui donnera annuellement 12 livres tournois de 
gages. » 


En 1615, « ordre aux consuls de Largentière de délivrer 8 livres 
de poudre à ceux qui sont commis à la garde du château et des 
deux portes de la ville, « d'autant qu'il est nécessaire ce jourd'huy, 
geste St-Martin, jour de foire, de pourvoir à la sureté de l'église 
et chasteau, attendu les avis qui nous sont donnés sur ce sujet ». 

Le $ mai 1617, la communauté de Largentière, réunie en 


(1) Cette pièce cest aussi indiquée au n° 52 de l'Inventaire des archives de la 
ville fait en 1787 par Gabriel Fayolle. 


A LARGENTIÈRE 23 


conseil général, par messire Jean Rivière, juge de la baronnie 
pour le seigneur évêque de Viviers, décida de supplier l’'évèqne 
d'établir dans la ville un couvent de nimes, en s'engaaeant à 
lui fournir une subvention annuelle de 300 livres ; elle pria 
l'évèque de céder ad hoc un petit coin de terre herme, sis au 
dessous de son château. L'évèque agréa cette demande et délégua 
le curé de Chassiers, official de Largentière, pour bénir, le 26 
décembre de la même année, la première pierre dudit couvent. 


En 1621,les Etats du Vivarais, occordèrent 300 livres aux 
Minimes pour les aider à bâtir leur couvent. 


On sait que les Minimes et les Recollets sont deux branches 
de la grande famille franciscaine, représentant des groupes qui 
s'étaient séparés pour pouvoir vivre « en plus sainte recollection », 
c'est-à-dire avec plus d'austérité et de recueillement, d'où pour 
ces derniers le nom de Recollets, par où l’on voit qu'en demandant 
des Minimes, la ville de Largentière entendait avoir des religieux 
encore plus attachés que ses anciens Cordeliers à leur règle 
primitive On verra plus loin que les Minimes, après avoir fait 
une apparition à Largentière renoncérent d'eux-mêmes à leur 
projet de s'y établir, et ce sont les Recollets que nous allons voir 
bientôt cocxister à Largentière avec les Cordeliers, participant 
comme eux aux faveurs des corps constitués, mais paraissant 
toutefois jouir d'une considération plus grande. 


D'autres pièces de l'année 1617 nous initient à certains détails 
qui concernent surtout la halle du marché fplace couverte) Cette 
année là, il y eut un procés entre les consuls et quelques habitants 
qui voulaient mettre des bancs devant leur maison sans payer de 
droit. On délibéra de les faire payer et d'affermer les places 
comme d’habitude. 


On y voit aussi qu'on s'opposa aux prétentions de ceux qui, 
ayant obtenu l'autorisation de construire des piliers sur lesquels 
les maisons sont bâties, « voulaient occuper le passage d'icelle. 
rue et arcades, qui sont et ont toujours été lieux communs comme 
estant unis à ladite place du marché ». 


On y voit enfin que le marché était alors tenu comme aujour- 
d'hui le lundi. 


24 L'ORGANISATION MUNICIPALE 


Pa 

Les événements de Privas ayant ramené les guerres civiles en 
Vivarais, ce sont les dépenses militaires qui, pendant les dix 
années suivantes, vont être la principale préoccupation des 
habitants de Largentière, bien qu'heureusement leur ville n'y ait 
pas été directement mêlée. 

Les comptes consulaires de 1620 portentles dépensessuivantes : 

Pour les frais de garde de la ville et du château, sur certains 
bruits de remuements de guerre, et de l'avis de Msgr de Venta- 
dour, lieutenant général pour le Roy en Languedoc, 4s livres ; 

Pour achat de bois de ceux qui faisoient les patrouilles de nuit 
hors la ville, 20 livres ; 

Pour l'achat de cinq quartes de froment converties en pain 
pour la munition des compagnies de MM. Ie comte du Rource ct 
de Chambonas s'en allant à Privas, suivant le mandement de 
M. de Montréal, 30 livres ; 

A la venue de Msgr de Viviers en la présente ville, pour lui 
faire honneur, auroit esté délibéré par les conseillers d'acheter 
dix livres de poudre ; ce qu'auroit esté fait et payé 12 solslalivre. 

Au mois de décembre 1620 délibéré par les consuls et les 
habitants d'envoyer un secours, srus les ordres de Tranchard, à 
Aubenas et à Vals. Les huguenots avaient pris la tour de Vals et 
de là se disposaient à passer l'Ardèche pour faire des courses, 
c'est-à-dire pour rançonner les campagnes. 

Des comptes consulaires de 1621, il résulte : 

Que la cavalerie du vicomte de Polignac comprenant environ 
300 maîtres et s à 600 chevaux, avait logé deux fois à Largentière 
et qu'on dépensa pour elle 240 livres pour 150 quintaux de foin ; 

Qu'on ft du pain de munition pour le secours de la tour de 
Salavas ; 

Qu'il y eut des corps de garde à la ville et au château ; 

Qu'il y en avait trois en novembre et décembre 1621 ; 

Qu'il y avait des corps de garde extraordinaires aux portes du 
Mazeau et de Sigaliéres ; 

Qu'on envoya le pain de la munition à l'armée de Vals et 
Vallon ; 

Qu'on fit des achats de bléet de vin, suivant le mandement 


A LARGENTIÈRE 25 


de Msgr de Ventadour portant de faire le pain de muaition pour 
le faire tenir au passage des régiments de M. d'Annibal et de 
Montréal s'en allant à l'armée du Roi à Montauban. 

Il y eut quelque répit de 1622 à 1626. Puis les troubles repri- 
rent de plus belle. 

Les délibérations municipales nous montrent que, dès le 
commencement de 162$, on prenait à Largentière de sérieuses 
mesures de précaution indiquant un état de choses beaucoup plus 
alarmant que ne le laisse soupçonner la brève mention consacrée 
par Pierre Marcha à l'année 1625. 

Le 22 janvier 1625. « Deslibéré que, sur les advis que on a de 
divers lieux et plusieurs villes du présent pays de Viverois, qui 
font garde bourgeoise pour éviter surprinses que y pourroient 
arriver de la part des ennemis et rebelles au Roy, seroit mis dans 
le chasteau de la présente ville le nombre de douze habitans 
chascune nuit, par tour des roles qui en seront faicts, auxquels 
sera forni la somme de 6 sols 3 deniers, que on baillera à chascun 
caporal de bois et chandelles et que les consuls en seront remborsés 
de l'advance qu'ils en feront, comme de mcesmes de ce que leur 
conviendra fornir pour assurer les portes et ponts-levis de ladite 
ville, et ce en la première intimation qui en sera faite. » 

Le 24 janvier. « Deslibéré que, pour la conservation de la ville, 
seront fermées à chaux et sable les deux petites portes, l'une 
appclée Chantareine et l’autre le Portalet de l'église... 

Le 16 juillet :625... 

Deslibéré... Premièrement, qu'on continuera la garde de deux 
corps de garde, l'une au chasteau et l'autre à la ville ; que desdits 
deux corps de garde de la ville seront pris tous les soirs six 
hommes pour la patrouille que l'on fait hors de la ville ; 

Que, pour la nécessité que se pourroit présenter de la conser- 
vation du chasteau, il y sera mis, par emprunts que l'on fera des 
plus aisés de la ville, douze tourtes de munition (1) qui seront 
baillées au sieur de Fages, lequel les fera serrer dans une chambre 
pour ies rendre et changer de huit en huit jours avec d'autres 
qu on lui apportera, à la diligence des consuls, lesquels lui four- 
niront aussi de quatre grandes cornudes pour les remplir d'eau 
de la fontaine qu ils le chargent de cs changer de trois en trois 
jours ; 

Que pour éviter les surprises que l'on pourroit faire à la porte 


(1} Gros pains. 


26 L'ORGANISATION MUNICIPALE 


du chasteau, il y sera fait une palissade dans le ravelin avec une 
meurtrière au dessus ladite porte, à la diligence des consuls, et 
par l'entremise et direction du sieur de Fages et du sieur de 
Largier ; 

Que pour fortifier la garde dudit chasteau, tant de nuit que de 
jour, y seront employés, aux dépens de la ville, pendant un mois, 
quatre soldats qui seront pris des lieux forains au nom de la 
ville ; 

À esté aussi arresté que pour le présent ne tirera que l'une des 
portes de la ville alternativement, et que chaque jour il y aura 
six hommes de garde à la porte qui sera ouverte, lesquels seront 
choisis des plus apparens suwvant le rôle que lesdits consuls en 
feront jusqu'à ce que cessent les occurrences et sera autrement 
pourvu ; 

Que lesdits sieurs consuls feront accomoder les portes et ponts- 
levis et y feront mettre des cadenas comme estans grandement 
nécessaires. | 

Pourvoiront aussi que y aye pour un mois un portier qui 
assiste d'ordinaire à la porte qui sera ouverte. 

C'est par une délibération du 8 avril de la même anné 1625 
que nous apprenons que les Minimes ont renoncé à s'établir 
à Largentière, bien que Ja ville et les Etats du Vivarais 
eussent voté des fonds pour les aider à bâtir un couvent. On avait 
même préparé des matériaux puisque le P. Guiton, Gardien des 
Cordeliers, demande à la ville de leur céder les dits matériaux 
pour la construction de leur église, « attendu que les Minimes 
ont tout à fait quitté leur desscin de résider en icelle ville » ; ce 
qui lui fut accordé. 

Le 9 janvier 1626, la guerre civile a de nouveau éclaté. « Les 
consuls remonstrent à leurs conseillers que vu les continuels 
advis qui leur sont mandés de divers endroits comme quoi les 
rebelles de S. M. sont en campagne, avant déjà surpris des places, 
ils ont fourni diverses sommes de deniers tant pour la garde que 
pour les patrouilles ». Ils demandent aussi à s'occuper des 
fortifications. .... Délibéré qu'on prendra sur la ferme de la 
boucherie pour parer aux réparations et fortifitations les plus 
urgentes, suivant le rapport qui en sera fait par les conseillers, 
assistés de MM. de Largier, de Bonncfilhe, du Prat, du Roure 
et de Rovicre... » 

Sur l'observation de de Fages, commandant au chäteau, 
« délibéré de lui fournir douze livres de poudre dont il fera un 
reçu en bonne forme ». 


A LARGENTIÈRE 27 


Huit jours après, on donne à prix fait la réparation de la tour 
du pont de Sigalières à 120 livres. 

Le 31 mai, on délibère « de faire une taille à sept bastons 
destinée aux affaires de la ville pour la conservation d'icelle. La 
cote pour ceux du premier baston est de 3 livres 5 sols, et elle va 
en décroissant graduellement jusqu'à s sols pour le septieme 
baston. 

Le 11 août 1626, la ville de Largentière, « attendu les bienfaits 
continuels que M. de Montréal à fait à la communauté de la 
présente ville, notamment ces jours passés que, par son moyen, 
crédit et faveur, l’auroit exemptée du logement de gens de guerre 
assemblés pour le siège du Pouzin, » délibère de lui faire un don 
de 160 livres. 

Le 14 novembre suivant, le nouvel évêque de Viviers, Louis de 
la Baume de Suze, étant arrivé à Largentière, les consuls vont lui 
témoigner « le contentement qu'ils éprouvent de sa venue », et de 
plus l'assemblée des habitants décide qu'il lui sera fait don d'un 
tonneau de bon vin, le meilleur qu'on pourra trouver, et qu'on 
pourra mettre à cet achat jusqu'à 30 livres. 


Le 8 avril 1627, le R. P. Philibert, dominicain, qui a prèché le 
Carême, étant à la veille de repartir, « les consuls requièrent estre 
deslibéré sur le salaire que convient lui donner ainsi qu'il est 
accoustumé de faire tous les ans à ceux qui ont fait cette fonction ». 
On lui vote so livres. « Est aussi ordonné aux consuls de retenir 
les 25 livres que l'évêque est tenu de fournir annuellement pour 
les frais d un prédicateur. Ordre aussi aux consuls de pourvoir 
au payement de la nourriture du prédicateur qui a été nourri chez 
l'official de Largentiére ». On les invite encore à « rhabiller les 
portes de la ville et les ponts-levis et à les remettre en bon estat 
pour s'en Servir..e » | 


Au mois d'avril, la grosse préoccupation est sur la santé 
publique. « À cause de bon nombre de malades et diverses 
personnes étant décédées sans que la cause de leur maladie ait 
été bien connue, le premier consul dit qu'il seroit besoin de 
pourvoir à faire ouvrir aucun corps mort qui pourroit décéder, 
tant homme que femme, pour mieux vérifier et apporter au mal 
un plus prompt remède. Conclud que puisque les sieurs Le 


28 L'ORGANISATION MUNICIPALE 


Meur et Adelon sont de présent en la présente ville et que sont 
médecins capables,seront priés de faire ouvrir par les chirurgiens 
de la présente ville deux corps de ceux qui pourront décéder, 
savoir un homme et une femme, et sera fourni par les consuls à 
chacun desdits médecins deux escus et quart et à chacun des 
autres chirurgiens trois livres, et outre ce fourniront les drogues 
nécessaires et toutes les autres fournitures que besoin sera. 

« Du jeudi 29° avril. Les consuls disent que plusieurs notables, 
attendu la continuation de la maladie, leur ont fait entendre que 
seroit requis de faire ouvrir le corps mort d'une pauvre femme de 
montagne décédée tout présentement et de employer à cet effet le 
sieur Fournier médecin de Joyeuse, venu pour autres malades, 
lequel Fournier est fort expert en telles opérations. Adopté. On 
baillera à Fournier trois livres. 

Il y eut alors trois autopsies. Elles ont été l'objet d'une commu- 
nication de M. André, dont il est question dans le Bulletin histori- 
que el philologique de 1897. 


+ 
+ © 

C'est au printemps de 1628 qu'eut lieu la fameuse expédition 
du duc de Rohan, le généralissime des religionnaires du Midi, en 
Vivarais. Dés le 23 décembre 1627, M. de Chaussy écrivait aux 
consuls de Largentière une lettre qui la faisait pressentir. 

Le lendemain, les consuls annonçaient, dans un conseil général, 
la nouvelle de la surprise de la tour de Vals par les huguenots, 
« et de là ont dessein de passer l'Ardèche pour faire des courses 
en divers endroits, et pour ce les consuls ont esté priés par Îcs 
régens d'Aubenas envoyer quelques personnes le plus prompte- 
ment possible pour se joindre avec la noblesse de Viverois, pour 
disputer le passage au bäteau de Vals ; requérant sur ce deslibérer, 
ensemble sur les moyens dé recouvrer argent.tant pour satisfaire 
cette dépense et pour les poudres, que pour les fortifications et 
munitions nécessaires pour la conservation de la ville. — Délibéré 
que les consuls employeront le plus grand nombre de soldats que 
pourront trouver, les enverront à Vals et autres endroits que 
besoin sera pour y servir le Roy contre les rebelles, sous la 
conduite de Trancha-d,conseiller, fourniront pour la dépense des 


A LARGENTIÈRE 29 


soldats 15 livres, et outre ce lui délivreront la quantité de poudre 
nécessaire ». 

Pour mieux assurer la sécurité de la ville quelques uns proposent 
de créer un sergent major à l'imitation d'autres villes. Jacob Boule 
est prié d'accepter cette fonction, aux gages de 15 livres par mois. 
Jacob accepte et offre faire son devoir. 

Le 24 janvier 1628, « pour reconnaître les bienfaits de M. de 
Montréal, grâce à qui Largentière est exemptée du logement 
des gens de guerre, on lui vote un don de 150 livres. 

Le 12 février, « délibéré d'acheter vingt livres de poudre et dix 
livres de plomb en balles pour mettre au château. Le sieur de 
Fages est chargé de la garde de ces munitions. Il est chargé aussi 
de faire faire au château les réparations nécessaires. 

Le 27 février, « hors la porte de Mazeau, illec estans assemblés 
Messieurs les consuls conseillers et autres habitans. Délibéré 
que les consuls feront faire la première porte de l'entrée du pont 
de Mazeau à chaux et sable, des deux côtés de ladite porte, pour 
la fortification de la ville et pour y retirer la patrouille. 

« Le 3 mars, hors la porte de Mazeau, au dessus le pont et à 
l'entrée de la première porte, MM. les consuls ont remonstré à 
Messieurs les conseillers et autres habitans comme M. de 
Montréal, en retournant à son commandemen à Villeneuve de 
_Berc, seroit passé expressément en la présente ville pour voir la 
réparation qu'est requise de faire à l'entrée de la porte de Mazeau 
et qu'ils ont accomencé de faire ; laquelle réparation M. de 
Montréal a trouvée bonne et qu'il est requis de la parachever le 
plus promptement possible, attendu les advis, qu'il en a heu de 
plusieurs parts,comme le sieur de Rohan, avec une grande armée 
de gens de guerre qu'est contre le Roy pour ceux de la religion 
prétendue et leur chef, veut venir assiéger et faire mener deux 
canons de batterie et colobrine. Sur quoi,a esté deslibéré, suivant 
l'advis de M. de Montréal, que les consuls feront continuer la 
dite réparation à ladite première porte de Mazeau et icelle feront 
couvrir le plus promptement que pourront aux despens de la 
ville. » 

Le 18 mars, à 8 heures du matin, « dans la maison et salle du 
sieur juge Rivière et par devant le sieur Dallamel lieutenant, 


30 L'ORGANISATION MUNICIPALE 


s'estans assemblés Messieurs les conscillers et autres habitans 
de ladite ville, noble Guillaume de Rivière, premier consul, 
ayant fait sonner la cloche suivant la coutume, auroit exposé que 
à cause des continuels advis qu'il a reçus des entreprises des 
rebelles,et pour la sûreté tant de la présente ville que du chasteau, 
seroit besoin de voir des réparations et fortifications de la présente 
ville, la garde d'icelle que se doit faire plus exacte et avec plus 
de soin ; voir aussi comment lesdits habitans sont armés, afin 
que sur le tout soit remédié et prins deslibération par les soubs- 
nommés que s'ensuivent, savoir : noble Jehan de la Motte, noble 
Guillaume de Fages, noble Jehan de Largier, le sieur du Pré, le 
sieur Lemaistre, les sieurs de Malet père et fils, le sieur du Roure, 
le sieur de la Rovière, le sieur prévost d'Ayzac, M°* Marc Rozier, 
Jacob Baille, Jehan Tibon, Jehan Resclausade, Esprit Serret, 
M:: Privat et Claude Vincens notaires etc. 


« Délibéré que tout présentement,pour remédier aux abus que se 
commettent en la garde de la ville pour n'y aller personnellement, 
sera pris et choisi 36 personnes habitans et capables de la présente 
ville, desquels en sera choisi 3 chaque soir, chacun desquels ira 
en son corps de garde pour veiller et estre soigneux à l'exacte 
garde de jour et de nuit, desquels 36 en sera fait estat par les 
consuls et conseillers. 


« Délibéré que de nouveau sera fait, vérification de toutes les 
fortifications et réparations nécessaires par lesdits consuls et 
conseillers, assistés de MM. de la Motte juge Riviëre, de Largier, 
du Roure, du Pré, de Malet, de Bonnefille, de Hébrard, de la 
Rovière et d'Ayzac, lesquels assisteront lesdits consuls et con- 
seillers en toutes les occasions qui écherront pour le fait de la 
guerre et en résouldront les uns en l'absence des autres. — Sera 
pris deux hommes à gages de la ville avec le nombre d'hommes 
qui leur sera baillé, desquels ils respondront et de leurs actions 
en leur propre et privé nom, lesquels gages seront à 4 sols pour 
chascun pour les deux sieurs nommés, et les personnes qui seront 
prises pour ladite patrouille seront tirées d'ailleurs que de la 
garde du chasteau, et moyennant ce lesdits habitans et commu- 
nauté seront exempts du payement du sergent major et portiers 
tant de la ville que du chasteau, tant que lesdits sergens majors 


A LARGENTIÈRE 31 


seront payés des gages des mois qu'ils auront servi et leur sera 
payé enticrement leur mois courant que seront tenus servir encore. 

a Les consuls feront la vérification de ceux qui ont des armes 
à feu — et ceux qui n'en auront point, qui ont moyen d'en avoir, 
seront tenus d'en acheter à leurs despens. » 

Le 19 mars, M. de Montréal écrit « de pourvoir de munitions 
de guerre, d'armes, poudre, plomb et faire moudre du blé pour 
s'opposer à Rohan. — Délibéré que les consuls emprunteront à 
intérêt ou à pension foncière 300 livres, pour employer aux 
munitions de guerre et réparations que sont requises. » 


— Le 20 mars, les consuls baillent à prix fait à deux charpentiers, 
« savoir, de faire et dresser deux clédats de bon bois et bonne 
fustaille et fornir les traffeches qui y seront nécessaires et au 
chemin public, un venant de Montréal et l'autre de Chassiers, et 
au pied de l'entrée du pont Sigalières,et à ces fins leur est permis 
de prendre les deux clédats qui y estoient auparavant, — Îtem de 
accomoder le clédat de la porte de Mazeau — Pareillement de 
rabiller le couvert du ravelin de la porte de Sigalières et acco- 
moder le portail comme estoit cy devant. » Ce travail doit être 
fini en quinze jours. | 

On donne aussi à prix-fait d'autres réparations à l'entrée de la 
porte de Mazeau. 

On achètera quarante livres de poudre que les consuls garderont 
pour distribuer quand sera de besoin. 

Autre prix fait pour « accomoder la tour de Chantereine, 
joignant la maison de M° Jehan Roure, et y faire à chaux et 
sable la muraille d'icelle jusques au couvert et y faire deux 
larmicres et trois flancs pour y faire la sentinelle... Plus faire 
bastir à chaux et sable une caverne sous la tour des Bertisses et 
corriger l'entier des murailles aux lieux que y seront nécessaires 
etc. » 

Le 1° avril, { dans la maison et salle de Jean de la Motte », 
autre délibération pour la fortification de Îa ville, « afin de n’estre 
surpris et pour se défendre contre les ennemis et rebelles à S. M. 
suivant les avis qu'on a eus de plusieurs parts ». 

« Délibère aussi accomoder la tour du reloge joignant le jardin 
du seigneur Evesque afin de y faire loger des gens pour la garder, 


32 L'ORGANISATION MUNICIPALE 


et aux autres tours y mettre des échelles pour y monter et faire 
accomoder les planchiers, et que la porte de la boutique de 
Barthélemy, joignänt l'entrée de la porte de Sigaliéres, sera 
fermée à chaux et sable... » 

Le 4 avril, dans la maison et salle de noble Jehan de Largier… 
« vu les continuels avis et l'urgente nécessité qu'il y a de faire une 
plus exacte garde au chasteau, délibéré qu'il y sera mis quatre 
soldats de la présente ville pour en avoir le soin et y faire garde 
nuit et jour avec les autres habitans que seront tenus par tour et 
escouade y venir sans que lesdits 4 soldats soient pour cela 
exempts de leur tour de garde, ains (mais) seront tenus mettre autre 
à leur place audits corps de garde de la présente ville, lesquels 
quatre soldats ont esté nommés et approuvés unanimement, 
savoir, Guillaume Dufour, Mathieu Suchet, André de Pugnères 
et (nom illisible) aux gages chascun pendant lesdits quinze 
jours de 5 livres...» 

Le 8 avril, hors la porte du Mazeau, Pierre Allamel dit que « le 
premier consul seroit allé à la guerre ; le second est tombé 
malade ; seroit requis lui baïller quelque autre en leur lieu et 
place pour l'assister. » — On désigne le sieur Tranchard « pour 
estre personne capable et suffisante — auquel sera payé pour un 
mois la somme de douze livres ». 

Le même jour, on décide l'achat de dix setiers de blé qui, 
suivant un ordre de M. de Montréal, doivent être rendus à 
Villeneuve de Berg le 11 avril, « estant destinés en munition 
morte pour le socours des lieux que les rebelles attaqueront... » 
Le 16 avril, dans la maison Largicr, le sieur de Riviére, premier 
consul, expose que le duc de Ventadour a donné une ordonnan:e 
pour le logement de sa compagnie d'ordonnance en la présente 
ville. « Conclud que suivant l'ordonnance, on logera aux hotelle- 
ries les personnes et quantité de gens désignés en l'ordonnance». 


Toutes ces mesures correspondent aux diverses phases de 
l'expédition de Rohan. L'armée huguenote était à Barjac vers le 
10 février. Elle commençait, le 16 mars, le siège de Salavas où le 
commandant catholique, M. de la Chadenède, après une résistan- 
ce héroïque, dut capituler le 27 mars. Rohan était à Lussas le 29 
et le 31 à Privas. De là il alla prendre Chomérac, Bays et le 


A LARGENTIÈRE 33 


Pouzin, qui était son principal objectif; mais il fut moins heureux, 
dans l'attaque de Cruas, où il se fit battre par les moines de 
l'abbaye. Finalement, il dut reconnaître, dès le milieu d'avril, 
qu il était dangereux pour lui de prolonger son séjour en Vivarais, 
et dut s'estimer fort heureux, après la rencontre de St-Germain 
(23 avril), d'avoir pu en sortir sans trop de dommage. 

Dès lors, les grosses préoccupations sont passées pour Largen- 
tire comme pour le reste du pays. Îl y eut cependant encore, aa 
mois de novembre, une autre alerte, sur le bruit, transmis par le 
consul de Joyeuse, que le duc de Rohan préparait une nouvelle 
tentative contre le Vivarais. On prit quelques mesures de précau- 
tions, surtout en ce qui concerne la garde des portes de la ville, 
et il faut citer à ce propos la délibération suivante comme 
caractéristique du temps : 

« Les consuls remonstrent à leurs conseillers comment Guillau- 
me Dufour a esté chargé de la garde des portes le 1°" du présent 
mois et qu'il ne veut plus servir la ville sans lui augmenter 5es 
gages, d'autant qu'il leur a fait entendre qu'il a donné aux 
pauvres passant à la porte pour leur défendre l'entrée de la ville, 
attendu le grand nombre des pauvres qu'il y a et à raison des 
maladies, il a baillé de ses deniers et argent propre plus de onze 
sols. Délibèré que ledit Dufour continuera de garder les portes, 
attendu qu'il s'en aquitte fidélement et qu'est capable, ne pouvant 
trouver autre meilleur que lui en ladite ville, et en considération 
des aumônes qu'il donne aux pauvres passants pour défendre 
l'entrée de ladite ville, que les gages lui seront augmentés pour 
chascun mois de quarante sols, que revient à douze livres par 
mois, jusques à ce que autrement soit deslibéré. » 


(A Suivre). A. MAZON. 


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Æglise et Jortail du Aiture. de Mocheville. 1860. 
e de Macheville était avant la Révolution, une 
communauté indépendante et n'est plus aujourd'hui qu'un 
a ville de Lamastre. Son origine est incontestablement 

rruption de l'ancienne 


faubourg del 
paraît être que la co 
uve dans le 


romaine et le nom ne 
n latine Mansus Cavillanus que l'on tro 
ns le mot Cavillanus le 


(fre. ll faut voir da 
nda ou peut être habita la localité. 


Le villag 


appellatio 
Cartulaire de St-Cha 


nom d'un colon romain qui fo 


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LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DB MACHEVILLE 35 


Non loin de là, à Désaignes, on remarque les restes d'un temple 
romain. D'après l'abbé Rouchier, une voie romaine passait aux 
environs dans la vallée du Doux et se dirigeait vers St-Agrève. 
On est donc fondé à admettre la croyance commune que 
Macheville remonte aux premiers âges de notre histoire nationale. 
Cette opinion s'appuie encore sur le fait suivant : lors de 
l'agrandissement de l'église, effectué sous l'administration de M. 
l'abbé Lemasson, on trouva, dans les fouilles exécutées pour les 
fondations de la nouvelle façade et du clocher, plusieurs sépultures 
gallo-romaines ; les restes étaient enfermés dans des sarcophages 
formés de dalles, dans lesquels on recueillit aussi des vases et 
des lampes en terre cuite commune. Îl est probable que si les 
recherches avaient été poursuivies, elles auraient amené la 
découverte d'un cimetière trës-ancien existant sur la place de 
l'église et s'étendant jusque dans la cour du prieuré. 

À l'époque gauloise, le pays situé entre le Doux et l'Érieux était 
habité par les Ségalaunes. Les Allobroges Gésates occupaient la 
région située de l'autre côté du Doux. Encore aujourd'hui, malgré 
la fusion des races, certains usages font reconnaitre les deux 
peuplades d'origine différente. Dans le pays des Allobroges, le 
soir du mardi gras, les montagnes sont illuminées par les feux 
de joie. Dans le pays des Ségalaunes, ces feux ont lieu pendant 
le jour, sont moins apparents et, le plus souvent, ne s'allument 
qu’à l'occasion d'une nouvelle mariée. Au nord de la rivière du 
Doux, ces feux se renouvellent la veille de la fête de St-Jean 
Baptiste. L'origine de ces feux remonte aux temps du paganisme. 
Ceux du carnaval viennent des fêtes dites des Bacchanales, ceux 
de la St-Jean viennent du culte de Mithra, à l'équinoxe d'été (:). 

Le village de Macheville étale ses vieilles mazures en bordure 
d'un étroit chemin perré longeant la crète d'un promontoire dont 
l'église et le prieuré couronnent l'extrêmité nord, dominant d'un 
côté la vallée du Doux et de l’autre le val encaissé au fond duquel 
coule le ruisseau de Grauzon. Au point de vue géologique, la 
région toute entière appartient aux premiers contreforts du massif 
central et est formée par des terrains cristallophylliens. On 
remarque deux minéralisations différentes des roches. La plus 


(1) Auué Garnovier. Recherches sur St-Romain de Lerp. 


36 LE PRIEURÉ ET L ÉGLISE DE MACIIEVILLE 


étendue est caractérisée par le granite gneissique à cordiérites. 
C'est le granite fondamental de la région, toujours très-micacé. 
Très-variable et très-peu homogéëne dans le détail, il est, dans 
” l'ensemble, d'une composition remarquablement constante. On 
trouve ce terrain dans la région au nord du Doux jusqu'à Satillieu, 
Pailharès, St-Jeure-d'Andaure. On le retrouve au sud, à partir 
d'une ligne allant de St-Barthélemy-le-Meil à Colombier-le-Jeune. 
On remarque, dans ce terrain, de nombreux îlots d’aplite, roche 
sans mica ou à mica blanc, dont ia couleur varie du jaune paille 
au blanc ou au rose clair. Près de la Bâtie-d'Andaure, une variété 
renferme des grenats. Les plus gros dykes ont jusqu'à 700 mètres 
de puissance et fournissent des matériaux pour l'empierrement 
des routes. On trouve encore, dans le même terrain, des filons 
de quartz concrétionné pauvre avec filons plus rares de blende, 
galène et chalcopyrite. Les filons de barytine sont plus nombreux, 
(Gilhoc, Désaignes.) L'orientation de ces filons est généralement 
NO, SE. Les exploitations sont peu nombreuses et ne paraissent 
pas avoir d'avenir. | 

L'autre terrain est enclavé dans le précédent depuis le Crestet 
jusqu'à Lamastre, le Pouzat, le Cheylard, Accons, Christol, 
St-Julien-Labrousse, et St-Barthélemy-le-Pin. Il est caractérisé 
par des gneiss granulitiques, roches stratiformes remarquables 
par une couleur claire, une forte teneur en alcalis, faible teneur 
en chaux, magnésie et fer. On y remarque quelques rares niveaux 
d'amphibolite entre Désaignes et le Pouzat. À l'Est de Lamastre, 
on trouve deux gros amas de syénite à pyroxène homblende et 
mica noir. C'est la roche appelée granit noir que l'on emploie 
pour les monuments de la contrée. 

On retrouve ce terrain sur les sommets élevés, à St-Agréve et 
St-Bonnet-le-Froid. En général les gneiss granulitiques forment 
les pics élevés, les couches sont horizontales et peu ondulées. 
Elles reposent sur les granites homogènes que l'on aperçoit au 
fond des vallées le long des cours d'eau (1). 

En général, ces terrains sont la caractéristique des régions 
pauvres, cependant la race robuste et travailleuse des montagnards 
a su tirer parti des ressources du pays et la population y est, en 


(1) Notes annexes de la Carte géologique de la Région. 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 37 


somme, assez dense. Après cette légère incursion dans le domaine 
des savants, revenons à la chronique. 

On n'a point de données bien certaines sur les premières 
églises du Vivarais. Tout ce que l'on peut affirmer, c'est que le 
christianisme fut répandu, dès les premiers siècles de l'ère 
chrétienne, parmi les populations des pays compris entre le Doux 
et l'Erieux À peine nés à la lumière de la foi, les chrétiens de 
cette époque furent les témoins des horreurs et des luttes qui 
accompagnérent l'invasion des Barbares. À la suite de ces 
invasions, le pays tomba sous la domination des Bourguignons. 

On peut se demander ce que devinrent les chapelles et les 
monuments de la Région pendant ces périodes agitées. On ne 
cite qu'un petit nombre de ces constructions ayant survécu à tous 
ces désastres. 


En 641, Calmeliar, duc d'Aquitaine, avait construit Ice monastère 
de Carmerv, dans les montagnes de l'Arverne. Lorsque les 
bandes musulmanes, fuvant le champ de bataille de Poitiers, 
_ traversèrent les Cévennes pour regagner les Alpes et le Midi, 
St-Théofred. second abbé de Carmery, fut martyrisé par les 
Sarrasins. Cette mort eut un grand retentissement. Louis le Pieux 
fit relever le monastère de Carmery qui pritle nom de St-Théofred, 
le glorieux martyr. La ville qui s'était élevée à l'ombre du cloître 
prit le nom de St-Chaffre, corruption de St-Théofred, et l'abbaye 
refleurit plus puissante que jamais. Son influence bienfaisante se 
fit sentir jusqu'aux bords du Rhône. Les moines de St-Chaffre 
furent certainement les fondateurs ou plutôt les restaurateurs de 
presque toutes les églises du Haut-Vivarais. Ce qui est certain, 
c'est que dés le X° siécle, la plus grande partie des églises étaient 
placées sous la dépendance de l'abbaye de St-Chaffre du Monastier. 


Dans le cartulaire de cette abbaye. publié par M. le chanoine 
Ulysse Chevalier, se trouve la bulle du pape Alexandre dans 
laquelle sont énumérés tous les bénéfices dépendant de la célèbre 
abbaye. De nombreuses églises du Ilaut-Vivarais sont citées dans 
cette bulle qui date de l’année 1179, entre autres : les églises 
d'Arcens, de St-Martin-de-Valamas, appelée Valle amalis, 
St-Clément, Macheville, avec la chapelle de La Mastre et la 
chapelle de Retourtour. fecclesiam de Manso Cavillano, cum capella 


38 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


de Mastra et capella de Relorlorio), St-Basile, Colombier, Monteil, 
St-Barthélemy etc , etc. 

Une autre bulle du pape Clément IV, de 1266, insérée dans le 
même cartulaire, énumère les donations d'églises faites à l'abbaye 
de St-Chaffre. On y retrouve encore l'église de Macheville, avec 
les chapelles en dépendant, les dîmes, les terres, les vignes et 
toutes les possessions y appartenant. | 

D'autre part, voici ce que nous dit l'historien du Languedoc 
sur l'église de Macheville. 

Le roi Lothaire s’affermit peu à peu sur le trône et il étendit 
son autorité sur les deux pays en deça du Rhône qui étaient 
anciennement de la dépendance du royaume de Provence. On a, 
en effet, deux donations, datées du rêgne de ce prince, en faveur 
_ de l'abbaye de St-Chaffre, en Velay, l'une de l'église de St-Andéol 
d'Escolenc dans la vignerie de Pradelles, en Vivarais, et l’autre 
qui est de l'an 961, de l'église de St-Sauveur de Macheville, 
située dans cette partie du diocèse de Valence qui est en deça du 
Rhône et qui dépend du Languedoc. 

Geslin, comte de Valence qui fit cette dernière donation, avec 
sa femme Raimote reconnaissait, par conséquent, alors, la 
suzeraineté de Lothaire, du moins pour la partie de son comté, 
située en deça de ce fleuve. 

Il est marqué, dans cet acte, que Macheville dépendaitauparavant 
du Lyonnais et qu'il était alors du diocèse de Valence, ce qui 
semble confirmer que toute la partie de l’ancien royaume de 
Provence qui est en deçà du Rhône, était soumise, en ce temps là, 
à l'empire français. Ufald, abbé de St-Chaffre, reçut ces donations. 

Voici, du reste, la traduction de l'acte de donation. 


Don de Macheville fait par le comte Geslin. 


Que tous sachent que, dans le pays qui dépendait autrefois de 
Lyon et qui est maintenant dans l'évêché de Valence, Geslin, 
trés-noble et puissant scigneur, dont il a été parlé ci-dessus, et 
Rai mote, son épouse, a donné l'église qui se trouve dans le lieu 
appelé Macheville, laquelle est consacrée à notre Sauveur, ainsi 
que la paroisse elle-mëème, et un clos de vigne, et un pré et toutes 
les dépendances, afin que les recteurs du monastère de St Chaffre 
l'aient et la possèdent toujours. sans contradiction de personne 
Il donne, par un droit perpétuel, au même monastére, une villa 
située dans un autre endroit, appelé Canilis, paraissant en 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHBVILLE 39 


dépendre et lui appartenir Ce prince fit cette donation avec 
plusieurs autres à Ufald, abbé, commeilest dit ci-dessus. Ce 
don fut fait, au mois de mars, férie séconde, de l'an du Seigneur 
961, indiction IV, sous le règne de Lothaire (1). 

Dans le même cartulaire, nous voyons qu'au prieuré de 
Macheville était annexé le prieuré de Marnas, commune de 
St-Barthélemy de Vals. canton de St-Vallier. Le prieuré de 
Macheville payait à l'abbaye vingt sous pour les malades, trente 
sous du Puy pour le vestiaire ; le prieur de Veyrines en payait 
dix, et celui de Marnas payait dix sous de Valence. Le prieuré 
de Macheville payait en outre vingt sous annuels à l'Eglise de 
St-Julien-Labrousse, dépendante du prieur qui en avait fait 
l'acquisition depuis longtemps. 

Un autre chapitre parle de tuniques de peaux destinées à 
revêtir les moines de l'abbaye de St-Chaffre. Le prieur de 
Macheville, Ganilon, devait en fournir deux, et le prieur de 
Marnas, une. Ces peaux devaient provenir de brebis blanches et 
être livrées, à l'entrée de l'hiver, pour être distribuées aux frères 
du couvent, à la fête de St-Chaffre. Ceux qui ne pouvaient donner 
des peaux de mouton devaient fournir des peaux de chèvres. 

Dés le X° siècle, Macheville était donc une paroisse possédant 
des terres, et il y avait, en outre, une chapelle à La Maitre, et 
une autre, au hameau de Retourtour, voisin de cette ville. Il 
n'existe. de nos jours, aucun vestige de ces deux chapelles. 

L'église de Macheville était, avant la donation de Geslin, sous 
le vocable du St-Sauveur. Les Bénédictins lui donnèrent pour 
patron, Saint Domnin,qui était un ancien moine de la Chaise-Dieu. 

ÏIl y a environ quarante ans, on voyait encore, au chœur de 
l'église de Macheville, un vitrail formé par une toile peinte en 
transparence, représentant St-Domnin en costume de moine 
bénédictin. Cette toile fut remplacé par un vitrail qui représente 
la résurrection du Sauveur. Ce vitrail qui occupe la vaste baie 
qui éclaire le chœur fut donné par la famille du Besset La toile 
peinte représentant St-Domnin fut brûlée. Il est à remarquer 
qu'au XII siècle, il existait au Bourg-St-Andéol, un cimetière 
de St-Domnin (2). 


(1) H. du Languedoc, tom. III, paz. 151. 


2) Collection Mazon. 


40 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


Les documents sur le prieuré de Macheville qui resta dépendance 
de l'abbaye de St-Chaffre, jusqu'au XVII° siècle, sont très-rares. 
Nous en avons cependant trouvé quelques-uns qui font ressortir 
l'ancienneté des hameaux et manoirs des environs. 

Le prieur le plus ancien connu est Ganilon, cité dans Île 
cartulaire de St-Chaffre, cet existant au XI: siccle. 

En 1663, les Péres Jésuites, qui succédérent, au XVII* siècle, 
aux Bénédictins, dans le prieuré de Macheville, soutinrent un long 
procès contre les habitants de cette localité, pour faire revivre 
certains droits tombés en désuétude. C'est dans les titres invoqués 
au cours de ce procès que l'on trouve quelques pièces intéressantes. 

Dans une reconnaissance, datée de 1300, du vendredy après 
la fête du bicnheureux Grégoire, sous le rêgne de Sérenissime 
Philippe, par la grâce de Dieu, roi des Français, Gérenton de 
Montreynaud, Etienne du Chambon, Pierre du Vilar, Nicolas de 
Leyre, Pierre de Laversin, Guigon d'Urbillac, Raymond de 
Montreynaud, Bonnefoy de Mazeyraud, Giraud des Lans, 
reconnaissent être, avoir été, et devoir être hommes liges du 
prieur, devoir les tailles, journaux, usages, servitudes, à la volonté 
du Prieur et de ses successeurs, selon la coutume de leurs ancëtres ; 
ils recconnaissent être soumis à l'empire de haute et basse justice 
seigneuriale du prieur de Macheville, tant pour leurs personnes 
que pour leurs biens. 

Cet acte fut passé, à Macheville par devant les témoins suivants: 
Dom Jean Mazel, prêtre, Picrre Nicolas, clerc, Hugon de Mars, 
Raymond de Blachéres, Pons de Bouzols et plusieurs autres. 

En 1301, dans une autre reconnaissance, datée du samedi avant 
la fête de St-Marc, évangéliste, Etienne de Aurias Vaux, Jean 
Aure de Mas-Evraud, Benoit de Mazeyrand, Mathieu de 
Rochebillères, se reconnaissent hommes liges et taillables à la 
volonté du prieur de Macheville. 


Cet acte et un autre d’un certain Etienne de la Chapelle, 
reconnaissant les mêmes dioits, furent passés dans le cloître du 
prieuré en présence de : Dom Jacques Arthaud, sacristain de 
Macheville, Dom Durand Bacon, Jean Mazel, Jacques Roche, 
clerc, Flugon de Mars, et plusieurs autres et Bertrand de Abrigiis, 
notaire royal. 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 4 


En 1321, le 22 du mois de juillet, sous le règne dc très illustre 
prince Philippe, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, 
Jean et Peyronnet fils de Nicolas de Mas Eyraud. Martin d'Ulmo, 
gendre d'Ulmo, gendre de Peyronnet, Blanche de Mas Eyraud, 
pour eux et les autres hommes de Mas Eyraud, présentent à 
_ Jean Bérard, notaire royal, une lettre écrite sur parchemin, scellée 
de deux sceaux, dont l'un était celui du prieur de Macheville, et 
l'autre, apparemment de l'abbé, et entre les deux sceaux ci-dessus 
désignés, pendait un cordon de fil où l'on voyait un autre sceau. 
Jean Bérard, à la réquisition des témoins ci dessus a lu et traduit 
la lettre qui contenait ce qui suit : 


« Attendu qu'il convient de mettre par écrit les choses qui 
« doivent être conservées, afin qu'elles ne puissent pas tomber 
« dans l'oubli, nous Pons de Glavène, actuaire du monastère de 
« St Chaffre, du diocèse du Puy, nous faisons connaître à tous 
« ceux qui liront la présente lettre que, un désaccord étant 
« survenu entre religieux homme, Adhémar de Bouzols, prieur 
« de Macheville, au diocèse de Valence, d'unc part, et Philippe 
« et Jean de Tour, hommes dn prieuré d'autre part, sur le fait 
« que le prieur affirmait, tout d'abord, que les hommes détenaient, 
« au préjudice du dit prieuré, trois parties d'une ferme appelée 
« Mas Evyraud, dont la propriété appartient notoirement au dit 
« prieuré, la transaction qui suit est intervenue entre les deux 
€ parties, à savoir : que les dits hommes, auront tiendront et 
« posséderont. eux et leurs héritiers, maintenant et à l'avenir, 
« pacifiquement et tranquillemerit, les trois parties, moyennant 
« le paiement annuel accoutumé de six deniers viennois et trois 
« poules de cens au dit prieuré et seize sous et six deniers 
« viennois en plus, pour taille ou sous le nom de taille, pour les 
( travaux accoutumés au mème pricuré. 


Il fut en outre convenu que le prieur ne pourrait pas faire les 
coupes des bois ; mais que s'il avait besoin, pour son usage 
personnel, il pourrait prendre, modérément, pour son service au 
bois de la communauté. Enfin, il fut encore convenu que si plus 
tard, une partie de la taille était remise aux autres hommes du 
prieuré, la mème remise serait effectuée en faveur de leurs 
héritiers. 


42 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


Acte passé au prieuré, l'an du Seigneur 1291, le sixième des 
Ualendes de juillet, en présence de Jacques Arthaud, sacristain 
du dit prieuré, Pons Ronat, chapelain des Nonièëres, Jean Mazel, 
Falcon, bailli de la même maison, et plusieurs autres appelés. 

Cet acte fut confirmé par Guiliaume, abbé de St-Chaffre, dans 
le dit monastére, et en la fête de St-Michel, scellé des sceaux 
d'Adhémar de Bouzols, prieur de Macheville, de Pons et de l'abbé. 

Le 16 août 1301, noble et religieuse personne Adhémar de 
Bouzols, prieur de Macheville a passé transaction avec Guillaume 
de Leyre, paroissien de la dite Eglise, sur le sujet de la taille à 
merci qui a été réduite par icelle à la somme de sept sols tournois, 
pour l'évidente utilité du prieuré de Macheville et ce pour raison 
du domaine d'Icard Chéze qui confronte avec la terre du seigneur 
de La Mastre et avec la terre du Mas d'Evyraud et avec la terre 
de Josserand de Montora et avec la terre de Messire Pierre de 
Solignac chevalier, le vif de Valmale entre deux. 


En 1341, une investiture du 26 mars donnée à Béraudon 
Josserand par Raymond de St-Germain, prieur de Macheville 
porte que le dit Béraudon se reconnaît, taillable, exploitable du 
dit sieur prieur de Macheville et de ses successeurs comme les 
autres hommes sont obligés. 


En 1343, Philippe VI, roi de France, pendant la tréve conclue 
par l'intervention des légats du pape Clément VI, ne s'occupa 
qu'à ramasser de l'argent par les ordonnances fiscales les plus 
ruineuses ; il altéra les monnaies et régla qu'elles conserveraient 
leur valeur pendant un mois, en perdraient trois cinquièmes 
pendant les mois suivants et un autre cinquième dans les autres 
six mois. Ces mesures bouleversèrent les fortunes, causérent des 
famines et excitèrent des révoltes. Le Vivarais dut faire entendre 
de vives réeriminations car des lettres patentes du 14 août 1343, 
données à Ste-Colombe, près de Vienne, et adressées au sénéchal 
de Beaucaire et à son bailli du Vivarais et du Valentinois, 
enjoignent de surseoir et de se désister, jusqu'à nouvel ordre, au 
sujet des subsides ou fouage de vingt et quinze sous à lever sur 
les hommes du prieuré de Macheville. Il est même enjoint à tous 
ceux comrris pour lever les dits subsides de rendre et restituer ce 
qui aurait été saisi, pris ou arrêté à cette occasion. 


LE PRIEURÉ El L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 43 


Le 8 septembre de la même année, sur la réquisition de noble 
et religieux homme, Dom Raymond de St-Germain, prieur de 
Macheville, Guy de St-Loup, notaire royal, par commission de 
noble Guillaume de Sancto Gusto, chevalier, représentant noble 
et puissant seigneur, Jourdan de l'Isle, chevalier et sénéchal de 
Beaucaire et de Nismes, dressa un procès-verbal, constatant 
qu'il avait extrait les reconnaissances ci-dessus mentionnées des 
minutes de M° Bertrand de Abrigiis, après la mort de ce dernier. 
Ce procès-verbal fut légalisé par Humbert Léon, gardien du 
sceau royal au baillage du Puy. 

Vers la même année, on trouve aussi l'audition des quatre 
témoins, Jean Coqui, Jean Trélar, Bertrand Jausserand, et 
Jacques Romessin qui certifient et jurent sur le St-Evangile que, 
tant du temps du prieur actuel que du temps de Raymond de 
Comblette, son prédécesseur, les hommes du dit prieuré ont été 
soumis à la taille, journaux et autres corvées censes et servitudes. 

L'acte de ces déclarations fut dressé à Macheville, dans la cour 
du prieuré, en présence de : Dom Pons de Solignac, sacristain 
du dit lieu, Jules Blanchon, moine, Raymond de Serres, Pierre 
Nicolas, Arthaud de Mars, damoiseaux, Jean Bérard, notaire 
royal, et Michel Serre, clerc, Salicard, lieutenant de Boucieu, 
reconnaissant la validité des pièces, ordonna l'exécution de 
l'ordonnance rayale. 

Nous trouvons encore, le 12 juin 1451, Pierre Blanque faisant 
une reconnaissance analogue aux précédentes et en 1519 Claude 
Blache du Pont faisant hommage lige au prieur de Macheville et 
à ses successeurs. 

Ces documents démontrent que le prieuré de Macheville avait 
sous sa dépendance un territoire considérable. Le prieur avait le 
droit de fortifier sa demeure à l'égal du scigneur de La Mastre, 
et il ne devait hommage qu’à l'abbé de St-Chaffre et au Roi de 
France, successeur des comtes de Valentinois (1). 

Les prieurs étaient choisis parmi la noblesse du pays qui 
comptait presque toujours des membres parmi les moines de 
l'abbaye de St-Chaffre. 

Bien des noms cités dans les documents ci dessus se retrouvent 


(1) Documents extraits de la collection Mazon. 


44 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


encore de nos jours dans certains écarts et hameaux des environs 
de Macheville, tant est vivace la constance de la tradition. 

Montreynaud est une ferme situéc entre Macheville et Vernoux 
et le col qui sépare ces deux localités porte encore le nom de Col 
de Montreynaud. Une famille noble de ce nom a existé jusqu'à 
nos jours. 

Le Chambon est un tènement sis sur la rive gauche du Doux 
entre La Mastre et Monteils. Le Vialar est un hameau entre 
Macheville et St-Basile ; Urbillac est un manoir voisin de La 
Mastrc. Au dessous d'Uibillac, on retrouve encore aujourd'hui 
le moulin de Margiers. Laversin est une ferme située dans la 
paroisse de St-Basile. Mazeyraud dont il est si souvent question 
est une ferme située près du chäteau des Boscs ; enfin Rochcbillères 
est une ferme située près du Vialar. Si nous remarquons encore 
que de l'autre côté du Doux nous trouvons, encore de nos jours, 
le nom de Peyronnet, nous aurons dit qu'à huit siècles de 
distance le pays porte encore les noms des premiers possesseurs. 


La vie sociale était, au moyen âge, pour le moins aussi bien 
organisée que de notre temps. La propriété était transmise par 
des actes réguliers. Les impôts se recouvraient quandils étaient 
justes, et on avouera que la domination de seigneurs tels que les 
prieurs de Macheville devait être très-douce aux cultivateurs 
leurs sujets, si on s'en rapporte à la modicité des redevances 
exigées. Au reste, les bénédictins n'ont jamais été mêlés aux 
choses de la politique et aux querelles de notre pays. Leur 
occupation essentielle était l'observance de la règle, le culte 
religieux, l'assistance des pauvres et l'administration de leurs 
biens et de leurs nombreuses paroisses. En effet, St-Prix, 
Mounens, St-Basile, St-Julien-la Brousse, La Mastre, Colombier- 
le-Jeune, St Barthélemy-le-Pin, St-Didier-de-Crussol, Cornas, 
N. D. de la Mure, près Cornas, dépendaient du prieuré de 
Macheville. 

Evidemment, comme les autres régions de la France, le pays 
dut beaucoup souffrir de la guerre des Anglais et des désordres 
suscités par les routiers. Ces derniess ravagèrent le Vivarais de 
1360 à 1381. Vers 1427, Rollet capitaine anglais détruisit St-Victor 
et ravagea le pays jusqu'à la vallée du Doux. Cependant, il n'est 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 43 


fait-mention d'aucun fait particulier dans la région jusqu'aux 
guerres de religion. 

Quant aux guerres des seigneurs du moyen âge, on ne connaît 
guère que la querelle qui éclata vers 1347, entre Jausserand de 
St-Didier et Briand de Retourtour. Nous aurons occasion de 
revenir sur cette affaire, dans l'étude des seigneurs de La Mastre. 


(A suivre.) R. TARTARY. 


ASS 


POUR ET CONTRELES CHEVRES 


La chèvre Amalthée allaita Jupiter. Le roi des dieux, en sa 
reconnaissance, la reçut dans son ciel. D'une de ses cornes il fit 
la corne d'abondance. Les anciens vénéraient donc la chèvre et 
l'avaient haut placée. Sic itur ad astra. 

Depuis les temps mythologiques la chèvre a baissé dans l'esti- 
me des hommes et nous n'en apprécions plus que le fromage. Ce 
n'est pas que chez nous au moins les boucheries de chèvres ne 
soient toujours bien achalandées, mais la chair en est, paraît-il, 
sèche et coriace. Mme nourrie de feuilles de vignes, la chèvre 
n'est guëre mangeable. C'est, du moins, ce que Catius, dans ses 
préceptes culinaires, enseignait à Horace. 


Vinea summiliit capreas non semper edules, 


et le sage, c'est-à-dire le gourmet, lui préfèrera toujours une 
épaule de lièvre, . 


Fœcundæ leporis sapiens sectabitur armos. 


Mais, cuisine à part, la chèvre à ses mérites. C'est la vache du 
pauvre, elle est insaisissable. Et c'est, en sa jeunesse au moins, 
une jolie bête, drôle, souple, agile et nerveuse, libre, fière, capri- 
cieuse et familière. Ses attitudes, ses allures gracieuses font bien 
dans le paysage. On lui trouve pourtant de graves défauts. 
Elle a la dent mauvaise, venimeuse et la salive corrosive, selon 


46 POUR ET CONTRE LES CHÈVRES 


ses détracteurs. Lâchée dans de jeunes plantations forestières, 
elle détruit en quelques instants le travail que l'homme et la 
nature ont mis plusieurs années à accomplir. 
Il est donc bien de la surveiller, et, mieux encore, de l'attacher. 
Où la chèvre est liée 1l faut bien qu'elle broute, 


dit le proverbe et dit Molière. H faut donc qu’elle s'accommode, 
en bon animal domestique, d’une liberté très restreinte. 


* 
* * 


Au temps où la terre avait peu de valeur, le propriétaire était 
moins rigoureux dans l'exercice de ses droits. L'agriculteur 
n’appliquait que le système des jachères et les terres au repos 
étaient en quelque sorte sol banal. La vaine pâture était, dit le 
vicomte d'Avenel, (1) un mutualisme limité, s'exerçant entre 
propriétaires, et aussi un droit reconnu aux pauvres de la paroisse, 
lesquels pouvaient assez facilement entretenir une vache et quel- 
ques chèvres ou brebis. Mais si cette banalité donnait l'illusion 
que le bétail ne coûtait rien à nourrir, c'était en réalité un 
gaspillage, onéreux pour le corps social, c'est-à-dire pour tout le 
monde. Ce ne fut qu'à coups d'ordonnance, que l'on fit le pro- 
priétaire maître chez lui, libre de ramasser son regain, de créer. 
des prairies artificielles, de faire de la culture un peu intensive. 

Peu à peu cependant, l'usage s'établit de nouveau de mener 
paître les troupeaux dans les terres des particuliers, dans les 
vergers et dans les vignes, après l'enlèvement des récoltes. C'était 
une interprétation abusive du droit des pauvres, des droits 
analogues de glanage, ratelage, grappillage, chaumage. Des 
industriels, étrangers souvent à la localité, s'arrogeaient le droit 
de parcours et de vaine pâture et conduisaient leurs bêtes sur les 
fonds d'autrui et dans les bons endroits,partout où le propriétaire 
n'avait pas la précaution de se clore d'un de ces muraillons. très 
nombreux encore au long des vieux chemins. 

Les chèvres se multiplièrent. Il fallut aviser et réagir. Les 
. municipalités s'inquiétèrent d'abord de cet état de choses. 

Au pays des fins fromages, au Mont-d'Or près de Lyon. les 
chèvres devaient être conduites muselées au parc communal. 


(1) Paysans et ouvriers depuis sept cents ans. 


POUR ET CONTRE LES CHÈVRES 47 


À Serrières il y avait aussi un parc et les propriétaires de 
chèvres étaient soumis à un règlement de police que les autorités 
rappelaient en 1703 : « Nous Anthoine Moureau, capitaine 
chatelin de la baronnie de Seriére, sçavoir faisons qu'ayant 
reçeu diverses plaintes de plusieurs habitans dudit’Serière de ce 
que, au préjudice et au mespris du reglement de police par nous 
faict, certains habitans qui n'ont aucuns fonds en leur propre, 
nourrissent une grande quantité de brebis et de chèvres aux 
despans et dans les fonds d'autruy, desquels ils consomment une 
partie de la récolte avant qu'elle soit en maturité, à quoy estoit 
nécessaire de pourvoir, nous avons ordonné que dans trois jours 
précisement, après la publication des presentes, ceux qui ont des 
brebis et chèvres qu'ils ne peuvent nourrir et entretenir dans 
leurs fonds propres, ayent à les envoyer au parc et les y laisser 
jusques à entiére recolte levée, à peine de confiscation des dits 
bestiaux quand ils seront trouvés dans les fonds d'autruy, de dix 
livres d'amendes et de tous despens, dommages et intérêts, que 
les pères et mères seront responsables aussy bien que les maistres 
et maistresses des contrevantions conformément à nos dits 
reglemens de police. Enjoignons à tous sergens de faire pour 
l'execution des présentes tous exploits requis et nécessaires. 
Donné à Serière le vingt uniesme avril mil sept cens trois. 
Moreau, chatellin ; Challandard, greffier. » Et le lendemain, à la 
requête de sieur François Genève, maître apothicaire, consul 
moderne, le sergent Fleury Flachier s'acheminait aux portes des 
églises de Serriéres et de St-Sornin et là, à l'issue des messes, 
devant « les habitans y assemblés en grand nombre, » publiait à 
haute voix et affichait l'ordonnance « afin que personne n'en 
prétonde cause d'ignorance (1). » 

De simples ordonnances ne suffisaient pas pour remédier aux 
abus. Il fallait des mesures de rigueur. Les plaintes des proprié- 
taires étaient générales et furent portées aux Etats de Vivarais, 
puis aux Etats de Languedoc. Les syndics généraux deman- 
dérent, dans l'assemblée du 28 décembre 1724, que les chèvres 
fussent prohibées sauf à excepter de cette prohibition les lieux où 
elles ne pourraient causer aucun dommage. 


(1) De nos archives, 


48 POUR ET CONTRE LES CHÈVRES 


En conséquence d'une délibération des Etats, en date du 6 
février 1725, le Parlement de Toulouse ordonna. par son arrêt du 
29 mai suivant l'expulsion des chèvres de tout le Languedoc dans 
un délai de trois mois. Cette proscription autorisait le propriétaire 
qui trouvait des chèvres dans ses terres plantées d'arbres à fruits 
à leur couper les jarrets. Mais on faisait des distinctions, des 
exceptions. Certaines communautés pouvaient conserver la faculté 
de tenir des chèvres. L'intendant, M. de Bernage, auquel l'arrèt 
attribuait toute juridiction sur ce sujet, fit dresser trois Etats 
différents des communautés du Puys de Languedoc. Les chèvres 
devaient être bannies de cent soixante douze communautés du 
Vivarais ; elles pouvaient être conservées sans conditions et sans 
réserve dans quatre vingt sept autres ; enfin, dans les quarante 
sept dernières, on les tolérait à la charge d'être gardées dans 
certains fonds et ténements, et d'être conduites par certains 
chemins aux pâturages et aux abreuvoirs déterminés. 


Mais l'Intendant n’adopta pas ses divisions et par ces ordon- 
nances des 2 décembre 1727 et 6 octobre 1728, il interdit absolu- 
ment les chèvres dans deux cent treize communautés et les toléra 
dans quatre vingt sept autres, celles-ci comprenant les montagnes 
et les cantons arides. 

Ces mesures demeurèrent sans effet. Le nombre des chèvres 
augmenta, les plaintes aussi, si bien que les Etats décidèrent en 
1745 de faire appliquer l'arrêt rendu vingt ans auparavant. Le 
nouvel intendant, M. Le Nain, en prescrivit de plus fort l'exécu- 
tion, fit procéder à des vérifications, chargea les commissaires 
des diocèses de nommer des experts. Tout cela n'était que de Îla 
paperasserie de cabinet. Les commissaires répondirent avec 
raison « que la défense de tenir des chèvres intéressant la con- 
servation et la multiplication des bois qui peuvent croître dans 
toutes les communautés du Vivarais, elle devait être générale, 
quelque obstacle qu'on dût attendre de l'intérêt particulier qui 
pouvait se porter jusqu'à la rébellion et malgré l'avantage spécieux 
de la conservation des chèvres dont ils fixaient le produit annuel 
à six livres par tête et le nombre à vingt mille. » 

Vingt mille chèvres pour trois cents communautés,c'eût été bien 
peu. Les commissaires en atténuaient vraisemblablement la 


POUR ET CONTRE LES CHÈVRES 49. 


quantité pour prouver que l'affaire était de mince importance en. 
comparaison des avantages que la prohibition devait procurer. En 
théorie, la distinction que faisait l'intendant était assez inepte et 
il eut été dans l'intérêt général que les montagnes, fournissant 
plus de bois que le plat pays. fussent au moins également proté- 
gées. En pratique il n'en allait pas de même et le paysan, pas 
riche, préférait. autrefois comme aujourd'hui. un revenu modi- 
que, mais sûr çt immédiat, aux espérances d'un avenir lointain. 
Dans les régions où ils jouissent encore de communaux, nos 
paysans ne pensent et n'agissent pas autrement. 

Quoiqu'il en füt, l'Intendant tint bon, déclara seulement 
qu'aucune permission ne serait plus accordée et il fut enjoint par 
ordonnance du 10 avril 1748 à tous ofliciers, cavaliers de la 
maréchaussée, sergents et huissiers du Vivarais, d'arrêter et de 
séquestrer toutes les chèvres trouvées en contravention. 

Ces nouvelles précautions ne produisirent pas plus d'effet que 
les précédentes. On commença à s'apercevoir que les dispositions 
du règlement allaient à l'encontre du résultat désiré et à remar- 
quer que le bois poussait à l'ordinaire dans les pays de montagne. 
Les Etats généraux de Langucdoc s'alarmérent et proposèrent 
aux États particuliers du Vivarais une nouvelle vérification que 
ceux-ci rejetèrent comme inutile, difficile et dispendieuse. Ils 
demandérent, chose beaucoup plus simple, l'application de 
l'arrêt de 1725, sauf aux communautés et aux particuliers qui 
voudraient tenir des chèvres, à faire procéder à des vérifications 
particulières. 

On en resta là. En somme les moyens de répression ordon- 
nés par les Etats étaient illusoires, à peu près dépourvus de 
sanction. (C'était aux communautés ct aux particuliers à se 
défendre cux-mêmes. Par exemple leurs plaintes étaient très 
écoutées. 

Les habitants de Chatinais avaient-ils eu à souffrir plus que 
d'autres de la dent des chèvres ? L'habitude s'était-elle prise de 
conduire les bêtes à Combelonge et sur les coteaux arides de la 
Cance, sur cette Côle de la Tine à laquelle la chèvre avait, depuis 
bien longtemps, donné son nom ? Nous ne savons. Toujours est-il 
que Îles habitants de Chatinais adressèrent, le 28 mars 1773, une 


4 


50 POUR ET CONTRE LES CHÈVRES 


supplique au Vicomte de St-Priest, intendant de Langucdoc : 
«Supplient humblement les sieurs Jcan Tavernier, négociant, Pierre 
Bourin et Pierre Patot, mesnagers, principaux habitans du lieu de 
Chatinais en Vivarais, vous remontrant que différens particuliers 
se sont venus établir au dit lieu sans y avoir aucunes possessions, 
ils y ont amené et y tiennent quantité de chèvres qui rongent et 
dévastent leurs plantations d'arbres châtaigners, noyers, meuriers 
et autres, ce qui porte un préjudice considérable aux supplians. » 
Les gens de Chatinais priaient l'Intendant de «faire ordonner que, 
dans huitaine pour tout délai, les dits particuliers seront tenus de 
se défaire des dites chèvres. Passé lequel délai, permettre aux 
supplians de les faire saisir et de les vendre au plus prochain 
marché, leur faire défense d'en tenir à l'avenir à peine de 200 
livres d'amende et d'avoir les dites chèvres un des jarrets coupés, 
et ferez justice. » 

Le Vicomte de St-Priest répondit sans tarder, le 16 avril. Il 
considéra que Chatinais ne faisant pas partie des communautés 
où, d'après l'état arrêté par M. de Bernage le 10 octobre 1728, il 
était permis de tenir des chèvres, l'ordonnance du 29 mai 1525 y 
devait être rigoureusement appliquée, c'est-à-dire qu'aucun 
habitant ne pourrait garder des chèvres même dans son propre 
fonds. Il leur prescrivait de s'en défaire dans un délai de quinze 
jours, à peine de cent livres d amende pour la première contra- 
vention ; en cas de récidive l'amende serait de deux cents livres 
et les chèvres auraient le jarret coupé et seraient saisies et ven- 
dues publiquement. Îl ordonnait à tous huissiers, sergents et 
autres préposés d'arrêter et de séquestrer les chèvres trouvées 
dans l'étendue du terroir, et enfin aux Consuls de Chatinais (sic) 
de tenir la main à l'exécution de son ordonnance (1). 

À Serrières on était moins sévère. Un arrêt de police du 18 
juillet 1779 défendait d'avoir plus de bestiaux que l'étendue des 
propriétés ne le comportait. L'amende était de vingt sols par bète 
à laine et d'un écu par chèvre ou autre bête (2). 

Quelques anntes plus tard.on revenait encore à la question. 
Un arrêt du conseil, rendu le 31 mai 1383 et revêtu de lettres- 


(1) Document publié par le Journal d'Annonay, 18 mai RUES 
(2} Delesty, Serrtères autrefois et aujourd'hui, p. 218. 


POUR ET CONTRE LES CHÈVRES S1 


patentes, ordonnait l'exécution de celui de 1725. Les Etats du 
Vivarais chargèrent le syndic, M. de Lachadenède, d'étudier 
l'affaire. Et le 9 juin 17954, M. Lemore de Pignieu, bailli d'Anno- 
nay, déposa son rapport sur la Conservation des bois et l'exclusion 
des chèvres. Ses conclusions étaient curieuses. « On pourrait se 
borner, disait-il, à faire exclure rigoureusement Îles chèvres 
pendant le nombre d'années nécessaires pour laisser croitre et 
fortifier les bois ; ce qui n'étant plus qu'une sorte d'impôt indis- 
pensable et momentané, devrait être supporté avec beaucoup 
moins de peine. » Pourle surplus, il émettait l'avis que l'assem- 
blée chargeat le syndic « de continuer ses recherches » et de 
faire exécuter, dans le délai de six mois, les arrêts concernant la 
défense de tenir des chèvres, boucs et menons du Vivarais (1). 

Pendant la Révolution les autorités purent laisser faire pour 
un temps. Îl y eut quelques délits, quelque gaspillage dans les 
bois. Cependant nous voyons le juge de paix d'Andance condam- 
ner, le 28 prairial an 2, à quatorze livres d'amende les nommés 
Jean Hurtier et Barthélemy Richard, de Talencieux. qui avaient 
fait paitre leurs chèvres dans les bois taillis de Marguerite 
Girard (2). 

La législation devenait moins barbare, mais la répression des 
délits n'en était pas plus facile. 

A Serrières la municipalité défendait de nourrir les chèvres 
dans les champs sdus peine de six francs d'amende. 

De 1802 à 1816 le juge de paix d'Annonay, Gabriel Charles 
Demeure, se plaignait vivement et souvent de ïa difficulté qu'il 
éprouvait a faire observer le réglement des chèvres (3). 

Ce règlement, arrêté par le préfet Robert le 11 primaire an 11 
(2 décembre 1802) et revêtu de l'approbation de Chaptal, ministre 
de l'Intérieur, contenait les dispositions suivantes. 

Les conseils municipaux de chaque commune s'assembleront 
le 1°" nivose (23 décembre) à l'effet de déterminer la quantité de 
bétail que chaque propriétaire pourra tenir sur les terres sujettes 
au parcours où à la vaine päture. Les conseils ne pourront cepen- 


(1) Archives de l'Ardèche, C ro. 
(2) Papiers Malgonticr. 
(3) Minutes de correspondance de G. Ch. Demeure, de nos archives. 


s2 POUR ET CONTRE LES CHÈVRES 


dant contrevenir à la loi qui autorise chaque chef de famille 
domicilié, quoique non propriétaire, à avoir six bêtes à laine et 
une vache avec son veau, et qui lui donne le droit de les faire 
* paître dans les communaux. T'out habitant qui voudra avoir une 
chèvre sera tenu de la tenir à l'attache et ne pourra la faire paître 
que sur ses propriétés, sous peine d'une amende de 1 franc 50. 
Il sera tenu de déclarer à la mairie le nombre de ses chévres, sous 
peine de six francs d'amende par chaque bète non déclarée (1). 

Cet arrêté, dont les rigueurs pouvaient favoriser les petites 
tyrannies de village, souleva apparemment des protestations, car 
le préfet l'amenda le 29 pluviose suivant (18 février 1803). 

« Les conseils municipaux, disait-il, ne peuvent ni ne doivent 
fixer le nombre des chèvres, ils doivent se contenter de recevoir 
les déclarations des habitans, de prendre toutes les précautions 
possibles pour empêcher que ces animaux causent le moindre 
dommage. » 

À Boulieu, le pays des chèvres, le lieu des boucs, selon les 
étymologistes facétieux, l'enregistrement des chèvres avait eu lieu 
le s nivose. Il y avait eu 146 chèvres déclarées (2). 

Aujourd hui le code nénal et le code forestier fixent les pénalités. 
Si les chèvres sont trouvées sur l'héritage d'autrui, le délinquant 
doit indemnité pour le préjudice et paye une amende de la valeur 
de trois journées de travail. L'amende est double si la chèvre a 
endommagé des plantations. Si le berger laisse aller ses bêtes 
dans les forêts, il est condamné à l'amende et il est, en cas de 
récidive, passible de cinq à quinze jours de prison. 

De toutes nos vieilles institutions, la justice était peut-être celle 
qui avait le plus grand besoin d'être réformée. Les juges seigneu- 
riaux ne la rendaient ordinairement que si elle était payante etne 
se souciaient pas d'exposer des frais onéreux. Le juge de paix fut 
un homme providentiel, qui sauva la chèvre et le chou. Grâce à 
lui, la chèvre put danner. sans trop de préjudice pour le voisin, 
ce qu'elle a de très bon, soit treize fois son propre poids de lait, 
350 à 400 litres par an. Et le nombre a pu s'en augmenter consi- 
dérablement. Dans la Ilaute-Ardèche, dit M. Cadoret (3}, aucune 


(1) D° Francus, Voyage autour de Privas, p. 246. 
(2) Archives de Bouliru. 
(3) À. Cadoret, Agriculture ardéchoise. 


POUR ET CONTRE LES CHÈVRES 53 


ferme n'est sans chèvre. Il en est ainsi dans tout le département, 
dans l'arrondissement de Privas surtout. Lemouton,aucontraire, 
devient moins en faveur. Ceci est de la statistique (1). 


ARDÈCHE 18.40 1852 1862 1872 
Bètes ovines 182248 260047 293598 231984 
Bêtes caprines 39301 61354 106570 105847 

Donc le nombre des chèvres vivaroises, qui était de 20000 en 
1745 et se trouvait seulement doublé en 1840, était quintuplé 
en 1872. 

Et le rapporteur d'un de nos concours pour la prime d'honneur 
était d'avis qu'on aurait bien tort de pousser à la prohibition de 
la chèvre qui, dans la plupart des cas, est la principale ressource 
des familles déshéritées. 

Aristote, paraît-il, avait dit la même chose. 


E. NICOD. 


NASA TI 


(1} Notice sur le département de l'Ardèche, faite en 1835, à l'occasion du 
concours régional de Privas. 


BIBLIOGRAPHIE 


L'Ardèche Parisienne, organe mensuei illustré de la Société 
amicale des Ardéchois à Paris, (fondé en décembre 1899.) Paris, 
4 rue Bastien-Lepage, in fe. 

N° 5. 30 avril 1900. Marius Rebattet : Les origines de notre 
Société. (Ilistoire de la société amicale des Ardéchois à Paris, 
depuis sa fondation en 1890, jusqu'en 1900.) 

N° 6. 30 mai 1900. A. Bouniard : Nos grands hommes : Les 
Montgolfier. 

Biographie de Joseph et d'Etienne Montgolfier. 

N° 8. 31 juillet 1900. Anonymc : Le général Voyron. 

(Le général Voyron, commandant les troupes françaises en 
Chine, est originaire de la Drôme. 11 a épousé M'e de Massot de 
Lafont, de la Voulte, qui appartient à une ancienne famille 
de Chassiers.) 

Eur 11. 30 novembre 1900. Compte-rendu des fêtes de Vernon 

‘ure). 

(Réception des délégués de la Société des anciens mobiles du 3° 
bataillon de l'Ardèche et de la Société amicale des Ardéchois à 
Paris. Poésies de M. A. de Missolz et de M. Louis Boucherand ; 
discours de MM. Marius Rebattet, Albert Danet, Ladreït de 
Lacharrière, et Vachon de Lestra.) 

N° 19. 1° août 1901. (A partir de cette date l'Ardèche parisienne 
qui avait paru jusque là en fascicules in 4° d'au moins quatre 
pages, a augmenté son format.) Soirée du 18 juillet. 

(Compte rendu du banquet offert à M. Albert Danet,de Privas, 
président de la société à l'occasion de son élection à la dignité de 
bätonnier de l’Ordre des avocats près la Cour d'Appel de Paris.) 

N° 20. 1°" septembre 1901. Dours : Albert Danet. 

(Biographie de l'éminent avocat, portrait.) 

D' François Le Sourd : Ollier. 

(Notes sur la vie et l’œuvre de l'illustre chirurgien,né aux Vans 
en 1830, mort en 1900, portrait) (1). 


Nécrologie 


M. Maurice Nicolas conseiller d'arrondissement et ancien maire 
de Joyeuse, mort le 21 juillet 1901. | 

N° 21. 1e" octobre 1901. Emile Durand : Visite au pont d'Arc. 

(Intéressante description du site Photographie.) 

Casimir Durand : 1 Ardéche en Chine. 

(Le capitaine Gustave Ililaire, de Saint-Pierreville,mort au feu. 
Le général Dumas, d'Aubenas, commandant en chef avant l'arri- 
vée du général Voyron.) 


(:} Résumé de l’article paru dans la Revue du Vivarais en janvier 1901. 


BIBLIOGRAPHIE S5 


Henry Vaschalde : À propos d'un dicton vivarois « Sous de 
Lona, ey pas ré vist. » 

(Origine de ce dicton.) 

N° 22.6 novembre 1901. FH. Vaschalde : Les Arcéchois au 
siège de Toulon. 

(Election de Suchet comme commandant du 4° bataillon de 
l'Ardèche. Héroiïismede Vincent Malignon, volontaire, de St-André- 
de-Cruziéres.) 

Y.-Louis Gabriel Suchet, duc d'Albuféra, maréchal de France. 

(Notes sur les alliances de la famille Suchet en Vivaraiset sur 
la carrière du maréchal.) 

À. 5. Publications ardéchoises. 

Note sur la Revue du Vivarais. 


# 
+ » 


Revue des Deux Mondes. 1901. 1. pp. 81-116. Ernest Daudet. 
Le Prologue du dix-huit Fructidor. 

M. E. D. a intitulé le premier chapitre de cette importante 
étude La Réaction thermidorienne dans le Midi. C'est un récit très 
attachant des excès qui suivirent le 9 thermidor dans notre région. 
Le travail de M. D. est de ceux qu'il faut lire et qu'on n'analyse 
pas. M. D. s'occupe surtout des mouvements qui se produisirent 
en Vivarais et en Velay. Il donne notamment des détails inédits 
sur le farouche Dominique Allier, frère du curé de Chambonnas 
qui avait été exécuté à Mende en 1793, et sur un certain nombre 
de gentilshommes aventureux comme le chevalier de la Mothe, 
le marquis de Bésignan, le chevalier Durrieu, et surtout à le plus 
brillant, le plus séduisant, le plus raffiné de cette élite aristocra- 
tique, » le marquis de Surville, qui termina si tragiquement sa 
romanesque carrière, figure touchante parmi tant d’autres sympa- 
thiques ou répugnantes, mais toutes également curieuses. A 
rectifier page 86, note 1 une faute d'impression qui a défiguré le 
nom de Me d'Arlempdes de Mirabel, marquise de Surville, et 
(page 101) lire : le hameau de la Narce dans l'Ardèche, au lieu 
de : le hameau de la Narce dans la Flaute-Loire. 


# 
*+ * 


Le Frère Serdieu — Inauguralion de sa statue à Laurac le $ mai 
1901 — Compte-rendu et discours — Privas — J. Galland, 
imprimerie ardéchoise 1902. 


Dans une importante brochure de 104 pages on a rassemblé de 
trés heureuse façon, à peu près tout ce qui concerne le F. Serdieu 
et l'école de Laurac ; nous avons ainsi une fort intéressante notice 
à placer dans notre bibliothèque vivaroise et un « memorandum » 
précieux des belles fêtes de Laurac du ÿ mai r9o1. 

Cette brochure est illustrée, d'une simili-gravure reproduisant 


56. BIBLIOGRAPHIE 


le. monument du F. Serdieu et de plusieurs vues de Laurac 
dessinées à la plume par notre collaborateur M. F. Benoit 
d'Entrevaux. 


° 
kx + 


Etude historique el canonique sur la vie commune, 
forme parfaite de vie privée dans le clergé séculier. Par l'abbé 
O. Mirabel ancien directeur auxiliaire du Grand Séminaire de Lyon ; 
curé de Meysse. Paris — Bureau des études ecclésiastiques, 1901. 


On comprendra d'aprés le titre ci-dessus, que nous ne puissions 
pas analyser cette brochure, dans laquelle l'auteur traite un sujet 
qui intéresse surtout le clergé. C'est donc aux prêtres, lecteurs de 
la Revue, que nous signalons le travail de notre distingué 
collaborateur. 


B.E,. 


= SALSA SAT 


LE PRIEURE ET L'EGLISE 
DE MACHEVILLE 


LE MASSACRE DES RENEDICTINS DU PRIEURE 
(3 ma 1587) 


(Suire Il). 


Les invasions des Anglais, les guerres longues et ruineuses du 
XV® siècle, avaient jeté partout le trouble et la désolation. Quand 
on pense à la misère générale. à la destruction des campagnes, 
au pillage des moissons, on ne saurait s'étonner du désordre et 
de la perturbation qui régnaient alors dans la plupart des établis- 
sements religieux. Les moines, pour se soustraire aux violences 
des hommes de guerre, abandonnaient les cloîtres et se réfugiaient 
dans les villes fermées, où, vivant à leur fantaisie, ils perdirent la 
ferveur et les mœurs austères des couvents. Ce qui porta le 
dernier coup aux institutions monastiques, ce fut surtout la 
commende, lèpre des ordres religieux, qui atteignit, à partir du 
XVI: siècle, des proportions honteuses et formidables. D'autre 
part, à la Renaissance, la résurrection des livres anciens amena 
comaine une restauration du paganisme. Les écoles éblouies et 
enivrées de l'antique, abandonnèrent la philosophie scolastique 
du moyen âge, pour se nourrir des ouvrages de la philosophie 
antique. La raison, en dépouillant toutes les croyances de leurs 
mystérieux atours, chercha à eniever au christianisme son carac- 
tère divin. Entin, la licence des cours, les désordres des grands, 
et, par dessus tout. la corruption des religieux et du clergé prépa- 
rérent les voies aux doctrines nouvelles. Les communautés 
disposaient de richesses territoriales si considérables qu'elles 
devinrent un objet de convoitise pour les nobles et les puissants 
ruinés et affaiblis par une longue suite de guerres. 


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LE PRIEURÉ El L'ÉGLISE DE MACHEVILLE s9 


Telles sont les causes auxquelles il faut attribuer les progrès si 
rapides de la Réforme. En Vivarais, où le sol est pauvre et la vie 
difficile, les habitants étaient très-malheureux, aussi le calvinis- 
me s'y répandit comme une traïînéc de poudre. 

Dés 1528, Jean Macheville, prèche la nouvelle doctrine à 
Annonay ; en 1560, presque tout le Haut Vivarais est envahi. Les 
protestants se réunissent au prêche en armes. Il y a des pasteurs 
protestants dans beaucoup de localités. En 1562, c'est le pasteur 
Jean Ducros qui exerce les fonctions à Macheville. La même 
année, les religieux sont chassés d'Annonay et les églises détrui- 
tes. À St-Fortunat, onze prêtres qui desservaient l'église, furent 
massacrés et jetés dans un puits dépendant de l'enclos du 
presbytére (1). 

À huit reprises différentes, les guerres religieuses ensanglan- 
térent le pays, les deux partis usant de représailles l'un envers 
l'autre. En 1572 et 1573, le château de La Mastre est le théâtre 
des exploits d'Erard de Vernoux chef protestant que Rochegude, 
autre capitaine calviniste dût faire pendre aux créneaux du 
château. 

En 1880, St-Agrève, qui était au pouvoir des protestants, est 
assiégé par le comte de Tournon et St-Vidal. [ls reprennent la 
place sur les huguenots, après avoir barré le passage à Chambaud, 
sorti de la place pour aller chercher du secours et qui ne put, de 
cette manière, y rentrer. 

Quelques années plus tard, en 1587, Chambaud se présente 
devant Désaignes. La place résista longtemps: mais elle fut prise 
d'assaut et il fallut subir les vengeances d'un vainqueur qui avait 
trop de représailles à exercer pour être clément et généreux. La 
garnison fut passée au fil de l'épée, les remparts, les tours et le 
château furent rasés au niveau du sol ; l'église, grand et beau 
vaisseau du roman le plus pur fut incendiée ; le temple romain, 
que les feux de l'artillerie de Chambaud avaient à peine atteint, 
tant étaient durs et épais le ciment et la pierre qui avaient servi à 
sa construction, fut indignement mutilé et les maisons particu- 
lières furent livrées au pillage le plus affreux (2). 


(1) Archives de la Tourette. 
(2) Ovide de Valgorge. 


60 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


Un manuscrit d'un bénédictin de Quintenas, retrouvé à la 
Bibliothèque nationale, par M. Fernand Rouveirol, relate fidéle- 
ment la scène de carnage qui eut lieu. 

« Les massacreurs ne ponvaient plus se tenir debout, tant ils 
« s'étaient livrés au vin et à la bonne chère. On vit des enfants 
« assommés comme des chiens et pendus par une jambe au 
dessus des portes des maisons. Il y avait du sang qui faisait 
rivière dans les rues et dans lequel se roulaient des hommes 
soûls. | 


R £S 8 


Ici, dans le manuscrit, est une description d'atrocités et d’atten- 
tats aux mœurs quil est inutile de citer. 

Avec ce siège disparurent pour toujours la grandeur et la 
prospérité de Désaignes, qui était alors la première ville du Haut- 
Vivarais. On y comptait 683 feux (r). 

Mais laissons le chroniqueur nous édifier sur les cruautés du 
farouche capitaine huguenot. 

« Bientôt, tous les brigands et le capitaine Chambaud se 
« mirent en chemin pour le bourg de La Mastre, où se trouvaient 
« bon nombre des leurs et avaient grande puissance dans le 
« château. 

« Îl y avait, dans ce pays, quelques catholiques qui s'étaient 
« cachés dans les murailles du prieuré. Or, comme ce jour, 3 
« mai, il se faisait, toute année, une procession jusqu'en un lieu 
« où était une chapelle et une vierge miraculeuse, le Prieur de 
« l'endroit, P. de la Gruterie, et le sieur Gaspard Laroche, prêtre 
« du même lieu et bon nombre de prêtres et de fidèles réfugies 
« dans le prieuré, allèrent pieusement et avec ferveur, sans armes 
« que croix et bannières, obtenir la clémence de Dieu. 

« Les massacreurs aperçurent les fidèles catholiques qui 
(« priaient comme sans crainte, et se précipitérent sur eux sans 
« défense, car les gens du peuple s'étaient enfuis dans les champs. 
« [ls firent passer tous leurs chevaux sur leurs corps, puis, les 
« jetèrent dans un ravin, après en avoir occis les têtes, qu'ils 
« jetèrent du bas des murailles, dans l'intérieur du prieuré. 

Tel est, en peu de mots, le récit du chroniqueur bénédictin. 


(1) Ovide de Valgorge. Poncer, 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 61 


L'emplacement où eut lieu le massacre, a été connu, de tout 
temps, sous le nom de Croix des Martyrs. 


LA CROIX DES MARTYRS. 


Derrière l'église de Macheville est 
un chemin longeant Île cimetiére et 


LÉ a US conduisant dans la vallée. Ce che- 

Le nn min, parfois encaissé comme ceux 
Le Se Le de Bretagne servait aux bénédictins 
nd, 5 che pour aller soit au moulin qui a 
ES En 2e Æ existé, de touttemps sur le ruisseau 
5 = 25 FN) e Grauzon, au lieu appelé aujour- 
| de PU = d'hui le Pont de Changea, sait à 


x» leur terroir du Chambon, sis de 
Lnicoin de Mani do os l'autre côté du Doux, soit encore 
de Changea en 1860. à la chapelle miraculeuse qui était 

en face du moulin. 

Sur la rive droite du torrent, un peu au dessous d'une mazure 
et en amont de la culée de l'ancien pont, on voyait, vers le milieu 
du XIX: siècle, une croix de bois peinte en rouge portant, à la 
croisée des bras, une plaque de cuivre avec cette inscription : 
À la mémoire des martyrs. 

Cette croix était érigée sur les ruines d'une ancienne chapelle 
dont on apercevait encore quelques substructions, au niveau du 
sol. Dans la chapelle, d'aprés la tradition, on vénérait autrefois 
une vierge miraculeuse. La tradition veut aussi que cette chapelle 
ait été détruite lors des guerres de religion. 

C'est là qu'eut lieu la tragédie sanglante du 3 mai 1587, pendant 
les fêtes des Rogations, très suivies dans la contrée, attendu 
qu'elles avaient été instituées par St-Mamert, évêque de Vienne, 
pour invoquer la protection de Dieu, à la suite de tremblements 
de terre qui avaient ravagé la vallée du Rhône. La coutumeéta it 
d'aller un jour à la chapelle miraculeuse et on revenait par la 
Martinière, un autre jour, on allait à la croix de Îla cime de 
Macheville, suivant l'expression consacrée ; le troisième jour on 
allait à la croix de Barzac, sur la route de Valence. 

La croix des Martyrs fut enlevée, à l'époque de la rectification 


62 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


de la route de Tournon, lorsque le pont fut reconstruit, parce 
que la culée nouvelle se trouva juste sur l'emplacement de Ia 
croix. Îl ne reste plus aucun vestige, ni aucun indice permettant 
d'en marquer l'emplacement exact. 

Chambaud resta dans le pays jusqu'à la fin de l'année, car on 
le voit, vers :e mois de décembre, recevoir, au château de La 
Mastre, Coligny et ses reitres fuyants et harcelés par Mandelot. 
Coligny se retira au château de Retourtour (1). Menacé par la 
garnison de Valence, qu'il repoussa du reste, puis par des 
troupes venues du Lyonnais, Chambaud se retira à Charmes, où 
ses soldats commirent des excès, puis à Chalancon, non loin de 
Gluiras dont il était originaire. 


LA FAMILLE DES CHAMBAUD 


Il semble intéressant de faire connaitre cette famille des 
Chambaud qui eut une certaine célébrité tant au AVIS qu'au 
XVIle siècle. En voici la généalogie : 


I. Imbert de Chambaud, écuyer, seigneur de la Tourette, de 
Vallaury, puis de Gluiras. mort avant 1545, avait été marié à 
Françoise de Presle, dame de Vallaury, morteen 1544. Il fut 
père de : 


Il. François de Chambaud, zélé huguenot, sg' de Gluiras, de 
Valaury, puis de Vacherolles. Il avait acquis vers 1555, de noble 
homme Annet de la Veyse, et de Jacqueline de Vacherolles, sa 
femme, la maison forte, domaine et métairie noble et franche de 
Vacherolles, située dans la paroisse de St-Julien-d Ance, man- 
dement de la Roche en Régnier ; mais relevant pour quelques 
parties du vieux fief de Chalancon. François de Chambaud fut le 
mauvais génie de Claude de Polignac, surnommé Torticolis, 
dont il devint le conseil, autant dire son garde du corps, le 
suivant partout êt tenant à l'écart tous ceux qui auraient pu 
ramener Claude à de meilleures dispositions. 

Blessé dans une rencontre en 1578, François de Chambaud, 
testa le 13 octobre suivant et ne vivait plus en 1580. De son 
mariage avec Catherine ou Christine de Fay, deuxième fille de 


(1) B. N. MSS. Clairambult. 361. Il s'agit d’un fils du grand Coliny. 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 63 


Renaud de Fay, sg' de Gerlande il laissa trois filles et un fils 
Jacques qui suit : 


III. Jacques, seigneur de Chambaud, de Vallauris, de Vache- 
rolles, de la Roche Carlac, baron de Privas, gentilhomme de la 
Chambre du Roi, chevalier de l'Ordre, capitaine de cinquante 
hommes d'armes et mestre de camp est le triste héros du drame 
de Macheville. Il s'acquit, dés sa jeunesse, une grande réputation 
par l'impétuosité de son courage et par la sagesse de ses conseils. 
C'est lui qui, en 1588, défendit la place de St-Agrève dont il 
était gouverneur pour les religionnaires du Vivarais, contre les 
attaques des catholiques du Velay, commandés par le célèbre 
de St-Vidal. C'est encore lui qui, en 1587. tenait tête à Balazuc, 
dans les environs de Désaignes, de Charmes, de Chalencon et 
de Montélimar. C'est encore lui qui vint en Velay, mais trop 
tard, pour donner main forte à de Chastes, sous les remparts de 
la ville du Puy, dans la nuit sanglante du 16 octobre 1594. C'est 
lui qui de 1,89 à 1594, fait eause commune avec la maison de 
Polignac et la noblesse du Velay, pour le roi de Navarre, sous le 
gouvernement du duc de Montmorency, contre de Lestrange, 
d'Urfé et tous les ligueurs du Puy qui ne reconnaissaient que 
l'autorité de Joyeuse. 

En 1585, il avait vendu, au sg" de Fay Gerlande, son allié, la 
terre de la Roche Carlac, qu'il tenait de Laure de Chambaud, sa 
tante, et acquis de 1599 à 1600, la baronnie de Privas, de Charles 
Robert de la Marck, comte de Maulevrier, petit-tils de Diane de 
Poitiers. 

En 1577,il avait épousé Marie de Barjac, fille de Charles de 
Barjac, sg" de Rochegude et de la Baume et de Simiane de 
Lauberge, dame de Colans près de Vernoux. Il en eut la célébre 
Paule ou Charlotte de Chambaud. 

Henri IV  appréciait beaucoup les qualités militaires de 
Chambaud et lui confia la charge de mille hommes, dans 
l'expédition de Savoie. Ce capitaine mourut de froid, enseveli 
dans les neiges, vers la mi-novembre 1600, dans la vallée d'Aoste, 
en face de l'ennemi. (1) 


(1) Extrait de Truchard Dumolin — Les Chambaud ct les Lestrange. 


64 LE PRIEURÉ ET L KGLISE DE MACHEVILLE 


On prétend que cette famille des Chambaud était originaire 
du hameau de Lavis, près de St-Martin de Valamas. 

Les Chambaud portaient : Tiercé en fasce au 1°" d'argent, au 
chevron alésé d'azur, accosté de trois casques de profil de gueules ; 
au 2°"° d'azur à trois étoiles d’or rangées en fasce ; au 3° C'argent 
au levrier courant d'azur colleté de gueules. 

Il y a une lettre du roi Henri IV, au sujet du corps de troupes 
confié à Jacques de Chambaud. Elle mérite d'être connue de nos 
lecteurs. 

Au Connétable. — Je désire encore tirer de vostre gouvernement 
mil hommes de pied, desquels j'ay advisé de donner la charge au 
s' de Chambaud, sachant bien qu'il les aura bientôt mis ensemble 
et que j'en seray bien servi, joinct qu'il me semble bien à propos 
d'en prendre de ceux de la religion prétendue réformée du dict 
pays et non des aultres pour les raisons que vous pouvez mieux 
juger. Au moyen de quoy je vous pric de mander à mon cousin 
le duc de Ventadour qu'il ordonne au dit Chambaud un ou deux 
lieux pour faire la dicte levée et qu'il la favorise de tout ce qu'il 
pourra afin que j'en sois tant plus promptement servy. 

Escript au Camp de Chamoux le 1°" jour de septembre 1600. 
Henry. — de NEurvizre (1). 


Paule de Chambaud sa fille, épousa le 5 septembre 1597, du 
vivant de son père, René de la Tour de Gouvernet, sg' de la 
Charce, qui fut député de la noblesse du Languedoc en 1614 et 
était fils puiné de René de la Tour de Gouvernet célébre capitaine 
calviniste. À la mort de son beau père, René, chevalier, prit le 
nom de Chambaud. Il fut tué au siège de Verceil en 1617. 

Paule épousa, en secondes noces, le 20 mars 1620, Claude de 
Hautefort, vicomte de Lestrange et abjura le protestantisme ainsi 
que ses enfants vivants issus de son premier mariage. Ce second 
mariage fut la cause de la reprise des armes par les protestants 
en 1621, troubles qut se terminérent, comme l'on sait par la 
prise de Privas par le roi Louis XIII. 

Elle avait eu de René de la l'our de Gouvernet : 

1° Marie, mariée en 1614, à Brison, morte avant le second 
mariage ; 


(1) B. N. fonds de Béthune, MSS., fo 46. 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 6$ 


2° Judith, mariée en 1620, à Jean de la Gruterie, sg’ de 
Maisonseule, puis, restée veuve, le 6 juin 1643, à Hercule de 
St-Martial ; 

Jean de la Gruterie avait péri au siège de Soyons en 1629 ; 

3° Paule, religieuse dominicaine, à Viviers,.1625 ; 

4 Marguerite, religieuse au même couvent, 1631. 

s° Jacques César de la Tour de Gouvernet. 


Elle eut de Claude de Hautefort, vicomte de Lestrange : 


1° Marie, dame de Lestrange, mariée vers 1638, à Charles de 
St-Nectaire qui fut assassiné, à Privas, le 13 octobre 1667 ; 

2° Françoise, mariée vers 1640, à Claude François de la Tour 
St-Vidal. 

Le vicomte de Lestrange, second mari de Paule de Chambaud, 
compromis dans la révolte de Montmorency, fut décapité à Pont 
St-Esprit, le 6 septembre 1632. 

Paule de Chambaud mourut en 1640, âgée de 62 ans. 


Nous nous sommes étendu, non sans raison, sur la généalogie 
de cette famille. Elle intéresse, en effet, l'histoire du Haut 
Vivarais et du prieuré de Macheville. 

Judith, petite fille de Chambaud capitaine protestant, épousa, 
comme il est dit ci-dessus, Jean de la Gruterie, sg" de Maisonseule. 
La seigneurie de Maisonseule est située, près de St-Basile, non 
loin de Macheville. Les Maisonseule, issus de la Gruterie, près du 
château de Retourtour, étaient barons de La Mastre. L'ancienne 
famille des Maisonseule s'était fondue en eux par le mariage de 
Philippa de Sahune (Phélise d'Assenne), dame de Maisonseule, 
avec Christophe de la Gruterie. en 1550. 

On est donc, dans une certaine mesure, fondé à admettre que 
le prieur P. de la Gruterie, appartenait à cette famille. Peut-être 
était-il frère d'Alexandre, fils lui-même de Christophe. Les 
généalogistes ne font point mention de ce personnage ; mais ils 
ne font point mention non plus de Guillaume de la Gruterie, qui 
fut prieur de Cluac, de Charay et de N. D. d'Arric. 

Les Maisonseule enrichis par le mariage de Jean de la Gruterie 


avec Judith de la Tour de Gouvernet, et plus tard par le mariage 
de Claude, fils de Judith avec l'héritiére des Roiraud du Velay, 


66 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


étaient devenus de riches et puissants seigneurs. Le frère de Jean 
de Maisonseule était commandeur de l'ordre de Malte. 

Quand les guerres religieuses furent terminées et que la 
tranquillité régna dans les Boutières, on peut admettre que cette 
puissante maison n'avait certes pas intérêt à réveiller la mémoire 
des bénédictins de Macheville. L'alliance de la petite fille de 
Chambaud avec un parent de la victime ne pouvait avoir pour 
résultat que de jeter dans l'oubli de l’histoire le drame du 3 mai 
1587. 

C'est ce qui arriva. 

Deux caveaux existaient derrière l'église, dans le cimetiére. 
L'un d'eux prenait jour, par une petite baie, sur le jardin du 
prieuré. Au dessous, une oubliette fut creusé profondément dans 
le rocher. On y déposa, à la hâ'e, les restes des religieux. Les 
caveaux furent remplis avec des terres et des ossements provenant 
du cimetière, et, au dessus, une chapelle fut érigée que la ferveur 
des catholiques dénomma Chapelle des saint Os. 

Plus tard, un tableau commémoratif fut placé au dessus de 
l'autel. Il représente les sept victimes. Le tableau est certainement 
du XVII< siècle. Au milieu est le père P. de la Gruterie, revêtu 
de la chape et tenant l'encensoir. Les autres sont revêtus de 
dalmatiques ou de surplis. Ils sont debout, la palme du martyre 
à la main. les yeux levés vers le ciel. Au bas du tableau on lit 
l'inscription suivante tirée des Psaumes : Custodit Dominus 
omnia ossa eorum, unum ex his non conleretur [Dieu garde leurs 
ossements, aucun d'eux ne sera brisé.) : 

Mais, si le souvenir est l'âme des ruines il est aussi, plus 
encore, le souffle qui anime les cités. En France, le culte de ceux 
qui ont versé leur sang pour une idée, a toujours été considéré 
comme une vertu nationale. Aussi la tradition de cet épisode de 
nos guerres religieuses s'est-elle perpétuée, intacte et pure, 
jusqu'à nos jours. Dans les longues veillées d'hiver, sous le 
manteau de la cheminée, pendant que les rouets et les fuseaux 
tournaient, il se trouvait toujours quelque vieillard pour raconter 
en un style naïf, les choses des temps passés, les guerres des 
seigneurs et le massacre des Religieux du Prieuré. Ainsi les 
jeunes générations apprenaient de la bouche de ceux qui allaient 
disparaître, l'histoire des choses dont on devait se souvenir. 


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68 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


En 1863, un jeune homme, Fernand Rouveirol, appartenant à 
une honorable famille de La Mastre, se trouvait à Paris et 
occupait ses loisirs à des recherches historiques dans les biblio- 
thèques de la capitale. Le hasard voulut qu'il découvrit un 
manuscrit contenant la relation du massacre des Bénédictins. 
Mais laissons Fernand Rouveirol, narrer lui même sa découverte 
dans une lettre écrite à l'abbé Le Masson, curé de La Mastre. 
Les textes originaux ont toujours une saveur particulière. 


Paris, 29 mars 1863. 


Monsieur le Curé, 


Je me hâte de répondre à la lettre si flatteuse que j'ai eu 
l'honneur de recevoir de vous. Je suis, certes, bien loin de tant 
mériter de votre part et de celle de la population ; peut-être vous 
a-t-on exagéré l'étendue de ma découverte. J'aurais été trop 
heureux si j'avais vu mes recherches couronnées d'un pareil 
succés ; mais malheureusement, je n'ai que des lambeaux épars 
du récit de cette déplorable scène et n'ai trouvé le nom que de 
deux victimes. Malgré ce, j'ai recueilli pieusement et avec joie, 
tout ce qui faisait mention de ce massacre et qui pouvait intéresser 
l'histoire du pays. Je me fais un plaisir de vous les communiquer. 

C'est bien par le fait du hasard, en effet, que mes yeux sont 
tombés sur la description peu détaillée du martyre de ces prêtres, 
qui se trouvait contenue dans un petit manuscrit, sortant de 
l'abbaye de Cluny, mais qui a été rédigé à Quintenas. Comme il 
n'était revêtu d'aucune date certaine. je n'ai pu savoir si l'écrivain 
avait recueilli les faits à l'époque du massacre ; mais je doute 
fort qu'il ait été lui-même spectateur. Le manuscrit n'avait pas 
de titre positif, cependant je crois que l'on peut ajouter foi à la 
description de ce fait. Le contenu du manuscrit est mal écrit sous 
le rapport du style, plusieurs passages sont des citations de 
mauvais latin ce qui semble prouver que l'ordre des Bénédictins 
ne florissait plus, sous le rapport de la science, à cetle époque. 

M. Rouveirol donne ensuite le récit du carnage tel que nous 
l'avons reproduit, puis il continue : 

Si vous connaissiez M. l'abbé Rouchier et que son éloignement 
de ces sources où tous les auteurs vont puiser, je veux dire les 
Bibliothèques de la capitale, ne lui permettait pas d'avoir toutes 
les notes désirables sur l'histoire du Vivarais, je me ferais un 
plaisir, Monsieur le Curé, si je pouvais lui être de quelque utilité. 
Je reviens aux Martyrs qui sont vénérés à La Mastre dans la 
chapelle des Saints Os ; mais est-on bien sûr que leurs restes 
sont déposés sous cette chapelle des S'* Os, tout le monde 
répondrait que cela s'est toujours dit, mais il me semble pourtant, 
Monsieur le Curé. que depuis le temps, on aurait dû faire quelques 
recherches qui n'auraient exigé que des frais bien minimes et 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 69 


auraient tranquillisé tout le monde sur cette incertitude ; un lieu 
plus convenable pourrait leur être choisi ? 

J'ai toujours eu un doute bien cruel, Monsieur, au sujet des 
saintes reliques, voici pourquoi. À une époque où on réparait 
quelques dalles de la chapelle de la S'°-Vierge, les ouvriers 
découvrirent l'entrée d'un caveau. Quoique je fusse alors bien 
jeune, je me souviens qu'étant accouru par curiosité, je vis un 
des ouvriers qui y était descendu en sortir des débris de cercueils, 
d'ossements et même de quelques lambeaux de vêtements que 
l'on pouvait parfaitement distinguer pour être ceux de prêtres Je 
ne me rappelle pas le nombre de squelettes qui furent ensevelis 
par ordre de Monsieur le curé Duroux dans une fosse commune du 
cimetière. Ne seraient-ce pas quelquefois les restes de ces martyrs 
qui auraient été déposés à côté de plusieurs générations de 
religieux qui doivent certainement reposer dans d’autres caveaux 
que l'on ne connaît pas ? Dieu veuille que mes doutes soient mal 
fondés. 

Agréez, Monsieur le Curé, l'hommage de ma considération 
distinguée. Je suis avec le plus profond respect votre très humble 
et obéissant 


Fernand RouvetRor. 


Les vœux du vaillant jeune homme devaient être exaucés. 

M. l'abbé Le Masson était alors curé archiprêtre de La Mastre. 
Né à St-Martin de Valamas, d’une famille honorable, il se révéla, 
de bonne heure, comme une nature distinguée et éminemment 
douée des dons de l'intelligence. Il fut précepteur dans la famille 
de Moze, à St-Agrève, professeur de rhétorique au collège de 
Vernoux, curé de Dornas où il laissa d'excellents souvenirs. 
Nommé curé de La Mastre, il y exerça son ministère pendant de 
nombreuses années et mourut en 1880. Pendant son passage à 
la cure de Macheville, l'église fut agrandie, le cimetière remanié 
et remis dans son état actuel. La famille Le Masson est trés 
ancienne. Originaire de St-Junien près de Limoges, elle a fourni 
de nombreux prêtres à l'Église. Quelques uns de ses membres 
ont été consuls de la ville de St-Junien au XVII: siècle. 

La question posée si anxieusement par Fernand Rouveirol ne 
pouvait rester sans solution. La population catholique de l'endroit 
insista auprès de son pasteur pour que des recherches fussent 
faites à l'emplacement présumé. 

‘L'abbé Le Masson fit procéder à des fouilles qui amenëérent la 
découverte des restes des religieux bénédictins : Laissons la 


70 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


parole au vénérable curé. [Le rapport qu'il adressa à l'évèque de 
Viviers mérite d'être livré à la publicité. 


Monseigneur, 


L'intérêt que Votre Grandeur prend à tout ce qui se rapporte 
à l'histoire du Diocèse, me donne l'assurance qu'Élle accueillera 
avec bonté les détails que j'ai l'honneur de lui transmettre. 

Votre Grandeur connaît déjà la notice découverte à la Biblio- 
thèque Impériale, relative au massacre des prêtres du prieuré de 
Macheville ; néanmoins je veux la relater ici : 


Suit ici la relation du massacre telle que nous l'avons donnée 
plus haut. 


Or, Monseigneur, la circonstance de ce massacre, moins la 
circonstance particulière des noms propres et des têtes coupées 
et jetées dans l'intérieur du prieuré, était ici dans toutes les 
mémoires. Les générations se la transmettaient par une tradition 
que la notice découverte aux archives impériales n'a fait que 
confirmer. En lisant ce récit, chacun ici se disait : nous savions 
cela. | 

Mais la tradition, Monseigneur, en disait plus que le manuscrit 
de la bibliothèque impériale. Elle précisait le nombre des 
victimes. Tout le monde ici affirme qu'elles étaient au nombre de 
sept. C'est le chiffre que disent les enfants aussi bien que les 
vieillards. C'est aussi le nombre des prêtres représentés, la palme 
du martyre à la main, dans le tableau placé au dessus de l'autel 
de la petite chapelle. 

Sous cette chapelle est un caveau où ont été déposés les 
ossements de nos vénérables martvrs. À cet égard, la tradition 
n'a donné aucun doute. De plus, au bas du tableau, dont je viens 
de parler, je lis ce verset des psaumes : Cuslodit Dominus omnia 
ossa eorum, unum ex his non conteretur,et la chapelle n'est connue, 
dans tout le pays, que sous le nom de chapelle des Saints Os. 

Néanmoins, le fait, quoique certain pour tous, n'était pas 
matériellement établi. De mémoire d'homme, personne n'avait 
pénétré dans ce caveau. 

À l'époque de votre bénie visite pastorale, Monseigneur, j'eus 
l'honneur de causer de toutes ces choses avec Monsieur le Grand 
vicaire. Monsieur Robert (1) me donna le conseil qui fut un 
ordre pour moi, de faire exécuter des fouilles dans le caveau. Ces 
fouilles ont été faites, Monseigneur, et le résultat nous a comblés 
de joie. 

Dans la partie du caveau, au dessus de laquelle se trouve 
l'autel de la petite chapelle, et sous quelques dalles grossièrement 
taillées, nous avons découvert de nombreux ossements. Ces 
premiers résultats étaient pour nous d’une grande importance. 


{r) Plus tard évèque de Marseille. 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MAUHEVILLE 71 


Mais, à mesure que nous avancions dans nos recherches, une 
émotion plus vive s'emparait de nos cœurs. Tous ces ossements 
étaient jetés pêle mêle. Dieu avait voulu, sans doute, que ceux 
qui avaient eu le même combat et le même triomphe, eussent le 
même tombeau. La position particulière de ces têtes vénérables 
qui avaient été l'objet plus spécialement des outrages des 
hérétiques indiquaient qu'elles avaient été séparées du corps 
avant la sépulture. Et quelle ne fut pas notre joie, lorsque le 
nombre de ces têtes amenées par nos respectueuses recherches 
dans ce tombeau creusé dans le rocher, fut précisément celui des 
victimes désignées par la tradition, lorsque nous eûmes devani 
les yeux les sept têtes, de nos sept martyrs ? Nos vœux les plus 
chers étaient accomplis, la tradition s'éclairait d’une vive lumière, 
nous avons béni le Seigneur toujours admirable dans ses Saints. 

Chaque famille catholique de la paroisse a voulu avoir quelque 
chose de ces précieuses reliques. Je n'ai pas cru devoir m'opposer 
à ce pieux empressement. Les principaux ossements furent 
recueillis et placés avec honneur dans une caisse en bois, en 
forme de chässe, qui sera conservée dans Île caveau, au dessus 
du sol. Les autres ont été replacés sous les dalles qui les avaient 
recouverts une premiére fois. 

Un autre fait reste acquis à l'histoire de ma paroisse : une 
résidence de Jésuites au prieuré de Macheville. Îls y étaient au 
dix-septième siècle. À quelle époque et par quel heureux concours 
de circonstances, les frères de St-Régis se sont-ils établis dans 
la paroisse, je l'ignore. Tout me fait croire qu'ils sont restés 
jusqu'à la suppression de la Compagnie, car, c'est six ans plus 
tard, en 1768. que les revenus du prieuré de Macheville ont été 
donnés au collège royal du Puy. Peut-être ces mêmes revenus 
avaient-ils été destinés d’abord à doter le collège que la Compagnie 
de Jésus avait dans la même ville. À côté du prieuré, était la 
maison curiale. celle que j'habite moi-même Le curé et le vicaire 
étaient des prêtres séculiers. Voilà tout ce que les documents 
incomplets me permettent d'affirmer. 


J. Le Masson, prêtre. 


Nous pouvons ajouter au rapport ci-dessus quelques détails 
complémentaires La visite pastorale avait eu lieu en 1863 ; les 
fouilles furent faites, au printemps de la méme année. Les 
ossements, au fur et à mesure qu'ils étaient extraits de l’oubliette, 
étaient dépouillés de leur gangue terrevse, lavés et mis au soleil 
sur un drap de lit, au milieu du cimetière. La population était 
anxieuse. car on ne trouvait point la septième tête. Enfin le 
fossoyeur finit par la trouver au fond du trou. L'extraction de 
ces ossements était fort pénible attendu que l'oubliette était de 
dimensions tellement étroites que l'ouvrier ne pouvait s'y mouvoir. 


72 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


L'évèque de Viviers répondit le 26 février 1864, par la lettre 


suivante : 
Viviers. le 26 février 1864. 


Monsieur l'archiprêètre, 


Je vous remercie du récit historique et si édifiant que vous 
venez de m'adresser. Ne rendez aucun culte public à ces reliques 
et ossements vénérables ; mais conscrvez-les précieusement, sans 
les exposer au culte. Ne les laissez pas enlever. S'il était possible 
de constater le martyre de ces sept victimes, s'il s'opérait des 
miracles sur ces tombes, on verrait s'il y aurait possibilité de 
leur obtenir de l'Eglise un culte public. | 

Recevez mes sentiments d'affection et de reconnaissance. 


+ Louis, évêque de Viviers. 


L'abbé Le Masson était en correspondance avec Monseigneur 
Guibert, qui avait été évêque de Viviers et était alors archevêque 
de Tours. Il ne manqua pas de lui envoyer une relation de 
l'invention des restes des religieux bénédictins. L'éminent prélat 
répondit par la lettre suivante qui mériteéga lement d'être connue. 


ARCHEVÊCHÉ DE Tours Tours, le 4 mars 1864. 


Mon cher curé, 


Je vous remercie de la bonté que vous avez eue de m'adresser 
une copie du rapport fait par vous à Monseigneur l'Evêque de 
Viviers. sur la découverte des corps de vos martyrs. J'ai lu avec 
le plus grand intérêt tous les détails qu'il contient. Le souvenir 
des lieux est encore présent à mon esprit, et je me souviens 
d'avoir entendu raconter. dans mes voyages à La Mastre, ce que 
vous exposez dans votre lettre. Cette concordance de la tradition 
avec les découvertes que vous avez faites est une preuve qui ne 
laisse pas le moindre doute. 

Cet événement a dû produire une grande émotion dans votre 
paroisse et j'espère que les catholiques y trouveront un nouveau 
motif de fidélité à notre sainte Religion, pour laquelle leurs 
ancêtres savaient mourir. Les protestants, eux-mêmes, pourraient 
recueillir d'utiles leçons de ces découvertes. Demandons à Dieu 
qu'il les éclaire et qu'il les touche. 

Agréez, mon cher Curé, avec mes remerciements, l'assurance 
de mon attachement le plus affectueux. 


+ J. HippoLyre, archevèque de Tours. 


Avant d'écrire son rapport, l'abbé Le Masson, avait fait part 
de sa découverte à l'abbé Rouchier, l'historien du Vivarais qui 
lui écrivait en retour l’année même de la découverte. 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 73 


Annonay, le 6 juin 1863. 
Trés cher confrère et ami, 


Veuillez bien excuser le retard que j'ai mis à répondre à votre 
bonne lettre. L'absence que je viens de faire en a été la seule 
cause. C'est une heureuse trouvaille que celle du manuscrit dont 
vous m avez envoyé un extrait. Je comprends votre joie et je la 
partage. Votre intéressante tradition acquiert aujourd'hui un 
point d'appui inattaquable. car tout me paraît authentique dans 
ce récit : le fait,les circonstances qui l'accompagnent, la date, etc.: 
c'est bien en l'année 1587, d'après tous nus chroniqueurs, qu'eut 
lieu la prise de Désaignes par le capitaine Chambaud. Je n'hésite 
pas à conssigner, dans mon livre. ce petit épisode de nos sanglantes 
luttes du XVIe siècle. Je vous prie seulement de garder cette 
assurance pour vous, afin de ne pas surexciter, avant l'heure, 
l'hostilité du parti protestant. Ils ont, vous le savez, l'humeur 
ombrageuse, la fibre irritable. 

Voulez-vous que je vous dise. cher ami, toute ma pensée ? 
Puisque vous avez un correspondant intelligent et dévoué, à 
Paris, vous devriez lui demander de copier ou de vous faire 
copier, très fidèlement, en conservant l'orthographe de l'original, 
cette pièce, in exlenso. quelque longue qu'elle soit. Je vous en 
serai reconnaissant. Îl peut se trouver là des faits dont les annales 
de cette époque ne parlent pas. Et quand il n'y aurait que des faits 
déjà connus, comme c'est un contemporain qui raconte, il est 
impossible que son récit ne renferme pas quelques uns de ces 
détails caractéristiques qui servent à imprimer la coutume locale 
à la narration historique. Ayez la bonté d'engager votre jeune 
homme à faire quelques recherches dans les armoriaux de la 
Bibliothèque pour découvrir les armoiries de la commune de La 
Mastre. J'ai celles des seigneurs qui ont successivement possédé 
cette baronnie et je voudrais connaitre celles de la commune. 
Elles existaient. Dans un rôle des personnes, maisons, familles. 
villes. corps et communautés du Haut-Vivarais, dont les armoiries 
furent enregistrées, en exécution de l'Edit de novembre 1696. je 
trouve sous le n° 291, communauté de Macheville et n° 2096. 
communauté de La Mastre, etc. ; avec cette indication, il serait 
facile si j'étais sur les lieux d'arriver à la découverte. Que votre 
correspondant fasse une tentative, je lui souhaite plein succés et 
à vous, bien cher confrère, heureuse et longue vie. (1) 


J. Roucuier, chanoine honoraire. 
L'abbé Le Masson ignorait comment les Jésuites avaient 


succédé aux Bénédictins dans le prieuré de Macheville. Depuis 
lors, des documents nombreux ont été mis à jour. M. Joseph 


(1) Les recherches faites dans les armoriaux de la Bibliothèque nationale 
n'ont donné aucun résultat. 


6 


71 LE PRIEURÉ ET L ÉGLISE DE MACHEVILLE 


Denais, dans ses Recherches historiques sur le collège du Puy (1) 
a publié l'acte de confirmation de la session du prieuré de 
Macheville aux Jésuites. 

Le prieuré fut uni au collège du Puy en 1593. La Compagnie 
de Jésus avait fondé ce collège. A cette époque, la vie monastique 
était déchue de sa splendeur première par suite de l'institution 
de la commende qui rongeait les abbayes et les prieurés. Quand 
les Jésuites fondèrent leur collège, ils obtinrent qu'un grand 
nombre de prieurés leur fussent annexés, à titre de fondation. Ils 
entraient en possession de ces bénéfices avec tous les droits 
anciens et en vertu des concessions anciennes perpétuellement 
en vigueur dans un pays que n'avaient pas encore touché les 
révolutions (2). 

Il résulte d'une déclaration de Jean Paulhien, prieur de St- 
Domnin de Macheville, faite à Pradelle, en 1600, qu'il s'était 
démis de ses droits sur le prieuré en faveur des Jésuites du Puy 
en augmentation du collège et sans qu'il eut jamais l'intention 
que le revenu de son prieuré vint en déduction de la pension de 
la ville du Puy aux Jésuites ; mais bien pour être participant de 
leurs prières et oraisons en augmentation et en amélioration de 
leur dit collège | 

Messire Jean Paulhien, prêtre religieux 4e St-Benoit, jadis 
prieur à Macheville, habitait Beaune, paroisse de St-Etienne-du- 
Vigan. diocèse Viviers. La déclaration ci-dessus fut faite à Pons 
Baudouin, notaire à Pradelles (3). 

La donation fut confirmée par Antoine de Senectaire, abbé 
commendataire de St-Chaffre en 1393, le 29 juillet, avant midi. 
Le texte de cette confirmation tout en latin et que nous ne 
reproduirons pas marque que le consentement de Antoine de 
Senectaire, abbé du Monastier est donné, sous réserve de ses 
droits sur le prieuré c'est-à-dire de la pension annuelle faite au 
monastère de St-Chaffre. De plus, un des novices du Monastier 
devait recevoir gratuitement l'instruction au collège du Puy. 
Toutes les dépendances de Macheville suivirent le sort du prieuré. 


(1) B. N. 8° R. 9035. 
(2) De Curley. | 
(3) Collection Mazon et Tablettes du Velay. 


De ne pag 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 75 


Les bénédictins avaient occupé le prieuré de Macheville pendant 
632 ans. Nous allons voir que les Jésuites, leurs successeur, ne 
gardèrent ce bénéfice que pendant l'espace de 169 ans de 1593 à 
1702. 


(À suivre.) R. TARTARY. 


LARGENTIÈRE 
PENDANT LA PESTE DE 1629 


et les années suivantes jusqu'à la révolte de Roure ( 1630.) 


L'année 1629 est celle de la prise de Privas par Louis XIII et 
de l'extinction des guerres civiles en Vivarais, qui en fut la 
conséquence. Par suite, les mesures de défense et les logements 
de gens de guerre tiennent, à Largentière comme ailleurs, la 
place dominante dans les préoccupations publiques. 

À peine le calme était-il rétabli, que le Vivarais eut à supporter 
les effets de la peste terrible qui sévit dans presque toute l'Europe 
de 1628 à 1635. M. Edouard André, l'érudit archiviste du dépar- 
tement, a déjà donné (1) d'intéressants détails sur les ravages 
du fléau dans quelques unes de nos localités de l'Ardèche, 
notamment à l'ournon, la Voulte, Bourg St-Andéol, Largentière, 
Joyeuse, Salavas et Annonay. Il se serait sans doute étendu 
davantage sur la situation de Largentière à cette époque, s'il 
avait eu en mains les registres des Délibérations municipales, 
qui avaient été détournés, et qui n'ont été réintégrés qu'en février 
1901 aux archives de la mairie. Le fait est que, par suite du 
fléau, les habitants de Largentière furent obligés de déserter 


(1) Bulletin historique et fhilologique, 1897. 


76 LARGENTIÈRE PENDANT LA PESTE DE 1629 


entièrement leur ville. Les pièces suivantes montrent avec quelle 
intensité le fléau sévit parmi eux. 

La panique commença au mois de juillet, à la suite d'une 
délibération des consuls (du vendredi 6 juillet), d'où il résulte 
qu'une femme nommée Anne Allamelle, fille à Pierre, était 
tombée malade dans la maison de Jehan Bouchet, dit Mendasson, 
« demeurant avec lui à tirer la soie », au terroir de Lende, et 
qu'on avait prié maître Fornier, médecin, de se transporter sur 
les lieux, en compagnie de François Valère, sergent de ladite 
ville, pour vérifier de quel mal ladite Anne était atteinte. Le 
conseil avait alloué pour cette tâche 3 livres à Fornier et 30 sols 
à Valère. 

Fornier, revenu le même jour, faisait son rapport aux consuls. 
« Au mesme instant, le mal contagieux estans reconnu, délibéré 
que sera mis deux hommes pour en prendre garde aux portes de 
la ville, lesquels se transporteront aux lieux que sera requis. » 

Et, sur l'offre faite par un maïtre chirurgien, Gabriel Tailhand, 
« de s'exposer pour servir les malades infectés et leur donner 
toutes les assistances qu'il pourra, les traiter et médicamenter, et 
désinfecter les lieux où ils se trouveront atteint de mal contagieux », 
délibéré d'accepter cette offre, à raison d'un salaire de cent livres 
par mois, avec « licence d’habiter et se tenir, pendant Ie temps 
qu'il servira, dans la maison commune de cette ville ». 

La délibération suivante, prise trois mois après, dans une 
réunion tenue à quelque distance de la ville, nous apprend que, 
l'épidémie étant alors en décroissance, on s occupait des moyens 
de désinfecter la ville, afin de pouvoir y rentrer : 

L'an 1620 et le samedi 13 octobre, au lieu appelé les Lauses 
de l’ouchon, par devant M° Jean Rivière,juge,ont esté assemblés 
les consuls et conseillers de Largentiére, avec la plus grande 
partie des habitans d'icelle (ici une page de noms) représentant 
le corps mystique de ladite ville. 

Le premier consul, Guillaume de Fages, a dit que depuis 
quelque temps qu'ils ont reconnu que.par la bonté et miséricorde 
de Dieu,la maladie contagieuse (qui est grandement violente dans 
la ville de Largentière, ayant tué une bonne partie des habitans 
qui se seroient opiniastrés d'y demeurer dedans, jusques à ce 
que par délibération de messieurs les conseillers et par leurs 


bons advis, ils auroient esté tous mis dehors), commençoit à 
cesser, et que ladite ville estoit en estat d'estre purgée et parfumée, 


LARGENTIÈRE PENDANT LA PESTE DE 1629 77 


ils auroient, de l'advis desdits sieurs conseillers, envové en la 
ville du Bourg pour avoir l'advis des consuls de ladite ville sur 
l'ordre et méthode qu'ils avoient tenu pour le parfum de leur 
dite ville ; ayant reçu pour la première fois tout au long ledit 
ordre dans lequel estoient spécifiées les drogues qu'ils avoient 
employées audit parfum : pour lequel faire exécuter, ils n'auroient 
pu trouver aulcunes personnes capables, si bien qu'ils auroient 
été contraints de renvoyer en ladite ville du Bourg,atin de pouvoir 
avoir quelques uns de ceux qui ont aidé à parfumer icelle, pour 
commencer à travailler dans ladite ville de Largentière et la 
mettre en estat que les pauvres habitans qui sont dehors s'y 
puissent retirer avant que l'hiver les y trouve. 

Sur quoi, les consuls de la ville du Bourg auroient envoyé 
cinq parfumeurs, de ceux mesmes qui ont parfumé leur ville, 
lesquels sont arrivés depuis quelques jours avec une lettre desdits 
consuls contenant l'ordre qu'ils ont tenu et ce qu'ils ont employé 
auxdits parfums ; ne restant maintenant qu'à délibérer si on 
s'en veut servir et les employer aux gages de trois livres qu'ils 
demandent chacun par jour, outre leur dépense, et de pourvoir 
aux moyens d'avoir ce qui est nécessaire pour lesdits parfums et 
à toutes autres choses nécessaires qu'il conviendra avoir pour 
cet effet ; requérant sur ce estre pris deslibération. 


Sur quoi, aesté deslibéré, attendu que la commodité s'offre 
de pouvoir faire purger et parfumer la ville de Largentière, et 
que icelle se trouve en estat de l'estre. que les cinq parfumeurs 
qui sont venus de ladite ville du Bourg seront employés à purger 
à cest effet, et ce aux gages de trois livres chacun par jour et 
leur despense, depuis le temps qu'ils commenceront à travailler 
auxdits parfums jusques avoir parachevé iceux, et outre ce la 
despense de leur quarantaine s'ils sont obligés à la faire. Comme 
de mesme sera employé par lesdits consuls, outre les susnommés, 
deux homines pour leur servir dans ladite ville, et deux autres 
pour leur faire tenir de dehors les choses qui seront nécessaires 
auxdits parfums : ensemble autres deux personnes capables pour 
se prendre garde dedans ladite ville que tout y ailhe bien et tenir 
contrôle des meubles qui seront trouvés dans les maisons qu'il 
conviendra parfumer. lesquels seront tenus de caultionner 
suffisamment ; avec tous lesquels sera convenu des gages qu'ils 
pourroient prétondre avec les sieurs consuls, et ce au meilleur 
mesnage que faire se pourra, à la charge néanmoins que lesdits 
parfumeurs et autres susnommés seront tenus, avant le commen- 
cement desdits parfumeurs, de prester serment entre les mains 
dudit sieur Juge de bien et deuement vacquer au deub de leur 
charge : 

Et. d'autant que le fonds qui se trouve entre les mains 
desdits sieurs consuls estant de mil livres qui furent empruntées 
au commencement de la maladie, ne seroit suffisant pour subvenir 
à toute la despense qu'il conviendra faire à raison de ce dessus, 

À esté aussi délibéré qu'il sera emprunté, au nom de la 


78 LARGENTIÈRE PENDANT LA PESTE DE 1629 


communauté, par lesdits sieurs consuls, de telles personnes 
qu ils trouveront, jusques à la somme de 660 livres et au dessous, 
soit à constitution de rente où à obligation à jour. pour estre par 
eux employée à l'effet susdit ; et à ces fins est donné pouvoir 
audits sieurs consuls d'obliger tous et chascuns les biens de 
ladite ville et communauté de Largentière en général et en parti- 
culier,ensemble ceux des dénommés en la présente deslibération, 
solidairement et l’un pour l'autre, et chascun d'eux seul pour le 
tout, sans division d'action ni ordre de discussion, et de leurs 
propres aussi solidairement ceux dessus à toutes cours requises 
et nécessaires ; desquelles obligations ils seront relevés par la 
ville et communauté tant en principal que despens, dommages et 
intérêts qui se pourroient ensuivre, à la charge toutefois que 
ladite despense qui sera faite pour lesdits parfums sera rejetée 
sur les particuliers habitans de ladite ville, à qui il eschoit de 
faire parfumer leurs maisons. pour lesquels ladite ville entend 
faire les advances et non se constituer en autres frais. 


Ainsin deslibéré devant nous, Rivière juge. 


Du dernier jour d'octobre 1629, au conseil particulier de Ïa 
ville de Largentiére, 

Ayant esté rapporté par les sieurs consuls que ceux qui auroient 
parfumé la ville infectée de maladie contagieuse en sont sortis, 
et qu'icelle est entièrement déserte et abandonnée, estans 
nécessaire d'y faire entrer quelques personnes pour la garder et 
empescher les pilleries des meubles et autres choses qui sont 
dans les maisons, comme aussi pour une plus grande précaution 
de faire faire un nouveau parfum est requts estre promptement 
pourvu, 

A esté desllibéré que Guillaume Dufour, François Baille et 
Antoine Tessonier seroient employés à l'effet susdit, pour entrer 
dans la ville,suivant l'offre qu'ils en ont faite et promesse de bien 
prendre garde à la conservation de ce qui est dans les maisons, 
et aux charges de mesme de faire un nouveau parfum aux lieux 
nécessaires pour une plus grande précaution ; leur estant accordé 
pour leurs gages et salaires de chasque mois 24 livres à chascun, 
outre ce que sera fourni pour les drogues qui seront employées 
audit parfum. | 


De LarGiEr conseiller, RocniEer, BELLIDENTIS conseiller, Du 
Roure conseiller. 


Le séjour dans la ville de Largentière n'était pas encore d'une 
sécurité absolue le 1‘"janvier de l'année suivante(1630),puisqu'on 
voit alors l'assemblée générale anuelle, pour la nomination des 
consuls, se tenir ( au terroir de Sainte-Foy », et non pas comme 
d'habitude sur la place de l’église paroissiale. 

Le s janvier, c’est encore hors la ville, chez le juge Riviére, 


LARGENTIÈRE, PENDANT LA PESTE DE 1629 79 


dans sa maison du Colombier, que les trois nouveaux consuls, 
Jean du Roure, Claude Taranget et Jouve Pontier prêtent serment. 

Enfin, le 26 mars, sur l'exposé de du Roure « que à présent 
tous ceux qui ont été infectés de la maladie contagieuse sont 
hors de quarantaine et ont requis de leur donner entrée, ce qu'il 
juge estre raisonnable, comme faisant lesdits infectés une partie 
du corps de la communauté, et pour rétablir au plus tôt le 
commerce dans la ville », il fut décidé que le consul permettrait 
l'entrée de la ville auxdits infectés, « lesquels auparavant seront 
tenus de porter aux portes de la ville tous les meubles qu'ils 
auront, pour estre purgés et parfumés, ce qui se fera à la diligence 
desdits consuls, à la charge néanmoins que lesdits infectés à qui 
l'entrée sera permise, et qui se trouveront avoir des maisons que 
la ville aura fait parfumer, seront tenus de payer ce à quoi ils se- 
ront cotisés pour le remboursement de la ville avant ladite entrée. 

D'une délibération du 25 mai, il résulte que la ville de 
Largentière étant alors taxée pour l'envoi de 42 hommes à 
l'œuvre de la démolition des fortitications de Nîmes, déclara 
qu'elle n'avait pu les trouver, « attendu le ravage que le mal 
contagieux avoit fait chez elle et dans les lieux circonvoisins ». 

Le 30 novembre, on alloue une récompense à Vidal Mazel, qui 
a servi de corbeau pour enterrer les morts, et a rendu ainsi de 
véritables services à la ville. 

De nouvelles craintes d’épidémie sont encore constatées en 
l'année 1631. Le 13 août, les consuls proposent « qu'on n’ouvre 
chaque jour qu'une porte et qu'on y mette un portier, pour 
prendre garde que les étrangers arrivans rapportent bons certi- 
ficats et bilhettes de la santé qui sera en leur lieu, et empescher 
qu'aucun n'entre sans iceux, attendu le soupçon qu'on a de la 
maladie contagieuse ». Cette mesure avait été provoquée par des 
cas suspects survenus au Gua (paroisse de Sanilhac), mais 
l'absence de toute donnée ultérieure sur ce sujet prouve qu’on en 
fut quitte cette fois pour la peur. 


e 
x © 


Depuis l'année 1630, ce sont les ennuis et les dépenses résultant 
du logement des gens de guerre qui tiennent la plus large place 
dans les délibérations municipales. 


80 LARGENTIÈRE, PENDANT LA PESTE DE 1629 


À propos de l'envoi d'une compagnie du régiment de Magalas, 
ordonné par M. de Machault, les consuls déclarent, le 8 mai 
1630, quil « est impossible de la pouvoir entretenir, vu la grande 
nécessité en laquelle le peuple se trouve maintenant, et particu- 
lièrement les habitants de la présente ville, la plus grande partie 
desquels sont à la faim. — Délibéré que le sr de Malet se rendra 
auprès de M. de Machault et lui fera Îles représentations 
nécessaires ». 

Le 14 mai, « les consuls demandent des fonds pour entretenir 
la compagnie du capitaine Feuchères logée ici depuis le 6 mai, et 
à laquelle M. de Machault a ordonné de payer 20 livres par 
jour. — Délibéré de prendre, pour subvenir à cette charge, les 


deniers imposés pour le payement des intérêts dûs aux créan- 
ciers. » 


En 1632, la révolte de Montmorency trouve les habitants de 
Largentière dans des dispositions parfaites de paix et de fidélité 
au Roi. 

Le 25 juillet, ils prennent, en conseil général, une résolution 
dans ce sens et envoient M. de Fages à Viviers pour en donner 
communication à l'évêque. 

Le 2 août, M. de Fages, revenu de Viviers, dit que l'évèque 
a approuvé leur résolution et l'a portée aussitôt au maréchal de 
la Force au Pont-St-Esprit, en le suppliant de soulager les 
habitants de Largentière et de les exempter de foules et de 
logements de gens de gucrre. 

L'évêque vient lui-même à Largentière, deux jours après, 
prendre les mesures convenables pour la sûreté de la ville et du 
château, où il met dix hommes de garde avec un sergent-major. 

En 1633, le Vivarais respirait un peu depuis le sac de Privas. 
L'évêèque profita de ces moments de tranquillité pour établir 
à Largentière le couvent des religieuses de Notre Dame. La 
mère Gachet, supérieure du couvent de Tournon, vint l'établir 
dans la maison voisine de l'église que lui vendit Aimé de la 
Motte, laquelle porte encore aujourd'hui le nom de Couvent, 

Au mois de décembre de cette année, des habitants demandent 
de désenterrer les morts de la contagion pour les inhumer dans 
le cimetière de l'église paroissiale. Les médecins ayant déclaré 


LARGENTIÈRE PENDANT LA PESTE DE 1629 81 


qu'il n’y avait pas à cela d'inconvénient, cette permission leur fut 
accordée. | 

La délibération suivante rend compte de la visite solennelle 
de l'évêque en juin 1634 : 


L'an 1634 et le samedi 3 juin, en la ville de Largentière, ont 
esté assemblés les consuls et habitans de ladite ville, lesquels 
advertis de la venue de Msgr l’Illustrissime et Révérendissime 
Louis de Suze, par la grâce de Dieu et du S. S. apostolique, 
évesque et comte de Viviers, prince de Donzère et Châteauneuf 
sur le Rhône, baron et seigneur temporel de Largentière, en 
iceliedite ville pour faire sa visite — a esté par eux résolu et 
délibéré d’aller au devant de mondit Seigneur pour lui rendre les 
devoirs et honneurs à lui deubs. Ensuite de quoi lesdits sieurs 
consuls, accompagnés des notables habitans de ladite ville, se 
sont rendus à la croix de Sigalières pour recevoir mondit 
Seigneur ; où estans avec Messieurs les prêtres qui y sont allés 
en procession, portant la croix et bannière, suivis de Messieurs 
officiers de mondit Seigneur en ladite baronnie et desdits sieurs 
consuls et. habitans, chascun en son rang. mondit Seigneur 
estant arrivé, environ les 4 heures après midi, se seroit préparé 
pour faire son entrée. Et s’estant revestu de ses habits pontificaux, 
seroit après entré sous le daix et poyle à ce préparé, soubstenu 

ar Monsieur Me Jean Rivière, sieur de Chames, son Juge en 
adite baronnie de Largentière, et par M‘* Guillaume Deleuze, 
Estienne Blachière, et Jean Montel consuls. modernes de ladite 
ville ; et ce fait, se seroit présenté devant mondit Seigneur M 
Me Jean Rivière, docteur et advocat, fils dudit s’ juge, lequel. de 
la part desdits sieurs consuls et de tous les habitans, auroit dit à 
« mondit Scigneur : 

Monseigneur, dès qu'il a plu au Roi, par une très digne 
élection de votre personne, vous rendre le chef de l'Eglise en 
vous nommant évesque de ce diocèse, vous avez été fait notre 
Seigneur et nous sommes devenus vos fidèles vassaux ; de 
manière, Monseigneur, que ceste votre ville rapporte au plus 
haut prix de gloire et de félicité de recognoistre votre puissance 
et de vous obéir. Vous ne pourriez avoir, Monseigneur, une plus 
entière cognoissance des affections de cœur de tout ce peuple, 
que par la joie publique et le contentement extrème que votre 
venue leur apporte, louant Dieu de ce qu'il lui a plu, en vous 
rangeant dans le premier des Etats de ce rovaume, leur donner 
un seigneur de votre naissance, accompagné de toutes sortes de 
saintes et religieuses mœurs. Bref, Monseigneur, ne cherchant 
point d'heur qu'en votre service ni de félicité qu'en votre 
obéissance. nous vous consacrerons tous les jours nos affections 
et nos esprits, et pour l'hommage de notre trés humble et très 
fidèle subjection, nous vous remettons en mains les clefs de votre 
ville, vous suppliant très-humblement nous honorer de votre 


82 LARGENTIÈRE PENDANT LA PESTE DE 1629 


protection, nous aimer ainsi que vous avez toujours fait; et, 
comme nos seigneurs vos prédécesseurs en semblables occasions, 
nous octroyer la confirmation de nos privilèges. Et nous, 
Monseigneur, vous protestons généralement de vouloir estre à 
jamais vos très humbles, très obéissants et très fidèles subjets et 
serviteurs. » 

Ce que par mondit Seigneur entendu, ayant reçu les clefs de 
Jadite ville, les auroit incontinent après remises entre les mains 
du susdit sieur Deleuze, premier consul, pour continuer leur. 
gouvernement, et auroit protesté de son affection audits habitans 
et de les vouloir aimer à jamais à l'advenir, estant satisfait de 
leurs bonnes intentions et volontés à son service. 

En témoignage de quoi. leur auroit accordé à l'instant mesmes 
la confirmation de leur privilèges, promis et juré mettant la main 
sur sa poitrine en forme de prélat, de ne contrevenir à iceux et de 
les observer ponctuellement, ainsi que mondit seigneur par la 
teneur du présent acte les a confirmés et confirme, voulant et 
entendant que lesdits consuls et habitans à l’advenir jouissent et 
demeurent en possession de leurs entières libertés, privilèges et 
franchises, dont ils ont joui de tout temps ; tout ainsi qu'ils sont 
désignés aux compositions et transactions faites et passées entre 
ses feux prédécesseurs évesques de Viviers de bonne mémoire, 
d'une part, et les consuls manans et habitans de ladite ville 
d'autre, et par exprés aux transactions passées l'an 1367 et 
9° novembre, reçue par M° Raymond Bastet notaire de St- 
Marcel, et en autre de l'an 1464 et le 23° octobre, reçue par autre 
M° Raymond Bastet notaire épiscopal de St-Marcel, confirmées 
par Messeigneurs les évesques de Viviers, et en dernier lieu par 
feu messire Jean de l'Hostel cy devant évesque, par acte reçu par 
Me Riviére notaire le 30° mars 1612, qu'ontesté exhibées à mondit 
seigneur de Viviers et après retirées par moi secrétaire de ladite 
ville et données à entendre à mondit seigneur qui les a fait voir à 
son conseil, sans y estre dérogé en aucune façon ni manière que 
ce soit lui puisse estre. 

De quoi lesdits sieurs consuls et tous les habitans de ladite 
ville ont très humblement remercié mondit seigneur ; et après. 
en témoignage d'allégresse à son entrée en ladite ville, les 
fauconneaux qui sont dans le château auroient tiré ensemble 
plusieurs mousquetades, et auroient esté faits divers feux de joie 
et réjouissances de l'heureux évènement de mondit seigneur, 
mesmes des artifices de feu par M. Me Jean du Roure,docteur en 
droit, qui auroient été trouvés agréables par mondit seigneur. De 
quoi a esté fait acte par moi notaire et secrétaire de la ville, pour 
servir de mémoire à la postérité, ayant Msgr pour :a validité 
d'iceluy signé ledit acte de son seing accoustumé. 

Fait et récité à la présence de mondit seigneur. Présents : 
M° M: Jacques Riffard, chanoine viguier en l'église cathédrale de 
Viviers et Mr M° Pierre Symian, docteur en sainte théologie et 
hebdomadier en ladite église cathédrale. Aussi signés avec moi : 
Pierre Allamel notaire royal et secrétaire de ladite ville. 


LARGENTIÈRE PENDANT LA PESTE DE 1629 83 


Monseigneur,ayant fait séjour durant les festes de la Pentecoste 
en ceste ville, seroit après parti pour aller faire sa visite en la 
ville de Joyeuse et autres lieux du voisinage et, ce fait, seroit 
revenu le mercredi soir, veille de la feste Dieu, pour se trouver le 
lendemain en la présente ville, où estant auroit fait l'honneur à 
la ville d'assister à la procession générale et auroit lui mesme 
célébré la sainte messe et fait l'office divin, et auroit porté le 
Saint Sacrement de l'Eucharistie par ladite ville fort magnifique- 
ment, estant assisté de plusieurs prêtres et particulièrement de 
M: l'archiprêtre et viguier de l'église cathédrale de Viviers, 
du sieur Faure, chanoine. du sieur Simian, hebdomadier, et des 
curés de Vinezac, Sanilhac, Prunet et autres qui seroient venus 
au mandement de mondit seigneur. le tout au grand contente- 
ment des habitans de ladite ville. 

Les consuls et notables sont allés remercier l'Evêque avant 
son départ ; et après délibéré de payer sa dépense. 


Lors de la visite de l'évêque les habitants avaient demardé un 
établissement de Recollets, et l'évêque avait applaudi à cette 
idée. Voici la délibération du 2 novembre suivant, relative à ces 
religieux : 


« Deleuze, premier consul, expose qu'ensuite des remonstrances 
qui furent faites à Mgr de Viviers, au mois de juin dernier, 
faisant sa visite en la présente ville, de la nécessité que le public 
avoit de l'assistance spirituelle d'aulcuns bons religieux réformés, 
desquels la présente ville estoit tout à fait dénuée. mondit 
Seigneur auroit approuvé la proposition qu'en fut faite par 
aulcuns des plus principaux habitans, de l'introduction des bons 
Pères Recollets pour s'y establir avec le temps et y faire du fruict ; 
et ensuite désirant avancer et appuyer de son authorité une si 
bonne entreprise, auroit mandé le R. P. Félix, définiteur et 
prédicateur dudit ordre, qui auroit rendu auxdits sieurs consuls 
une sienne lettre sur ce subjet ; et d'autant que ledit R. P., sur 
la prière qui lui auroit esté faite d'assister à la présente assemblée, 
seroit ici présent, a requis lesdits habitans de conférer avec lui et 
sur ce prendre telle délibération qu'ils jugeront estre plus utile 
pour le bien public. 

Sur ce, après avoir esté fait lecture de la susdite lettre de Msgr, 
et oui le R. P. Félix, député de son ordre, qui a dit que si la pre- 
sente ville les trouve utiles pour le service spirituel des habitans, 
qu'il espère des RR. PP. ou définiteurs assemblés, de leur faire 
trouver bonne la délibération que ladite ville pourra prendre 
pour leur réception, et obtenir un nombre nécessaire de religieux 
pour y establir une maison religieuse, lesquels prieront, 
confesseront et feront les autres fonctions pour le salut des âmes, 
sans que pour raison de ce ils prétendent engager la présente 
communauté en aulcune sorte de dépense, pour aulcun revenu 
certain, comme estant une chose directement contraire à la 


84 LARGENTIÈRE PENDANT LA PESTE DE 1620 


pauvreté de leur règle, ne demandant en attendant qu'une maison 
et un lieu propre pour célébrer la sainte Messe, et un jardin 
enclos, avec la permission de faire la queste dans la présente 
ville, où ils recevront l'aumône des particuliers qui leur voudront 
la faire charitablement selon leur dévotion. 

À esté après conclud, d'une commune voix, sans aucune 
discrepance, de l'advis de Msgr résultant de ladite lettre, que, 
sur les susdites conditions, les susdits Réverends Pères sont et 
seront sous le bon plaisir du supérieur de leur ordre, reçus daus 
la présente ville, laquelle leur donne par la présente délibération 
la permission de faire la queste et pouvoir de faire leurs fonctions 
religieuses conformes à leur institut, sans que la communauté 
soit en aucune façon intéressée pour leur couvent futur. 

Le mois suivant, deux Recollets arrivent avec leurs novices 
pour commencer de s'établir. On leur achète des couvertures de 
laine. 

Le 2 mai 1635 « le sieur Adelon, premier consul, a représenté 
que les RR. PP. Recollets, qui sont en ceste ville, sont désireux 
de parachever le dessein par eux commencé pour s'y pouvoir 
establir, à cause de quoi ils supplient trés humblement les 
habitans de la présente ville de les vouloir assister, puisqu'ils y 
ont déjà donné leur consentement, et à cest effet de vouloir 
députer quelque personne de considération devers Msgr le 
Revérendissime Evesque et comte de Viviers, seigneur spirituel 
et temporel de cette dite ville, pour le supplier très humblement 
de vouloir agréer ledit establissement pour leur consolation 
spirituelle — ayant requis sur ce estre pris délibération. — Sur 
quoi a esté délibéré que le sieur de Bonnefilhe sera supplié de 
vouloir accepter ladite proposition qui est faite de se porter devers 
Msgr de Viviers, et à cet effet de se vouloir rendre devers Sa 
Grandeur le plutôt qui se pourra, pour le supplier trés humble- 
ment ‘de vouloir agréer ledit establissement desdits RR. PP. 
Recollets en la présente ville, et d'y donner son consentement 
comme il l'auroit fait espérer, en lui faisant apparoir des moyens 
qu'on a de pouvoir faire commencer à travailler à leur logement, 
par la charité qui leur est faite par plusieurs particuliers desdits 
habitans et autres, en la promesse qu'ils en auroient faite, qu'il 
fera voir à mondit seigneur pour sa justification, et pour cet effet 
sera fourni par lesdits sieurs consuls au sieur de Bonnefilhe ce 
qui sera nécessaire pour les frais de son voyage », 


LARGENTIÈRE PENDANT LA PESTE DE 1629 "85 


M. de Bonnefilhe revient de Viviers le 10 mai. Il n'a pas trouvé 
l'Evêque qui était parti en voyage pour Avignon ct autres lieux. 
[l faudra y retourner quand l'Evèque sera de retour. On charge 
Adelon d'y aller alors avec Bonnefilhe. 

Du r5 mrars au 21 avril 1636, il y a deux compagnies de gens 
de pied établies à Largentière, par ordre du gouverneur pour le 
Roi en Languedoc. Les habitants de Chassiers, Ailhon, Prunet, 
Meyras, Beaumont, Dompnac et St-Mélany contribuent pour leur 
entretien. On payaïit pour le logement d’un soldat s sols par jour. 

En 1637, les consuls reçoivent du comte de Tournon, lieutenant 
général pour le Roi en Languedoc, ordre d'avoir (de concert 
avec Chassiers, Joanas, Sanilhac, Montréal, Vinezac et Uzer) à 
tenir prêts cent hommes « des meilleurs et des plus aguerris 
pour s'opposer aux ennemis du Roi, lesquels sont entrés en cette 
province ». Ces cent hommes sont ainsi répartis : 


Largentière 21, Chassiers 32, Vinezac 8, Montréal 7, foanas 
14, Sanilhac 12, Uzer 2. 

Cette année là, en juillet, la ville, pour témoigner sa recon- 
naissance à l'évéque, qui lui a épargné des logements de gens 
de guerre, lui fait un don de douze moutons. Au mois de 
décembre, elle lui envoie deux pourc:aux gras. 

Guillaume de la Vernade voulut à cette époque troubler 
l'évêque de Viviers dans sa possession de la moitié de la justice 
de Tauriers, mais l'évêque sut défendre son autorité et la fit 
maintenir par un jugement de Messieurs des requêtes rendu en 
1638. Nos évèques gardèrent le titre de coseigneurs de Tauriers 
jusqu'en 1716 où leurs droits furent vendus, avec la baronnie de 
Largentière, par Mgr Martin de Ratabon à François de Beaumont- 
Brison. D'ailleurs depuis 1421, où Barthélemy de la Vernade 
était entré en parerie de Largentière, laquelle venait de lui être 
vendue par Armand de Montlaur, il y avait eu à ce sujet de 
nombreux procès. Outre une partie de la leyde que lui conférait 
la donation du baron de Montlaur, la Vernade voulut, comme le 
donateur. s'arroger le droit d'instituer des officiers de justice. 
Les eonsuls de Largentière qui ne supportaienr déjà qu'avec 
peine ceux de l'évêque, élevérent de fréquentes protestations, 
jusqu'à ce qu'enfin Mgr de Suze obtint l'arrèt du Parlement en 


86 LARGENTIÈRE PENDANT LA PESTE DE 1629 


date du 3 février 1638, par lequel Guillaume dela Vernade fut 
maintenu dans son droit de leyde, mais privé du droit de nommer 
des officiers (1). 

Une délibération des consuls et habitants de la ville, en date 
de 1640, porte que, sur l'exposé fait par monsieur messire Jean 
Riviére, sieur de Chames, premier consul, que. la décence 
du banc et place que les sieurs consuls ont dans l'église parochia- 
le de la présente ville, il seroit nécessaire, pour donner la 
différence des autres bancs et places, que les particuliers habitans 
de ladite ville ont dans ladite église, d'orner celui desdits sieurs 
consuls de la livrée de ladite ville et des armes d'icelle.—Délibéré 
unanimement et sans discrepance, que lesdits sieurs consuls, 
pour l'honneur de ladite ville et décence du banc et place qu'ils 
ont dans ladite église, et pour donner et faire la différence d'icelle 
aux autres, feront orner ledit banc et garnir iceluy de drap cadis 
couleur bleue et y feront apposer les armes de la ville en brode- 
rie, le tout néanmoins au meilleur mesnage que faire se pourra ». 

Le ?9 janvier 1642, « les consuls exposent qu'ils ont reçu ordre 
de faire deux soldats armés d'espées, baudriers et mousquets, un 
pourestre conduit à Bays sur Bays, en place d'un autre quia 
_déserté, et l'autre au lieu de Cruas, et qu'il est nécessaire non 
seulement de trouver les soldats, mais encore l'argent qu'il con- 
vient leur avancer, tant pour ledit armement que pour la solde 
qu'ils demandent ». 

Les comptes consulaires de 1653 indiquent certaines dépenses, 
au mois d'août, pour fournitures de bois et chandelles aux corps 
de garde, « pour la conservation de la ville pendant le temps des 
troubles et esmeutes à raison du rétablissement du presche de 
Vals ». Il s'agit de l'incident du pasteur Abraham Durand,expul- 
sé de Vals par ordre de Marie de Montlaur, et que les huguenots 
du Gard se disposaient à venir soutenir à main armée (2). 

En 1657, il y eut à Largentière une grande inondation dont 
une relation contemporaine parle en ces termes « chose qu'on 
n'a jamais oui dire estre arrivée semblable depuis le grand 


déluge ». 


(1) RaymonD DE Gicor» —- Le Mandement de Joanas, p. 221. 
(2) Voir VeLay ET Vivarails. Deux livres de raison, p. 37. 


LARGENTIÈRE PENDANT IA PESTE DE 1629 87 


La même année, au mois de juillet, l'évêque, Louis de Suze, 
était à Largentière, et son séjour s'y rattachait cette fois à la 
phase la plus aigne de ses démélés avec les Etats du Vivarais. Il 
s'agissait de savoir si le grand vicaire de l'évêque, délégué aux 
Etats par l'évèque, avait droit d'entrée en sa qualité de grand 
vicaire, c'est-à-dire de représentant de l’ordre du clergé, comme 
l'évèque le prétendait, ou seulement en qualité de bailli de 
Viviers, comme les Etats le soutenaient. Ceux-ci ayant maintenu 
leur opinion, l'évêque qui était venu à l’Assiette, réunie à Aube- 
nas, avec le titre de commissaire général, quitta l'assemblée et se 
retira à Largentière, où une députation de l'Assiette alla vaine- 
ment, le 8 juillet, le supplier de revenir. L'affaire fut portée au 
conseil du Roi qui donna finalement raison aux Etats. 

Le 12 octobre 1659, il y eut un accord entre Gabriel de Les- 
trange et l'évèque au sujet de leurs droits, rentes et censes à 
Largentière et dans quelques localités voisines. Afin d'éviter des 
procès éventuels, Lestrange abandonna à l'évêque une partie des 
droits qu'il avait dans la ville de Largentière, et ceux qu'il 
possédait à Chassiers, Joux, Trébuols (Rocher) et Jourdos, 
Champjauffrés, Rouchas, Mouriers, Vermalle, Tauriers, Rocles, . 
Faget et Sanilhac. De son côté, l'évêque lui transmit ses droits, 
rentes et censes sur les lieux de Montréal et Joanas, une partie 
de ses rentes de Largentiére et toutes celles qu'il avait au mande- 
ment de Joanas. 

En septembre 1660, autre inondation dont le nouveau couvent 
des Retollets eut fort à souffrir, comme on peut le voir par les 
notes suivantes extraites d'un Rapport très nécessaire sur la balisse 
du couvent qui fut faict dans un déluge, le juywe du Prat el le consul 
Serret nous voulant empescher de jeler la terre dans la rivière et 
voulant faire abattre le pont l'an 1660 : 


Le 27 septembre 1660, quatre maçons (deux de Chassiers et 
deux de Largentière), requis par le P. Paul, de Lyon, gardien 
du couvent des Recollets, procédent à l'examen des dégâts causés 
au couvent par une inondation provenant de trois jours de pluie 
de la semaine précédente ; leur rapport doit être envoyé au P. 
Provincial pour aviser aux réparations à faire. Les maçons 
constatent qu'ils ont trouvé dans l’église et autres parties du 


88 LARGENTIÈRE PENDANT LA PESTE DE 1629 


couvent beaucoup de sable et cailloux, apportés par l'inondation 
« à cause que le canal'et conduict des eaux pluviales, qui passe 
au dessous dudit couvent et s'escoule dans la rivière de Ligne, a 
este fermé et bouché par un amas de pierres et sable, que lesdites 
eaux avaient jeté de la montagne voisine appelée la Coste, qui 
domine sur ledit couvent, si bien que s'il n'est promptement 
travaillé à netioyer ledit canal, il est à craindre, qu'arrivant 
d'autres pluies la ruine dudit couvent s'en pourroit ensuivre... » 
Il est aussi nécessaire, pour éviter à l'avenir de semblables et 
plus grands dangers, de faire conduire les eaux et pierres qui 
descendent de la mon:!agne, par des digues, fossés ou autre 
travail, pour les faire écouler dans la rivière par des lieux éloignés 
autant que possible du couvent. Pendant l'inondation, les 
religieux ont été obligés de déménager l'église et de tout porter 
à un oratoire, au bout du dortoir qui répond à l'église. 

Les maçons vont ensuite au bord de la rivière, à l'endroit où 
les Recollets font jeter « le terrain qu'on tire de la montagne 
joignant ledit couvent, ou qu'on atiré des fondements de leur 
bastiment depuis longtemps par le moyen d'un pont de hois qui 
répond sur ladite rivière ». Ils déclarent « avoir bien vu et 
exactement vérifié que le terrain, qui est présentement au bord 
de ladite rivière, ne peut faire aucun préjudice ny dommage à 
aucun particulier de ladite ville de Largentière, soit en leurs 
maisons, jardins, terres voisines, ni en aucune autre façon que 
ce soit, d'autant que ledit terrain est à l'endroit de la petite 
arcade du pont de pierre et ladite ville assez éloignée du lict 
ordinaire de ladite rivière d'environ six grands pas, ce qui fait 
que ladite riviére a son cours libre, et quand elle viendroit à 
déborder et que par ce débordement elle surpasseroit ladite 
petite arcade et la boucheroit, ladite rivière feroit plutôt son effet 
sur ledit terrain qui est mouvant que non pas contre les maisons 
basties sur l’autre bord de la rivière et situées sur le rocher ferme, 
et qui se trouve d'ailleurs à couvert par le moyen de la masse du 
pont de pierre du côté de ladite ville, qui est un bastiment solide 
et inébranlable, si bien que ledit terrain ne peut porter aucun 
préjudice auxdites maisons ni ailleurs... » 


Au bas de la page, est la note suivante en grosse écriture : 


LARGENTIÈRE PENDANT LA PESTE DE 1629 89 


« L'an 1660 et le 9° jour du mois de septembre, la maison que 
nous avions dans la ville de Largentière a été vendue à Georges 
Pitiot, maistre masson, habitant audit Largentière pour le prix 
et somme de 380 livres, laquelle somme ledit Pitiot se charge 
d'employer aux bastiments du couvent... (1) 

En 1666 une maladie pofulaire fit à Lagentière de tels ravages 
que le commerce du vin y fut interrompu, « les muletiers ne 
voulant ou n'osant y trafiquer ». 

Par délibération des habitants, il fut alloué, sur les biens de 
l'hôpital, 24 livres 4 sols au sieur Deleuze, médecin, « pour les 
visites par lui faites tant à l'hôpital qu'à plusieurs nécessiteux 
atteints de la maladie populaire, desquels n'auroit retiré aucun 
salaire, s'estant exposé au daänger pour le bien public ». 

Les comptes de cette année portent une dépense de 20 sols 
pour le salaire et la dépense de six soldats fournis par la 
cammunauté pour assister les sieurs de Malville et Camboulier, 
chargés de faire des captures par ordre de Nosseigneurs des 
Grands Jours, ou pour la poudre ou munition de leurs armes. 

En 1667, on trouve dans les comptes consulaires : 

Pour la réfection du chemin hors la ville, ayant esté rompu 
par les inondation de la rivière, 51 livres ; 

A messire Martel, maistre d'escole, pour une année de gages, 
25 livres, «attendu qu'il est notoire que Me Martel a servi effecti- 
vement la communauté à la satisfaction des habitans ». 

En 1569, la ville alloue 150 livres aux Pecollets pour les aider 
à réparer la voûte de leur église. 


A. MAZON. 


(1) Bieutorméque Narionace, fonds français 2. 166. (Titres de la famille 
d'Agrain). 


LA SUCCESSION 
DE LA 


MAISON DE TOURNON 


AU COMMENCEMENT DU XVII SIÈCLE 


Le 14 septembre 1617, mourait Just Louis DE TOURNON, 
seigneur et baron de Tournon, (1) et comte de Rossillon. Il était 
fils de Just de lournon, sénéchal d'Auvergne et lieutenant 
général pour le roi en Languedoc. 

Il avait épousé MaDeLeiNE DE LA ROCHEFOUCAULT qui 
lui donna cinq enfants : 

1. Jusr-I[eNri de l'ournon ; 

2. CLAUDE-FRANÇOISE de Tournon, mariée en 1559, à GASPARD- 
ARMAND, VICOMTE DE POLIGNAC, marquis de Chalencon, 
conseiller du roi en ses conseils d'état et privé ; 

3. IsaBeau de Tournon, femme de Mercnion MITTE DE 
CHEVRIERS, marquis de St-Chamond, commandant pour le roi 
en la ville de Lyon, Lyonnais, Forez et Beaujolais ; 

4. FRANÇOISE, mariée en 1613, à Bairuazar DE GADAGNE 
D'HOSTUN, marquis de la Baume et Bothéon et comte de 
Verdun ; 

s. MADEL»INE de Tournon, plus tard mariée à (GasPpaRD 
D'ALEGRE, seigneur de Beauvoir. 

Après la mort de son père, Just-Flenri de Tournon présenta une 
requête à la Cour du sénéchal de Nimes, pour qu'elle voulut bien 
nommer un commissaire, chargé de procéder à l'inventaire des 
biens meubles et immeubles, délaissés par le défunt. 

La cour désigna Me Pierre de Jossaud, conseiller du roi, juge- 
magistrat au présidial de Nimes. 

Ce commissaire se rendit à Tournon, le mardi 26 septembre 
1617, et descendit au logis de Jacques Bourjon, ou pend fpoir 
enseigne l'ange. 


(1}. Département de l'Ardèche. 


LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON OT 


Les dames de Polignac, de St-Chamond et de Verdun et leurs 
maris, ainsi que Mademoiselle de l'ournon avaient été assignés 
pour le 7 octobre suivant. 

Ce jour-là M° Louis Joubert, praticien du lP’uy, pour le vicomte 
de Polignac, M° Aymar Cara chatelain de Saint-Nazaire, pour le 
comte de Verdun, M° Marc-Antoine Ferriol, docteur es droits, 
Me d'hôtel de la Reine Mère, juge-général des terres du marquisat 
de St-Chamont, et Me Victor Pevtieu docteur et avocat de 
Tournon, pour la demoiselle Madeleine de Tournon, se présen- 
térent au dit logis. 


Les parties ayant été assignées pour le 13 octobre suivant, le 
commissaire avec son greflier, accompagné des sieurs Guillaume 
Robert bachelier ës-droits, lieutenant général de la juridiction 
des terres de la maison de Tournon, Ferriol, Peytieu et Joubert 
procureurs des parties, s'achemine vers le château de Tournon, 
et avant rencontré en chemin M: Pierre Beuvin, docteur es droits 
premier consul de la ville, et François Pichon m° apoticaire, les 
requit d'assister au dit inventaire. 

M°* Cara et Joubert ne pouvant rester plus longtemps, se font 
recuser, et le commissaire les remplace par M°* Fournier docteur 
és droits, lieutenant de juge au comté de Crussol, Christophe de 
de Brenas, sieur d'Oriol, châtelain de Sarras, et Mathieu Judy 
châtelain d'Estables. 

1] fut ensuite procédé à l'inventaire de ce que contenait le 
château de Tournon. 

Celui du château de Satilleu fut fait le lundi 30 octobre, en 
présence de M° Guillaume de Sauzet, docteur ès droits, et Thomas 
Fornel notaire royal habitant dudit Satilleu. Le vendredi 3 
novembre inventaire des meubles du chäteau d'Ay. Les lundi 13 
novembre et mardi 14, inventaire du mobilier du château 
d'Arlenc, en Auvergne, avec l'assistance des consuls, de M:° 
Benoit Bardon, docteur ës droits, lieutenant particulier en la 
juridiction d'Arlenc, et Claude Romanet procureur d'office dudit 
lieu. 

Le lundi 20 novembre, le commissaire, les parties avec leurs 
procureurs, se rendirent au château de Rossillon -pour procéder à 
l'inventaire de son mobilier. Mais comme le Parlement de 


92 LA SUCCESSION DE IA MAISON DE TOURNON 


Grenoble ne voulut pas permettre de procéder à cet inventaire 
sur les lieux, le commissaire de Jossaud chargea Me Fleury 
Chouvet, licencié en droit, de lui en faire la déclaration. 


Toute cette procédure fut close, le 23 novembre, en présence 
de M°: Claude de la Grange, avocat au grand Conseil du Roi, et 
Claude Jausserand procureur du seigneur de Tournon. 


Il serait trop long, et peut-être fastidieux, de publier la relation 
qui en fut dressée ; nous en extrayons ce qui nous a paru le plus 
intéressant, c'est-à-dire ce qui concerne les possessions territo- 
riales de la maison, la bibliothèque du château de Tournon, les 
tableaux et objets d'art, les tapisseries et tentures, les armes 
diverses, et enfin les archives qui forment la partie la plus impor- 
tante du document et dont l'énumération rappellera, certainement, 
des titres perdus aujourd'hui. 


Pour donner une idée de l'importance du chäteau de Tournon, 
à cette époque, voici la nomenclature des pièces dont il était 
composé : 


Salle basse ; chambre à côté appelée de Monsieur, dans laquelle 
‘est mort le feu comte ; cabinet dudit feu seigneur, joignant la dite 
‘ chambre ; membre bas de la grosse tour de Beauregard, appelé 
la salle des figures ; cuisine basse, première chambre du premier 
regardant le porche ; chambre joignant appelée la garde-robe ; 
- chambre au-dessus de la cuisine : chambre du cabinet ; petit 
membre servant de garde-robe ; galerie regardant sur le porche : 
chambre au bout de la galerie appelée neuve ; salle des armes qui 
est sur la salle basse ; chambre appelée des meubles dans la tour 
de Beaurcgard ; chambre de St-Tincent ; chambre joignant la 
warde-robe ou la bibliothèque ; chambre de la chasse ; chambre 
de la demoiselle de Tournon ; garde-robe de la dite chambre : 
cabinet de la trésorerie où sont les archives ; chambre qui est à la 
terrasse, près de la chapelle St-Vincent ; chambre au-dessus de 
la précédente ; terrasse de la tour ; casemate au dessous de la 
plate-forme de Beauregard ; chambre de la buanderie ; chambre 
du capitaine du château au dessus la susdite ; chambre plus 
haute appelée galelas ; écurie au devant du château. 


Ajoutez à cela de belles fortifications, un mur d'enceinte, et un 


LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 93 


large fossé circulant autour,et vous aurez l'idée d'un château fort 
tel qu'il se présentait au seuil du XVIIe siècle. (1) 


ProsPER FALGAIROLLE. 
Avril 1901. 


POSSESSIONS TERRITORIALES pe LA MAISON pe TOURNON 
1. La Baronnie de Tournon 


Premièrement, la baronnye et mandement de T. consistant en 
chasteau et ville du d T., ensemble des paroisses de Maulves, Gluny, 
La Trouillère, Privatz, et Costes de Brexsieu, avec toute jurisdiction 
haulte,moiene,basse, mixte et imvoère, et rentes de blé, froment, seigle, 
avoyne, poulles, argent et autres droits et debvoirs seigneuriaux, contenus 
ez terriers et lieves de la d. baronye de 1. 

Plus aux droitz de lod= deubzau seig' du d. T. de tous les fonds qùi se 
vendent êt allienent en la d. baronye lui faisant rente ou non, sçavoir 
an 12° denier des maisous que sont dans lenclos des muralhes de la d. 
ville de T. et au dehors d'icelles, en toute lestandue de la d. baronye au 
4° denier. 

Plus au droit de cinq sols que chescung habitant de la d. ville et 
baronie de T. y habitant et faisant feu, doilvent pa” chescun an pour 
lexemption du port du Rosne et privilège du four et molins ; 

Plus au droit de lescu valleur de quarante treis sols quatre deniers, 
que doilvent annuellement ceux qui ont four et cuisent pain ; 

Plus au greffe de la d. baronyÿe, avec les amandes, droit dinquant et 
demi inquand ; 

Plus au port et passage sur le Rosne par les basteaux du d. T. à 
Taing ; 

Plus aux mollins qui sont sur la d. rivière du Rosne au devant de la 
ville de T., lun appelé le mollin de la Tour au dessoulz du chasteau, et 
lautre appelé le moulin du Bourg sur deux nefs y ayant deux meulles 
tourmines ; 

Plus au droit de langues de bœufs et de porceaux de ceux qui se 
tuent pour vendre et débiler aux boucheries de la d. ville et man. 
demant de T. 

Plus au pois de la d. ville de T. pour payer tou es marchandizes 


(1) L'Inventaire des biens meubles et immeubles de la maison de Tournon se 
trouve aux Archives du Présidial de Nimes {Cour d'appel actuelle.) 


94 LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 


quon porte en la d. ville pour vendre ou achaipter, lequel pois on 
arrente ; 

Plus au droit de peage que le d. seig' de T. prend de toutes sortes 
de marchandizes qui passent et repassent sur la d. rivière du Rosne, 
tant de montée que descente à raison de cinq sols six deniers pour 
charge et trois sols pour ane de bled, tant pour raison de la d. ville de 
T. la Roche de Glun que le lieu d'Eyras et autres, comme est porte 
pas les atteintes et pancartes, mesmes le droit de leyde du sel qui se 
descharge au d. T. à raison de six vingtz muitz, un ; 

Plus au droit de peage par ierre qui se prent au d. T. à raison de 
quatre denders pour charge de chascune beste à bast, et autres à le 
quipollant sellon les d. ateintes et pancartes ; 

Plus 2ux escuyeries et fenières hors et au devant du d. chasteau ; 

Plus en une maison servant de tinal et greniers appelée principalle 
aussi hors et au dessoulz du d. chasteau ; 

Plus en un autre tinal et cave posée dans la ville de T. près la porte 
de Maulves et rue appelée des Cordiers ; 

Plus une maison dhault et bas appelée la maison de l1 cour, où est 
lauditoire pour tenir la séance des cauzes au bas estage ; 

Plus ‘in jardin et vergier, ensemble joigniants, posés hors la d. ville 
de T et au devant le cios des Carmes, le tout entourrés de murailhes ; 

Plus une grange et metterie hors près la d. ville de T. appelée la 
Valentine, consistant en bastiments, terres et vignes, arbres noyers el 
muriers, la vigne contenant quarante fessoires ; 

Une vigne appelée la vigne du Claux, hors la d. ville tendant du d. 
T. 4 Maulve:, close de muralhes, Le long du chemin, de la contenance 
de 60 fessoires : 

Plus une terre au terroir de Cornilhiac appelée des Cardinelhies, 
de 14 fessoires ; 

Plus un bois taillis de chaynes appelé /e Bois du Téoule et de La 
Brousse ; 

Plus un tènement de maison et tinal appelé le Mollard, avec la 
contenance de 80 fessoires de vigne joignant le d. tinal ; 


2 
Seigneurie d'Arras (1) 
Item la terre et seigneurie d’'Haras avec jurisdictio à haulte, moi ne’ 


basse, mere, mixte et imjere y alant une tour au hault du vilage, avec 
rantes en blés et autres grains, vin, argeut, poulles et autres choses 


(1) Canton de Tournon, Ardèche. 


LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 95 


contenues ez. terriers ct lioves, droi'z de lodz muages et talhiabilité 
aux cinq cas ; 

Le greffe avec les amandes ; 

Plus une maison qui servuit de tinal pour y recevoir et mettre le 
vin des vignes que le d. feu seig' avoit, lesquelles il a du despuis 
abergées et acensées, en augmentation de son terroir, lequel tinal est à 
présent descouvert ; 

Plus un mollin sur la rivière du Rosne, ou la place et attache 
d'icelluy, le d. mollin qui y estoit depuis quelques années se seroit 
perdu et sumergé par linondation et desbordement du Rosne ; 


3 
Seigneurie d'Iseraud (1) 


Item, la terre, ssigneurie et mandement d’Iseraud ni aïant que les 
masures et vestiges d’un chasteau que y solloit estre, avec jurisdiction 
haulte, moiene et basse, mere, mixte et impere, y ayant dans le d. 
mandement et despendances dicelluy les lieux et paroisses de Vion, 
Cheminas, Sècharas, Leues, Vernollière et partie du lieu de la 
Trouillère, et les revenus de la d. terre et seigneurie consistans en 
rentes contenues aux terriers et lieves, avec droit de lodz, muages, 
talhiabillité aux cinq cas, et autres droitz et debvoirs seigneuriaux 
acostumés ; 

Le grefle et amandes. 

4 


Terre de St- Victor. (2) 


Item, la terre, seigneurie et mandement de St-Victour, avec sem- 
blable jurisdictioa1 haute, moiene et basse, et Les rentes telles que sont 
contentves ez terriers et lieves semblablement lods, muages, talhiabilité 
aux cinq cas, et autres droitz et devoirs seigneuriaux acostumés ; 

Le grefte et amandes ; 

5 ; 


Seigneurie de Durtal (3) 


Item, la terre, seigneurie et mandement de Durtal, y ayant encores 
quelques masures et vestiges dun chasteau que y solloit estre, avec 
aussi toute juridiction haulte, moiene et basse ; et du d. chasteau et 
mandement de Durtal deppand le lieu de Cournas, et autres lieux et 
mas escartés ; consistans le revenu de la d. terre et seigneurie aux 


(1) Canton de Tournon, Ardèche. 
(2) Canton de St-Félicien Ardèche. | 
(3) Département de Maine-et-Loire, arrondissement de Beaugé. 


96 LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 


rentes contenues aux terriers et lieves, lodz, muage, talhiabillité aux 
cinq cas, et autres debvoirs seigneuriaux acostumés ; 

Le grefle et amandes ; 

Une maison posée dans le d. lieu de Cournas appellée la maison de 
«a Cour, le tinal estant au b1s estage et dans icellui y a une tine et un 
pressir et au dessus se tient l’audience des cauzes. 

Une vigne potée près le d. lieu de Cornas de la contenance de 
quarante fessoires. 


6 
Seigneurie de Plats (1) 


Item, la terre et seigneurie de Plas, y avant un chasteau tout des. 
couvert et sans planchers, naïant que les muralhies fort ruynées, estant 
la d. terre et seigneurie en toute justice haulte, moiene et basse, le 
revenu consistant aux ren'es contenues aux terriers et lieves, avec 
droit de lodz, muage, talhabillité aux cinq cas et autres debvoirs 
seigneuriaux accostumés ; 

Le greffe et amandes ; 

Un pré appelé le pré de la Cour. 


7 
Baronnie de Beauchastel. (2) 


Itera, la terre seigneurie et baronye de Beaucha:tel ni ayant que 
quelques masures et vestiges du chasteau, que y solloit estre au plus 
haul! du d. lieu, estant en toute justice haulte, moiene et basse, et le 
revenu consiste en rentes contenues ez terriers et lieves, droit de lodz, 
muages, talhiabilité aux cinq cas et autres debvoirs seigneuriaux acos- 


tumés ;: 
Le greffe et amandes ; 


Le four banyer ; 

Le peage par terre ; 

Le peage par eau sur le fleve du Rosne, de montée à raison de 4 
deniers par charge, et de descante ne se prend aucune chose ; 

Le port et passage à tralhie du Rosne au d. Beauchastel ; 

Le port et passage de la rivière d'Heirieu ; 

Le domayne qui est aux Isle: de Beauchastel, du coste du Dauphiné 
appelées les Coustrails, consistant en preds ct terres laboratives : 


(1) Arrondissement de Tournoa, Ardèche. 


(2) Arrondissement de Privas, Ardèche. 


LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 97. 


8 
Baronnie de Mahum (1) 


Item, la baronnie, terre, seigneurie et mandement de Mahum, où il 
y a encore quelques mazures et vestiges du chasteau, que y solloit estre ; 

Et de la d. barouie deppand les lieux et paroisses de Satillieu, St-Pierre 
de Macabeuf (2), St-Saflurde ? et autres lieux et mas escartés, avec 
toutte jurisdiction haulte, moiene et basse : 

Et le revenu consiste en rentes contenues en terriers et lieves, lodz, 
muage, talhiabilité aux cinq cas et autres debvoirs seigneuriaux accos- 
tumés, estant la d. rente portable dans le chasteau du d. Satilhieu ; 

Le chasteau du d. Satilhieu bien basti et en bon estat, accompagné de 
deux grandes beasses courtz, et dun jardiu joignant lune dicelles ; 

Le greffe et amandes ; 

Un pré appelé le Pré la Cour, et un mollin au bout dicellu à fere 
farine, avec son bastiment et habitation du musnier ; 

Un bois dhaulte fustage appellé le Bots de Roche du Vent ; 

Autre bois dhaulte fustage ; 


9 
Baronnte de Seray (3) 


Item, la baronye, terre, seigneurie et mandement de Seray, y aiant 
encores quelques masures et vestiges du chasteau qui y solloit estre ; 

Le revenu consiste en rentes contenues et terriers es lieves, droit de 
lodz, muage, talhiabilité aux cinq cas, et autres debvoirs et droits 
seigneuriaux acostumés ; | 

Le greffe et anandes ; 


10 
Baronnie d'Ay (4) 


Item, la baronnie, terre, seigneurie et mandement d’Ay, avec le 
chasteau appelé le chasteau d’Ay, encore a:sès bien basti et en bon 
estat, a ec juridiction haulte, moiene et basse ; 

Et de la d. ba onie depandent les paroisses de Saint-Auban-d’Ay, 
Paperier el autres mas et lieux escartés. 

Et le revenu consiste en rentes contenues ès terriers et lieves, iodz, 
muages, talhiabilité aux cinq cas et autres debvoirs seigneuriaux 
acostumés ; | 


(1) Commune de Satilleu, arrondissement de Tournon, (Ardèche). 
(2) Aujourd’hui : des Macchabees. 

(3) Château ruiné. 

(4) Commune St-Auban-d’Ay. 


98 LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 


11 
Baronnie de Vocance (1) 

Item, la baronie, terre, seigneurie et mandement de Vaulcance, de 
laquelle deppandent les paroisses du d. Vaulsance, Ville en Vaucance, 
Vanos, (Vanosc) et St Julien en Vaulcance, avec toutte juriediction 
haulte, moiene et basse. 

Et le revenu consiste en rentes contenues ès terriers et lieves, droitz 
de lodz, muages, talhiabilité aux cinq cas, et autres debvoirs seigneu- 
rieux acostumés ; 


Le grefle et amandes ; 9 
1 


Baronnie de Desaignes (2) 


!tera, la baronie, ville et mandement de Desaignes, avec toute juris- 
diction haulte, moiene et basse, consistant le r>venu en rentes contenues 
es terriers et lieves, droit de lodz, muages, talhiabilité aux cinq cas et 
autres debvoirs seigneuriaux acostumés : 

Le grefle et amandes ; 

Le pré appelé pré la Cour ; 

Un mollin à fere farine sur la rivière de Doux ; 

13 
Baronnie de Saint-Agrève (3) 


Item, la baronie, ville et chasteau de St-Agrève, ni ayant que les 
mazures du chasteau qui y solloit estre, avec toute jurisdiction h. m. 
et b. 

Et depand de la d. baronye les lieux et paroisses de Lestras et autres 
lieux et mas esca tés. 

Et le revenu consiste en rentes contenues es terriers et lieves, droit 
de lodz, talhiabilité aux cinq cas et autres debvoirs seigneuriaux 
acostumeés : j 

Le greffe et amandes ; 

Le peage par terre ; 

Le droit de leyde ; 

Le four banyer ; 

14 


Baronnie de Chalançon (4) 


Item, la baronye, terre, seigneurie et mandement de Chalançon, ni 
aiant que les vestiges et masures du chasteau que y solloit estre, 


(1 et 2) Arrondissement de Tournon, Ardeche. 
(3) Chef lieu de canton, arrondissement de Tournon (Ardèche). 
(4) Arrondissement de Tournun (Ardèche). 


LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 99. 


Et la d. baronye unze paroisses en toulte jurisdiction h. m. et b. 

Et le revenu consitte en rentes contenues es terriers et lieves, droitz 
de lodz, muages, talhi bilité ez cinq cas et autres debvoirs seigneuriaux 
acostumés ; 

Le greffe et amandes ; 

Le peage par terre ; 

Le droit de leude ; 

Le four banyer ; 

15 


Seigneurie de Colombier (1) 


Item, les terres et seigneuries de Colombier-le-Jeune, et Colombier. 
le-Vieux, avec jurisdiction h. m. et b. et le revenu es rentes contenues 
es terriers et lieves, droit de lodz, muages, talhiabilité aux cinq cas et 
autres debvoirs seigneuriaux acostumés. 

Le greffe et amandes ; 
16 


Baronnie de Serrières (2) 


Item, la baronnie, tèrre, seigneurie et mandement de Serrières, avec 
le chasteau y estant au lieu plus hault etemynant du d. lieu, avec toute 
jurisdiction bh. m. et b. ; et de la d. baronie deppandent les paroisees 
de St-Sorlin, Limoni, Lasnazes, Veuzieu, Charnas, Félines et autres 
lieux et mas escartés, 

Et le revenu consiste en rentes contenues es terriers et lieves, droit 
de lodz, muage, talhiabilité en cinq cas et autres debvoirs seigneurianx 
acostumés. ; 

Le peage par eau de montée et descente sur la rivière du Rosne, 
sellon les ataintes et pancarue ; 

Le peage par terre ; 

. La vigne apelée de la Cour albergée par le d. seigneur ; 

Le pré appelé de la Ry ; 

La grange et metterie appelée de Limony, consistant en bastimentz, 
prés, terres laboratives isles le long de la rivière du Rosne ; 

17 
Comté de Rossillon (3) 
Item, le comte de Rossillion, consistant au chasteau accompagné de 


trois basses courtz, dun grand jardin, dun vergier et dune chaynaie, le 


(1) Arrondissement de Tournon (Ardèche). 
(2) Chef-lieu de canton, Arrondissement de Tournon (A rdèche). 
(3) Arrondissement de Bollay (rdèche). 


100 LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOUR'NON 


tout ensemble joignant et entourné de murailhies ;: au bout de la d. 
chainaie une maison dhaolt et bas apellée la maison neufve, et le revenu 
consiste en rentes ez terriers et lieves. droit de grand et petit vinytains, 
lodz, muage, talhiabilité en cinq cas et autres debvoirs seigneuriaux 
acostumés ; 

Le peage par eau sur la rivière du Rosne par montée et descente ; 

Le peage par terre ; | 

Le chasteau vieux du d. Rossilion et porche dicellui ; une grande 
vigne de Ja contenance de 70 fessoires : 

Une grange et metterie appeles La Grange d'Ozon, ez bastiments, 
près, terres, vignes, et bois de chastaigners et glandages ; 

Un grand bois d’haulte fustaye appellé {a forest du devez, avec la 
garene joignant ; 

Deux vignes Inne appelée la Mabironne de la contenance de 12 
fessoires, lautre appelée la Muscadelle de la contenance de 16 fessoires, 
y ayant à cette d rnière un pigeonnier au millieu tout rompu ; 

Et du d. comté dependent plusieurs paroisses,mesmes le 'ieudu peage 
St-Maurice, Colombier, Guiret, sur y a un pré de la contenance de 
trois hommes et une garenne, Salezes et autres lieux et mas escartés. 

Le greffe et amandes ; 

Droitz de peches de la font Douinet ; 

Deux estangz : 


18 
Seigneuries des Costes d'Aray et de Montseveroux (1). 


Item, les terres et seigneuries des Costes Daray et de Montseveroux, 
au pais de Daulphiné, abotissant ez terres du d. comté de Rossilion, 
consistans en un chasteau au d, Montseveroux descovert et ruyné, ni 
aiens que les muralhes, y aiant toute jurisdiction h. m. et b. 

Et le revenu consiste en rentes con'enues es terriers et lieves, lodz, 
iuage, en cinq cas et autres debvoirs seigneuriaux acostumés, mesme 
le droit que se prend sur chascung pere de bœufs labourans et brassiers ; 

Le greffe et amandes ; 

Un mollin à fere farine avec sur bastiment et un pré y joignant. 


(À suivre). Prosper FALGAIROLLE. 


——+0-4-2-48- 5 À Er d-$6- 2 &-m— 


(1) Arrondissement de Vienne (Isère). 


VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 
___ L'AUBERGE 


La Terre, marâtre inhumaine, 
Fait payer sa fertilité ; 

Le paysan se tue et peine, 
Printemps, Aulomne, Hiver, Eté. 


Îl fait le tour de son domaine, 

Chaque dimanche, avec fierté 
Et, privé de vin, la semaine, 

Va boire à l'auberge à côté. 


Un pin se balance à la porte ; 
La servante est rieuse, accorte ; 
La table a quatre pieds branlants. 


Et, dans la salle basse et notre, 
Ruminant des airs lourds et lents, 
Jusqu'à plus soif on le voit boire. 


DEVANT L'ATRE 


Il pleut. Devant l'atre qui fume, 
Les paysans sont rassemblés 

Et chaque sarment qui s'allume 
Illumine leurs traits hâlés. 


L'un d'eux, savant, dont le costume 
À des rebords plus efjilés, 
Fait la lecture d'un volume 
Qui date de temps reculés. 


Et tous, admirant sa science, 
Ecoutent avec patience 
Le lecteur änonnant ses mots. 


Pendant un jour, il peut poursuivre : 
Nos paysans, même dévots, 
Autant qu'au bon Dieu croient au livre ! 


Henrt BOMEL. 


Annonay, le 22 janvier 1902. 


QUESTIONS ET RÉPONSES 


Dans sa lettre, publiée dans le numéro de janvier, Si/vius souhaitait que 
quelques pages de la Revue fussent consacrées aux « Questions et réponses des 
écrivains et bibliophiles vivarois ». Détérant volontiers à ce désir très légitime, 
nous soumettons à nos lecteurs les questions suivantes, qu'on nous prie d'insé- 
rer. Nous transmettrons à nos correspondants les réponses qui seront faites, 
nous réservant le droit de lus publier quand elles nous paraitront de nature à 
intéresser la majorité de nos lecteurs. 

L'espace dont nous pouvons disposer étant extrëmement limité, nous prions 
les personnes qui auraient des questions et des réponses à nous envoyer, deles 
rédiger sous la forme la plus précise ct la plus concise possible, en évitant tout 
développement accessoire. 

B. E. 


AÉROPHILE LASMANE. — Un lecteur de la Revue du 
Vivarais pourrait-il nous faire connaître le véritable nom de l'écri- 
vain qui a publié sous ce pseudonyme une petite brochure impri- 
mée à Valence chez Marc Aurel en 1822, et intitulée : L'Aëérolithe 
de Juvinas, poème en trois chants. 

À. C.-G. 


* 
‘ + * 
FAMILLE DE PICARD DU VERNET.—Cctte famil- 
le parait avoir été possessionnée à Baix au XVI°siécle. Elle s’allia 


aux Guyon de Geys, sieurs de Peyrolles. A-t-on quelques rensei- 
gnements sur son origine, ses armes et ses divers membres ? 


A. C.-G. 
. 
*« 
Un de nos abonnés voudrait avoir l'indication du lieu où il 
pourrait acquérir ou simplement consulter les ouvrages suivants, 


qui sont mentionnés dans la Bibliothèque historique du P. Lelong, 
mais qu'il n a pu retrouver nulle part : 


POÈME HISTORIAL touchant l’origine, l'antiquité et 


excellence de la maison de Tournon, par François de Belleforest. 
Paris, Huby 1568. in 8°. 


HISTORIA BELL] guod cum hereticis rebellibus gessit anno 
1567 Claudia de Turaine, domina lurnonia etc. anclore Johanne 
Vellemino. Parisiis 1569. in 4°. 


DISCOURS DE LA BRAVE RÉSISTANCE /uiteaux 
rebelles par M°®° de Tournon, comlesse de Roussillon, nommée 
Claude de Turaine, écrit précieusement en vers latins par Jean Ville- 
min el depuis traduit en français par Belleforest. Paris chez Jean 
Hulpeau 1569. 


BIBLIOGRAPHIE 


Les Gardes-Mobiles de l'Ardèche pendant la guerre 
de 1870-1871. 


Rapports officiels inédits, sur les opérations et les combats 
auxquels ont pris part les trois bataillons de garde nationaux 
mobiles de ce département pendant l'invasion allemande. 

Avec quatre gravures représentant les monuments érigés à la 
mémoire des mobiles Ardéchois, à Privas, Maison-Brülée, 
Vernon et Moulineau. Privas : Imprimerie Ardéchoise 1901. 


Grâce à la patriotique initiative de M. Th. de Montravel ancien 
capitaine de mobiles, de M. P. d'Albigny, (1) le fondateur de 
notre Revue, et au dévoué concours de M. j. Galland directeur 
de l'Imprimerie Ardéchoise, le département possède enfin l’his- 
toire officielle et inédile des opérations militaires et des combats 
auxquels ont pris part nos mobiles pendant la rude campagne de 
Normandie. 

Tous les Ardéchois, les vieux, qui,comme nous,se souviennent 
des « jours noirs » de l'année terrible, les jeunes qui ne les ont 
pas connus, liront ces pages avec émotion. 

Elles raviveront, s'il est possible, l'amour de la patrie, le 
respect du drapeau devant lequel tout français, bien né, s'incline 
et l'admiration que tout ardéchois a pour les officiers et les soldats 
du régiment des mobiles de l'Ardèche, dont la vaillance et 
l'endurance furent la gloire du pays et nous consolèrent, quelque 
peu, des tristesses et des humiliations de l'invasion. 

De ces pages officielles nous ne citerons qu'un passage, mais 
nous voudrions que tous les enfants l’apprissent par cœur et qu’il 
fut affiché dans toutes les écoles : (2) 

« Le 22 (janvier) le général Saussier qui allait partir avec toute 
« la division, me fit appeler et en accordant un jour de repos au 
« bataillon, il m'adressa ces quelques paroles : — Je regrette 
« mon cher commandant, de ne pas vous emmener avec moi 
« aujourd hui. Vous recevrez demain des ordres pour me rejoin- 
« dre à Ecouche, car j'aime trop les Mobiles de l'Ardèche pour 
« m'en séparer ; CE SONT MES MEILLEURES TROUPES, MES TROUPES 
« D'ÉLITE. 

Voilà ce que pensait et disait de nos Mobiles le général 
Saussier (devenu plutard gouverneur de Paris et généralissime) 
et voilà ce que nous ne devons jamais oublier. 


(1) Dès 1879. M. P. d’Albigny avait publié le Livre d'Or du département de 
l'Ardèche contenant la liste des enfants de ce département morts en combattant 
pendant la guerre de 1870-1871. 

(2) Rapport de M. de Guibert, commandant le 1° bataillon des mobiles de 
l'Ardèche p. 36. 


104 BIBLIOGRAPHIE 


Nous sommes persuadé que tous nos compatriotes et plus 
particulièrement les anciens mobiles feront bon accueil à ce 
volume dont les éléments ont été rassemblés avec soin par M. Th. 
de Montravel capitaine de la 1" compagnie du 1‘ bataillon du 
régiment de l'Ardèche. 

M. de Montravel et tous ceux qui ont coopéré à cette publica- 
tion ont droit à la gratitude de tous les patriotes car ils ont fait 
là, œuvre de bons vivarois et de bon français. 


 ] 
* # 

Dans l'Ardèche Républicaine du 10 janvier 1902, M. H. Vas- 
chalde a publié le résumé des observations météorologiques faites 
par lui, à Vals, pendant l'année 1901. 

De ces statistiques il ressort toujours des indications utiles 
pour l’agriculture et l'étude de la climatologie d'un pays, aussi 
souhaiterions nous que de nombreux observateurs s'établissent 


sur divers points du département et publiassent réguliérement 
des bulletins annuels. 
B. E. 


PAROISSE DE CHASSIERS 


AVANT LA RÉVOLUTION 


Au XVI: siècle, comme dans les siècles précédents, du reste, 
le sentiment religieux était infiniment plus profond et plus vivace 
que de nos jours ; il suflit, pour s'en convaincre, d'ouvrir les 
registres de notaire de ces époques et de lire les testaments ou 
les actes de donation qui les remplissent. Ces manifestations 
authentiques de la foi de nos pères sont particulièrement abon- 
dantes à Chassiers C'est q e ce petit bourg était un foyer 
catholique. La piété des Chalendar, la principale de ces familles, 
est attestée par le père Columbi et par le chanoine de Banne ; 
toute la population, à commencer par les autres chatelains du 
lieu, les La Vernade, était également très religieuse. 

Nous avons déjà vu Jacques de Chalendar reconstruire, en 
1396, l'églige paroissiale de St-Hilaire et y fonder N. D. des 
Roses, chapelle de sa famille. 

Les La Vernade avaient aussi leur chapelle dans l'église (celle 
de St-Barthélemy) et nous verrons Louis de la Vernade, en 1584, 
fonder la confrérie des Pénitents bleus. 

Jl y avait donc à Chassiers une paroisse, des chapelles et des 
confréries. Voyons comment fonctionnaient les unes et les autres. 

La cure dépendait directement de l'évèque de Viviers considéré 
comme Prieur de St-Hilaire En principe, les diocèses, étaient 
partagés en paroisses ayant chacune leur prieur. Ces prieurés 
étaient, avec les canonicats et les abbayes, les bénéfices dont 
disposaient, en général en faveur des cadets de famille, le Roi ou 
les Evêques. Dans le Vivarais, nous voyons souvent le même 
prieuré passer d'oncles à neveux pendant plusieurs générations ; 
par exemple, celui de St-Félix-de Châteauneuf resta pendant plus 
de deux cents ans (de 1315 à 1539) dans la maison de Hautvillar : 
nous avons aussi dans la famille de Chalendar une trdnsmission 
de prieuré assez intéressante. En 1588, à la mort de Noël de 
Chalendar de la Motte, protonotaire apostolique, prieur de 

8 


106 LA PAROISSE DE CHASSIERS 


Sabliéres (1) et de St-Pons, chanoine comte Brioude etc., son 
pére, Guillaume de la Motte, se préoccupant de ne pas laisser 
perdre à la famille tous ces bénéfices, demande pour son quatrié- 
me fils, Jean, qui venait de terminer ses études, le prieuré de 
Sablières, que lui octroya, en effet, messire Jean de l'Hôtel, 
évèque de Viviers ; mais Jean ne reçut point pour cela les orires 
et put en 1592, lorsque son frère ainé Pierre résilia la survivance 
des fonctions de syndic général de Languedoc, lui succéder dans 
cette charge. Plus tard, il résilia, à son tour, son prieuré de 
Sabliéres, en faveur de son autre frère, Antoine, déjà prieur des 
Assions. | 

Dans son livre de raison, Guillaume de la Motte raconte le fait 
ainsi qu'il suit : | 

« Le 23° de janvier 1594, mon fils Jean de la Motte, prieur de 
« Sablières, estant par cy devant pourvu de l'estat et office de 
« syndic général de Languedoc, fust à Viviers devers le seigneur 
« évesque pour lui résigner et remettre le dit bénéfice, comme 
« estant de sa collation, le priant vouloir recepvoir en son lieu et 
« place, et pourvoir du dit bénéfice de Sablières, Antoine de la. 
« Motte, son frère, qu'il amena quant lui et au dit Viviers. 
« Lequel seigneur évesque, tant à la prière de mon dit fils Jean 
« que des seigneurs de Fain, syndic de Viverois, et de Croze, 
« habitant du dit Viviers, donna et octroya le dit bénéfice à son 
«a dit frére Antoine de la Motte, prieur d'Assions, et en fust 
« despéchée la provision et collation en bonne et deue forme par 
« M" de Noailles, secrétaire du dit seigneur évesque, datée du 
« jour que dessus, auquel seigneur Evesque mondit fils bailha 
« pour le seau six escus vieux d'or sol,et audit Noailles deux pour 
« ses peines et esmoluments. ») | 

Ainsi plusieurs prieurés pouvaient appartenir à la même 
personne et parfois le prieur était laïque. Il fallait donc que le 


(1) Ce prieuré de Sablières avait appartenu, dès le commencement du XVIe 
siècle, à Simon Pierre de Chalendar, 2° fils de Guigon et grand oncle de Noël, 
de Jean et d'Antoine dela Motte qui s’y succédérent. 

Claude, le commandeur de la Motte, neveu de Simon Pierre, était pourvu du 
prieuré de la Baume ; le petit tils de son frère Guillaume, Antoine, fils de Pierre, 
lui succéda dans ce bénélice ; cet Antoine est le neveu de l’Antoine, prieur de 
Sablieres et des Assions ; leur cousin Louis de Chalendar de Cornillon eut aussi 
le prieuré des Assions. | | 


LA PAROISSE DE CIIASSIERS 107 


service religieux de la paroisse fût assuré par un ecclésiastique 
suppléant le prieur ; ce suppléant était le curé. | 

Le curé d'une paroisse se trouvait être quelquefois en même 
temps prieur d'une ou de plusieurs autres : ainsi, Louis de 
Chalendar de Cornillon, dans les premiéres années du XVIIe 
siècle, fut à la fois prieur de St-Apollinaire des Assions, de 
St-Michel de Chabrillanoux et de Sanilhac, et tandis qu'il 
arrentait les revenus de ses trois prieurés, il exerçait effectivement 
les fonctions d'official de Largentiére et celles de curé de Chassiers 
et touchait les revenus de cette cure. 

Les revenus du curé, c'étaient d'abord sa congrue, portion 
généralement minime des revenus de la paroisse que lui aban- 
donnait le prieur, mais le curé avait, en outre, son presbytère 
avec son jardin et les fondations pieuses : maisons, vignes, 
terres, rentes etc. affectées à la cure. | 

Ces fondations étaient faites soit sans conditions, soit pour des 
messes à dire pour le repos de l'âme du testateur ou donateur. 

[Il n'était pas rare non plus de voir s'ajouter au revenu de la 
cure ceux d'une ou de plusieurs des chapelles particulières de la 
paroisse. D'ordinaire, le fondateur d'une chapelle y attachait un 
revenu qui allait au chapelain ou recteur nommé par lui ou par 
son héritier, patron de la chapelle. 


Ainsi,dans son testament du 2 juin 1432, Pierre de Chalendar, 
fils de Jacques, rappelle que son père et lui ont donné pour la 
chapelle N. D. des Roses qu'ils ont fondée : « 1° une maison 
« d'haut et bas, sisc à Chassiers ; 2° une terre herme, jadis vigne, 
« au terroir de Forniol ; 3° un pré au terroir del Ranc ; il veut 
« -qu'on en donne un autre en échange de ce dernier, mais d'une 
« valeur au moins égale et y ajoute une petite vigne à Vinezac 
« plus des cens et revenus montant à 15 sctiers de vin. » Son 
testament porte en même temps deux legs au curé de Chassiers, 
l'un de 2 moutons d'or, l’autre de 5 sols ; à Benoist Dupré, 
chapelain de sa chapelle, 2 moutons d'or pour dire 30 messes ; il 
demande d'ailleurs plus de mille messes. 


Le 25 octobre 1481, Louise Istagelle, femme d'Armand de 
Chalendar, laisse au curé de Chassiers 2 sols 6 deniers, et à la 
chapelle N. D. des Roses une chasuble et un calice en argent. 


108 LA PAROISSE DE CHASSIERS 


Le 2 novembre 1422, Armand de Chalendar teste à son tour ; 
il veut 30 prêtres à ses funérailles, à sa neuvaine, à son bout de 
l'an ; à chacun et chaque fois il sera donné 1$ deniers. Il lègue 
au curé de Chassiers 10 sols, à la confrérie du St-Sacrement une 
livre de cire, à la chapelle N. D. une vigne sur le chemin de 
Chassiers à Vinezac, et de plus 30 florins. 

Le ro mars de la même année, vénérable homme messire 
Pierre de Chalendar, curé de Chassiers et chanoine de la cathé- 
drale de Viviers, afferme à vénérable Bertrand Caulet une sienne 
chapelle fondée par Philippe de Merzelet (1), au prix de 30 livres 
pour 3 ans (acte passé à [Largentière dans la boutique de 
Raymond Vigne, marchand {Jourdan notaire). 

En 1533, Dalmas de Rocles donne 6 livres de pension annuelle 
au curé. Viale, curéen 1634, en réclame le paiement, faisant 
remarquer qu'il n’a pas, à la vérité, l'acte de fondation de cette 
pension, mais qu'elle a toujours été payée de bonne foi depuis 
plus de cent ans. 

Bertrand Damon, en 1538, lègue à perpétuité au curé de 
Chassiers 20 sols de pension pour dire une messe à diacre et 
sous-diacre le jour de son obit. 

En 1624, le curé Viale donne à prix-fait la vigne de Volpilières 
à deux frères Constans, de Chassiers ; cette vigne donnait 30 
livres de revenu ; le 13 septembre 1617 elle est exemptée de la 
dime. En 1634, une transaction intervint entre le curé Viale et 
noble Antoine Tardieu S' d'Albi ; ce dernier s'engage à payer à 
l'église 20 sols de pension. 

En 1652, François Serret, curé de Chassiers après Viale, lègue 
_ 10 sols à perpétuité pour une messe et absoute à l'autel N. D. 
Etant aussi recteur des chapelles de Chalendar et de la Vernade, 
il arrente une vigne dépendant de ces chapelles, et située à la 
Croix de la Vernade,au prix de 8 livres par an ; il était également 
recteur de la chapelle des Rippe. 

Le 15 décembre 163, fondation par Claude Bellidentis d'une 
rente perpétuclle de quatre livres au curé pour deux messes 


annuelles. 
On voit qu'outre sa congrue, le curé de Chassiers avait beau- 


(1) Prieur de Sanilhac en 1433. 


LA PAROISSE DE CHASSIERS 109 


coup d'autres petits revenus ; des propriétés plus ou moins 
importantes étaient attachées à la cure ; nous en trouvons un 
inventaire établi à la date du r0 février 1710 : les biens fonds de 
la cure de Chassiers consistaient alors en une prairie, une 
olivette, un petit bois de châtaigniers, des müûriers, une vigne à 
Volpilières, une autre à la Kayrié et une troisième aux Brousses. 

A cette date, il est vrai la plupart des chapelles de la paroisse 
n'avaient plus ni patrons ni chapelains et leurs reveuus étaient 
joints à la cure ; mais, aux époques plus anciennes, où le senti- 
ment religieux était plus développé chez les populations vivaroi- 
ses, ces revenus s'étaient déjà, nous l'avons vu, souvent ajoutés 
à ceux que le curé tirait de sa paroisse ; seulement ils étaient 
personnels en ce que certains curés étant chapelains de telle ou 
telle chapelle, certains autres ne l’étaient pas. 


Au XVe et XVI: siécle, nous voyons souvent les curés de 
Chassiers figurer dans les testaments, non seulement comme 
légataires, mais aussi comme témoins et comme exécuteurs 
testamentaires. 

Pons Prévot, curé de Chassiers, et Barthélemy de la Vernade 
sont exécuteurs testamentaires de Pierre de Chalendar (testament 
du 2 juin 1432). 

Aimé de Chalendar, dans son testament du 31 avril 1541, 
nomme exécuteurs testamentaires Monsieur l’archiprêtre prieur 
de Sablières et le curé de Chassiers « qui lors seroit après son 
décès ». 

Son père Guigon avait, le 6 septembre 1507, nommé exécuteur 
testamentaires ses frères Pierre, précenteur de l'église de Viviers» 
et Guillaume curé de Chassiers. Le 10 juillet 1518, Guigon teste 
pour la seconde fois ; à cette date le curé de Chassiers est un 
Pierre de Chalendar, présent à ce testament avec l'évêque d'Oran- 
ge, Jean Le Franc, et Louis de la Vernade. 

Le curé de Chassiers (impersonnel) figure encore parmi les 
exécuteurs testamentaires du syndic général de Languedoc 
Guillaume de Chalendar de la Motte, le 19 juillet 1586 etc. 

Le curé était secondé par un vicaire et beaucoup des anciens 
testaments portent aussi de petits legs pour ce vicaire. 

Outre l’église paroissiale de St Hilaire et l’église de St Benoit, 


‘I10 LA PAROISSE DE CHASSIERS 


_il y avait à Chassiers de nombreuses chapelles : la plus ancienne- 
ment fondée, croyons-nous, est celle de N. D. des Roses, sous le 
chœur de St Hilaire, fondée par Jacques de Chalendar en 1396 
en même temps qu'il construisait le clocher. Cette chapelle, 
destinée à contenir les sépultures des membres de la famille de 
Chalendar, avait pour patron en principe le chef de la famille qui 
en nommait le recteur ou chapelain. 

Ceci résulte de dispositions formelles du testament de Pierre 
de Chalendar du 2 juin 1432 : il veut «que le patronat leur 
« demeure, sans que le St-Père le Pape ou l'Evesque ou autre 
« Prélat puisse disposer ni changer ou nommer un autre chape- 
« lain pour le service, ains (mais) que les miens en pourvoiront 
« d'un curé capable dans 6 mois, et principalement des plus 
« proches de la race, ou parent sinon d’un autre capable... et, en 
« cas que le dit Saint Père ou évesque tentassent de confier la 
« chapelle ou service à un autre qui ne seroit de notre volonté, 
« je révoque la donation cy dessus faite. » 

En 1457, Bertrand de Chalendar fait don à sa chapelle d’une 
rente de quatre quartes de blé (2 de froment et 2 de seigle) hypo- 
théquée sur certaines propriétés. 


En 


Nous trouvons, à la date du 21 novembre 1612, un autre acte 
intéressant concernant cette chapelle : « Noble François de 
« Chalendar, docteur en droict, et lieutenant principal du bailly 
« de Viveroys en la cour et siège royal de Villeneuve de Berg, 
« habitant au lieu de Chassiers, comme patron de la chapelle de 
« N. D. des Roses. sous le clocher de l'église ; considérant que 
« la maison, dépendant de la dite chapelle, donnée et léguée au 
« recteur d'iccile, située au présent lieu de Chassiers, communé- 
« ment dite de Raschet, est à présent tombée en ruines ayant été 
« réduite en fenière et estable, sans aucun plancher, les poultres 
« et faites qui soutiennent le couvert étant presque pourries et le 
« couvert en danger de tomber, ce qui seroit advenu par la 
« coulpe et négligence des prédécesseurs (du chapelain actuel 
« sans doute ?}), qui n'ont rien voulu despendre, à la réparation et 
« que, d'ailleurs, le revenu de la dite chapelle ne pouvoit suflire 
« à l'entretènement du service divin, ensemble à la réparation 
« qui coûtoit beaucoup, auroit trouvé bon, expédient et commode 


LA PAROISSE DE CHASSIERS III 


a 


de bailler à pension perpétuelle et fonciére la dite maison et, 
« soubs les entrées de la somme qui s’en pourroit trouver et feroit 
les conditions meilleures, pour employer et convertir l'argent 
au profit de la dite chapelle et du recteur d'icelle,qui ne pourroit 
« (tirer ?) du tinage de la dite maison plus de 15 ou 20 sols tous 
« les ans ; et à ces fins auroit fait dire et proclamer par voix 
« publique de sergent, à la place publique au dit Chassiers et 
« aussi au prône de la messe paroissiale par 3 dimanches, que 
« 

« 


à = 


seroit la dite maison baillée à loyer perpétuel et pension 

foncière à celui qui feroit conditions meilleures etc. 

Loys de Chalendar de Cornillon, prieur d'Assions, recteur 
moderne de la dite chapelle, adjuge cette maison à Claude du 
Cros,moyennant 4s livres d'entrée et la pension perpétuelle de 20 
sols par an. 

François de Chalendar, dans son testament du 30 avril 1617, 
ordonne que ces 45 livres soient employées aux réparations de la 
dite chapelle. 

En 1653, Jeanne de la Baume, veuve de Jean de Chalendar de 
la Motte, syndic général du Languedoc, légue 10 livres à la 
chapelle de N. D. des Roses ; son testament fut passé à Chassiers 
dans la maison de Sablières appartenant à cette chapelle, très 
improprement appelée chapelle de la Motte, car, à cette époque, 
son patron était bien le président de la Motte (il avait acquis ce 
patronat de son cousin, Guillaume de Chalendar, le fils de 
François,le lieutenant du bailly de Villeneuve de Berg, chef de la 
branche ainée), mais la chapelle N. D. des Roses n'en restait pas 
moins Ja chapelle des Chalendar et les membres des autres 
branches de cette famille y conservèrent leur sépulture. 

En 1663, Annet de Fages, curé de Largentière et recteur de 
cette chapelle (il était neveu du président de la Motte), arrente 
une maison et diverses terres en dépendant au prix de 67 livres 
par an pour 4 ans. 

Au siècle suivant, le petit fils du précédent de la Motte, officier 
de marine, habitait le plus souvent Toulon,et se désintéressait si 
bien du patronat de N. |). des Roses, qu'en 1724 le recteur de 
cette chapelle, Louis François Vachier, du Prat étant mort, le 
vicaire général nomma à sa place André Gaud, curé de Chassiers, 
disant que cette chapelle n'avait pas de patron ! 


112 LA PAROISSE DE CHASSIERS 


Elle en avait pourtant encore à la fin du siècle ; elle était même 
la seule à en avoir, en 1780, d'après le rendu compte du curé 
Servant ; toutes les autres, fondées bien aprés elles, étaient à 
cette date jointes à la cure, leurs revenus s'étaient perdus, effet 
sans doute des progrès de la philosophie. Signalons encore, en 
1718, un procés entre le curé Gaud et noble Antoine de Chalen- 
dar, sieur de. Lambras et Etienne Massot de Lafond. Le recteur 
de la chapelle N. D. des Roses leur réclamait les fondations faites 
en 1457 par Bertrand de Chalendar, parce qu'elles étaient hypo- 
théquées sur des immeubles dont ces messieurs étaient devenus 
propriétaires. 


Enfin, nous l'avons vu, de nos jours — il n'y a pas un quart 
de siècle — N. D. des Roses est devenue la mairie de Chassiers 
et les corps des Chalendar ont été enfouis péle-mèle au nouveau 
cimetière. 

Les autres chapelles fondées dans la paroisse de Chassiers 
avaient,comme celle-ci,leurs patrons qui les dotaientetnommaien, 
leurs recteurs. 

Nous avons déjà nommé la chapelle St-Barthélemy dans l'égli- 
se St-Hilaire ; son patron était M. de la Vernade, et lorsqu’au 
X VII: siècle le château de la Vernade fut acquis par les Mazade 
de Martinen, le patronat de la chapelle passa avec le château et 
le nom aux Mazade ; le revenu de cette chapelle était de 6 setiers 
de blé. | 

La chapelle St Jean Bavtiste fut fondée, dans l'église aussi, 
par messire Benoit des Mazes, prêtre, en 1442. 

La chapelle Notre Dame de Pitié fut fondée et dotée en 1530 
par Martin Rippe ; elle était dans le cimetière de l'église. 

Le 2c juillet 1655, Jean Rippe, écuyer, résidant à Aubagne en 
Provence, étant à ce moment à Chassiers, patron de la chapelle- 
nie de Notre Dame de Pitié, fondée au cimetière de l'église par 
messire Martin Rippe, vacante par le décès de François Serret 
(en 1652), n'a pu y pourvoir plus tôt étant absent ; désirant que 
le service institué par le fondateur v soit continué, y nomme 
messire Mathieu Martin. prêtre, docteur en sainte théologie, 
natif et habitant de Chassiers. 

Le testament de messire Etienne Tailhand,du 22 juin 1552,nous 


LA PAROISSE DE CHASSIERS 113 


apprend que ce personnage avait fondé la chapelle N. D. dans 
l'église paroissiale St-Hilaire en 1550. « Dans laquelle chapelle 
« il a fondé deux messes par semaine à perpétuité, une messe 
« de morts le lundi, et l'autre le vendredi, à l'honneur des cinq 
« playes de N. S. J. C. ; item, d'y chanter un Salve Regina avec 
« verset et oraison chaque samedi au son de la cloche, un cierge 
« allumé et la lampe allumée toute la nuit du samedi au diman- 
« che, le tout à perpétuité ; payable par ses héritiers, comme il 
« est porté par le présent testament et hvpothéqué sur trois de 
« ses maisons de Chassiers ; Item, une grand’ messe à perpétuité 
« le jour de son obit, pour laquelle le célébrant aura 15 deniers 
« et chacun des autres prêtres 12 deniers, et l'héritier fournira le 
« calice ; pour le Salve Regina, au curé, 2 deniers et à chacun 
« des autres prêtres, 1 denier, au clerc qui sonnera la cloche, 
« 1 denier, un cierge pour le salut et l'huile pour la lampe ; son 
« héritier et ses successeurs étant chargés de tout aussi bien que 
« des ottrandes ». 

Cette chapelle était « au devant de la grand'porte de St- 
‘Hilaire » ; elle fut consacrée par le R. P. M. l'Evèque de Damas, 
religieux des Cordeliers de Largentière. On convoqua tous les 
prêtres de Chassiers à ses obsèques, et à chacun on donna 2 sols 
le jour de sa sépulture, autant à la neuvaine, à la quarantaine et 
au bout de l'an. Chacun de ces quatre jours, il fut distribué aux 
pauvres une quarte de seigle en pain cuit (acte reçu par Mathieu 
André, notaire à Largentiére) (1). 

Voici maintenant la prise de possession de cette chapellenie 
en 1570 : 

« Le 5 juin 1570, Jean Tailhand, fils et héritier d'Antoine 
€ Tailhand, du lieu de Masneuf, paroisse de Chassiers, patron 
« d'une chapellenie (sive pie-légat contenant fondation de 
« messes, fait et fondé par ses prédécesseurs en l'église de 
« St-Hilaire), chapellenie sous le titre de St-Jean, laquelle est 
« devenue vacante par le décès de Messire Etienne Belledentis, 
« dernier recteur, Jean Tailhand lui donne pour successeur 
« Messire Honoré Tailhand, prêtre de Chassiers, son proche 
« parent, pour en jouir et en remplir les charges,c'est à dire faire 


(r) Archives de la cure de Chassicrs. 


114 LA PAROISSE DE CHASSIERS 


« et dire ou faire faire et faire dire le divin offce à la dite 
« chapelle. Fait à la place de Largentière. Présents : Pierre 
« Charrière, curé de Largentière, et Claude Valentin, notaire au 
« dit Argentière », 


EGLISE DE (CHASSIERS 


Le même jour, au devant de l’église et devant Philippe Rey, se 
présente le dit Honoré, recteur de la chapelle ; il exhibe ses 
provisions et collations que Rey reçoit. Alors Rey « a pris par 
« la main le dit messire Tailhand, l'a mis dans la dite église et 


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LA PAROISSE DE CHASSIERS FES 


« conduit jusqu’au lieu où estoit l'autel de la dite chapellenie, l'a 
« mis en possession réelle d'’iceluy pie-légat, fruits, profits, 
« revenus et dépendances, par l'entrée. issue, et touchement des 
« reliques, des murailles du dit autel et tradition de la dite 
« provision remise entre ses mains, au lieu des autres biens et 
« droits appartenant à iceluy pie légat, dont le dit Me Tailhand a 
_( requis acte. Fait Bellidentis Rouchon notaire ». 

Il y avait encore la chapelle St-Antoine, dont le curé Viale 
était recteur en 1640 (on lui cède une maison en cette qualité — 
inventaire destitres de la cure du 8 au 10 février 1710) ; et, à 
Tauriers la chapelle de St-Julien dont était chapelain en 1556 
Pierre Taranget, lequel avait à ce titre la jouissance d'une vigne 
à Monchalvi (même inventaire). 

_ À ces époques, le clergé paroissial était genéralement très 
nombreux ; celui de Chassiers suffisait parfaitement à fournir les 
30 prêtres que, dans son testament du 2 novembre 1482, Armand 
de Chalendar ordonnait de convoquer pour ses funérailles, pour 
_ Sa neuvaine et pour son bout de l'an (15 deniers devaient être 
donnés à chacun et chaque fois). | 

Le 14 mars 1534, noble Guigon de Borne, seigneur dela 
Bastide d'Uzer, convoque pour ses funérailles, qui se feront à 
Uzer, 20 prêtres y <ompris ceux d'Uzer, ce qui montre que le 
clergé de cette localité ne pouvait à lui seul fourrir les 20 
ecclésiastiques exigés par le testateur,et ce fut sans doute dans le 
clergé de Chassiers qu'on trouva les prêtres nécessaire ; Guigon 
allouait 2 sols tournois à chacun d'eux et ordonnait de leur 

donner à diner. 
= Le 8 février 1520, Jean de Blache veut que tout les prêtres de 
Chassiers soient convoqués à ses funérailles. 

Nous retrouvons encore la même prescription dansle testament 
de François de Chalendar du 13 avril 1617 ; le magistrat poëte(i) 
prescrit que 8 sols seront donnés à chacun d'eux et 10 livres à 
leur communauté. 

Cette communauté du clergé de Chassiers ne ressemblait en 
rien à un couvent, et cette expression veut simplement dire que 


(1} Voir dans la Revue du Vivarais de mars 1901 son épitre en vers latins à 
Olivier de Serres. 


116 LA PAROISSE DE CHASSIERS 


les membres qui la composaient avaient des intérêts en com- 
mun ; au début, d'ailleurs, on l'appelait non pas communauté 
mais Université ; université ici n'explique pas non plus l'idée 
d'une réunion savante ; le mot université est mis en ce cas dans 
le sens d'universalité ou totalité. Des prêtres qui la composaient, 
quelques uns, sans doute, vivaient en commun, mais la plupart 
demeuraient dans leur famille et les uns et les autres menaient 
d'ordinaire une vie fort édifiante. 

Nous ne savons pas d'une manière très certaine comment était 
constituée cette université ou communauté des prêtres de Chas- 
siers, mais, en raison des legs qu'elle avait reçus, il y avait 
certainement avantage à en faire partie ; un acte du 17 juillet 
1505 est assez instructif à cet égard : Cet acte cst relatif à un 
différend entre « vénérable homme » messire Antoine Ladet, 
prêtre, du mas de la Rouvière, paroisse de Chassiers, et l’Uni- 
versité des prêtres de Chassiers ; Ladet, demande à faire partie 
de l’université des prêtres de Chassiers et à jouir de sa part des 
bénéfices de la dite université, faisant valoir qu'il est originaire 
de Chassiers. 

On lui répond que s'il est, il est vrai, originaire de Chassiers, 
il s'est transporté à Chauzon et, par là, a perdu ses droits. Il y 
eut à ce sujet une réunion pour arriver à une entente ; y assis- 
taient Guillaume de Chalendar, curé de Chassiers, Pierre de 
Brolio, Giraud Tailhand, Antoine de Charbonnier, Michel 
Tailhand etc... Nous ignorons quelle fut la solution finale de ce 
différend, mais il nous apprend qu à la date où il s'est élevé il 
fallait, pour être admis dans l'université des prêtres de Chassiers, 
non seulement être natif du lieu, mais y résider habituellement 
et ne point exercer ailleurs le saint ministère, ce qui, en somme, 
était assez naturel (1). 

Nous avons relevé plusieurs actes concernant l'université des 
prêtres de Chassiers. Dans son testament du 2 avril 1463, Jean 
Lieutier, de Montcouquiol, lui lègue un muid de vin de rente 
annuelle; ce legs fut transformé, en 1540,en une pension de trois 
livres tournois. En novembre 1517, Pierre Jacomin vend une 
pension à l'université des prêtres de Chassiers. En 1540, Feuilla- 


(1) Registres de notaires. 


LA PAROISSE DE CHASSIERS 117 


de, procureur des prêtres de Chassiers, arrente un bois sis à 
Bouteille. En 1545, Firmin Coste, en 1608, Louise de Chalendar, 
reconnaissent devoir des pensions à l'université des prêtres de 
Chassiers etc. 

Cela n'empéchait point les membres de l'université d'avoir à 
côté de leurs intérêts communs, leurs intérêts particuliers : 

Nous voyons, par exemple, le 10 février 1532, François Lieu- 
tier, prêtre de Chassiers, acheter de Pons de Rocles, tailleur de 
pierres, un champ appelé le « Cros du More ». 

La confrérie du corps Dieu comme on disait au XVe siécle est 
ancienne à Chassiers ; nous n'en connaissons pas l'origine. On 
l'appela plus tard confrérie du St-Sacrement. Elle avait, comme 
l'université des prêtres, des biens communs que gérait un prieur, 
et recevait aussi des legs et des donations. 

Le 25 novembre 1525, messire Claude Lieutier, prêtre, prieur 
de la confrérie du corps Dieu qui se fait à Chassiers, achète un 
sestier de vin rouge payable chaque année au prix de 20 sols ; le 
vendeur, Etienne Brun dit Trancat, couturier à Chassiers recon- 
nait avoir reçu les 20 sols. Le 2 novembre 1482, Armand de Cha- 
lendar lègue à cette confrérie une livre de cire. En 1653, Jeanne 
de la Baume, veuve de Jean de Chalendar de la Motte, syndic du 
Languedoc, lègue à la confrérie du St-Sacrement « dont elle a 
l'honneur d'être confréresse » 15 livres pour achat d'ornements. 

La confrérie des Pénitents bleus, fondée beaucoup plus tard 
(en 1584),est particulièrement intéressanteet mérite d'être étudier 
à part. 

Nous avons vu, dans le chapitre concernant le mandement, les 
consuls s'occuper des grosses réparations de l'église sur les fonds 
de la communauté ; l'état dans lequel se trouvait l'église était 
constaté dans les visites faites par l'ëvèque ou son délégué official, 
ou vicaire général, à des époques variables. La Revue a déjà 
publié, d'après le livre de raison de Guillaume de la Motte, un 
récit de la visite de l’évêque Jean de l'Hotel en 1608. Le procès 
verbal de la visite, faite par l'oflicial en 16-6,nous renseignera très 
exactement sur l'état de l'église St-Hilaire à cette date. 


« Le 31 janvier, vendredi, accompagné du sieur de Fages, curé 
de Largentière, nous sommes arrivés à Chassiers, où, aprés les 


118 LA PAROISSE DE CHASSIERS 


suffrages accoutumés, en présence de Jean Cellier curé, des 
sieurs de la Vernade, François Chanaielles et autres, etc... 

« L'église est dédiée à St-filaire évèque ; elle est ancienne, 
bâtie au milieu du lieu et consiste en un grand vaisseau en pierres 
de taille, le chœur et deux chapelles formant la croix. Le chœur 
est relevé de 4 ou 5 degrés sur le plan de la nef, il est bien pavé 
et vouté en croisillons, les murailles sont fort noires ; il'est 
séparé en deux par un petit balustre de noyer... l'autel est relevé 
sur deux grands degrés de pierre et son marchepied de bois, il y 
a un devant d'autel de camelot blanc, 3 nappes, 2 chandeliers de 
leton (sic) et 2 d'étain. Le tabernacle est doré et couvert d'un 
pavillon de taffetas bleu et blanc un peu déchiré, il n’est pas 
garni en dedans, le St-Sacrement y repose, la lampe n’est qu'un 
méchant cercle de fer, elle ne brûle que rarement. 

La sacristie est derrière l'autel ; il y manque une garde robe 
pour tenir les ornements qui sont : une croix processionnelle à 
petites plaques d'argent, un méchant encensoir indècent, un 
petit bénitier de cuivre ; il n'y a point de nappes ni de chapes 
pour la procession. 

« La nef est bien pavée et couverte; la voûte est à trois arcades 
ou croisillons ; la grand'porte ne ferme qu'avec une barre par 
derrière,les fonts baptismaux sont à gauche en entrant... la pierre 
est rompue, l'on tient l'eau baptismale dans un vase de terre 
(même état qu'en 1634). La chaire est de pierre, il en faut refaire 
le ciel qui est rompu, le clocher est fort beau, le cimetière joi- 
gnant l'église est bien fermé. 

« Dans la nef, contre la muraille du midi, il y a un autel en 
l'honneur de Notre Dame de Bon Rencontre... il y a une grande 
image de N. D. en relief dans une niche ; le peuple lui 
témoigne grande dévotion, payant 3 lampes suspendues devant 
l'autel et quantité de cierges. Le dit autel n'a point de fonda- 
tions sous le titre de N. D., mais il appert par les procés verbaux 
des visites de 1634 et de 1653, qu'il en a eu sous le titre de 
St Antoine. Le recteur de la chapelle St Antoine prenait 14 
livres par an sur divers particuliers : MM. Charles de Rocles, 
Henry Bonneton, notaire à Largentière, Vidal Ayzac de Largen- 
tière, Hilaire Lavigne, Louis du Suchet, Armand Chastanier, 
Claude Fanon et Vincent Colomby, notaire 


LA PAROISSE DE CHASSIERS 119 


« La chapelle du côté de l'épitre est sous le vocable de St Jean; 
il y pleut parceque l'eau entrant par les fenêtres du clocher 
découle sur la voûte. En 1634, partie des habitants disaient que 
la chapelle appartenait à la paroisse, d’autres que Pierre des 
Mazes en était patron et que le revenu était une vigne à Vinezac 
qui valait 6 livres par an ; le sieur Belledentis en était recteur. 

« Sur cet autel il y avait encore une autre fondation dont était 
recteur le curé de Vogué, le revenu était une vigne à Volpilières. 
En 1654, le curé Pavin se disant recteur, dit que le service est de 
2 messes par semaine ; Jean Roure, Guillaume Tailhand, Cha- 
naneilles et Jean des Mazes en étaient patron, comme ayant droit 
d'un des Mazes, prêtre et fondateur de la chapelle. 

« La chapelle de St-Barthélemy est en face ; l'autel a 2 nappes et 
un devant d'autel de satin ; le sieur de la Vernade en est patron 
et le Révérend Prieur du Hautvillar. recteur, le curé en fait le 
service ; le revenu est de 5 setiers de blé ; en 1634 il était de 6 à. 
prendre sur les moulins de Lutte... plus 2 vignes. 


«Au dessous du chœur, il y a une chapelle qui est comme sou- 
terraine, quoiqu'elle soit bien élevée, sous le titre de N. D. des 
Roses, à la maison de Chalendar, de laquelle est patron le sieur 
président de la Motte, et recteur, de Fages, curé de Largentière. 
Il y a une grande ouverture en forme de trappe au milieu des 
degrés du chœur, afin qu'on puisse voir de la nef l'autel de la 
chapelle, mais il faut une grille de fer ou bien la fermer. 

« Dans le cimetière,il y a trois chapelle abandonnées, St Louis, 
St Antoine et N. D. de Pitié ; il y en avait une autre, St-Michel 
qui a été démolie. 

« La chapelle des Pénitents bleus, sous le titre de St-Benoit 
est fort bien bâtie ; on y dit la messe tous les dimanches et fêtes, 
mais bien souvent trop tard, ce qui incommode la paroisse, et 
d'ailleurs on y cause d'affaires profanes et séculières. 

« Dans le lieu de Tauriers, delà de la rivière (que, pour peu 
qu'elle soit débordée, quand on va administrer les sacrements, 
on ne peut passer que sur le pont de Largentière), il y avait une 
vicairerie. 

« La paroisse est toute catholique : 300 maison, 1200 commu-. 
niants .. la dime se paye. (à la manse épiscopale) au treizain de. 


120 LA PAROÏSSE DE CHASSIERS 


blé, avoine et orge en gerbe, du vin à la cuve, des agneaux à la 
St-Marc, un de huit jusqu’à seize, et un des pourceaux de la 
première ventrée. 

Suivent les prescriptions : « sous peine d'interdit de l’église, on 
refera les fonts baptismaux de bonne pierre, on fera 2 confession- 
naux, une serrure à la grand porte ; ordre de blanchir l'église, 
défense d'y enterrer autrement que dans des tombes (même 
défense pour les chapelles St-Jean et St-Barthélemy) sinon des 
tombes voñûtées, et après que les patrons auront « dûment fait 
blanchir et orner leurs chapelles ». 

« Les chapelles du cimetiére ruinées et profanées seront démolies, 
et pour l'exécution de notre ordonnance, nous avons commis le 
sieur Malbosc curé de Joanas. » 


Le curé Cellier, qui avait la charge de la paroisse de Chassiers 
depuis 10 ans, lors de cette visite, ne résilia ses fonctions qu'en 
1710. D'après un inventaire fait à cette époque par le prieur 
Cazeneuve, curé de Lyas, délégué de l'évêque, en présence de 
noble Charles de Vachier de la Molière, maire de Largentiére, 
de Dominique Rouchon et de Claude Vincent procureur fiscal ; il 
semble quele curé Cellier a fort mal géré les biens de la paroisse ; 
on constate qu'il a fait couper beaucoup d'oliviers morts et de 
châtaigniers des bois de la cure, que les vignes sont à l'abandon 
etc., enfin que depuis la « misère du temps » (on est au lende- 
main du grand hiver de 1709), la dévotion du peuple a cessé. 

Enfin nous serons renseignés sur ce qu'étaient devenues au 
milieu du XVIII: siècle quelques unes des institutions dont nous 
avons parlé plus haut, par un « Mémoire pour monseigneur 
l’Evêque et pour le curé de Chassiers » (1755). 

Le curé demande à l'Evêque, comme prieur de Chassiers, de 
lui accorder telle somme qui sera jugée à propos pour les 
novalles. pour les menues dépenses et pour un clerc. 

Conclusion. « Ainsi il parait expédient, comme l'avoit projeté 
et promis Mgr de Villeneuve, que Mgr l'Evèque de Viviers et 
M. le curé de Chassiers passent un acte de transaction dans 
laquelle, d'un côté, Mgr se départe en faveur du curé de tous les 
droits qu'il peut avoir sur les biens fonds, rentes et pensions, 
dont M. le curé a joui jusqu'à présent, et sur tous ceux qu'il 


LA PAROISSE DE CHASSIERS I21 


pourra jouir à l’avenir, comme ayant été donné anciennement à 
l'église de St-Hilaire, aux curés, vicaires, prêtres de l'université 
et aux recteurs des chapelles anciennes de N. D., de St-Julien, de 
St-Jean, de St-Antoine, de St-Barthélemy et du portanier de la 
dite église et paroisse,lesquelles n'ont point de recteurs et chape- 
lains depuis plus de 30 ans et sont censées unies à la cure: 
auxquels biens il ne paraît pas de service particulier attaché, 
chargeant cependant le dit curé d'acquitier par exemple une 
messe chaque mois de l'année pour les fondateurs et donateurs 
des biens. Et de l'autre côté, M. le curé renonce, en faveur du dit 
seigneur Prieur, à tous droits de novalles et de menues dépenses 
et du clerc, moyennant cependant la somme de 60 livres que 
Mgr lui donnera chaque année au delà de sa portion congrue. » 

Ainsi en 1755 il n'était plus question ni de l’université des 
prêtres (ceux de Chassiers se réduisaient au curé et à un clerc},ni 
de chapelains ; les chapelles elles-mêmes tombaient en ruines et, 
le 18 mars 1772, l'évêque autorisait le curé Servant à en faire 
démolir deux, dont celle de N. D. de Pitié, « ces chapelles étant 
« dans un état de vétusté, sans toit, porte ni fenêtres, et qui ne 
« servent à autre usage qu à la retraite des pauvres et libertins, 
« profanées depuis longtemps par les indécences et immondices 
« que ces sortes de gens y font » ; le curé était autorisé à vendre 
les matériaux au profit de l'église de Chassiers. 

Cependant si des chapelles tombaient en ruines, d'autres se 
construisaient : le 22 juin 1768, le curé Servant bénit solennelle- 
ment la chapelle que les habitants de Chalabrèges ont fait 
construire sur la place du dit lieu, sous l'invocation de N. D. du 
Mont Carmel et de Bon Secours. 

Le 31 mars 1753, avait été bénie par M° Christophe Defrance, 
curé de Largentière, à l’honneur de Ste-Rose une cloche jetée en 
fonte le 28 mars et pesant 10 quintaux. Parrain : Antoine de 
Chalendar de Lambras ; marraine : Catherine Rose Desarcis, 
épouse de Jean Bellidentis Rouchon, 1°" consul de Chassiers 

Et le $ août 1775, était bénie la grande cloche pesant 2; 
quintaux. Parrain : François Denis Auguste de Beauvoir du 
Roure, comte de Brison, représenté par Mathieu de Julien, sgr 
de Vinezac ; marraine : dame Françoise de Chaponay, comtesse 


9 


122 LA PAROISSE DE CHASSIERS 


de Brison, représentée par Marie Françoise Agnès de Narbonne- 
Pelat, dame de la Beaume ; ladite cloche a été nommée Marie 
Françoise. 

La Revue du Vivarais a déjà publié les noms de beaucoup 
d'entre les curés de Chassiers dans la monographie de M. de 
Montravel(i) et nous n'avons guère que quelques noms à yajouter. 
Voici ceux que nous avons relevés jusqu'à la Révolution. 

En 1412, Guillaume de Chalendar, fils de Jacques et de Jean- 
nette de Chassiers : 

1432, Pons Prévot, exécuteur testamentaire de Pierre de 
Chalendar, le fils de Jacques ; | 

1455, Nicolas Prévot ; 

1462, N. de Brolio ; 

14:56, Picrre e Chalendar, fils de Bertrand de Chalendar et 
d'Ilelix de Borne ; 

1507, Guillaume de Chalendar, présent au 1°" testament de 
Guigon son frère (fils des mêmes); 

1518, Pierre de Chalendar, présent au 2° testament de Guigon ; 

1520, Jean de Chalendar, neveu des précédents (fils d'Armand 
de Chalendar et de Louise Stagel ; 

1581, Chabre {cité par M. Mazon dans son Vieux Largentière) : 

1600, Louis de Chalendar de Cornillon, fils de Guillaume et de 
Catherine du Roure:; | 

1624, Charles Viale ; 

1643, François Serret ; 

1654, Jacques Pavin ; 

1656, Mathieu Martin ; 

1666, Jean Cellier, jusqu'en 1710 ; 

1710, Guillaume Rian ; 

1714, Noël Nicolas, mort en 1722 ; 

722, André Gaud ; 

1735, d Entrevaux ; 

1735, Antoine Faure ; 

1743, Servant, décédé le 26 juin 1782 ; 

1782. La Vernade ; 

1785, Joseph Victor Pavin. jusqu'à la Terreur. 

(À Suivre). François de CHARBONNEL. 


(1) Revue du Vivarais du 15 Mai 1900. 


LA 


COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 
DANS L'ANCIEN TEMPS 


ARMOIRIES DE LA VILLE DE ST- 


AGRÈVE : de gueule à la lour 


d'argent maçonnée de sable, sur- 
montée d'une couronne murale 


également maçonnée de sable (1). 


Les délibérations municipales conservées dans les archives de 
la mairie de St-Agrève ne remontent qu'à l'année 1765. Mais 
avant, d'en donner un aperçu, il nous paraît utile d'indiquer les 
principales données connues sur l'administration locale du lieu 
aux époques antérieures. 

Or sait que la vie communale, dont l'existence n'est pas 
douteuse chez nos prédécesseurs gaulois et romains, avait été 
plus ou moins étouffée par l'effet des invasions des barbares, et 
ne reprit un nouveau cours que vers le XII[° siècle, quand les 
progrès économiques et sociaax permirent aux populations 
d'obliger les seigneurs féodaux à compter avec elles. 

C'est ce du'on a appelé l'affranchissement des communes, ou 
même la naissance du tiers-état. Ce fut une révolution plus 
importante que celle de 1789, et qui eut sur celle-ci l’avantage de 
se faire graduellement et généralement par des voies pacifiques. 


(1) Ces armoiries, qui sont brodécs sur la bannière de la fanfare de St-Agrève, 
donnée par le marquis de la Tourette vers 1865 à l'Echo du Mézenc, furent 
alors indiquées à cette société musicale par M. de Clavière, comme étant celles 
de l’ancienne ville de St-Agrève. 


124 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


Elle se traduisit par des transactions ou des chartes de libertés 
et franchises, que le seigneur féodal accordait à ses vassaux, 
lesquels lui payaient ordinairement, en retour, une somme 
d'argent plus ou moins forte, qu'on peut considérer, soit comme 
l'acquittement d'une dette contractée envers le seigneur chargé 
de leur défense militaire, soit même, si l'on veut, comme une 
liquidation du droit de conquête. 

Le seigneur se dépouillait ainsi de son omnipotence et accordait 
à ses vassaux ce qu on appellerait aujourd'hui une Constitution. 

Le plus ancien de ces actes, que nous connaissions pour le 
Vivarais, est celui de 1209. par lequel l'évêque de Viviers accorda 
aux habitants de Largentière les libertés et franchises qui résu- 
maient alors tout l’objet de leurs désirs (1). 

Vient ensuite la charte d'un seigneur de Tournon de 1211, en 
langue romaine, qui se trouve reproduite dans une charte 
postérieure, beaucoup plus explicite, de 1287 (2). 

La charte des libertés de Privas (3) est de 1281. 

Les autres chartes de libertés du Vivarais concernent : Andance 
(i215), Joyeuse (1237), Aubenas (1248), Aps (1290), Naves, 
Villeneuve de Berg et Boucieu, trois bourgs émancipés par des 
pariages royaux (1273 à 1294), Serrières (1299), Aubignas (1303), 
Annonay et la Voulte (1364) etc. 

Si, comme nous l'avons déjà fait observer ailleurs, il n'y a pas 
en Vivarais d'actes de ce genre antérieurs au XIII siècle, la cause 
en est peut-être dans l'absence de villes ou bourgs populeux, 
dotés d'une bourgeoisie puissante, comme c'était le cas des 
provinces voisines, où l’on trouve bon nombre d'affranchissements 
remontant au XIIe siècle : Nimes (1124), Marseille (1128), Arles 
et Béziers (1131). Montpellier (1141), Narbonne (1148), Romans 
(1161), Moirans (1164), Crest (1188), Montélimar (1198), Alais, 
Gap, Embrun (vers 1200), etc. 

On peut aussi supposer — et c'est le cas le plus fréquent, selon 
nous, — que bon nombre de localités du Vivarais possédaient 


(1) Voir le texte de ce document, avec notes explicatives, dans Notre Vieux 
Largenlière, p. 20 à 36. 

(2) Archives Nationales. 

(3) Nous avons publié ce document dans le Bulletin des travaux historiques 
et scientifiques 1893. 


DANS L'ANCIEN TEMPS 125 


déjà, avec ou sans chartes, des libertés et franchises, plus ou 
moins bien définies, mais trés-réelles et passées dans les mœurs, 
car une foule d'actes se réfèrent à des libertés ou coutumes 
anciennes, tellement anciennes, est-il dit souvent, qu'il nya 
plus mémoire de leur origine : c'est le cas de Bourg-St-Andéol, 
Annonay, Tournon, Lamastre, et il faut évidemment ranger 
Privas dans cette catégorie, puisque la charte de 1281 constate 
dans cette ville l'existence d'une maison de la Confrérie, c'est-à- 
dire d'une association municipale, et que dans une charte posté- 
rieure, les habitants sont formellement représentés par des 
syndics qui traitent pour eux avec Aymar de Poitiers, leur 
seigneur : on sait qu à Valence la maison commune instituée par 
les bourgeois soulevés en 1229 s'appelait la maison de la Confrérie 
et que sa démolition fut le premier article du jugement arbitral 
rendu contre eux en faveur de l'évêque leur seigneur. 

Or, nous trouvons cette mention significative dans le livre 
des reconnaissances de l'ancienne famille Largier, seigneurs de 
Chaillans (1) : 

« Antoine Luquet reconnaît à Claude Largier un sien jardin, 
situé dans la forteresse du chasteau de St-Agrève et joignant à 
la maison de la confrérie... » 

Cet acte est de 1555. [Il y avait donc alors à St-Agrève une 
maison commune. D'ailleurs, les plus anciens registres des Etats 
du Vivarais nous montrent le premier consul de St-Agrève 
assistant de tout temps aux délibérations de cette assemblée ; en 
1510, cest un Largier. À noter encore la transaction de 1438 
passée entre les baillis des deux seigneurs contre les habitants (2) 
nécessairement représentés par un syndic ou consul. Il est 
probable qu'en cherchant bien, on trouverait beaucoup d'autres 
documents plus explicites,d'où il résulterait que la vie municipale 
est aussi ancienne à St-Agrève que dans les autres villes ou 
bourgs du Vivarais nommés ci-dessus. 

Sur les rapports de la Communauté avec le seigneur, nous 
avons une indication précise dans les inventaires des biens des 
seigneurs de lournon, où l'on voit figurer pour St-Agrève : 

(1) Archives du château de Chaillans, chez Me Morin-Latour, à St-Martin de 


Valamas, 
(2) Voir page 78. 


126 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


Les revenus consistant en rentes contenues aux terriers et 
liéves, droit de lods, taillabilité aux cinq cas et autres devoirs 
seigneuriaux ; 

Le greffe et les amendes :; 

Le péage par terre ; 

Le droit de leyde ; 

Le four banal. 

On verra plus loin un incident survenu en 1771, au sujet du 
droit de leyde. entre la communauté et les agents des recettes du 
seigneur. 

Pour le XVII: siècle, l'acte le plus important de l’histoire 
communale est la déclaration des consuls, en réponse au deux 
Edits royaux d'avril et décembre 1686, qui invitaient toutes les 
communes du Languedoc à se pourvoir de lettres d'amortissement 
de leurs biens et usages. Tous les lieux ayant des propriétés de 
ce genre se rendirent immédiatement aux désirs du gouvernement 
et remirent leurs titres et déclarations entre les mains des 
commissaires nommés ad hoc. 

Les lettres royales furent expédiées en octohre 1688 à Fontai- 
nebleau et enregistrées à Toulouse et à Montpellier de 16ç0 à 
1691. Elles garantirent aux villes et aux provinces la jouissance 
de leurs « facultés », le roi prenant l'engagement, tant à son 
nom qu'au nom de ses successeurs, de ne redemander jamais 
aucune finance ni indemnité pour pareilles causes. 

Voici le texte complet de la déclaration des consuls de St-Agrève : 


LETTRES DU GRAND SCEAU (Sr-Acrève) (1) 


C'est l'aveu et dénombrement que nous, consuls de la ville de 
St-Agréve mettons et baillons par devant vous, Messeigneurs 
les commissaires députés par le Roi pour la confection du papier 
terrier et réception des aveux et dénombremens en la province 
de Languedoc, ancienne sénéchaussée de Toulouse, ressort de la 
cour des comptes, aides et finances de Montpellier, des biens, 
droits et facultés que la communauté de ladite ville possédoit en 
l'année 1639, consistans les dits biens, droits et facultés ainsi 
qu'il suit : 

Premiérement, la comunauté de St-Agrève possédoit en 
1639, savoir : les habitans de la ville du dit St-Agréve tiennent 


(1) Série C. 2998. 


DANS L'ANCIEN TEMPS 127 


une chaumasse ou comune, appelée de la Voulte, terroir de 
St Agrève, contenant 36 métanchées : confronte, du levant, terre 
de Nicolas Bonnefont et de Pierre Grailvent. jardin de M" Ayzac 
Laurens ; couchant, terre de Jacques Blanc et du sieur Granson : 
bise, terre de M. Claude Chaumier, au taux de 14 sols 7 deniers. 

Les habitans du Bourg Lestra, de la paroisse de St-Agrève et 
tout proche dudit lieu, jouissent une terre et pastural appelée de 
Montgardy, terroir dudit St-Agrève, contenant 144 métanchées : 
confrontant, du levant, champs et chaumasse et chazal de M, 
Antoine Véron ; couchant, champ de Guillaume Bard et champ 
d'Antoine Ferratier ; bise. pré, champ et chaumasse de M. 
Pierre Faure, terre,pré et champ dudit Véron, au taux de 44 sols 
7 deniers. 


Le sieur Claude de Maisonseule ou les habitans de St-Agrève : 
un grand tènement de terre appelé la comune du Mont, contenant 
100 cestérées, confrontant, du levant, pré et terre du sieur de 
Courtial et terre du sieur de Clavière, au taux de 2 livres 8 sols. 


Déclare la comunauté de St-Agrève que le ténement et terre 
appelée la comune du Mont, cy dessus couchée à ladite commu- 
nauté par le sieur de Maisonseule, est sous la rente annuelle de 4 
cestiers avoine, 30 sols argent et la taille dudit fonds au Roi: 
l'extrait duquel, pour justifier de leur jouissance, ladite commu- 
nauté se charge de remettre dans 15 jours prochains entre les 
mains de M. de Rochepierre, syndic du présent pays de Vivares 
dans la ville du Boure-GiAneol ou à autre ayant de luicharge. 
Ensuite de quoi et quelque temps aprés, la dite comunauté 
ayant resté en arrérages de ladite rente cy dessus, icelle fut 
d'obligation de se défaire du droit de poids que ladite comunauté 
exerçoit dans ledit lieu de St-Agrève, au profit dudit seigneur de 
Maisonseule, pour la somme de 3000 livres en déduction de 
celle de 5000 livres que ladite comunauté se trouvoit débitrice 
desdits arrérages, et à laquelle somme ils furent amiablement 
réglés, appert de l'acte de vente que lad. comunauté en passa 
audit seigneur, laquelle susdite somme de 3000 livres ne suffisant 
pas pour satisfaire à l'entier desdits arrérages, ladite comunauté 
fut encore obligée de passer acte de la donation de ladite terre 
et comune du Mont en faveur du sieur de Claviére avec pacte 
estipulé audit acte que ledit seigneur de Claviére, se chargeroit 
Fier un premier de la taille royale et susdite rente de 4 sestiers 

led seigle 4 cestiers avoine et 30 sols argent, ensemble qu'il 
bailleroit audit seigneur de Maisonseule, pour parfaire l'entier 
payement desdits arrérages à l'acquit et descharge de ladite 
comunauté, la somme de 2000 livres, avec les autres pactes : 
esnoncés audit acte de donation ; l'extrait de laquelle et de celui 
de la vente passée audit seigneur de Maisonseule des poids, la 
comunauté les a remis au sieur Andéol Nicol commis au fait cy 
dessus, ainsi qu'il en a apparu par l'exhibition des instructions 
et articles y mentionnés, que lui ont esté délivrés à ce sujet, 
ensemble de lettre circulaire au bas d'icelle signée par ledit sieur 


128 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


de Rochepierre syndic, mesmes par la lecture qui en a du tout 
esté faite à ladite comunauté. 

Et à l'égard de la terre et pastural appelé la Comune de 
Montgardy, ladite comunauté déclare icelle avoir été décrétée 
par un particulier dudit lieu, faute du payement d'arrérages des 
tailles, qu'il paya à l'acquit et descharge de ladite comunauté, 
ensuite d'une contrainte solidaire et emprisonnement fait de sa 
personne ; lequel particulier despuis son adjudication, quoiqu'il 
ne soit pas chargé au cadastre dudit lieu de ladite terre, en a 
toujours payé la taille, aussi bien que ledit sieur de Clavière de 


celle cy-devant espécifiée en l'autre article quoiqu'il n’en soit pas 
de mesme chargé. 


Comme aussi ladite comunauté jouit et possède ladite terre de 
chaumasse ou comune appelé la Voulte, pour laquelle en paye 
de mesme la taille, ladite comunauté n'avant aucun acte primor- 
dial pour justifier de la jouissance de ladite comune que l'extraît 
du cadastre dudit lieu tiré sur l'original, lequel a esté aussi remis 
audit commis ; laquelle comune ladite comunauté déclare en 
jouir depuis un long temps et que les habitans ont le droit d'y 
dépaistre leurs bestiaux en comun. 

Déclare en outre ladite comunauté avoir joui avant l’année 1639 
d'un droit de mesure dans ledit lieu, lequel a esté du despuis 
aliéné par ladite comunauté à un particulier, ne se trouvant 
d'icelle pour le présent l'acte d’aliénation. Extrait duquel offre 
pourtant et se charge de remettre entre les mains de mondit sieur 
de Rochepierre, syndic, dans le mesme délai de 15 jours prochains, 
ou à autre de lui ayant charge, dans la ville du Bourg: St-Andéol. 

Plus déclare ladite comunauté jouir du droit et faculté de 
couretage dans ledit lieu de St-Agrève, et que ledit droit est 
affermé par ladite comunauté chaque année jusques à la somme 
de 13 livres, comme appert du certificat fait par le greffier consu- 
laire de lad. comunauté faisant mention de la délibération passée 
à ce sujet, lequel a esté de mesme remis audit comis. 

De mesme déclare lad. comunauté jouir du droit et faculté de 
s foires toutes les années, qu'elles se tiennent dans ledit lieu et 
avoir une place publique, la première foire le lundi saint, la 
seconde le iundi d'après Quasimodo, la troisième le lundi après 
la Pentecoste, la quatriesme le unziesme jour de juillet, et la 
cinquiesme le sixiesme jour du mois d'octobre ; comme aussi le 
droit et faculté d'un marché tous les lundis de chaque semaine, 
déclarant ladite comunauté jouir et posséder lesdits droits et 
facultés despuis un temps immémorial et n'avoir aucun acte pour 
en justifier, attendu qu'ils ont esté perdus. 

Déclare aussi lad. comunauté avoir un four dans ledit lieu, et 
icelui estre banal en faveur du seigneur dudit St-Agrève. 

Déclare encore lad. comunauté avoir dans ledit lieu un ospital 
ayant sa maison et enclos. 

Et au surplus desdits articles contenus auxdites instructions et 
commissions, lad. communauté déclare n'en jouir ni posséder 


DANS L'ANCIEN TEMPS 129 


d’aucunes que les cy-devant mentionnés et n'avoir fait aucune 
acquisition depuis ladite année 1639. 

Lequel adveu et dénombrement nous consuls et habitans de la 
ville de St-Agrève nous certifions qu'il contient vérité, et en foi 
de quoi signés le 25 avril 1687 (1). 


Fa 

Sur la manière dont la ville était admimistrée, et sur les 
questions qui motivaient, de la part des habitants, des plaintes 
plus ou moins justifiées, une requête, des habitants adressée en 
1722 à M. de Bernage, intendant du Languedoc, nous fournit 
quelques renseignements intéressants. 

Les pétitionnaires disent que, « depuis quelques années, les 
officiers de la juridiction de St-Agrève se sont ingérés dans la 
fonction de la charge consulaire, de laquelle ils ne se servent que 
pour opprimer les supplians, se remettant ladite charge des uns 
aux autres,sans aucune assemblée publique, et où, d’ailleurs, leur 
voix sont de peu de considération; ce qui fait que, pour cloturer 
l'injustice de leur procédé, ils nomment à leur dévotion un 
particulier du 3° ordre, afin de pouvoir ménager plus à leur gré, 
‘et sans que aucun habitant puisse se plaindre sans encourir la 
disgrâce et les ressentiments desdits officiers,tant pourle logement 
des gens de guerre, que par la taxe qu'on leur fait plus excessive 
lorsqu'il y a lieu de contribuer à quelque charge publique ; ce 
qui n'arriveroit pas s'il y avoit un premier consul qui fût un des 
premiers habitans de la ville, qui se trouveroit en état de 
contrebalancer l'autorité que les dits officiers se sont acquise et, 
en cas de contravention et d'aitentat à l'autorité consulaire, de 
vous en porter les plaintes, attendu que le sieur juge de cette 
ville, bien loin d'aller conformément au devoir de sa charge et au 
bien de la communauté, s’est chargé du fournissement de l'étape, 
quoique cependant il ne s'acquittepas de ce devoir, cequi est d’un 


(1) C'est à l’obligeance de M. Gaudin, bibliothécaire de la ville de Montpcl- 
lier, que nous devons la communication de cette pièce qui se trouve dans les 
Lettres du grand Sceau (archives départementales de l'Hérault). Le titre géné- 
ral du recucilest celui-ci : Amortissements. Diocèse de Vaviers [3 volumes) con- 
tenant les lettres du Grand Sceuu, expédiées en exécution de l'Edit du mois de 
décembre 1680, avec les dénombrements des biens el droits amortis, ensemble les 
arréls d’enregistrement desdites lellres pour les communautés de. 
(ordre alphabétique). 


130 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


préjudice infini aux supplians, qui n'osentse plaindre quoiqu'on 
leur consomme le peu de bienqu'ils peuventavoir pour l'entretien 
de leur famille. À ces causes, vous plaira, Monseigneur, ordonner, 
que les arrésts et règlements seront exécutés ; ce faisant, faire 
défense aux officiers de s'immiscer aux fonctions de la charge 
consulaire, et défense aussi auxdits habitans qu'ils pourroient 
avoir à leur dévotion et dans leurs intérêts, de leur donner dans 
l'élection consulaire leur suffrage, et [ordonner] de nommer un des 
quatre premiers conseillers politiques compris dans la requeste 
que les supplians ont présentée à votre Grandeur répondue de votre 
ordonnance du 21 février dernier cy attachée et dûment signifiée, 
et que pour l'avenir les habitans suivront l'ordre qui s'y trouve 
marqué, puisque les y dénommés sont les principaux habitans 
dont le zèle pour le bien public a toujours paru aux supplians, et 
qui n'a été arresté que par les considérations énoncées dans la 
présente requeste — et ferez justice — RoLLaNDE (1). » 


Voici la réponse de l'Intendant : 


« Vu la requeste, nous ordonnons qu'il sera procédé annuelle- 
ment à la nomination de nouveaux consuls au jour marqué 
accoutumé. Enjoignons aux consuls en charge de nommer pour 
leurs successeurs des sujets capables pris dans le nombre des 
plus notables et principaux habitans, à l'exception néanmoins des 
officiers de la juridiction de St-Agrève, qui ne pourront estre 
nommés à peine de nullité de l'élection consulaire, auxquels 
faisons défense de s'ingérer à faire les fonctions de consul sous 
peine de désobéissance. Fait à Montpellier le 23 mai 1722. 
Signé BERNAGE. » 


Les termes de cette pièce montrent que le mode d'élection des 
consuls à St-Agrève était le même qu'à Largentière, Pradelles, 
le Bourg-St-Andéol, et probablement dans tout le Vivarais, 
c'est-à-dire que les consuls sortant de charge choisissaient 
eux-mêmes leurs successeurs (2). 

Il en résulte aussi que les officiers du seigneur, c'est-à-dire le 


(1) Archives de la cure de St-Agrève. 


(2) Voir pour les détails de cette élection la Revue du Vivarais de novembre 
1901. . 


DANS L'ANCIEN TEMPS 131 


juge, le lieutenant de juge et le procureur d'office ne pouvaient 
pas, ou du moins ne devaient plus cumuler ces fonctions avec la 
charge de consul, mais nous verrons bientôt que cette prescription 
n'était pas toujours observée. 

se 

Arrivons aux délibérations municipales dont le compte-rendu a 
étéconservé. 

Les données suivantes concernent l’année 1765. 

Le maire et juge de la ville est Antoine Bollon du Fraysse. Les 
consuls sont Pierre Testud et Ignace Freycenet. Le conseil se 
réunit, le 14 juillet, pour la confection du budget communal, où 
nous relevons ce qui suit : 

Gages du maître d'école, 150 livres, et 15 livres pour le loyer 
de l'école : 

Gages de la maîtresse d'école, 100 livres, et 10 livres pour le 
loyer ; 

Gages du premier consul, 12 livres ; 

— du 2° consul, 9 livres ; 

— du greffier consulaire, 32 livres 12 sols, à la charge par 
lui de fournir le papier timbré du rôle, du registre des délibé- 
rations et autres actes, et de leur expédition suivant l'usage ; 

— de celui qui est chargé de la conduite et entretien de 
l'horloge, 24 livres ; 

— du sonneur de cloches, 12 livres ; 

Pouf le loyer de la chambre des deux vicaires, 30 livres ; 

— le louage des casernes, 100 livres ; 

Fonds des dépenses imprévues, 40 livres. 

On nomme François Moulin greflier consulaire, en remplace- 
ment de Rouveure qui, dit le procès-verbal, néglige les devoirs 
de sa charge. On autorise même des poursuites contre Rouveure 
et ses prédécesseurs, en remise des registres et autres papiers 
de la communauté : ce qui explique pourquoi nous n'avons pas 
les délibérations antérieures à 1765.. | 

Celles de cette année se résument en deux points principaux : 

1° L'adoption d'un projet tendant à paver et aligner unifor- 
mément les rues, les consuls ne trouvant pas d'autre moyen pour 


132 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


empêcher les habitants de creuser des fosses ou mares,le long des 
places ou rues, à l effet d'y faire du fumier (ne pas oublier qu'il 
s'agit ici de l'ancienne ville de St-Agréve, dont il ne reste 
aujourd'hui que quelques débris sous la maison de Clavière) ; 

2° L'établissement d'un messager hebdomadaire pour la 
correspondance avec le Puy, de qui St-Agrève dépend au point 
de vue judiciaire. On fixe à 40 livres le salaire annuel de ce 
messager. 

Mais il serait trop long de suivre ces délibérations à la file, et, 
nous bornant aux principales questions qui s'y trouvent débattues, 
nous allons, en premier lieu, résumer aussi brièvement que 
possible tout ce qui touche à l'organisation municipale elle-même 
et à ses démèlés avec l'autorité seigneuriale. 

Les consuls étaient assistés par six conseillers, qui formaient 
ce qu'on appelait le conseil politique, lesquels, dars toutes les 
questions touchant aux finances de la commune, procédaient 
d'accord avec un égal nombre des plus imposés, et c'est ce qu'on 
appelait le conseil renforcé. 

Les manquants pouvaient être condamnés à l'amende. En mai 
1567, les consuls sont chargés de se pourvoir auprès de l'Intendant 
de la province pour faire condamner à l'amende les conseillers 
nommés pour le renforcement « à cause de leur affectation à ae 
pas se trouver en Ja présente assemblée ». 

Il paraît que les capacités n'abondaient pas, Ainsi, le 27 octobre 
1771, en procédant au renouvellement de la moitié du conseil 
ordinaire et renforcé, on décide de laisser les mêmes en exercice, 
à l'exception de deux, « vu la difficulté de trouver des sujets 
capables et plus fort contribuables ». 

À la même époque, on discute si les consuls doivent avoir 
voix délibérative. Ceux-ci la réclament en vertu d'un Edit de 1766. 
L'assemblée la leur refuse « en vertu de l'usage immémorial ». 

Le 17 janvier 1779. le consul Dufour dit qu'on aurait dû 
renouveler en totalité,ou au moins à moitié,le conseil conformé- 
ment aux ordonnances, et il ajoute que le renouvellement 
« devient tout à l'heure bien difficile par le petit nombre des 
signataires de cette communauté, paraissant toutefois décent et 
nécessaire que le nombre des douze personnes formant le conseil 
sachent au moins mettre leurs noms sur le tome des délibérations ». 


DANS L'ANCIEN TEMPS 133 


Les consuls avaient un chaperon qu'on leur remettait aussitôt 
élus. S'ils démissionnaient, ils le remettaient au greffier consulaire. 

La levée des tailles était donnée aux enchères, et celui qui, 
ayant fait les meilleures conditions, était déclaré adjudicataire, 
devait fournir une caution suffisante. 

Le conseil avait. comme aujourd'hui, un valet de ville. On voit 
par une délibération du 6 décembre 1767, que cet utile fonction- 
naire avait disparu « à cause de la modicité du traitement »; 
mais le deuxième consul Choisin expose qu'il est nécessaire d y 
revenir, « parceque son absence expose les consuls à beaucoup 
de désagréments : ils ne peuvent plus, en effet, publier ni afficher 
les ordonnances de police, lesquelles restent souvent sans exécu- 
tion ; ils ne peuvent contenir la foule dans les processions et 
autres assemblées, par suite de quoi les consuls se trouvent 
ordinairement confondus dans la populace sans ordre ni rang, 
etc. ». | 

Le conseil vote alors 20 livres par an pour les gages d'un valet 
de ville, plus 60 livres tous les trois ans pour l'habiller. 


Une des grosses difficultés de l'administration municipale à 
St-Agrève paraît avoir consisté dans l'incurie ou le mauvais 
vouloir des conseillers qui n'étaient rien moins qu'assidus aux 
réuaions où ils étaient convoqués. Les procès-verbaux signalent 
une foule de cas où un ou deux membres seulement s'étant 
présentés, il fallait ajourner, et quelquefois à plusieurs reprises, 
les délibérations à prendre. Sur une question de déplacement de 
cimetière, en 1779, il y eut six ajournements successifs. | 


Le 21 septembre 1766, à l'occasion de l'établissement d'une 
cotisation, et au sujet de la résistance de quelques habitants de 
la paroisse, qui, relevant de la seigneurie et commanderie de 
Devesset, prétendaient jouir des exemptions et privilèges attachés 
à l'ordre de Malte, le premier consul fit observer que la commu- 
nauté de St-Agrève, ayant perdu plusieurs notables habitants, 
tels que M. de Clavière, seigneur du lieu, représenté par M. de 
Vogué habitant Aubenas, M. le comte de Maisonseule, représenté 
par M. le comte Dubourg habitant Roanne en Forez, M. Veillerma, 
représenté par M. de Montrond habitant Plan de Baix en Dau- 
phiné, M. Denis de Montrond de Laulanier représenté par M. 


134 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


Dayras, de la paroisse de S-Didier, M. Bollon de Mayfreche, 
représenté par M. de Monjou, de la paroisse de Silhac, leurs 
cotes de capitation sont restées en pure perte et en surcharge à 
la communauté. 

En 1567, un Edit ayant réduit le nombre des officiers munici- 
paux, le consul Freycenet, dans une séance du conseii du 1°" mars, 
exposa les difficultés de l’administration comimunale, surtout à 
l'égard des troupes qui sont exigeantes, le soin des proces, la 
réparation et construction des casernes, le rétablissement d'un 
pavé général, etc. D'où la nécessité d'augmenter ou au moins de 
conserver le nombre des officiers municipaux existants. Il faut 
donc obtenir de l'Intendant de la province la permission de 
continuer, comme avant l'Edit, pour tout le temps que la situation 
de la communauté pourra l'exiger, obtenir, à cet effet, que l'office 
de lieutenant, se trouvant au nombre de ceux réunis à la commu- 
nauté, soit exercé pour tenir lieu de troisième consul par le sieur 
Bollon, ou tel autre notable, « avec d'autant plus de raison que 
les habitants de cette communauté ne pouvant former au plus 
que trois classes, il convient qu'elles soient représentées par un 
officier de chaque classe, pour ne laisser aucun motif de jalousie 
ou de partialité parmi lesdites classes ». 

Nous pensons qu'il s'agit ici des trois classes de contribuables 
que nous trouvons établies plus loin dans une délibération de 1774 
pour servir de base à une avance nécessaire à la communauté ; 
et, comme Îles noms qui les composent représentent évidemment 
toute la haute et moyenne société de St-Agrève quelques années 
avant la Révolution, nous crovons qu'il n'est pas sans intérêt de 
les donner dans cette notice. 

Les plus forts contribuables (1° classe), taxés à 48 livres sont : 
MM. le marquis de Vogué, le marquis Dubourg, Bollon, de 
Montrond, Lachau, Saint-Romain, Brunel-Moze, Ronchol, 
Cizeron, Testud (médecin), Lacombe, Rouveuré (notaire), la 
dame Laurent Dubesset, la veuve Paule Laforet et J. J. Barbier. 

La 2° classe, taxée à 30 livres, est formée par MM. de Flossac, 
Testud (notaire), Brunel, Garde (notaire), les hoirs Pevret, la 
demoiselle du Pinet, Herbuer, Des Roys, de la Roche, Jouve, 
Marson de Montgros, les hoirs de Lacour, Bollon de Mars, 
Chambonas, M. de Lestrange et Pierre Grand (maréchal). 


DANS L'ANCIEN TEMPS 135 


Ceux de la 3° classe, taxés à 18 livres, sont : MM. D'Arcenéche, 
Blache, Dufour, André Argaud, Me du Pontet, Antoine Noyer, 
Pierre Franc, Jean Pierre Pinet, Antoine Moulin, Jean Marmeys, 
Jacques Fargier, la demoiselle Rouveure, Chambonas, Pierre 
Ferrapic, Jean Menut, le sieur Pireyre, André Chantre, Jacques 
Ferrier, Mathieu Boulhol, Jacques Rialhon, Pierre Chapellon, 
Jacques Crouzet, Jean Beal, le sieur Desroys (notaire), Jean 
Grandoulier de la Chapelle, J. P. Chazel, Pierre Crouzet, Jean 
Dupré, Jacques Cheynet de Ladreyt, Félix Bernard Jacques 
Chazot, Jean Filip, Antoine Noalhet, Jacques Fay de Malaval, 
Abel Bernard, Jean Costechareyre, J. P. Verilhac, Pierre Clot, 
Marc Antoine Terier, fean Boyt et Mathieu Astier. 


Les démèélés entre la communauté et le seigneur du lieu (le 
marquis de Vogué),ou ses représentants locaux, tiennent une 
certaine place dans les procès verbaux du conseil à partir de 1767. 

Le 21 mai, Pierre Roche, procureur juridictionel, représentant 
le marquis, seigneur haut justicier de la ville au nom de la dame 
de Truchet, sa femme, dit que le seigneur revendique le droit de 
nommer et choisir les consuls, parmi les sujets que lui proposera 
la communauté, « suivant le droit inhérent aux seigneurs 
dominants dans le ressort du Parlement de Toulouse ». 


Le consul Freycenet répond que le seigneur n'a ni titre ni 
possession légitime pour la nomination des consuls et qu'iln'y a 
pas lieu de s'arrêter aux vains raisonnements du procureur, qu'il 
faut rejeter comme dénués de tout fondement, et il propose en 
conséquence de procéder d'ores et déjà à la nomination des 
consuls. 

L'assemblée donne acte à Roche et à Freycenet de leurs 
déclarations, sans préjudice des droits de la communauté et du 
seigneur, et on procède à l'élection des consuls qui sont M° 
Antoine Bollon du Fraysse, avocat en Parlement, et juge de la 
ville, et M° Pierre Choisin, chirurgien. 

Le 13 mars 1770, Bollon,premier consul et maire,ayant démis- 
sionné pour raison de santé, on nomma Brunel de Moze à sa 
place. Mais Brunel d'Arcenesche objecta que la qualité de 
lieutenant de juge qu'avait Moze était incompatible avec celle de 
maire. L'assemblée décida que les sieurs consuls seraient continués 


136 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


pour une année. Mais Bollon étant mort peu après, on élut les 
trois nouveaux consuls qui furent Testud, Freycenet et Noyer. 

Le 25 août 1770, nouvelle protestation de Roche et réponse 
identique, dont l'assemblée prend acte, tout en nommant elle- 
même ses consuls. 

Au sujet de ces diflicultés pour les nominations de maïres et 

de consuls, il faut noter ici que de tout temps la royauté chercha 
à y intervenir, d'abord, en désignant le maire sur une liste de 
trois candidats présentés par la commune, et plus tard en le 
nommant directement, ce qui eut lieu de plus en plus fréquemment 
malgré les protestations des communes, et dès lors qu'il n'est 
pas étonnant de voir les seigneurs du Languedoc revendiquer un 
privilège analogue sur leurs vassaux. 
_ On sait, d'ailleurs, que dans la seconde moitié du XVII: siècle, 
Louis XIV, obligé de se créer des ressources pour ses guerres, 
érigea en titre d'office les fonctions de maire et les rendit vénales ; 
les villes qui voulurent conserver leurs privilèges durent racheter 
elles-mêmes les nouveaux offices. Depuis ceite époque jusqu à la 
Révolution, selon les besoins d'argent, une série d'Edits abolit 
et rétablit successivement les offices de maires, rendant de temps 
en temps aux villes le privilège de l'élection pour avoir le prétexte 
de les leurs faire racheter quelque temps après. À certains 
moments, on créa même, en sus des offices existants, de nouveaux 
offices de maires alternatifs et triennaux dont les titulaires 
devaient exercer la charge de maire alternativement avec ceux 
qui en avaient été pourvus par des Edits antérieurs. Puis les 
charges de ces nouveaux offices n'ayant pas eu le résultat espéré, 
on rétablit la liberté des élections à la charge par les villes de 
rembourser aux titulaires le prix de leurs acquisitions. 

Le cas des maires alternatifs et triennaux ne se présenta pas à 
St-Agrève, mais nous verrons plus loin qu'il y eut un office de 
maire qui fut ensuite racheté. 


* 
* x 


Le 30 juin de l'année 1771, il y eut une réunion du conseil 
três-mouvementée à l’occasion du droit de leude (ou leyde) perçu 
par les préposés du seigneur sur toutes les denrées apportées au 


DANS L'ANCIEN TEMPS 137 


marché, même sur les bestiaux venant des foires voisines et 
traversant St-Agrève. Le premier consul, Brunel d'Arcenesche, 
aprés une charge très-vive contre Îles agents scigneuriaux, 
exprime, du reste, la pensée que ceux-ci ont agi sans l'ordre de 
leur maitre, « car le marquis de Vogué est trop équitable pour 
refuser la communication de ses titres, après que ses gens l'ont 
averti qu'on leur refusait le payement de la leude faute de cette 
communication... » 

Et, en effet, le dimanche suivant, Roche, le procureur d'office, 
déclare que M. de Vogué n'a eu l'intention de faire aucune 
injustice, que c'est contre son équité que Chaleat, le garde des 
bois, a exigé la leude des denrées autres que le blé et tout ce qui 
se mesure, requérant, (« sans faire toutefois aucun acquiescement 
préjudiciable aux droits du seigneur, qu'il soit avant tout 
commis un membre de l'assemblée pour faire les supplications 
convenables audit seigneur, afin d'être édifié sur son titre au 
regard de la leude... » 

Le 27 octobre suivant, Roche revient sur la prétention du 
seigneur de nommer les consuls sur une liste proposée par le 
conseil. [| demande l'exécution de l'édit « malgré les usages et 
abus du passé ». Le juge Brunel de Moze s'en tire par un procédé 
fort en usage dans l'ancien temps : il décide que, sans préjudice 
du droit des parties, il sera provisoirement procédé à l'élection 
des consuls. L'assemblée propose Testud comme premier consul, 
mais Roche s’y oppose, parce que Testud n'a pas encore rendu 
compte des deux années de son administration et le juge lui 
donne raison. Moze décide alors que les consuls préconiseront 
deux candidats dont l’un sera élu à la pluralité des voix premier 
consul, et qu'immédiatement aprés il sera de même proposé deux 
candidats dont l’un sera élu 2° consul, lesquels exerceront 
provisoirement, et si les consuls refusent de préconiser, cela sera 
fait par le premier conseiller politique. D'Arcenesche proteste 
contre ce jugement comme absurde. Néanmoins Lacombe, 
premier conseiller politique, propose et préconise Testud, 
notaire, ou la continuation des consuls modernes. C'est cette 
dernière solution qui prévaut. 

Le 26 novembre 1772, Brunel de Moze, ayant obtenu des 


10 


138 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVYE 


provisions de maire, convoque le conseil pour lui en donner 
lecture et jouir des prérogatives y attachées ; mais les consuls 
Jui envoient une protestation par huissier, portant que personne, 
en dehors d'eux n'a pouvoir de les convoquer. Roche, procureur 
d'office, dit qu'il n y a pas lieu de s'arrêter à cette protestation et 
qu'il faut passer outre à la lecture et publication des provisions. 
L'un des consuls, Dufour, se départ alors de sa protestation et 
déclare ne vouloir empécher en rien l'exécution des provisions. 

Le 6 décembre suivant, Moze représente que, suivant ces 
provisions, le roi lui a accordé, outre les honoraires dont 
jouissaient les anciens titulaires de pareils offices, des gages de 
150 livres, sur le pied du denier 20 du capital de sa finance, à 
prendre sur les revenus de la communauté. | 

Une question de préséance, touchant aux' relations de la 
communauté avec les officiers du seigneur, agita vivement les 
esprits au mois d’août 1773. Le 29 de ce mois, le greffier Moulin 
communique un acte de lestud, lieutenant du juge, qui se plaint 
d'excés et d'attentat, commis à son endroit par le premier consul, 
Brunel d’Arcenesche, à la procession du 1; août. Testud déclare 
avoir été insulté et troublé dans les prérogatives honorifiques de 
sa charge, attendu que, devant précéder les consuls comme 
représentant le seigneur, d'Arcenesche s'est précipité sur lui et 
l'a repoussé violemment. Par respect pour le lieu, Testud a cédé : 
mais il proteste. Il croit que l'affaire avait été préméditée entre 
les consuls et le maire. Il somme la communauté de déclarer si 
elle approuve ce procédé attentatoire aux droits du seigneur. 

Le second consul Dufour déclare que le maire et lui n’ont fait 
que prendre le rang qui leur est dû ; ils ignorent les motifs qui 
ont poussé le premier consul. Dufour ajoute qu'en attaquantla 
communauté cn général, Testud fait preuve de partialité et 
d'esprit de tracasserie, que le maire et le second consul s'en 
rapporteront toujours, pour les rangs et préséances, aux ordon- 
nances du roi et aux arrêts du Parlement. 
| L'assemblée opine dans ce sens, et voici en quels termes ses 

membres résolvent alors le problème qui consiste à ménager la 
chèvre et le chou : 


« Ils déclarent qu ils n'ont aucune connaissance ni participation 


DANS LL ANCIEN TEMPS 139 


aux démarches du premier consul ; qu'ils ne les ont autorisées 
ni n'autorisent en aucune voie de fait ; qu ils ne prétendent porter 
ni donner aucun trouble aux droits et prérogatives du seigneur, 
marquis de Vogué, moins encore porter la moindre attcinte aux 
droits, préséances et honorifiques de leurs consuls et autres 
officiers municipaux, pour la conservation desquels ils font toutes 
les protestations de droit, et s'en référeront toujours quant à ce 
aux ordonnances du Roi, arrêts du Parlement et ordonnances de 
nos seigneurs des Etats généraux, déclarant qu'ils ne prétendent 
ni ne veulent faire partie directement ni indirectement dans les 
contestations qui sont et peuvent survenir entre le sieur premier 
consul et le sieur l'estud, voulant que la présente lui soit signifiée, 
pour qu'iln'en prétende cause d'ignorance et que les actes écrits 
à sa requête soient annexés à la présente. » 


Le 2 février suivant, D’Arcenesche dit que, par suite de l'Edit 
de création des mairies, Testud, lieutenant du juge,na pas le 
droit d'assister aux délibérations du conseil. Testud répond qu’il 
y assiste comme premier conseiller politique. 

L'incident du 15 août 1773 fut porté devant le présidial du Puy, 
au nom de Dufour et de la communauté, contre d'Arcenesche ; 
mais, par délibération du 21 avril 1776, Dufour désavoua la 
chose et la communauté déclara ignorer entièrement le procès. 

À partir de cette époque, c'est le premier consul Joseph Laurent 
Brunel d'Arcenesche qui joue le rôle principal à St-Agrève, en se 
faisant l'antagoniste et le critique ardent de l'autorité seigneu- 
riale jusqu'au jour où, devenu lui-rême le juge de la baronnie, 
c'est-à-dire le premier officier du seigneur, il passe au service de 
celui-ci et du même coup voit la faveur publique passer à ses 
adversaires. 

Le 25 septembre 1775, Brunel d'Arcenesche, premier consul, 
réclame l'exécution des Edits. Il a convoqué l'assemblée de tous 
les taillables de la communauté, afin que, suivant les Edits, ils 
procèdent à la nomination des principaux taillables qui ensuite 
procéderont eux-mêmes, en la forme prescrite, à la nomination 
des maire et lieutenant de maire, puis à celle d'un procureur du 
roi et d'un secretaire greffier. 

Le maire, Brunel de Moze, donne acte à d' Arcenesche de son 


140 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


dire et, vu le petit nombre de membres présents, renvoie l'affaire 
à une autre séance. Il explique ensuite qu'il doit jouir des 
prérogatives de sa charge de maire jusqu'à son remboursement 
effectif qui, par des circonstances particulières, a été retardé. Il 
proteste contre toute élection qui pourrait être faite à son 
préjudice. Mais, le 10 décembre, il annonce qu'il a été remboursé 
de sa finance et que la communauté a Île libre choix de ses 
administrateurs. 

Alors intervient Roche, le procureur juridictionnel. Il ne 
s'oppose pas à la nomination des consuls, mais il requiert, 
« suivant le droit commun de cette province, » qu'il soit préala- 
blement présenté au seigneur un état de trois sujets les plus 
capables d'en exercer les fonctions, afin que le seigneur en fasse 
choix lui même et qu'il en soit de même du conseil politique. Et 
il proteste pour le cas où l'assemblée voudrait passer outre. 

Le 14 janvier 1776, l'assemblée convoquée pour nommer les 
deux consuls, dont le premier jouira des droits et prérogatives de 
maire, renomme d'Arcenesche et Dufour à l'unanimité. Ils sont 
nommés pour 3 ans. 

Le 16 février, d'Arcenesche absent depuis le 22 novembre 
paraît pour prêter serment. Îl proteste contre certains procédés 
de l’ex-maire de Moze et surtout contre la réquisition de Roche 
du 10 décembre, déclarant que la communauté a toujours eu le 
droit de nommer ses consuls, ajoutant que l'assemblée aurait dû 
protester comme en 1767. 

L'assemblée s'associe à sa protestation. 

Le 10 mars suivant, le conseil déclare que les officiers seigneu- 
riaux n'ont pas le droit d'assister aux délibérations, et Brunel de 
Moze et Roche sont invités à quitter la salle, ce qu'ils font. Le 
médecin Testud, élu conseiller, refuse de prêter serment « et veut 
coucher un comparant » ; on le lui refuse, « pour obvier aux 
longueurs », et on en nomme un autre à sa place. 

Le 31 mars, conflit entre les consuls et les officiers du seigneur, 
se disputant l'exercice de la police locale. Le conseil appuie les 
consuls. 

Le 10 mai 1778, d'Arcenesche annonce qu'un acte lui a été 
signifié au nom du marquis de Vogué. « Cet acte est déplacé, 


DANS L'ANCIEN TEMPS f41 


irrégulier et fait à la requête d'une personne sans qualité : 
1° parceque les seigneurs n'ont aucun droit de s'immiscer dans 
l'administration des communautés, qu'ils sont même exclus des 
assemblées d'icelles etc. Parlant de la question de préséance, il 
rappelle les arrêts d'après lesquels toutes les contestations entre 
les officiers des communautés et les officiers de justice tant royale 
que bannerette sont évoqués par le roi en son conseil. D'Arce- 
nesche nie le droit constant (d'après Voygué) des officiers du 
seigneur de précéder non seulement les consuls mais les maires 
nommés le Roi, et cite des arrêts contre cette prétention. Il 
montre que Vogué a été mal informé au sujet des élections des 
consuls et des conseillers politiques. Il réfute longuement l'acte 
qui lui a été signifié. 

Vogué voulait non seulement qu'on lui proposât des sujets 
pour consuls, mais aussi que les consuls fussent tenus d'avertir 
les officiers seigneuriaux 24 heures avant les réunions du conseil, 
avec indication des sujets qu'on traiterait, ce que d’'Arcenesche 
trouvait inacceptable, et sur son avis, le 17 mai, le conseil décida 
de soumettre cette double question à l'Intendant du Languedoc, 
en le priant de maintenir les droits et prérogatives de la commu- 
nauté. En même temps, la question relative à la nomination des 
consuls fut portée devant le conseil du roi. 

Il serait fastidieux de relater tous les petits incidents des 
années suivantes. La tension des rapports entre les officiers 
seigneuriaux et le conseil à la dévotion de d’'Arcenesche s’accuse 
surtout par une sorte de grève des premiers qui, bien qu'invités 
aux délibérations municipales, y brillent presque toujours par 
leur absence. 

En 1787, il y a une violente querelle entre d'Arcenesche et 
Lemaigre la Chazotte, sieur de Laulanier, le frère du curé. 

En 1788, d'Arcenesche, premier consul maire, est nommé juge 
du seigneur. 

Dès lors, il se trouve en telle divergence avec le chirurgien 
Choisin, second consul, qu'il se voit dans l'obligation de démis- 
sionner « en déposant son chapcron sur le bureau ». Ce grand 
événement local se produisit le 1°" juin. Le conseil décida que le 
chaperon resterait entre les mains du secrétaire. 


142 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


Le mois suivant, la situation devient encore plus aigüe. Deux 
conseillers étant à nommer, on les remplace par M. de 
Laulanier et M. Julien de Baume, deux ennemis personnels de 
d'Arcenesche. Celui-ci reproche à Choisin d'avoir fait faire 
l'élection par le conseil politique, et non par l'assemblée des 
habitants, comme il le faisait lui-même. Il considère l'élection 
de Laulanier et de Baume comme le fait d'une cabale montée 
contre lui. On voit alors l’un des conseillers les plus influents, 
Champavère, se mettre contre le nouveau juge, en l'accusant 
d'avoir voulu lui nuire auprès du seigneur. Champavère proteste 
du dévouement de tous pour M. de Vogué. Il déclare l'acte du 
juge d'Arcenesche « faux, supposé, calomnieux et sans cause ». 

C'est seulement le 21 mai 1789 qu'on procéda à l'élection d’un 
premier consul maire, en remplacement de d’Arcenesche démis- 
sionnaire depuis un an. M. de Flossac fut élu et en cette qualité 
désigné pour aller représenter St-Agrève aux Etats du Vivarais. 
Mais d'Arcenesche, prétendant que l'élection de Flossac était 
irrégulière et nulle, déciara qu'il partait lui aussi pour aller 
représenter St-Agrève aux Etats. 

La suite de l'incident se trouve dans le compte-rendu de la 
séance du 19 juin suivant aux Etats du Vivarais où le débat est 
longuement exposé. Finalement, d’'Arcenesche fut débonté de sa 
demande, et c'est M. de Flossac qui fut admis dans cette assem- 
blée comme le vrai représentant de St-Agrève. 


A. MAZON. 


LE PRIEURE ET L'EGLISE 
DE MACHEVILLE 


(Suire Ill). 


Les Jésuites, qui succédérent aux Bénédictins dans le prieuré 
de Macheville, paraissent avoir eu une influence prépondérante 
dans les affaires jusque vers le milieu du XVIIIe siècle. Ils possé- 
daient aussi le prieuré de Veyrines. C’est par leurs missions et 
celles des Pères Lazaristes que le pays fut ramené à la religion 
catholique, bien plus que par les prétendues dragonnades et 
persécutions dont on a tant parlé sans les connaître à fond. Il 
résulte de bien des documents que,lorsque les guérres religieuses 
eurent cessé et que les ferments politiques, causes des luttes 
sanglantes du XVI: siècle, eurent disparu, les populations revin- 
rent d'elles-mêmes à leur ancienne religion. Des villages entiers 
abandonnèérent la Réforme, après délibération publique, consuls 
en tête (1). 

Nous avons quelques renseignements sur les choses et les gens 
de cette époque. La ville de La Mastre portait alors le nom de 
Savel La Mastre et se composait de maisons groupées sur les 
flancs du vieux château et auprès du pont jeté sur la rivière de 
Condoye. Toute la plaine jusqu'à la digue n'était qu'un marécage 
dont les miasmes dangereux entretenaient, dans la vallée, la 
fièvre paludéenne. Au reste, le pays,situé au confluent de quatre 
cours d'eau, le Doux, le Sumène, le Condoge, le Grozon, a 
toujours passé pour être très fiévreux et cette mauvaise réputation 
n'a disparu que grâce aux travaux d'assainissement exécutés 
sous le second Empire par l'administration intelligente de M. Du 
Besset qui fut si longtemps maire de Lamastre. 

Les minutes du notaire Charrier nous fournissent quelques 
notes intéressantes sur divers incidents survenus à diverses 
époques avant la grande Révolution. Le 28 décembre 1641, 


{1} Lettres instructives ct historiques (Bibl. du Protest.) 


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LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 145 


Jacques Balthazar, consul du lieu Savel La Mastre, reçut du 
Prince, commandant en Vivarais un ordre de faire la nomination 
d'un soldat aguerri pour le service de sa Majesté. Il le fit et on 
délibéra d'imposer certaines sommes pour acheter les armes 
nécessaires au soldat et pour les frais de sa mise en route. Un 
certain Claude Moleyre fut désigné pour lever les deniers. 


Le consul et Moleyre agirent tant et si bien qu'ils eurent des 
difficultés ensemble au sujet des comptes infidèlement rendus. 
Moleyre prétendait avoir remis à Balthazar 80 livres et avoir le 
reste en sa possession. Balthazard prétendait n'avoir rien reçu ; 
mais Moleyre affirmait le contraire et pour conformer son dire, il 
ajoutait que lui, Molcyre ne faisait que lire les cotes tandis que 
Balthazar recevait l'argent. 

Le document ne dit point comment l'affaire fut réglée et si le 
soldat aguerri fut expédié armé et équipé pour le service de sa 
Majesté. | 

Le 30 mai 1644, Broudon et Mascou, des Ollières, s'engagent 
à amener, à Macheville, l'eau des sources de Fages et Franche- 
zial, en fournissant les conduits nécessaires, les ciments, etc. La 
communauté devait fournir l'argile et le bois nécessaire pour la 
faire cuire. On devait payer 60 livres le dimanche suivant, 60 
livres après achèvement des travaux et le reste ultérieurement. 
Les entrepreneurs s'engagèrent à faire couler l'eau de la fontaine, 
à Macheville, dans un an et un jour. L'acte fut passé au Prieuré 
et signé par Pierre Guyot curé. 

Les Jésuites ne desservaient point la paroisse ; il y avait à 
Macheville. dans la maison curiale, qui existe encore de nos 
jours, un curé et un vicaire. Un deuxième vicaire, desservait 
Monteil. 


Dans un accord intervenu, vers le mois de février 1645, entre 
le curé et Jean Bertz et Pons Garnier, nous trouvons quelques 
renseignements concernant les rapports entre catholiques et 
protestants. Bertz et Garnier avaient enlevé une pierre tombale 
du cimetière de Macheville pour la placer sur le corps de Pierre 
Valoud, du lieu des Hières. Le curé les fit poursuivre et l'inten- 
dant lança contre eux un arrêté de prise de corps. Les prévenus 
firent assigner le curé devant la chambre de l'Edit,à Castres,pour 


1406 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


faire casser le décret. L'affaire fut portée au Conseil du Roi et au 
Conseil des Intendants. On produisit au procès une transaction, 
survenue le 2 mai 1636, entre les catholiques et les protestants 
de l'endroit, par laquelle il est permis à ces derniers de transpor- 
ter dans leur cimetière les pierres qui avaient servi d'ancienneté 
sur leurs tombeaux. Le curé ignorait cette transaction, il se 
désista des poursuites, indemnisa Bertz, Garnier et le fils Valoud 
au moyen de trois obligations de chacune 60 livres Le R. P. 
Jallat, syndic du collège du Puy et prieur de Macheville, ratifia 
l'accord, sans approbation toutefois du droit prétendu par Bertz, 
Garnier et autres, disant le droit concédé, dans la dite transac- 
tion, devoir être limité à l'année suivant immédiatement la 
transaction. 

On sait qu'autrefois les protestants enterraient leurs morts 
dans leurs propriétés particulières. Cette coutume a existé jusqu'à 
la Révolution et se maintient même encore de nos jours dans 
certaines localités. 

Le 28 avril 1652, une transaction intervint entre les communautés 
de Macheville et de St-Barthélemy-le-Pin sur l'étendue de leurs 
taillabilités respectives. Les habitants de Macheville avaient 
compris, dans leur compois, divers fonds de la paroisse de 
St-Barthélemy. On fit une cote mal taillée entre les deux 
communautés. 


Une autre transaction du 28 avril 1652 passée entre Pierre des 
Boscz, seigneur de Solignac et de Colombier-le-Vieux, dame 
Jeanne de Cellier, dame de Portalez et le prieur de Macheville, 
à raison de leurs droits seigneuriaux sur la grange des Hières, 
nous apprend que les tenanciers de la grange sont Pierre 
Rouméatz dit Broé et Bernard Valloud. Il résulte de l'acte que le 
seigneur de Solignac a perdu ses titres et terriers « lorsque le 
château fut pris et brûlé pendant les guerres civiles, ainsi que le 
dict sg" des Boscz a vérifié par la procédure qui fut faite en 
l’année 1624, faite d'autorité du maréchal de Nismes. » | 


Vers la même époque, les Jésuites eurent un long procès avec 
les habitants de Machevilie au sujet des tailles qu'ils voulaient 
faire revivre. Après la mise en commende des prieurés, les 
Bénédictins avaient laissé tomber en désuétude les droits 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 147 


seigneuriaux. Îl apparaît même que les habitants de Macheville 
ne payaient pas les tailles qu'ils devaient au prieuré. Les Jésuites 
produisirent les pièces et reconnaissances que nous avons citées 
au commencement de cette notice. Les habitants de Macheville 
se défendirent trés-bien en attaquant la validité des actes produits 
à la cour, en prouvant qu'ils n'avaient jamais payé au prieur 
aucunes tailles ni fourni aucunes corvées, ayant toujours vécu 
libres de leurs personnes, depuis 360 ans. Une délibération du 
conseil d'une chambre du Parlement de Tonlouse du 13 juillet 
1663, leur donna raison. L'affaire se prolongea et finalement, une 
nouvelle délibération du 29 janvier 1666, signée La Guarrigue, 
donna définitivement gain de cause aux habitants. 

Le 24 avril 1653, une transaction intervint entre le s° Guyot 
curé de Macheville et Monteil et le prieur de Macheville, syndic 
du collège du Puy, au sujet de l'union des chapelles fondées 
dans les églises de Macheville et Monteil et de leur revenu à la 
cure de Macheville 

Guyot étant obligé de tenir un vicaire à Monteil, trouve que 
la somme de 300 livres qui lui était payée par le syndic confor- 
mément aux édits n'est pas suffisante « pour son entretien et 
celle de son vicaire, considéré la grande cherté des provisions 
nécessaires et que le casuel des dites églises est de peu de 
considération, attendu qu'une partie des paroissiens font encore 
partie de la religion prétendue réformée. 

Le P. Audibert représentant le syndic. consent à ce que les 
chapelles en question (N. D. de la Pitié, St-Claude, St-Sébastien, 
St-Antoine, St-Gallibert, et Ste-Colombe), soient unies à 
perpétuité, avec leur revenu, à la cure de Macheville. Guyot 
payera au vicaire chargé de Monteil 135 livres par an, en ce non 
compris les émoluments qui pourront arriver au dit vicaire dans 
l'église de Monteil, des messes de dévotion ou de charité et 
oblations des paroissiens dans l'exercice de sa charge, sauf aux 
sépultures, trentains et bouts Jd'an que le dit vicaire sera obligé 
d'advertir le dit curé pour faire l'office au Monteil et quand le 
curé viendra, les émoluments seront partagés (1). 

Les chapelles de N. D. de Pitié et de St-Sébastien avaient 


(1) Documents extraits de la Collection Mazon. 


148 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


des tableaux que l’on peut voir encore à l'église de Macheville. 

Les desservants des paroisses étaient réduits à la portion 
congruc de 300 livres. Les dimes de la paroisse de St-Basile 
furent abandonnées au curé pour sa portion congrue. Celles de 
St-Didier de Crusso! l'avaient été aussi ; mais avec une redevance 
annuelle de 2 quartes de froment, 22 setiers de scigle, 10 setiers 
d'avoine, et deux quartes d'orge (1). 

Le 23 octobre 1656, le P. Audibert, syndic du prieur de 
Macheville, arrente les dimes de Colombier le Jeune à Jean 
Traversier et Felix de Longueville, à raison chaque année, de 
71 salmées seigle, 4 salmées froment, et s 1/2 muids de vin. Si 
le vin ne convient pas, le syndic pourra en acheter dans la dite 
paroisse aux dépens des fermiers. | 

Le $s août 1657, une transaction intervint entre Joachim de 
Prarond sg" de la Gruterie (2) au sujet des tailles de la commu- 
nauté de Macheville. 

Les consuls de Macheville avaient fait faire un compois où 
était compris un domaine, appartenant au s' de la Gruterie. 
Celui-ci prétendait que le domaine était noble et franc de toute 
taille. Mais il n'avait pas les titres. 

Il avait demandé, au prieur de Macheville, certains actes 
d'hommages :; mais il n'avait pu les obtenir, soit que le prieur 
fut d'intelligence avec les hommes de Macheville, soit que ces 
papiers eussent péri dans l'incendie qui, le 1°" mai 1653, détruisit 
le prieuré. Le différend concernait les tailles afférentes au mas de 
Laulagnier, pour une pièce de terre asservie au cens de quatre 
quartes de seigle et 2 sols 6 deniers argent. La paire de perdrix 
était pour l'hommage noble qu'il faisait au prieur pour le corps 
du domaine noble de toute ancienneté. La transaction acquitte 
La Gruterie de tous arrérages, moyennant 120 livres, pour le 
domaine de Laulagnier, et pour l'avenir, La Gruterie ne fut 
tenu de payer annuellement, pour ce domaine, que la moitié des 
cotes (3). 


{1} Abbé Garnodicr. Recherches sur Sl-Romain de Lerp. 

(2) La branche des Prarond est une de celles de La Grutcrie. On distinguait : 
les La Gruterie de Maisonseule, les La Gruterie de Pléyné et Chazotte, ceux 
du Port St-Vallicr et ceux de Prarond. 

(3) Collection Mazon. 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 149 


On ne voit guëre aujourd'hui de ces transactions entre le fisc et 
les contribuables. 

En 1671, les consuls du Puy refusérent au collège des Jésuites 
la pension annuclle qui lui état dévolue. Le prieuré de Mache- 
ville, disaient-ils, résigné aux Jésuites du Puy, postérieurement 
au contrat de fondation, valait plus de 2000 livres de revenu. Les 
Jésuites objectérent que les trois prieurés de Polignac, Solignac 
ét Macheville rendaient, toutes charges payées et déduites : 1189 
livres, 15 sols et 9 deniers. On voit que les biens du prieuré qui 
étaient si importants au moyen âge s'étaient évanouis. Par la 
suite des temps, les fermes avaient changé de maître. 

Nous n'avons rien trouvé d'intéressant, sur ce qui s'est passé à 
la révocation de l'édit de Nantes. En décembre 1698, sur l'ordre 
de la cour, on démolit, sept maisons, à Macheville, quartier de 
Montmagnon, parce que le pasteur Claude Brousson avait 
séjourné dans ces contrées l’année précédente (1). 

Nous avons vu que Île prieuré fut détruit par un incendie 
survenu en 1653. C'est vers cette époque que fut décidée la 
reconstruction de l'église faite sous la direction des Jésuites de 
Machevilleet de M. de Reboulet d'Arcenesche, seigneur d'Urbillac. 

« L'église actuelle, dit Ovide de Valgorge qui écrivait dans la 
« première moitié du XIX° siècle, se développe sur l'emplace- 
« ment d'une église primitive, qui, au dire de la tradition, existait 
« dés le X° siècle. Bien qu'il ne reste plus de traces matérielles 
« de cet ancien édifice, on doit tenir néanmoins ce fait pour 
« certain et avéré. Cette église, aujourd'hui l'église paroissiale 
« de La Mastre n'a pas environ trois siècles d'existence et se 
« présente dépouillée du symbolisme mystérieux de l'église 
« primitive. Sa porte est ogivale, son abside affecte, à l'extérieur, 
« Ja forme d’un pentagone régulier et l'appareil entier de sa 
« masse est d’une beauté étonnante. 

« Une terrasse plantée d'ormeaux, conduit de l'église aux 
« bâtiments de l'ancien prieuré. Ces bâtiments bien conservés 
« sont soutenus, avec hardicsse au dessus des pentes rapides d'un 
« frais et étroit vallon, au fond duquel, coule un torrent qui va, 
à quelques pas de là, noyer ses eaux dans celles du Doux, et 


= 


(re) ArnauD de Crest. Hist. des Protestants du Vivarais. 


150 LE PRIEURÉ El L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


« sont habités par des religieuses de l'ordre de St Joseph qui y 
«_ ont formé un couvent ouvert aux jeunes filles pauvres du pays. 

Nous complèterons la description ci dessus par quelques détails 
qui feront mieux ressortir la beauté sévére de ce monument. 

L'église est à trois nefs ; l'appareil extérieur est en granit 
perphvroïide du pays, entièrement en picrres de tailles, par 
assises réglées et à parements layés. Le chœur et les deux 
chapelles latérales sont en forme de niches à l'intérieur ; une 
vaste baie à plein cintre s'ouvre au fond du chœur. À l'extérieur, 
cette baie est encadrée par deux belles colonnettes avecchapiteaux 
et une archivolte moulurée du plus gracieux effet. Les baies des 
chapelles latérales sont aussi à plein cintre. Le transept et sa 
croisée ont de belles proportions. Les baies sont ogivales et celle 
qui est du côté du nord est de dimensions sensiblement plus 
étroites que l'autre. Le jour est donné par des baies ouvertes sur 
les bas côtés. Les arcs intérieurs sont en ogive surbaissée. Les 
piliers sont carrés avec demi colonne dans la grande nef et à la 
croisée du chœur et du transept. Ces colonnes sont surmontées 
de chapiteaux que nous supposons provenir de la primitive église. 
Du côté de la chapelle de la vierge, entre deux chapiteaux on lit 
une date qui est, croyons nous, celle de 1659. 


La porte ogivale, remarquée par Ovide de Valgorge et qui a 
disparu lors de la construction de la nouvelle façade appartenait 
aussi, selon nous, à l’ancienne église, car au XVII° siècle vers 
1659 époque de la reconstruction de l'Eglise, les Jésuites 
n'auraient point admis le style ogival. [l faut admettre que, 
par raison d'économie la porte fut conservée. 

La grille du chœur est en fer forgé. Au milieu de la façade, au 
dessus de la porte, était un œil de bœuf qui ajourait la grande 
nef. Le clocher était carré, à l'italienne, avec, sur chaque face, 
deux baies géminées à plein cintre, sans fléche ni corniche. 

On y accédait par un escalier ménagé dans l'épaisseur du mur 
de face, de sorte que le clocher pouvait devenir, le cas échéant, 
un lieu de refuge pour les habitants. On reconnait encore aujour- 
d’hui la chapelle affectée à la famille seigneuriale de la Gruterie. 

La sacristie est placée derrière une des chapelles latérales de 
façon à desservir, à la fois, l'église et la chapelle des S'*-Os. 


LE PRIEURÉ ET L'KGLISE DE MACHEVILLE IS 


Avant le XVIe siècle les églises n'avaient point ce local ; les 
prêtres s'habillaient derrière l'autel. 

On remarquait, autrefois, un tapis en basse lisse, représentant 
le massacre des Innocents. Des soldats romains, débarqués de 
vaisseaux dont les voiles se détachaient sur le ciel qui faisait le 
fond, tenaient des enfants et les massacraient pendant que des 
femmes en pleurs s'enfuyaient éplorées. Cette telle œuvre. qui 
était en mauvais état,fut, paraît-il, échangée contre un beau tapis 
flambant neuf de feutre imprimé. La fabrique fit certainement ce 
jour là une plus mauvaise affaire que l'acquéreur. 

Dans la chapelle des saints Os, on peut voir des reliquaires 
provenant des Bénédictins, qui,s'ils ne sont pas des œuvres d'art, 
ont du moins pour eux le mérite d'une antiquité incontestable. 
L'un d'eux contient un morceau du crâne de St Boniface, apôtre 
de la Germanie. Les inscriptions en latin, aujourd'hui effacées se 
lisaient encore assez bien il y a trente ans. 

De 1674 à 1775, un grand nombre de personnes furent enterrées 
dans l'église parmi lesquelles : plusieurs membres de la famille 
de !a Gruterie, dars la chapelle seigneuriale, des membres des 
familles Soubeyran, dont un était châtelain de Macheville en 
1737, de Reboulet d’Arcenesches, seigneurs d'Urbillac, Rochebil- 
lière, Montreynaud, Ponsard, capitaine châtelain de Lamastre, 
de Girons également capitaines châtelains, de St Cierge, 
Fauriel, etc., etc. 


(A suivre). Récis TARTARY. 


TENTE -- 


VARIETÉS LITTLRAIRES 


LE PAYS 


De près, le clocher du millage 
Est lé:ardé, sans goût, massif ; 
Îl a, de loin, autre risage 

Plus élégant, plus expressif. 


Notre patois, rude langage, 
De près semble grossier, naïf ; 
Loin du pays, c est un ramage 
Qui fait réver et rend pensif. 


De la terre qui nous vit naitre, 
Quel que soit ailleurs le bien-être, 
Monte un chant jamais surpassé. 


Le cœur est un luth monocorde 
Sur lequel le divin passé 


à 
Dit la chanson qui nous accordelz = © 
7” : _ 
re CHA S / 
PETITE VILLE pue 


Dès que les ombres descendues 
D'un voile couvrent la cité, 

Au sein des plus petites rues 
Tout bruit soudain est arrété. 


Des lueurs vagues el menues 
Tremblottent dans l'obscurité 

Et, sur terre, tombent des nues : 
La paix et la tranquihté. 


Un ivrogne qui se balance 
Parfois vient troubler le silence 
Des murs endormis et sans voix. 


Ou, tenant séance commune, 
Les chats, en congrès sur les toits, 
Poussent des concerts à la lune |... 


HEnrt BOMEL. 


Annonay, 23 février 1902. 


LA 


OÙ CLOCHER 


AVANT-PROPOS 


EE 


La Tour de Viviers est un des monuments les plus curieux du 
Midi de la France, et cependant des moins connus. Il n'existe en 
eflet aucune Notice particulière sur cet antique édifice, où l'ogive 
est venue s'ajouter au style à plein cintre. Aussi voit-on rare- 
ment, à Viviers, des touristes étrangers avoir seulement l'idée 
— que personne d'ailleurs en ville ne songe à leur suggérer — 
d'en faire la visite et l'ascension, si intéressantes cependant pour 
des amis de l'art. /gnoh nulla cupido. 

Ceux de nos compatriotes qui en ont parlé le plus au long 
sont : 1° M. l'abbé Clément Bourg, de Viviers, le frère de M. 
Adolphe Bourg, notre ancien vicaire-général. On lui doit d'ail- 
leurs une Vie de saint Venance et une Notice sur l'église de Cruas, 
paroisse dont il était curé. En janvier 1881, il a publié dans le 
Patriote de l'Ardèche quelques articles sous le titre de : Le Clocher 
de Viviers. En donnant « le résultat de son examen et de ses 
recherches personnelles, sur la date de construction de l'édifice 
et la destination de ses diverses parties », il exprime le désir de 
voir un architecte habile faire de ce clocher l'objet d’une 
« Monographie h'storique et descriphive qu'on lirait avec plaisir et 
profit ». L'architecte désiré ne répondant pas à cet appel, c'est 
un simple profane en archéologie qui vient le faire. Tout en 
renouvelant Jui-même le vœu formé par son docte confrère, il n’a 
pas voulu f-ustrer entièrement, ni plus longtemps, l'attente du 
puclic, celle surtout des venciables membres du Chapitre, qui 
l'ont encouragé dans sa téméraire entreprise ; 

2° Le D' Francus, dans son Voyage au pays FHelvien en 1885, 


154 LA TOUR OÙ CIOCHER DE VIVIERS 


et dans la Revue du Vivaraisen 1893. Notre infatigable écrivain 
Vivarois n'a pas manqué de consacrer quelques unes de ses pages 
à la Tour de Vivicrs, et de résumer ce qu'il savait alors de plus 
intéressant sur ce sujet 

3° M. le chanoine Chenivesse, enfant de Viviers comme les 
MM. Bourg et les MM. Flaugergues. On lui doit plusieurs 
manuscrits intitulés : Notes diverses sur Viviers, écrites à partir 
de 1892. Ces notes comprennent un vol. in-folio et deux vol. in-4° 
avec un supplément. Nous y avons puisé plusieurs détails, avec 
des appréciations et des réflexions très judicieuses sur divers 
points qui intéressent notre sujet. 

Avant 1870, à part le chanoine de Banne qui lui consacre quel- 
ques lignes dans ses Mémoires, et le père Flaugergues dont nous 
parlerons tout-à-l'heure, nos écrivains Ardéchois n’ont presque 
rien dit de la Tour de Viviers, et, si je ne me trompe, les étran- 
gers encore moins (1). C'est à pcine si M. Albert du Boys la 
nomme dans son Album du Vivarais (1843). « En descendant le 
Rhône, de Valence à Avignon, on aperçoit sur la droite et sur 
un roc isolé, un clocher qui a la forme élancée d'une tour 
mauresque, et, tout à côté, une vieille cathédrale, avec ses ogives 
noircies par le temps, et cette espèce de charpente en pierres qui 
caractérise les églises gothiques. » C'est tout. 

M. de Valgorge, dans ses Souvenirs de l'Ardèche (1846), n'en 
dit pas davantage. « Vue de loin, l'église cathédrale de Viviers, 
debout sur son rocher, ressemble à un de ces châteaux dont le 
moyen-âge avait couvert le sommet de nos montagnes. Rien ne 
manque à l'illusion, pas même le clocher, dont la forme massive 
et carrée rappelle cette Tour du Nord si chère aux romanciers, et 
aux facteurs de légendes, où veillaient nuit et jour les sentinelles 
du seigneur châtelain. » Pas un mot de plus. 

M. le vicomte de St-Andéo!, en 1865, dans la France littéraire 


(1) L'auteur de Les Bords du Rhône de Lvon à la Mer (1843), parle de 
Viviers, dont il vient admirer la Cathédrale. Il n’a pas un seul mot pour la 
Tour. — Je trouve cependant sur élle, dans les Notes manuscriles du comman- 
dant Lustrou, le frère du chanoine de ce nom, un assez long passage. Il l’a 
üuré d'un ouvrage dont il ne donne ni la date, n1 le nom de l'auteur, mais 
seulement le titre qui est celui-ci : T’oyiges fifforesques et 1omanliques dans 
l'ancienne France, L. 2, page 132. art, Vivarais. Nous ne manquerons pas de 
l’utiliser. 

1] 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 155 


de Lyon, en parlant de notre belle église romane de Thines, 
admire incidemment la Tour de Viviers, mais sans la décrire. 
« À la vue de cette église, dit-il, l'impression se partage entre 
l'admiration et la stupéfaction devant cette œuvre cachée jusqu'à 
ce moment ; car on a devant les yeux la construction la plus par- 
faite du Vivarais, qui n'est égalée que par celle de la Tour de 
Viviers : œuvres royales d'une même époque (?) et qui n'ont 
jamais été surpassées. » 

Nous avons lieu de croire qu'aucun de ces trois derniers auteurs 
touristes n'avait visité et surtout étudié notre monument. Il 
semble difficile en effet de penser que, s'ils l'avaient visité atten- 
tivement, ils n'eussent pas eu la pensée de communiquer plus au 
long leurs impressions au public instruit auquel ils s'adressaient. 

M. de St-Andéol, en particulier, eût-il manqué de mentionner, 
sinon de décrire, dans une de ses nombreuses publications, la 
belle coupole de notre clocher, lui qui parlait de la cathédrale 
de Viviers comme « ayantété sans doute (une église) à coupole 
et àtransept (1). » 

Cependant une circonstance particulière vint attirer l'attention 
des archéologues sur notre clocher monumental. Peu d'années 
avant sa mort arrivée en 1870, le dernier auteur que nous venons 
de nommer avait publié deux brochures que devait utiliser, vingt 
ans plus tard, M. le chanoine Corblet l’auteur de l'Histoire du 
Baptème. 11 y était question de Baptistères : Baptistère de Mélas; 
piscines ou cuves baptismales de Payzac, de Sauveflantades, de 
Vogué, de Gratières. Le sujet ne manquait pas d'intérêt pour les 
antiquaires et les amis de l'histoire locale. Il fut l'objet d'intéres- 
santes recherches et observations parmi les laïques et parmi 
le clergé. 

Quoi qu'il en soit, on arriva à cette conclusion que « la Tour 
de Viviers était un Baptistère. » Ce sont les expressions de M. 
Chabalier, ingénieur des mines. dans Vais et les Environs, paru 
en 1877. Cette simple phrase, que nous retrouvons aussi dans 
les Voyages pitloresques, cités plus haut, traduit l'opinion des 
savants d'alors, dans notre pays, sur la question, opinion entre 


(1) Mémoire de St-Andéol sur les Eglises du Vivarais, lu en 1857 au Congrès 
de Valence. 


156 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


autres du personnage dont parle M. l'abbé C. Bourg, quand il 
dit : « Un éminent archéologue, qui a fait une étude spéciale des 
antiquités du département de l’Ardèche, a vu dans notre clocher 
une construction dont le rez-de-chaussée servait en même temps 
de portique extérieur et de Baptistère pour l'église cathédrale. » 

Il s'agit sans doute ici de M. Laval, architecte diocésain de 
Viviers, ou de M. Raymondon, architecte départemental, ou 
mieux encore peut-être de M. Baudot, qui fut longtemps un des 
trois inspecteurs généraux des édifices diocésains et monuments 
historiques, (il l'était encore en 1892). Toutefois, le nom qu'a 
voulu mentionner M. Bourg ne nous étant pas suffisamment 
connu, nous le désignerons, dans cette brochure, par la lettre X 
ou par les mots Archéologue anonyme. 

Vers la fin du dernier siècle, un chapitre de deux pagesintitulé : 
Clocher de Viviers ; description du premier étage, fut inséré dans 
les Mémoires de M. Flaugcrgues. Mais ce chapitre a passé 
inaperçu même pour la plupart des rares lecteurs de ces Mémoires 
restés manuscrits. Ce n'est qu'en 1896 qu'il a été signalé par 
l'auteur de la Notice sur l'astronome Honoré Flauger gues. Pour 
nous, micux favorisé, nous en posstdions déjà entre les mains 
une copie écrite par M. A. Bourg, depuis l'apparition des articles 
de son frère. Cette copie porte pour titre: « Clocher de Viviers 
(Extrait des Mémoires de M. Domiaique-Antoine Flaugergues, 
pére de M. Honoré l'astronome, p. 124) ». Il commence par ce 
préambule : « J'ai été curieux cette année (1:86) d'examiner et de 
décrire le premier étage du clocher que je n'avais vu que super- 
ficiellement ; il est intéressant. » 

C'est dans ces deux ou trois pages que nous avons trouvé 
mentionnées pour la première fois, si je ne me trompe, les quatre 
inscriptions lapidaires qui accompagnent les quatre figures allé- 
goriques sculptées en bas-relief dans l'intérieur du monument. 
On ne les voit signalées nulle part ailleurs, que nous sachions. 
C'est en vain que nous les avons recherchées parmi les /nscrip- 
tions chréliennes du Vivarais (1853 et 1886) de M. l'abbé Paradis, 
et parmi les Jnscriplions du Vivarais. insérées par M. Ilenri 
Vaschalde dans le Bulletin d'Archéolocie de Valence et de Viviers 
(1888). 


LA TOUR OÙ CIOCHER DE VIVIERS 157 


Ces inscriptions murales du genre de celles que les paléogra- 
phes ou mieux les épig ephistes sont si heureux de rencon:'er 
sur les murs des vieux éd'fises, nous ne les avons pas seulement 
recueillies avec empressement, elles nous ont de plus mis sur la 
voie pour en découvrir de nouvelles. Nous avons fini, en effet, 
par apercevoir le morog-amme du Christ, des signes lapidaires, 
des sigles, d'autres figures, des ornements de toutes sortes sur 
les parois intérieures du dôme. 


Au dernier moment, nous recevons un précieux renseignement 
que rien n'avait pu nous faire soupçonner. Nous le devons à 
l'obligeance de M. Baussan, l'aimable architecte diocésain et des 
monuments historiques de l'Ardèche, notre ancien condisciple du 
petit-séminaire. C'est que M. Fenri Revoil de Nimes, dans son 
bel ouvrage in-folio Architecture romane du Midi de la France, 
a consacré une planche de l'appendice d'un de ses volumes, au 
premier étage de la Tour de Viviers. Malheureusement il ae l’a 
fait précéder que d un tiers de page de texte, et il ne dit rien des 
quatre inscriptions ni des nombreuses sculptures historiées. 
Heureux serons nous de combler cette lacune nous-même. En le 
faisant nous sommes sûr d'exciter la curiosité d'un grand nombre 
de lecteurs, mais surtout d'intéresser les amateurs de paléogra- 
phie, d'épigraphie et d'iconographie chrétiennes. 

D'auties ouvrages inconnus de nous, composés par des person- 
nes étrangères au département ou même à la France, des Anglais 
surtout, peuvent aussi parler du monument qui fait l'objet de 
cette étude. Nous serions désireux de pouvoir en dresser la liste 
et d'y puiser des renseignements nouveaux. En attendant qu'ils 
nous soient signalés, nous avons dà nous borner à faire mention, 
et à tirer parti, des seules publicaiions ou manuscrits qui nous 
sont tombées sous la main, en y ajoutant le résultat de nos recher- 
ches et de nos observations personnelles. | 

De toutes les tours dont on a conservé ici le souvenir : tours 
rondes de la Roubine, de Chäteau-Vieux, de l'Evêché (ancien); 
tours carrées de la Trau,de St-Martin et de Florès, où est actuelle- 
ment l'horloge de la ville, le Clocher est la principale etla seule à 
laquelle on donne le nom de Tour de Viviers. 

Ce monument historique, reconnu et entretenu par l'Etat, est, 


158 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


d'après M. de St-Andéol, « la plus belle tour carlovingienne 
qu'il y ait en France. » Elle mérite l'attention des architectes et 
des archéologues, des antiquaires, des sculpteurs, des personnes 
qui se livrent à l'étude des écritures anciennes et des inscriptions 
gravées sur les monuments du passé. Les touristes vraiment 
dignes de ce nom lui doivent au moins une visite. 

C'est un des plus remarquables édifices romano-byzantins 
encore existants attribués à la scconde race de nos rois Sa forme, 
comme celle de la tour de Crémone (Italie) est à la fois carrée, 
octogone et crénelée. Elle est bâtie sur un rocher élevé d'une 
quarantaine de mètres au-dessus du Rhône, à côté de la Cathé- 
drale et des ruines d'un vieux château. Ses créneaux dominent 
la ville, le fleuve, les routes environnantes et les deux lignes du 
chemin de fer P.-L.-M. des deux rives. Du haut de :a plus 
haute terrasse, la vue s'étend jusqu'aux montagnes neigeuses du 
Dauphiné. | 


Déchue de son ancienne importance, la Tour de Viviers ne 
sert plus aujourd'hui que de campanile à la Cathédrale, de 
belvéder aux curieux. de serre à l'ancienne maison de Sandon- 
Tourville et de débarras à l'église. De celle-ci elle n'est séparée 
que de quelques mètres, juste la longueur du pont-levis qui 
devait les unir plus d'une fois en temps de guerre. Mais elle 
conserve toujours son aspect de vieux donjon avec ses plates- 
formes crénelées qui rappellent certains campaniles d'églises 
cathédrales d'Italie dont parle le chevalier J. Bard, dans son 
Nouveau guide d'Archéologie. 

Les notes et recherches qui vont suivre serviront à faire con- 
naître aux voyageurs qui traversent le pays en touristes, aux amis 
de nos antiquités, les divers usages auxquels la Tour de Viviers 
a été consacrée depuis plus de mille ans qu'elleexiste. Elles feront 
ressortir et apprécier les diverses destinations de chacune de ses 
parties. 

Commençons par décrire le monument à l'extérieur et à l'inté- 
rieur tel qu'il est actuellement. Nous dirons ensuite ce qu'ilétait 
jadis. Nous accompagnerons le tout de quelques explications et 
des divers renseignements que nous aurons pu recueillir sur cette 
intéressaite construction de nos pêres. 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 159 


En deux mots, Tour de Viviers aujourd'hui, Tour de Viviers. 


autrefois ; tel est le sujet de cette étude qu'il ne nous a pas été 
possible de rendre aussi complète que nous l'aurions désiré. La 
raison en est que les vieilles etriches archives de la Cathédrale, du 
Chapitre, et de l'Evêché de Viviers, n'existent plus : avec beaucoup 
d'autres, elles ont été livrées aux flammes par les barbares 
d'abord, puis par les huguenots et enfin par les révolutionnaires. 
Les documents faisant souvent défaut, on en est réduit sur divers 
points aux présomptions et aux conjectures. 


IL LA TOUR DE VIVIERS AUJOURD'HUI 


S 1. DESCRIPTION DE LA TOUR A L'EXTÉRIEUR 


La Tour de Viviers, comme un vieux arc de triomphe aban- 
donné, a cessé depuis longtemps de servir de passage et aux 
fidèles et aux soldats qui se rendaient de la ville à l’ancienne 
Cathédrale, ou au château, par la porte de la Gache, ouverte 
encore dans le rempart. Au lieu de la traverser comme jadis sous 
ses arceaux, on se contente de la contourner, à cause de son 
affectation à d’autres usages. 

Le côté occidental se trouve inclus dans un jardin particulier, 
situé en contre-bas, à côté duquel on voit une Madone sur un 
angle de la maison attenante. Le côté nord est englobé dans un 
autre jardin, situé en contre-hact, et appartenant au Chapitre. 
Au midi et au levant rêgne l'escalier qui monte au parvis de la 
Cathédrale actuelle et du parvis de la Cathédrale à une esplanade 
et au plateau de Chäteau-Oieux. 


La hauteur totale (1) de la Tour est de 38 mêtres 50, au pied 
(1) Voir à la fin de la Notice. 


du mur du couchant. Du nord au midi elle mesure en moyenne 
g mètres 70 de côté ; de l'est à l'ouest 9 mètres 10, et 12 mètres 
25,en comprenant la largeur de la partie rectangulaire. 

Le monument se compose, de trois parties. Ce sont, dans 
le sens de l'élévation : 1° la partie carrée ou inférieure qui 
va jusqu au dessus du troisième cordon ; 2°la partie oclogone 
ou supérieure qui monte jusqu au sommet ; 3° dans le sens de la 


f 


160 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


largeur la partie rectangulaire ou latérale dont nous venons de 
parler. 

Avant de décrire le monument dans chacune de ses parties, 
nous ferons observer que, afin de flatter l'œil et de rompre la 
monotonie, six cordons de pierres le partagent horizontalement 
par zones d'inégales hauteurs et en font entièrement le tour, sans 
aucune interruption notable. Ces moulures de diverses formes 
et épaisseurs sembient indiquer les étages et en fixer le nombre. 
Mais il n’en est pas ainsi, attendu que, à l'inté-ieur, il n'existe, 
avec le seul plancher de la charpente des cloches. que trois voûtes 
en pierres : la première au niveau du premier cordon, la seconde 
entre les deux cordons qui suivent, et enfin la troisième à la 
hauteur du sixième. 


1° Description de la partie carrée ou inférieure, à l'extérieur. 


Cette partie forme en hauteur plus de la moitié de l'édifice, soit 
20 métres 60 environ. Elle comprend le rez-de-chausséeet deuxéta- 
ges, que nous appellerons, l'unétage des arcadesou premier étage, 
l'autre deuxième étage ou étage des fenêtres romanes. Le troisième 
est celui des fenêtres ogivales ou des cloches. 

Rez-de-chaussée. Nous désignons par là la base de la Tour 
depuis ses fondations jusqu'au premier cordon ; mais sans nous 
occuper pour le moment du côté qui confronte avec le jardin de 
la Madone. 

Remarquons d'abord que le terrain à partir de l'angle du sud- 
ouest, contrairement à ce qui existait autrefois, va en s'élevant 
de plusieurs mètres, tout autour du monument, jusqu'à l'angle 
du nord-est, à la hauteur du jardin du Caire ou de l'Espla- 
nade. Pour parvenir en effet de l'un à l’autre de ces deux points 
il faut gravir d'abord les neuf marches d'escalier qui précédent 
le vestibule ou porche couvert de l'église, et ensuiie les onze qui 
desservent, en passant, les deux portes de la Tour. 

La première et la plus petite de ces portes est celle de l'escalier 
du Clocher. Elle est percée dans l'angle du sud-est. La structure 
et la taille de son linteau et de son tympan, comme la teinte 
conforme des pierres qui l'entourent, la font paraître aussi 
ancienne que la Tour elle-même. Seulement on voit que, à sa 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 161 


base, elle a été allongée : pour cela on a abaïissé le seuil de deux 
marches. 

La seconde porte, à deux vantaux, sert à descendre dans la 
Tour. Elle est moderne et amortie par un arc surbaissé. Comme sa 
boiserie tombait de vétusté, on l'a refaite en 1874. L'ouverture de 
cette porte, de 2 mètres 30 de hauteur sur 1,90 de largeur, a été 
pratiquée au milieu d'un arceau muré qui mesure 3 mêtres 80 de 
large. Cet arceau faisait le pendant de l'arceau à peu prés égal 
qui existe encore au côté opposé. Jadis il devait descendre 
jusqu'au niveau primitif du rez-de-chaussée. 

Remarquons, en second lieu, que, soit au nord soit au midi, il 
existe deux arcades unies sans chapiteaux ni impostes. Une 
cloison en pierres de peu d'épaisseu: les sépare de celles de 
l'intérieur, qui sont en même nombre et leur correspondent. 
Elles ont de 65 à 70 centimètres de relief. Leur largeur en 
moyenne est de 2 mètres, et leur hauteur se rapproche de celle du 
grand arceau muré. 

Remarquons enfin que le pronaosou porche actuel de la Cathé- 
drale s'appuye, à cinq mètres de hauteur, sur la base de la Tour, 
comme sur un pilier, en formant deux arceaux ; il la couvre et 
l'abrite sur une longueur de cinq à six mètres, y compris l'angle 
du sud-est. 


Premier élage ou élage des Arcades. Cet étage, compris entre 
les deux plus bas cordons de la Tour, est orné de quatorze 
arcades, sans compter les cinq de la partie latérale, ni les dix- 
huit de l'intérieur. Il y en a quatre au nord, quatre au midi 
quatre au levant, et, au couchant, seulement deux, que la partie 
rectangulaire moins large laisse à découvert entre ses extrémités 
et les angles de la Tour. 

Ces arcades sans chapiteaux, aveugles, et d'un relief de dix à 
quinze centimétres seulement sont toutes de la même hauteur, 
huit mètres environ. Mais toutes ne sont pas d'une largeur égale. 
Il en est de diverses dimensions, depuis 0.90 centimètres, 1 mètre 
30, jusqu'à 1: mètre 50 et au delà. Les plus régulières comme 
uniformité sont les quatre du nord. 

Au dessus de toutes ces arcatures, existe une sorte d'ornement 
ou plutôt une découpure assez connue, surtout parmi certaines 


162 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


moulures du style roman. Ce sont des denis de scie posées hori- 
zontalement sur le pourtour de l'édifice. 

Au niveau de cet étage, à 5 métres 70 au dessus du pavé du 
porche, en face de la Cathédrale, le touriste remarquera une 
porte romane à tympan, dont l'ouverture est seulement de 1 mètre 
65 de hauteur sur 0.75 centimètres de largeur. Elle est solide- 
ment fermée en bois de chène. C'était en temps de guerre la 
porte d'entrée pour les défenseurs de la l'our, alors qu'on était 
obligé de murer toutes les ouvertures inférieures, s'il y en avait, 
portes, escalier, arceaux, fenêtres. 

Au nord et à la même hauteur se voit aussi une autre porte, 
mais qui a été close depuis un temps immémorial. Elle occupe 
le fond de la troisième arcade. Elle est facile à reconnaître à la 
forme gothique de ce qui en reste. De l'Esplanade on peut l'aper- 
cevoir à travers des cyprès sans pénétrer dans lejardin du Chapitre. 

Voilà pour les portes extérieures. Quant aux fenêtres, la des- 
cription en sera bientôt faite. Au nord, aucune ; au midi, une 
étroite meurtrière vitrée de 25 centimètres sur 0.90 ; au levant, 
une autre meurtrière vitrée aussi de 15 sur 70, et de plus deux 
lucarnes superposées le long de la montée, qui n'ont que de 10 à 
1s centimètres sur 35 à 40. C'est tout pour éclairer l'escalier et 
cette vaste et lourde masse quadrangulaire qui se dresse devant 
vous. | 

On dirait que ces murs, ornés d'arcatures aux arcades simu- 
lées, étaient destinés à servir de tombeau, ou à abriter un trésor 
royal, ou à voiler quelque mystère (1). Faut-il s'étonner si quel- 
ques personnes ont voulu y voir un temple païen d'Isis, d'Hercule 
ou de Plutus, ou toute autre chose qu'un baptistère, qu'un sanc- 


tuaire chretien, qu'un lieu sûr pour les richesses sacrées de la 
Cathédrale. 


Deuxième élage ou étage des fenêtres romanes. — Ces fenêtres 
sont au nombre de douze. trois à chaque façade. Les arcs qui 
les encadrent sont soutenues par des colonnes à chapiteaux 
engagces, qui descendent jusqu'au deuxième cordon. Elles 


{1} Dans son Poyuse en Italie, Lalande parle des deux Tours de Gaëte. L'une 
carrée, la Tour de Roland, parait avoir été un mausolée et l’autre ronde, la 
Tour Lalrina,un temple de Mercure. 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 163 


mesurent trois à quatre mêtres de hauteur. Sur les 16 colonnes 
qui existaient à l'origine, deux n'ont pu résister à l'action des- 
tructive du temps et on ne les a pas remplacées. 

La plupart des 14 chapiteaux restants sont bien sculptés. Les 
quatre plus beaux nous paraissent être au nord et à l'ouest. La 
forme en est empruntée au règne végétal surtout. M. Bourg y a 
vu « des feuilles galbécs, des raisins, la boule de pin, des cro- 
chets, des perles et des godrons. » [J'y ai remarqué moi-même, 
au nord, un réseau de vannier trés finement sculpté, vu d'en bas 
avec une jumelle ; au levant, un oiseau aux ailes déployées ; 
ailleurs des feuilles d'acanthe, de houx et autres. 

Sur les douze fenêtres, il n’y en a que sept qui soient utilisées 
pour donner du jour. Cinq sont entièrement ouvertes et deux 
partiellement, de manière à former à la cime une baie en fer à 
cheval. Les cinq autres sont bouchées à dessein ou obstruées, 
au dedans, par le massif des piliers ou des angles. 


Les deux fenêtres réduites en deux petits arceaux à plein cin- 
tre, se trouvent sur la façade qui regarde la Cathédrale. Ce 
sont celles de droite et du milieu. La fenêtre de gauche forme 
aussi un petit arceau semblable, mais seulement simulé. En face 
de celle-ci, sur le mur antérieur de la Cathédrale, à une hauteur 
de quinze mètres environ, s'ouvre une porte où aboutissait autre- 
fois, d'un côté l’escalier qui montait en diagonale de l'intérieur 
de la basilique, au sud, et de l'autre, celui qui descendait à angle 
droit, des combles, avant qu'eût été construit, par Mgr Charles 
de l'ournon, l'escalier tournant actuel qui les dessert au nord du 
côté de l'Esplanade. 

Les pierres qui forment le seuil de cette portes'avancent un peu 
dans l’espace. On y a sculpté par dessous trois têtes qui semblent 
le supporter et qu'on voit très bien du pied de la Tour. Ce sont : 
une tête humaine. de moine probablement, et deux têtes d'ani- 
maux. Ces pierres nous paraissent avoir été destinées à servir 
d'appui à un pont-lems, jeté à l'occasion entre l'église et la Tour, 
séparées à peine par une espace de quatre mètres environ. Notons 
que c'est à peu près vis-à-vis de cet endroit que s'arrête la pre- 
mière partie de l'escalier en hélice du dernier de ces monuments. 
Là, l'escalier transversal tourne à droite, comme l'indique une 


164 LA TOUR OU CI.OCHER DE VIVIERS 


troisième lucarne placée entre deux colonnes, et aboutit au pre- 
mier étage devant l'ouverture cintrée de d'oiie. 


2° Descripiion de la parte octogone ou supérteure, à l'exlérieur. 
— Cette seconde partie de la Tour de Viviers commence à la 
hauteur des petites s/afues qu'on apercoit sur quatre de ses côtés. 
C'est là, dans l'intervalle du troisième au quatrième cordon, que 
l'architecte, par le moyen ingénieux de plans inclinés et triangu- 
laires, a fait disparaître imperceptiblement les angles du para!iél- 
logramme. La Tour. se métamorphosant en quelque so ie, quitte 
sa forme quadrangulaire pour revêtir la forme octogonale qu'elle 
conservera jusqu'au bout. 

Ces statues grossièrement sculptées figurent deux hommes et 
deux animaux symboliques. Au sud-ouest, c'est un personnage 
assis et mitré représentant sans doute l'évêque de Viviers qui 
vivait au moment de la fondation de la Tour. 

Au sud-est, et faisant presque face à la Cathédrale, apparaît un 
homme devout, vêtu d'une robe de moine ou de lévite. Il tient, 
de ses deux mains un objet, probablement un livre. N'aurait-on 
pas voulu représenter saint Vincent diacre et martyr, le patron 
de Ja Cathédrale ? Des quatre statues, c'est la mieux réussie. 

Au nord-ouest, on voit un animal accroupi, ayant la forme et 
la pose d'un chien, symbole de la fidélité. {l fait sentinelle et lève 
la tête comme pour avertir, par ses aboiements, en cas de 
danger. 

Enfin au nord-est, la figure de l’animal ailé qu'on a sculptée 
n'a plus ni tête, ni griffes, ni serres, les siècles les ont dévorées, 
peut-être la foudre, mais ses fortes pattes posées en avant don- 
nent l’idée d'un aigle ou mieux d'un lion qui s'élance contre un 
ennemi invisible. 

Nous avons parlé de fenélres romanes, mais les temps ont 
marché, un agrandissement a eu lieu, en voici qui sont og'vales. 
Ce sont celles qui servent d'ouies pour la sonnerie des cloches, 
lesquelles sont suspendues sous la troisième et dernière voûte de 
Ja Tour. Ces fenètres, au nombre de sept, occupent chacunes 
une des faces du monument. La huitième manque au nord, à 
cause de l'escalier qui est bâti à cet endroit dans l'épaisseur du 
mur,et dont la présence cst trahie par une quatrième et dernière 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 16 


lucarne extérieure. Comme elles sont couvertes par des abat- 
sons, elles paraissent, du dehors, être sans ornements. Nous les 
décrirons quand nous parlerons de l'intérieur. 

Viennent ensuite les gargouilles qui servent à rejeter les eaux 
pluviales provenant de la terrasse du sommet de la Tour. Elles 
sont posées aux angles. Il y en a sept seulement et toutes parais- 
sent avoir l'âge de l'édifice agrandi. La huitième dut disparaître, 
ily a plusieurs siècles, lorsque fut élevée la petite bâtisse carrée 
qui dépasse la Tour. Les figures d'oiseaux ou:de quadrupèdes 
que représentent ces gouttières de pierres, rongées qu'elles sont 
par le temps et les eaux pluviales, ne sont guère plus reconnais- 
sables. On croit distinguer cependant celles d'un singe et d'un 
chat huant. 

La Tour, à son sommet, se termine horizontalement sur toutes 
ses faces, sauf celle du s2ptentrion. Elle n'a pas de machicoulis, 
ce qui est un signe d'ancienneté, mais simplement des créneaux. 
Les créneaux dontelle est couronnée sont quadrilatères et espacés 
de façon quela surface des pleins l'emporte sur celle des vides. 
Sept, c'est-à-dire la moitié, sont percés de meurtrières, ou si l'on 
veut, de regards, en forme de croix ; ce sont ceux qui se trouvent 
au dessus des fenêtres, au centre de sept faces du monument. 


La plate-forme qui surmonte l'édifice est d'un aspect tout parti- 
culier. Elle est entièrement recouverte de dalles. Le centre 
bombé ou plutôt pointu, forme une pyramide à huit côtés, qui 
s'élève à une hauteur d'un peu moins de deux mètres au dessus 
de son niveau. À la base et presque tout autour rêgne un chemin 
de ronde légèrement incliné que sépare du mur un canal d'écou- 
lement pour les eaux de la pluie. Cette forme pyramidale, qui 
surprend d'abord, s'explique par la forme conéiforme de la voûte 
elle-même qui la produit, en se soulevant pour ainsi dire comme 
si elle voulait faire explosion. 


Un dernier objet qui frappe le regard, quand on contemple la 
cime du monument, c'est la pelite lour :arrée, crénelée aussi, qui 
existe au dessus de la plate-forme ou terrasse. Haute de quatre à 
cinq mètres, elle en mesure environ deux et demi de côté. Elle a 
été rajeunie au dehors, en même temps que certaines parties de 
l'édifice, par une restauration moderne où l’on a employé un 


166 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


ciment mêlé avec de la pouzzolane rouge du Coiron. On la dirait 
toute récente, mais on se convaincra aisément de son ancienneté, 
si, jetant un coup d'œil dans l'intérieur, on l’'examine de près. 
Bientôt on reconnaît qu'elle n'est que le prolongement primitif 
du mur septentrional et que sa voûte minuscule, avec son cul-de- 
lampe arrondi et ses trois petites nervures, de forme et de couleur 
antiques, est le couronnement contemporain de l'escalier 
tournant. 

Pendant plusieurs siécles les quatre créneaux, dont cette 
tourrelle est munie, ont servi d’appui à une cloche du Chapitre 
qui, fondue sous le roi François [:" et l'évêque de Viviers Claude 
de Tournon, servait de timbre à la vieille horloge de la Cathé- 
drale. On y montait par une étroite ouverture à peine visible, 
percée sous un des trois côtés de la voûte. Nous reviendrons sur 
l'histoire de cette cloche en parlant du campanile de saint Vincent 
et de l'horloge de la paroisse. 

Ne quittons pas le sommet de la Tour sans signaler à nos 
lecteurs un phénomène physique assez curieux, peut-être unique 
en France. Il se produit souvent sur le paratonnerre qui le sur- 
monte {1}. Ce phénomène consiste en ce que la barre ou tige en 
fer, reliée à la Cathédrale par une chaîne métallique, oscille à 
certains jour, d'une manière extraordinaire. Et ce qu'il y a de 
plus surprenant, de plus curieux, c'est qu'elle oscille seule, pen- 
dant que les tiges des nombreux paratonnerres de la ville restent 
tout-à-fait immobiles. 

Voici le résumé des observations notées à ce sujet depuis vingt- 
trois ans, par le chantre et sacristain de notre Cathédrale. Ces 
oscillations inexpliquées, dont j'ai été témoin plusieurs fois 
moi-même, il les a vues se produire de huit à dix fois chaque 
année. Elles ont lieu à peu près toujours par un temps calme, 
un temps d'ouest, et par un ciel marqueté de cirrus. Cependant, 
par exception, il les a aperçues deux fois au commencement d’un 
faible orage. 

Leur durée varie entre un quart d'heure et trois heures. Quant 
à leur direction, elle est, tout le temps, la même, et dans le sens 


(1) Flaugergues père, dans ses Mémoires, nole que la foudre tomba sur le 
clocher, en 1783. 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 167 


du sud-ouest au nord-est. Leur longueur totale s'étend de 0,20 
centimètres à plus de 2 mêtres. Pendant ce balancement vigou- 
reux, rapide, sans déviation, de la barre de fer, on peut la toucher 
avec la main sans danger. 

On se demande quelle pourrait être la cause d'un fait aussi 
singulier. Serait-ce le vent *? Non, puisque la chose se passe 
quand il n’en fait aucun. Le mouvement de la tige préservatrice, 
au lieu de se faire toujours dans le sens du sud-ouest au nord- 
est, changerait de direction de temps à autre. D'ailleurs, l'oscil- 
lation occasionnée par les différents vents est irrégulière, indécise, 
tremblotante. De plus, elle est faible. Mème par un fort mistral, 
la pointe de la tige se meut dans une circonférence qui ne dépasse 
guère vingt ou vingt-cinq centimères de diamètre. 

Serait-ce un courant magnétique, électrique, athmosphérique ? 
C'est bien assurément ce qu'il y a de plus probable. On a remar- 
qué en effet que deux ou trois jours après qu on a été témoin 
des oscillations, les journaux annoncent assez souvent des 
des perturbations dans l'athmosphère, des orages, quelquefois 
cyclones, des inondations. Mais, dans cette hypothèse, 
pourquoi le fluide, quel qu'il soit, n opère-t-il pas en même temps 
son influence, son action, au moins sur quelqu un des autres 
paratonnerres environnants ? 


Serait-ce les qualités spéciales du paratonne-re de la Tour ? Il 
ne parait pas qu'il en soit ainsi; car le paratonnerre du chœur 
de la Cathédrale, les deux de l'Evéché, et les quatre du Grand- 
Séminaire tous posés à la même époque, vers 1832, lors de la 
construction de la chapelle de ce dernier établissement, ont été 
faits par les mêmes ouvriers que celui du clocher. Tous parais- 
sent avoir même matière, même forme, même longueur (environ 
huit métres). Serait-ce encore sa position plus élevée au dessus 
de la plupart des autres ? [Il est vrai qu'il domine tous ceux 
de la ville, qu'il domine même celui de la Cathédrale qui est 
le plus haut, d'environ huit à neuf mètres. Mais il est dominé 
lui même de beaucoup par le paratonnerre de la statue de la 
Vierge de la Jaunade, petite montagne voisine. 

Aux savants physiciens et météréologistes de nous fournir une 
_explication.En attendant,un bon point à notre cher sacristain. Nous 


168 LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 


lui souhaiterions bien une petite récompense de la part de l'Aca- 
démie ou de l'État, pour ses intéressantes observations ; mais, 
faut-il le dire ? C’est un... Congréganiste 1 ! ! Il attend encore la 
réponse à une lettre qu'il écrivait il y a plusieurs années à Paris, 
pour donner connaissance de sa découverte. 

Encore un mot à ajouter à la description du sommet de la 
Tour. C'est un mot de souvenir historique qui nous a été con- 
servé par feu M. l'abbé Chenivesse dans ses Notes. Nous nous 
reprocherions de ne pas le rappeler en terminant cet article. 
« Notre Clocher, dit l’aimable et regretté chanoine, a eu son jour 
de gloire et de patriotisme. La flotte Russe en la personne de 
l'amiral Avelane venait rendre visite à la France en 1893. C'était 
un enthousiasme sans pareil.... L'amiral devait passer en chemin 
de fer en face de Viviers, le 25 octobre, vers les 9 heures du soir; 
le clocher fut éclairé à giorno au moment du passage, par les 
soins de M. le maire... feux de bengale, fusées, pétards, illumi- 
nent les roches de Donzére. C'était féérique ! Les Russes admi- 
rent, mais passent comme l'éclair. Nous avions fait notre devoir. 
Vive les Russes ! Vive le Tsar ! » 

A ce récit, je n'ajouterai qu'une réflexion, pour le compléter. 
C'est que si nos alliés, si l'amiral Avelane et les officiers de sa 
suite, nous eussent fait l'honneur de visiter la Tour et la Cathé- 
drale de Viviers, chacun de ses monuments leur aurait rappelé 
le souvenir de leur pays : la Tour, par le son de la belle cloche 
qui porte le nom d'un prince russe (le prince Galitzin) ; la Cathé- 
drale, par la vue des Gobelins, en partie œuvre de Jouvenet, dont 
les pareils, furent emportés dans la capitale de la Russie par 
Pierre-le-Grand, à qui en avait fait don un roi de France. 


3° Descriplion de la partie reclangulaire vu latérale, à l'extérieur. 
— Cette partie portait le nom, oublié aujourd'hui, de « Bramau- 
dière ou Bramardière » du temps du chanoine de Banne. Elle est 
située à l'opposé de la façade de la Tour qui envisage la Cathé- 
drale ; appuyée sur son côté occidental, elle se confond avec elle 
et lui sert de prolongement dans cette direction. 

Comme elle a ses fondements dans un jardin clôturé et qu'elle 
est moins large que la Tour, les visiteurs la remarquent 
à peine. D'autant plus que, quoique haute de 16 métres 60 envi- 


LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 169 


ron, elle se trouve un peu écrasée par la masse du monument 
auquel elle est adossée et qui la dépasse, en hauteur, de plus de 
20 métres et, en largeur, à peu près de 1: mètre 50 dechaque côté. 
Elle mérite cependant une attention spéciale à cause de sa forme 
et de sa triple destination primitive. 

La Bramardière,à sa base, forme extérieurement un arceau orné 
de colonnes ; à son sommet une plate-forme ou terrasse fortifiée ; 
et, entre les deux, une abside intérieure. Aucune montée particu- 
lière ne la dessert. Pour arriver soit à l'abside, soit à la terrasse, 
il faut de toute nécessité passer par l'unique escalier de la Tour. 
Le niveau de la première est à la hauteur du premier cordon. 
Le sommet de la seconde dépasse tant soit peu le deuxième. 

-L'abside, ou petit sanctuaire dédié primitivement à saint 
Michel, faisant partie de l’intérieur du premier étage, nous la 
décrirons en même temps que ce dernier. 

L'arceau dont nous avons parlé, et dont nous aurons à dépein- 
dre aussi l'intérieur, se voit, en partie, de la montée de la Cathé- 
drale. On aperçoit le sommet de son arcade à imposte et à 
archivolte. Son ouverture est de 3 mètres 50 de large et de 
6 mètres 25 centimètres de hauteur,au dessus du pied de la Tour. 

À l'extérieur de la partie latérale et rectangulaire entre Île 
premier et le deuxième cordon on remarquera encore cinq arcades 
simulées, faisant suite aux quatorze déjà mentionnées, mais 
n'ayant pas la même hauteur, trois au mur de face et deux 
sur les côtés. Celle du milieu des trois offre un enfoncement, un 
relief plus marqué ; elle se trouve percée vers sa base d'une 
fenêtre romane à linteau et à tympan ornée d'un vitrail de 
couleur. 

La plateforme a une longueur totale de s métres 65 centimétres. 
Sa largeur est de 3 mètres en moyenne, car le rectangle n'est pas 
parfait. Ses murs présentent cinquante huit centimètres d'épais- 
seur. Pavée avec des dalles, elle est inclinée vers l'escalier actuel 
de la Cathédrale, où une gargouille défigurée par les ans rejette 
les eaux de la pluie. 

Ses six créneaux sont de la même forme que ceux du sommet 
de la Tour. Sur les quatre de devant deux sont aussi percés de 
meurtrières en forme de croix, lesquelles ont un évasement de 1.25 


12 


170 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


de long sur 0,45 de large,avec une ouverture de 0,10 centimètres. 
Le vide entre les créneaux est de 0,8s centimètres ; leur hauteur 
mesure 1: mêtre 20 centimètres, mais elle est de 2 mètres du pavé 
de la terrasse jusqu'à leur sommet. 

Une observation qui ne doit pas être oubliée ici, c'est que, si 
les deux tiers inférieurs des murs de cette partie rectangulaire ne 
font qu'un avec la Tour et se confondent avec elle, le reste a pu 
être 1éparé et subir quelque modification. La cime, en effet, il 
est facile de le constater, est postérieure aux dents de scie et au 
deuxième cordon, puisque la bâtisse ressaute au dessus de ces 
deux parties, les recouvre sans les pénétrer et former un seul 
corps avec elles, servant ainsi de témoin d'une juxta-position 
faite après coup. 

Entre la Tour et le sommet de la partie latérale, il n'existe : 
aucune porte de communication intérieure. C’est par l'étage des 
fenêtres romanes qu'on est forcé de descendre sur la plate-forme. 
L'échelle en fer qui sert actuellement pour cela compte une 
quinzaine d'échelons et vient s'appuyer à côté d'une fenétre. 
Cette fenêtre, par où doivent passer les visiteurs, qui ne crai- 
gnent pas le vertige, est facile à reconnaître, car elle est la seule 
qui soit privée de persienne. 


(A suivre). Chanoine MOLLIER. 


LE PRIEURE ET L'EGLISE 
DE MACHEVILLE 


(Surre IV ET FIN). 


Nous connaissons aussi les noms des curés depuis 1698. En 
voici la liste : Laroche (1698-1732) peut être de la famille de 
Gaspard Laroche une des victimes de Chambaud ; Jacques 
Dumas (1732-1251) ; Bastide (1751-1751) ; Pierre Rouveure 
(1771-1786) ; Courtial (resta fort peu) ; Malleval (1788-1803) sortit 
de la paroisse à la mi-novembre 1803 et mourut peu après 
à Vaudevant ; Palatin, octogénaire (mi-novembre 1803 à avril 
1804) ; Brunel (1804-1805) se retira pour raison de santé ; Berne, 
curé provisoire (1805-1806) ; Duchier 1806 à 1834. Ce fut lors de 
l'entrée en fonctions de ce curé que Lamastre fut érigé en chef- 
lieu de canton ; Freydier, curé de St-Romain-du-Désert fit un 
intérim de six mois ; Sartres (1835) ; Duroux (1836) ; Le Masson 
(1858-188c) ; Alléon ; Vincent. 

À titre de renseignement, voici les noms, des prêtres du canton 
en fonctions lors de la réorganisation du culte : À St-Barthélemy- 
le-Pin, l'abbé Deygas ; à St-Basile, Bouvier ; au Crestet, Blanc; 
à Désaignes, Gaillard de la famille Gaillard ; à Empurany, 
Dufour cadet ; à Gilhoc, Freydier ; à Grauzon, Freydier frère ; à 
Lamastre, Pallatin ; à Mounens et Cluac, pas de titulaire ; 
à Nozières, Chareyron ; à Monteil pas de titulaire ; à St-Prix, du 
Besset, de la famille du Besset (1). | 

Avant l'agrandissement de l'église, le prieuré était clos du côté . 
de la place par un mur élevé. Le long de ce mur était une porte 
cochère monumentale, surmontée d'un pavillon à créneaux et 
meurtrières pour la fusillade. La façade en était agrémentée d'un 
cadran solaire et la toiture était couverte en tuiles vernissées de 
couleurs diverses. Les vantaux de la porte étaient en châtaignier 
d'un bel ouvrage de menuiserie. De gros clous en fer forgé, à tête 


(1) Collection Mazon. 


\ 
4 


172 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLÉ 


en pointe de diamant, la garnissaient toute entière et lui donnaient 
un aspect menaçant. 

Un judas en fer, grillagé permettait d'observer la place de 
l'intérieur du prieuré. Cette porte était l'œuvre des Jésuites. Ilest 
de tradition que c'est de ce côté que les têtes des religieux furent 
lancées dans la cour du prieuré. 

En face du portail était une croix de pierre très ancienne, qui a 
aussi disparue lors de l'agrandissement de l'église. 

Dans la cour du prieuré, un puits très profond descendant 
presque au niveau de la vallée donne une eau froide, dure et peu 
propre à la cuisson des aliments. Ce puits se trouve maintenant 
enclavé dans le mur de l'église. Entre le pavillon et ce puits se 
trouvait autrefois un couvert bien exposé au soleil levant, où les 
religieux venaient dire leur bréviaire et prendre leur récréations. 

Quand les Jésuites furent expulsés de France en 1762, le 
collège du Puy, par lettres patentes royales du 30 avril 1767, fut 
maintenu avec des professeurs séculiers. L'article 8 des lettres 
porte que : Les prieurés de St-Domnin, de Macheville et de 
Veyrines, situés dans le diocèse de Valence, demeureront unis à 
ce collège. 

Aussitôt aprés la confirmation royale du collège, le bureau 
étant resté en possession de tous les revenus du collège voulut se 
conformer à l’article 7 des lettres patentes du 21 novembre 1768. 
M: Delaval, juge mage, M' Duranson, procureur du Roi, 
M: Pondereux, le nouveau principal du collège, assistés de 
M. Barthélemy procureur se transportèrent dans chacun des 
prieurés dépendants du collège : 

Le 22 septembre 1768, à Macheville ; 

Le 23 septembre 1768, à St-Barthélemy-le-Pin, Colombier- 
le-Jeune, à l'église de Boucieu-le-Roi et à l'église de Monteil ; 

Le 24 septembre à St-Julien-la-Brousse ; 

Le principal fut mis en possession, par le juge mage de chacun 
de ces bénéfices (1). 

Les choses restèrent en cet état jusqu à la Révolution française. 
En 1790, le revenu du prieuré de Macheville était estimé à 8000 
livres. Dans l'enquête faite à cette époque, il est dit que la 


(1) J. Denais. B. N. manuscrits. 8° R. 9035. 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 173 


maison prieurale est bâtie en forme de château, mais en vétusté 
dans laquelle sont plusieurs chambres ou salles, un dépôt d'archi- 
ves, un emplacement pour élever des vers à soie, colom- 
bier, etc., etc. 

Le revenu de Colombier-le-Jeune, dépendance du prieuré, est 
évalué 2000 livres (1). 

Les biens divisés en plusieurs lots furent vendus comme biens 
nationaux. 

Aprés la Révolution, le prieuré vint en la possession de la 
famille Bancel Eugène dont la veuve vécut, de longues années, 
dans la retraite, à La Mastre, et donna, croyons-nous, le prieuré 
aux sœurs de St-Joseph qui le possédent encore de nos jours. 

On peut se rendre compte de la distribution des salles. L'entrée 
est au bas d'une tour dans laquelle se développe un escalier de 
pierre. Au niveau de la cour se trouve une série de plusieurs 
pièces où l'on remarquait encore, il y a quelques années de 
grandes cheminées. Le sous sol comprenait de vastes celliers 
pour les récoltes. En somme tout est simple, sans sculpture et 
sans recherche. 

Qu'est devenu le dépôt d'archives mentionné dans l'enquête 
de 1790 ? Nous l'ignorons. Les archives devaient contenir des 
documents intéressants. Leur disparition est une perte pour le 
chroniqueur. 

Notre pays du Vivarais a été tellement bouleversé par les 
guerres et les révolutions de toutes sortes qu'on ne retrouve 
qu'avec peine des lambeaux permettant d'éclairer faiblement 
le passé. 

En 1740 Macheville et Retourtour sont indiqués dans un état de 
Ladevèze, commandant en Vivarais, comme ayant 120 familles 
catholiques anciennes et 25 nouvelles. Vers la même époque, les 
historiens du Languedoc assignent à La Mastre 200 feux. 


LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE 


Vers la fin du dix-huitième siécle, l'histoire de Macheville 
se confond avec celle de Lamastre. On sait aujourd'hui que la 
Révolution n'éclata point subitement, mais qu'elle fut amenée 


(1) J. Denais B. N. 8° R. 9035. 


174 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACIHEVILLE 


peu à peu par les menées sourdes d'hommes préparés depuis 
longtemps. Ce qui prouve bien que, tout d'abord, les esprits ne 
demandaient que des réformes, ce sontles nombreuses fédérations 
réunies dans le Haut-Vivarais qui toutes, en réclamant un 
meilleur état de chose fondé sur la justice et l'égalité, témoi- 
gnent cependant de leur fidélité au Roi Louis XVI, 

Le 6 janvier 1790, la s° fédération du Vivarais eut lieu à 
Vernoux ; s7 communent y envoyérent des adhérents qui se 
réunirent dans la plaine de Pras. Le serment fut prêté dans la 
forme ordinaire : « Nous jurons d'être fidèles au Roi, à la Loi et 
à la Nation. » Mais l'adresse expédiée de Vernoux fut un peu plus 
catégorique nous y remarquons cette phase : 

&« Dans tous les temps, notre auguste monarque Louis XVI, 
« restaurateur de la Liberté, pourra disposer de nos armes 
« contre les ennemis de l'Etat, et contre ceux qui oseraient 
« attenter aux droits sacrés de la couronne » (1). 

Le 3 mars de la même année 1700, la fédération de Romans, 
composée de 8000 délégués prête les mêmes serments et ajoute : 
« Nous gémissons de tousles désordres qui affligent le royaume ». 
Parmi les signataires on remarque : Dupré de Peyremale, Fauriel 
de Lamastre ;: De Glo de Besses de Vernoux ; Gaillard de 
Désaignes (2). C'en est assez pour prouver que les idées nouvelles 
n'avaient point fait de grands progrès dans les Cévennes. Mais 
rien n'arrêta le mouvement qui emportait la nation française 
vers de nouvelles destinées. 

Le 31 décembre 1792, le maire Trollier se fit remettre par le 
curé Malleval les registres paroissiaux. 

Le 7 juillet 1:93, la municipalité délivra un certificat de 
civisme au curé Malleval et à ses deux vicaires, ce qui ne les 
empécha pas d'être arrêtés le 13 janvier 1794. Le curé et son 
premier vicaire Battendier furent pris tout d'abord. l'autre vicaire 
Bogiraud put se sauver par la fenètre de ses appartements. Voici 
comment le curé raconte son arrestation : 

« Enlevé par une troupe de patriotes de la faction de Robes- 


(1) Courrier d'Avignon 31 janvier 17590. = Ruvue de la Révolution tome. vi 
Pe 357: 
(2) Merçure de France 30 mars 1790. 


LE PRIEURÉ ET I. ÉGLISE DE MACHEVILLE 175 


« pierre (sous les ordres des citoyens Bastide, greffier, Ducros et 
« Jalatte) les commissaires délégués de Lyon en ayant donné 
« l'ordre, nous avons été traduits aux prisons de Tournon et sept 
« jours après dans la maison de détention de Viviers, où je suis 
« resté jusqu'au 20 décembre de la même année ». Quinze jours 
avant cette arrestation, le 31 décembre 1793, la municipalité 
s était réunie pour une grave affaire. |] s'agissait de faire abattre 
la croix qui était au sommet du clocher de Macheville. Le premier 
maçon requis nommé François Nizon, refusa en alléguant lefroid 
et la neige qui rendaient l'entreprise dangereuse. Un autre 
s'engagea à le faire, dès que le temps le permettrait. On voit, 
dans cette séance, le conseil certifier qu'on a déjà abattu toutes 
les autres croix de la commune savoir : la croix de pierre devant 
la porte de l'église, la croix de bois du cimetiére, celle de la 
Martinière, celle de la cime de Macheville, et celle de Barzac sur 
la route de Valence. Et comme pour marquer, sa làche subordi- 
nation à la faction terroriste du jour, on trouve dans la délibéra- 
tion municipale, cette phrase caractéristique : « On consultera le 
« Directoire pour savoir s'il faut abolir la petite chapelle des 
« Saintes Osses (sic) qui est dans le cimetière ainsi que la croix et 
« les statues des saints qui sont dans l'intérieur de l'église ». 


La délibération municipale du 29 mai 1794 nous apprend que 
ce jour là, sur la réquisition de l'agent national Vaux, eten 
exécution d'un arrêté du comité de salut public, on inscrivit sur 
le fronton de | église de Macheville les mots : Le Peuple Français 
reconnait l'Etre suprême et l'immortalité de l'âme. Et de suite, 
ajoute la délibération.les citoyens assemblés, au son du tambour, 
étant entrés dans l'intérieur de l'édifice,a été fait lecture en entier 
du décret et rappport et annoncé aux citoyens qu'il en sera fait 
lecture les deux décadis suivants. La délibération est signée par : 
Trollier, maire, Lafforty, Roche, Vaux, Chomel, greffier, les 
autres ne s'étant pas présentés. 

Le 29 janvier 1794. quinze jours après l'arrestation du curé 
Malleval et du vicaire, on fit l'inventaire des objets de l'Eglise de 
Macheville. 

L'inventaire accuse une pauvreté vraiment suggestive. Voici ce 
qu on trouva : 


176 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


Deux chasubles bien usées : 

Une bannière de Damas cramoisi ; (ce doit ètre la banniëére de 
St-Domnin qui existait encore vers 1870) 

Une vieille custode en argent pesant une once 3/4 ; 

Une bourse à porter le St-Sacrement dans la campagne, en 
bon état : 

Un encensoir en mauvais état : 

Dont le tout a été laissé dans la dite Eglise. 

Dans la sacristie : 

Deux calices, deux patènes, deux ciboires, une custode, un 
ostensoir ou soleil ; qui ont été remis au pouvoir du citoyen maire. 
Cet inventaire fut fait à la suite de la délibération ci-dessus 
« considérant que le citoyen Malleval, curé de cette commune, 
chargé de la surveillance des effets et ustensiles de la dite Eglise 
se trouvant absent, qu’attendu l'isolement de la dite église, à l'effet 
de procéder à la vérification d'iceux et constater l'état ou ils se 
trouvent, et de faire le déplacement des objets qui méritent le 
plus d'attention pour être placés en lieu sûr, etc., etc. » 

Tous les autres objets contenus dans l'Eglise, chandeliers, 
croix. clochettes etc., en fer, cuivre ou étain, furent transportés, 
le 9 mai 1794, dans les magasins de la guerre à Tournon, et de 
là dirigés sur les fonderies nationales. 

Le 9 mai 1794, la municipalité de Macheville délègue deux de 
ses membres pour la fabrication du salpètre : 


L'agent national constate qu'il a remis, pour porter au garde- 
magasin à lournon les articles ci-après trouvés dans l'Eglise : 

1° Dix chandeliers, trois croix, l'une ayant son pied, un plat 
bassin, deux encensoirs, deux navettes, deux culs de lampe, le 
tout en cuivre ou laiton poids de Montpellier, pesant 72 livres ; 

2° Un pot en fonte avec son couvercle, une clochette pesant 
huit livres et demi, un cul de lampe avec sa chaîne et petit 
chapiteau, plomb ou étain pesant 1 livre 1/2 ; 

3° Fer en plusieurs pièces pesant :09 livres. 

De tout quoi, il exhibe sur le bureau les décharges du garde 
magasin de fJournon, comme aussi celle de la corde de la 
cloche descendue. 

L'abbé Malleval revint à La Mastre, et nous voyons qu'aprés 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MAUHBVILLE 177 


le décret du 22 février 1795, qui proclamait la liberté des cultes, 
il disait la messe presque publiquement dans la maison de son 
frère. 

Cette tolérance était plus générale qu'on ne pense sous la 
pression du sentiment public qui était nettement hostile à la 
tyrannie de la faction terroriste. Une note de l'abbé Malleval est, 
à ce point de vue, caractéristique : | 

« Le Dimanche, 1° octobre 1795, dit-il, j'ai rebéni l'église de 
« Macheville, qui avait été profanée parce qu'on y avait tenu 
« l'assemblée du club ; on y avait creusé les tombeaux pour 
« lessiver la terre, car on y avait établi l'atelier de salpètre, et 
& on y avait commis toutes sortes d'impiétés. Nous avons 
« recommencé ce jour-là à y célébrer l'office divin qui y avait 
« cessé depuis 21 mois, c'est-à-dire depuis mon arrestation qui 
« arriva le 13 janvier 794. Un décret rendu par la convention 
« m'obligeait à faire une soumission aux lois de la République 
« devant la municipalité sous la peine de cassation ce mes 
« fonctions et d'emprisonnement. Le peuple se voyait privé par 
« ce décret de l'exercice public de sa religion et des secours de 
« notre ministère. Mais, las de se voir trompé si longtemps, il 
« se rassembla au nombre de 4 ou 500 de cette paroisse ou des 
« paroisses voisines, le mercredi précédent, pour statuer et 
« dresser une pétition à la Convention pour demander le libre 
« exercice du Culte et me dispenser de la soumission, et le 
« dimanche, jour de la bénédiction de l'église, il se rassembla en 
« aussi grand nombre pour me contraindre à leur donner la 
« messe et à continuer mes fonctious. La municipalité convoquée 
« dressa procès-verbal de la violence que le peuple me faisait, 
« attendu que la loi s'opposait à ce que j'exerce mes fonctions. » 

Un autre petit incident, puéril en apparence, mais significatif 
du sentiment public se trouve dans l'obligation où se trouva la 
municipalité, le 17 janvier de cette même année 1795, de faire 
enlever le battant de cloche de l'église de Macheville, attendu 
que, malgré toutes ses défenses clle ne pouvait en empêcher la 
sonnerie, dit la délibération « de certaines femmes entètées ». 

Il s'agissait de la plus petite cloche qui était restée au clocher, 
car la plus grosse avait été envoyée à Tournon, et de là sans 


178 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHBVILLÉ 


doute aux fonderies nationales, en janvier 1794. Le transport de 
cette cloche, de Macheville à Tournon, fut payé 16 livres au 
citoyen Chapon, fermier à La Garde. 

Il y eut néanmoins un retour offensif du Jacobinisme, l'année 
suivante, et le culte catholique, qui avait repris plus ou moins 
publiquement -sur une foule de points, dût cesser de nouveau, 
en février 1796 sur l'ordre même de M. de Monicaud, vicaire 
général du diocèse, qui voulait éviter au clergé de nouvelles 
violences (1). | 

La tranquillité revint avec le Consulat, car en 1804, l'abbé 
Brunel, ancien curé de St-Romain-de-Lerp, est curé à Macheville. 
Il ne trouva pas le bonheur dans ce chef lieu de canton ; il y eut 
constamment à lutter contre la fièvre et au bout de deux années 
sa santé gravement compromise, l'obligea à quitter ce poste (2). 


MACHEVILLE AU TEMPS ACTUEL 


De nos jours, l'église est restée l’église paroissiale tant en 
raison des traditions anciennes qu'en raison de sa position dans 
un site particulier, sur une éminence, entourée de toutes parts 
par des montagnes dont chaque mas peut entendre la cloche et 
voir le blanc clocher. 

Vers les dernières années du second empire, le vieil édifice, 
construit par les Jésuites était devenu bien trop étroit pour la 
population de La Mastre. Un projet d'agrandissement fut confié 
à M. Tracol architecte à Valence, éléve de M. Bossan l'éminent 
architecte de Fourvière et de la Louvesc. M. Tracol sut tirer un 
excellent parti del'ancien monumentet lanouvelle église restaurée, 
avec son clocher en saillie, sa flèche blanche en pierre de 
Chabeuil et son porche à trois baies où le granit noir se marie si 
bien au granit porphyroïde rose est incontestablement un des 
plus beaux édifices de la contrée. 


LE CIMETIÈRE 


Le cimetière catholique est situé derrière l'église à l'emplace- 
ment qu'il aoccupé de tout temps. Autrefois, il présentait la 
(r) Tous ces documents sur la période révolutionnaire sont extraits de la 


Collection Mazon. 
(2) L'abbé Garnodicr. Recherches sur St-Romain-de-Lerp. 


LE PRIRURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 179 


forme d'un enclos accidenté suivant le sol naturel de la colline et 
il n'y avait point d'ordre dans la disposition des tombes. Aujour- 
d'hui, grâce à la libéralité d'une famille, originaire du pays, le 
champs du repos a été remanié, nivelé, agrandi et entouré de 
murs de tous côtés. 

On y remarque une croix d'une seule pièce de ce beau granit 
noir, œuvre d'un enfant du pays qui, n'ayant point fait d'études, 
exécute cependant des travaux remarquables par le soin de 
l'exécution. 

Sous la croix, est la sépulture de M. Alléon successeur de 
l'abbé Le Masson. L’épitaphe en latin sur une modeste plaque de 
marbre noir est digne d'un lieu illustré par les Bénédictins. 

Au fond de l'allée principale, face au chevet de la vieille église, 
on remarque le tombeau de Désiré Bancel, beau sarcophage en 
granit noir poli. Proscrit du 2 décembre 1851, Bancel avait passé 
une partie de son existence à Bruxelles, dans l'exil, et n'était 
rentré en France qu'après le 4 septembre 1870. Il mourut peu de 
temps après. On lit sur son tombeau : 

Toi-git 
Un enfant de la France, 
Un soldat du Droit, 
Un ami de la Belgique. 


Mais voici l'enclos où se trouvent les tombes des anciens curés 
de Macheville. On raconte que l’une d'elles, celle où reposent les 
cendres de M. l'abbé Sartre, attirait autrefois les pélerins qui 
allaient à la Louvesc. Ce curé serait, parait-il, mort en odeur de 
sainteté. Une autre tombe, celle de M. l'abbé Duchier portait 
l'inscription suivante : 


Ci git M. l'abbé Duchier, curé de La Mastre, 
âgé de 71 ans, décédé le 27 septembre 1834. 
Religieux sans fard, ami franc et sincère, 
Du fourbe et de l'impie, il ful censeur sévère, 
De l'orphelin, du pauvre, il fut l'ami 
Priez pour lu: 
par ses parents (1). 


(1) Collection Mazon. 


180 LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 


On ne peut plus lire aujourd'hui l'inscription, car le temps a 
fait son œuvre, rongeant le granit et jetant, dans l'oubli du passé 
le témoignage de vénération des contemporains. 

Jetons un dernier regard, en passant, sur la tombe du frère 
Pelin directeur et fondateur des Ecoles des Frères sur les tombes 
des vieilles familles du pays : Gaillard d'Urbillac, du Besset, 
Bancel de la Garde, Pradon, Taupenas, Rouveirol, Jaubert 
Escoflier, de Némozen, etc., etc. 

Que d'autres viendront, à leur tour, dormir leur dernier 
sommeil sur la colline à l'ombre des murailles de la vieille église 
et de l'antique prieuré ! 

Sortons par l'avenue du Repos, d'où l’on jouit d'une vue 
splendide sur la ville de La Mastre, toujours grandissante, la 
vallée du Doux, les ruines du vieux castel et les montagnes 
bleues à perte de vue jusques vers St-Agrève. 

Quand le soleil se couche à l'horizon, par un beau soir de 
printemps ou d'automne, le spectacle a un charme tout particulier. 


LA CROIX DE MISSION 


Quand on descend de Macheville à La Mastre, par l'ancienne 
route de Valence, se développant en lacets sur le flanc de la 
colline, on remarque à un tournant, une colonne de granit noir 
surmontée d'une petite croix en fer. Ce modeste monument a 
remplacé une croix de bois, érigée. en ce lieu, à l'époque des 
grandes missions de France qui suivirent la Révolution. Faite 
d'un tronc d'arbre équarri, l'ancienne croix était recouverte de 
quantité de cœurs en laiton, ex-votos des catholiques. On n'avait 
pas pris la précaution d'en protéger le pied contre la pourriture 
et un jour d'orage où la burle soufflait comme elle a l'habitude 
de le faire en Boutiéres, la croix fut renversée sur la route. 

Celle qui l'a remplacée a été édifièe par l’abbé Le Masson. Le 
piédestal, en granit noir, est celui de l'ancienne croix, la demi- 
sphère de la base du fût n'est autre que l'ancien bénitier de 
l'église renversé sens dessus dessous, et le fût lui-même est 
composé de tronçons des anciennes colonnes supportant la 
tribune. 


LE PRIEURÉ ET L'ÉGLISE DE MACHEVILLE 181 


Nous quittons Macheville, le vieux Macheville qui a bien de la 
peine à se rajeunir, La vie moderne déserte les hauteurs pour 
les vallées où se développent les forces de l'activité huraaine, et 
où passent les voies ferrées si propices à la civilisation. On y est 
plus près de la terre. Nos pères eux préféraient l'air pur et les 
hauts sommets. Autres temps, autres mœurs. 


NOTE 


M. Deydier, dans son manuscrit, donne pour armes à Jacques 
Chambaud : 

D'azur à la tour d'argent maçonnée de sable. 

Les armoiries indiquées dans la notice (1) sont extraite de : 

1° La France protestante ; act. Chambaud ; | 

2° L'histoire généalogique des Pairs du P. Anselme tom. 1x. 

Act. La Tour de Gouvernet, et : 

Act. de Haute fort. Lestrange. 

Jacques Chambaud portait sur ses enseignes, raconte Nostra- 
damus, une bande blanche avec ces mots: Pro Chrislo et Henric, 
d'or sur un champ orange et violet. 

Il est à présumer que M. Deydier a confondu les armes des 
Chambaud avec celles de René de la Tour de Gouvernet, 1°" mari 
de Paule de Chambaud et qui porta aussi le nom de Chambaud, 
après la mort de Jacques, son beau père. 


R. TARTARY. 


(1) Le Prieuré de Macheville, p. 64, N° du 15 février 1902. 


LA SUCCESSION 
DE LA 


MAISON DE TOURNON 


AU COMMENCEMENT DU XVII SIÈCLE 


(Suite II) 


19 
Seigneurie de Tain 

Item la ville, terre et seigneurie de Tain, au d. pays de Dauphiné 
aboutissant à la rivière du Rosne, au devant de la ville de Tournon, y 
ayant une grande tour carrée,appartenant à la maison de T., les prisons 
estant au membre dessoulz, et lauditoire de la cour au dessus. 

Et le revenu consiste en rentes contences es ierriers et lieves, lodz et 
muages, talhiabilité en cinq cas et autres debvoirs seigneuriaux 
acostumés : 

Le greffe et amandes ; 

Une isle au bord du Rosne de la contenance de dix faucheurs ; 

Antre isle despuis mise en terre appelée las Levas que le sieur de 
Marsane tient par engagement du feu seigneur de Tournon pour la 
somme de mil escus ; 


20 
Seigneurie de Montélégier (1) 


Item, la terre et seigueurie de Montelegier au d. pays de Daulphiné : 
ou y a chasteau habitable, avec tute jurisdiction h. m. et b., et 
consiste le revenu en rentes contenues ez terriers et lieves, avec droit 
de lodz, muages, talhiabilité en cinq cas et autres debvoirs seigneuriaux 
acostumés, 

Le grefle et amandes ; 

Ua mollin a fere farine avec son bastiment, 

Une metterie consistant en bastimens et terres laboratives, en belles 
preries et un bois de chaynes ; 


(1) Arrondissement de Valence, Drôme. 


LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 183 


21 
Baronnie d'Arlenc (1) 


Item, la baronie, terre et seigneurie dArlenc au païs d’Aulvergne y 
aiant chasteau habitable, accompagné d’une grande basse court, avec 
les escurryes voltées, greniers et fenyeres au dessus ; 

Un jardin avec le verger et autre petit jardin,le tout joignant et clos 
de muralhes ; 

Un parcq de chaines aussi clos de muralhies estant au devant du d. 
vergier. 

Et le revenu de la d. baronye consiste en rentes contenues es terriers 
et lieves, lesquelles rentes sont portables dans le chasteau du d. Arlenc, 
avec droit de lodz, muages, talhiabilité ez cinq cas et autres debvoirs 
seigneuriaux acostumés , 

Le grefle avec les amandes et deffauts ; 

Le four banyer ; 

La leude des grains, la leude menue ; 

Le pré appellé le Pré de Aquats, clos de murailhes, y ayant un 
pigoonnier au milieu et contient soixante faucheurs , 

Deux autres prés lun appellé Dachard, lautre {a Fontonae ; 

Le droit de couratage et le ban daoust ; 

Les prés appellé de Vallars ; 

Le bois appellé du Mas ; 

La forest d’haulte fustaye appellée le bois Darnarnes ; 

Le droit de peséhe sur la rivière de Dolore ; 

Un estang proche du bourc dArlenc ; 

Une metterie appelée de Moronges consistant en bastiments, prés et 
terres laborives ; 

Autre grange et metterie apellée de Lespisse, consistant aussi en 
bastimentz, prés et terres laborives ; 


| 22 
Seigneuries de Murs et de Vissac (2) 


Item et finallement les terres et seigneuries de Murs et Vissac, au d. 
païs d’'Aulverhne que le seigneur de Drujac, tient de présent par droit 
de gaige du d. feu seigneur Just Louys de T. et consistant les d. 
seigneuries au chasteau appellé de Murs ruyné et non habité, y ayant 
toute jurisdiction h. m. et b. ; 


(1) Arlanc, ou d'Ambert, Puy-de-Dôme. 
(2) Arrondissement de Brioude, Haute-Loire. 


184 LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 


Et le revenu consiste en rentes contenues ez terriers et Jieves, lodz, 
muages, talhiabilité en cinq cas et autres debvoirs seigneuriaux 
acostumés. 

Le greffe et amandes. 


11 
BIBLIOTHEQUE 


Château de Tournon 


Dans une chambre joignant la garde-robe 


147 vollumes de droit canon ou civil grands ou petits ; 

67 pefitz volumes de droit ; 

38 vollumes des povetes français ; 

42 volumes des povettes lattins ; 

46 volumes dorateurs latins ; 

31 volumes de grand mere {sic). 

65 volumes de philosoffie ; 

30 volumes distoriens français ; 

28 volumes de libres saintz ; 

65 autres volumes distoriens français ; 

132 volumes théologie ; 

60 volumes distoriens latins ; 

Les œuvres de Virgille historiées couvertes de vellours rouge crama 
sin avec deux agraphes dargens ; 

Une pere dheures de Nostre Dame covertes de vellours tané accra- 
moisin, avec les fermatures et les huit coins dargent, et une roze au 
milieu de chesque costé aussi d'argent ; 

Une autre pere d’heures de N. D. avec la couverture comune ; 

Un mescript (manuscrit) des œuvres de Nisse fre en grec ; 

Un libre ou sont les armoiries des maisons illustres de France ; 

230 petits volumes de divers auteurs ; 

Un volume de la cosmographie de Ptholémée. 

Un libre cousu de parchemin vert contenant les batailles de Dreux, 
Jarnac, Moncontour, prinze de Nismes et autres places ; 

Deux libres mansscripts tant de harangues que des inventaires du 
seigneur du Tillet ; 

Deux globes et une asphère. 


LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 185 


ll 


TABLEAUX ET OBJETS D'ART 
Chateau de Tournon 


Dans le cabinet du défunt 


Cent trois tableaux des princes, seigneurs de la cour et enfans de la 
maison de T , tous à l’huile ; 

Un autre grand tableau représantant la descente de Croix, fait aussi 
à L'huile ; | 

Une boite de deux pans de long dans laquelle ont este trouvées les 
effigies de Jupiter et de Vénus, rellevées en marbre ; 

Vingt médailles antiques dans un petit sachet, de la grandeur dun 
setzain ; 

Une tasse cristal dans un estuy de cuir noir ; 


À la salle des figures, située dans la grosse tour de Beauregard 


Une fontaine avec ses 4 pieds destal, dans lequel il y a une nimphe 
taillée de marbre jaspé, avec un ibou (sic) au pied, ayant demye aulne 
dautheur ; 

Une figure jentiere de la déesse Cerès de marbre, avec une corne 
d’abondance, y defailhant la moitié du bras droit ; 

Un lion de marbre de longueur de trois quartz daulne, couché sur 
une table aussi marbre, dun pan et demy de large ; 

Une estatue marbre dune nimphe, à laquelle manque les deux mains; 

Autre estatue marbre représentant le vieux Mars, y manquant le , 
bras droit ; 

Un muffle de lyon, aussi marbre, pour servir à une fontayne ; 

Une petite estatue du Dieu Bacquée aussi arbre ; 

Autre estatue de deux amans embrassés, de mesme piece ; 

Plus 40 autres estatues ou testes représentans plusieurx personnages, 
le tout marbre ; 

Deux tables jaspe et six de marbre auxquelles y a divers escriptaux 
anciens , 

Et 4 grosses boules jaspe. 

Le s” Christol Liverssin soumellier a porté la vaisselle dargent consis- 
tant en plats ronds,ovalles, bassins dor et vermeil et sizalliers, et autres 
dargent à bords dorés, avec leurs vazes et eguieres de mesme fasson, 
assiettes, chandeliers, escudelliers, fourchettes, cullières, sallières, 
poudrières et sucrières, laquelle vaisselle pesée.par M. Michel Armand 


13 


186 LA SUCCESSION DÈ LA MAISON DÉ TOURNON 


orphèvre, a esté trouvée pezer ‘e tout 106 livres et And dE poidz de 


Montpellier. 
À la chambre des meubles dans la tour de Beauregard 


11 grands tableaux defigies dés empereurs turcs sans cadres ; 
2 tableaux de femmes ; 
10 tableaux de divers personnages ; 


Au cabinet du trésor du chateau 


Un grand damier couvert de placques dargent dorées et azurées en 
divers endroitz, auquel sont empreintes les armoiries du d. feu seigveur 
Cardinal de Tournon en vitre, le d. damier estant dans un estuy de 
cuyr ; 

Cinq pieces de vaisselle de Venise ; 

9 layettes petites ou grandes dorées ou azurées diversement ferronées, 
estant fort vieilles ; 

8 tableaux grandz ou petitz ; 

Ung sac ou y a huit ca :hetz ou sceaux dn feu seigneur cardinal. 

Deux peres de coins pour fere des getgua ? au nom et armes du d. 
cardinal. 


2 
Chäteau de Roussillon 


A la chambre d'Auverez, près la chambre du milieu 
Leffigie du feu Roy François ; 


IV 
TAPISSERIES ET TENTURES 
Château de Tournon 
À la première chambre du 1° étage 


Une tenture de tapisserie de Flandre de plusiears figures consistant 
en sept pièces estant fort uzés. 


| A la chambre de la cuisine 


Une tanture de tapisserie de Flandre à grands personnages en huit 
pièces à demy uzée ; 
. La garniture du lit descarlatte rouge craimoisin, doublé de camelot 


TE 


LA SUCCESSION DÉ LA MAISON DE TOURNON 187 


de Lisle mesme coleur, bande de broderie de vellours noir avec un 
chapiteau velours noir au ciel du d. lit ; 

Un pavillon de damas bleu, garny de franges dor et soye bleue, avec 
son chapiteau vellours bleu garni aussi de grandz franges soie blue 
avec la crespine dor, pomme du dit pavillon garnie de vellours bleu et 
gallon d'or ; 

Un tapis sur une table bois noier, en velours vert penchant de tous 
coustés jusques à terre, chamarré de passemant, fait en broderie d’ar- 
gent et soie sur de velours et satin violet craimoisy,et aux quatre coins 
est garny jusques à terre de boutons de mesme broderie ; 

Une tenture de tapisserie de Flandre à grands personnages, en neuf 
pièces ; 

Trois pièces de tapisserie de Flandre à personnages fort vieilles 
tendues autour des muralhes de la d. garde robe. 


À la grande garderobe de la d. chambre : 


Une tenture de tapisserie de Flandre à grands felhiages et animaux 
ayant six pièces à dumy nzée ; 

À la galerie regardant sur le porche : 

Une tenture de tapisserie de Flandre ou est représentée listoire des 
sauvages, en six pièces, estans fort vielhes. 

La garniture du lit à oursse de damas rouge craimoisin chamarré de 


passemans d'or à jour et aux pointes de grandes franges de soie cramoi- 
sine avec la crespine d’or; 


À La chambre des meubles : 


Une tenture de tapisserie de Flandre en laquelle est représentée 
listoire des quatre saisons, haute iisse, consistant en six pièces ; 

Autre tapisserie de Flandre représentant Jlhistoire de Pocies el 
Sephallus, en onze pièces ; 

Autre tapisserie de F. représentant listoire de Nicrocosme, en sept 
pièces ; 

Autre tapisserie de F. représentant listoire d'Hercules, en s'x pièces : 

Autre tapisserie de F. représentant listoire des Sibelles en six pièces ; 

Autre t. de F. représentant listoire des sauvages en quatre pièces ; 

Une grande pièce de tapisserie de F. de listoire des sept arts liberaux ; 

Six autres tapisseries de F. de diverses fassons desasorties, uzées : 

43 grands et petits tapis de Turquie, 

Grand tapis persien y ayant plusieurs personnages en fil dor servant 
pour table, 

4 couvertes drav orangé doublé de trellis en broderie de velours de 


188 LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 


diverses coleurs, avec les armoiries de la mai:on de T. servant pour 
couvrir les mulets de coffres ; 

Une garniture de lit vellours bleu en broderie dor et toile dargent, 
la broderie rellevée en brosse, consistant en six pantes, le ciel et le 
dossier dans son leassemens du d. velours en la d. broderie, les d. 
pantes et surbassemens doublés de satin bleu, garnies dune grande 
frange de soye avec la crespine dor ; 

Trois boureaux du pilier du d. lit, de vellours bleu, chamarrés de 
passemans dor fait à jour à demi rompus ; 

Trois rideaux de damas bleu, avec les bandages de broderie dor et tuile 
dargent ; 

Autre garniture de lit de vellours rouge cramoisi et satin blanc avec 
des bandages de satin bleu, et de broderie, et pour fileure de fillet d’or, 
consistant en trois pantes, deux soubassemans, le ciel et le dossier de 
la d. fasson, garnys de grandes et petites franges de soye rouge et 
blanche ; 

Autre garniture de lit à limperiale de damas jaulne et bleu, scavoir : 
le dessus de limperiale, le dossier, truis rideaux, deux portières, quatre 
foureaux de piliers, la coverte de parade penchante de tous coustés 
doublée de bone soie bleu y aiant sur touttes les coutures un passemant 
dargent et les franges de soie tanette couvertes de fil dargent ; 

Quatre pantes de drap dor rouge et jaulne, doublees de la mèsme 
estofle, faites a deux endroi s garnies de grandes et petites franges de 
soye rouge, et la crespine et frangon dor, à lune desquelles pantes sont 
les armoiries du feu seig' cardinal de T. ; 

Deux paremans servans pour une esglise,estans en velours tané, l’un 
aiant une bande drap dor dun pan de largeur touts autour, et lautre 
aiant bande es trois coustés tant su'ement, à chescung desquels sont les 
armoiries du d. feu cardinal en broderie dor et taille dargent ; 

Un habit de satin bleu tout chamarrs de petits passemans dor, les 
“hausses faites à canons doublés de taile dor et soie bleue ; 

Autre habit de taftetas violet gros de Naples, fait à la fasson de 
Ponlongue, tout chamarré de passemans et galons dargent avec de 
broderie entre deux ; 

‘Autre habit et capat de sitin vert, covert de broderie par bandages 
dor, les manches du d. capot doublées de toile dargent ainsi que les 
paremens ; 

Une casaque de gendarme de velours vert doublé de tafetas blanc, 
avec les paremens detoile dargent,estant couverte de clinquant dargent, 
y ayant deux croix grandes de toile dargent, lune devant, lautre 
derrière et le long du devant de boutons à gene dargent 


LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 189 


Tapis d'Auvergne pour mettre sur le banc de la chapelle du chasteau, 
au milieu duquel sont les armoiries du feu seigneur cardinal ; 

À la chambre de St- Vincent : 

Tenture de tapisserie de Flandres à feuillages, en sept pièces ; 

À celle de la chasse : 

Une tapisserie de F. à petits fulhiages et plusieurs animaux ou sont 
les armoiries du d. feu le cardinal en sept pièces ; 

Une tapisserie d'Auvergne faite à menue verdellia en huit pièces ; 


2 
Château de Satilicu 


À la première chambre dhaul : 


Une tenture de tapisserie de Flandres à grands fulliages et personna- 
ges, en neuf pièces ; 

9 pièces de tapisserie de F. desassorties ; 

Une tapisserie de F1. à personnages, en huit pièces ; 

À la chambre joignant la grande salle haute : 

La garniture du lit consistant en trois pantes de tapisserie d’Aulver- 
&ne avec les franges de laine, et rois rideaux cadis vert ; 

Plusieurs autres tapisseries d'Auvergne et de Flandres non detaillées ; 

A la garde robe de la d. chambre : 

Un lit entouré d’une tapisserie de Flandre avec les franges à layne 
Verte, y ayant un rideau de cadis vert et l’autre rouge ; 

Une tapisserie de F. à grands personnages et fuliages, en 13 pièces ; 

Un tapis d'Auvergne pour table ; 

18 pieces de tapisserie de F1. de diverses fassons ; 


3 
Château d'Ay 


À la chambre de madame : 

12 pièces tapisserie de sarge painte en fleur de lix de diverses coleurs : 

10 pantes courtines de tapisserie daulvergne avec les franges layne 
de diverses coluurs ; 


4 
Chéteau d'Arlenc 


A la petite salle basse joignant la grande porte : 
Une tapisserie de Flandres en six grandes pièces y ayant des figures 
de lions, griffons et autres animalz estant fort uzée ; 


190 LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 


À une autre chambre basse appelé de Monsicur : 
Une tente de tapisserie de Flandres,appelée la chasse,en neuf pièces ; 
À la grande galerie : 
13 pièces de tapisserie de F à forme de paysages ; 
Autre pièce tapisserie de F. ou sont les armoiries de la maison d’Arlenc, 
à demy uzée ; 
Plusieurs tapisseries de Turquie non decrites ; 
À la chambre des Sibilles : | 
Une tapisserie de Fiandre, en six pièces, à fuliages ou sont empraintes 
les armoiries d’Arlenc ; 
Une tapisserie de F. de hante lisse, appelée {a tapisserie des Berge- 
res, en sept pieces, à demy uzée ; 
À la première chambre de la galerie,apgelée de la Licorne : 
Une tapisserie de F. à petits fuliages, y ayant une licorne au milieu, 
en sept pièces, fort vielles ; 


V. ARMES ET CANONS 
1 
Château de Tournon 


A la plate forme de la Tour de Beavregard, regardant sur le 
Rosne : 


Trois pièces de campagne tirant 25 livres de halles, avec leurs affuts 
et rouages ; | 

Une pièce bastarde rompre à deux piedz de lemboucheure, estant 
sur deux roues sans afust ; 

Et un petard de fer pesant 4 quintalz ou environ ; 

À la grande basse cour du d. chasteau, du costé des prisons : 

Deux doubles canons de batterie, avec leurs rouages et affutz, achep- 
tés par le seigr de St Chamont, du inandement du d. feu seigneur de T. 
de Payan, lieutenant de larcen:t de Lion, pour le prix de 1500 livres. 

A la salle des armes, sur la salle basse : 

515 mousquetz de campagne ave: chescun une fourchette, tous de 
bonne valleur, dont 100 appartiennent aux habitant: de Serière, et 200 
aux habitants de Satilieu ; 

104 mousquetz de garnison avec leurs four:hettes estans de bonne 
valeur ; 

+3 banduulieres pour les d. mousquetz, sçavoir 42 de vellours noir 
chamarrés de clinquan d'argent faux, et les autres de cuir de diverses 
colleurs, de mesme chamarrées, garnies de leurs carguets ; 


LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 191 


12 peres darmes pour gendarmes completes, de bonne valeur ; 

2 curassieres de picquier ; 

Un rondache à preuve darquebuze,doublé de vellours rouge et armoi- 
sin, avec un pot et mongnons aussi à preuve ; 

Trois autres armes de picquier compiettes ; 

27 carabines neufves ; 

Sept longues caisses bois sapin pour tenir Les picques, contenant 239 
demy picques de bonne valeur ; 

3 espieux vieux ; 

2 masses darmes à fasson de marteau pointu ; 

Une ache darmes y aiant une lame despéè an dedans ; 

Une passe darrmes y ayant plusieurs pointes au bout : 

Plusieurs bardes de chevaux, de peu de valeur. 

À la terrasse de la tour de Beuuregard : 

Deux pièces de canons appelés fauconeaux, tirans quatre piedz et 
demy de long chascune ; 

Un petit fauconeau tirant la balle comme un orange, aiant sept pieds 
de longueur ; | 

Six arquebuzes à croc ; 

Un petit petard fer ; 

À la casematte au dessoubs la plate forme de la tour de 

Beauregard : 

Un barral rempli de poudre de canon pezant un quintal et demy ; 

Six petits roleaux plomb pezant environ un quintal chascung ; 

4 peti‘z fauconeaux forte tirant un pied de long chascuug ; 

8 balles à canons, moienes ou grosses ; 

100 balles fer de la grosseur d’une rroix : 

Un canon darquebuze à croc ; 


2 
Château de Satilieu 


À la chambre basse joignant la salle basse : 
Une grande arquebuze à croc, aiant sept pans et demi de long : 
2 arquebuzes à croc plus petites ; 
Deux petards fer à que ; 
À lu chambre joignant anpelée du recepveur : 
14 arquebuzes à rneche, dix montées à la fançoize, et quatre à 1 
vallonne ; 
À la chambre du premier : 
Un mosquet de campagne sans façons. 


192 LA SUCCESSION DE LA MAÎSON DE TOURNON 


3 
Château d'Ay 


3 arquebuzes à crocq lune grande, l’autre moiene, et lautre petite ; 
2 petits petardz fer montés ; 


4 
Châleau d’'Arlenc 
À l'entrée de la porte du château : 


Un rastellier à tenir armes, portant 8 arquebuzes à meche montèes à 
la françoize, et 5 vieilles halebardes ; 


A la grande galerie : 
3 arbalestres avec bandages fer ; 
2 cornes de serf ; 
Un morion ; 
2 arquebuzes à meche vielles ; 
Un arc de Brésil ; 
2 petits petards fer ; 


VI 
INVENTAIRE DES ARCHIVES 
; . I 
Château de Tournon 


Premièrement un libvre ou sont escriptz les homages et recognais- 
sances faites au proffit de feue dame Diane de Poitiers, duchesse de 
Valentinois et Diois, baronne de Chalencon, Privas, Arlende et Flurac, 
faites pour raison des d. baronyes de Chalencon et Privas, par ses 
vassaux, devant feu monsieur M: Galhiardet de Montcalm, juge- mage 
en la cour de M' le seneschal de Beaucaire et Nisme, escrits de 487 
feuillets, le premier estant un homage fait par le sieur de Lestrange en 
lannte 1551,et finissant par un homage fait par le sieur de la Torette,le 
6° octobre 1556, le tout signé Rosselli notaire ; 

Autre libvre d'homages et reconnoissauces, reçues par le dict Rosseli 
devant le d. seigneur juge mage, escript en 491 fuïlets papier,comansant 
par le pr'eès verba! du dit seigneur juge-mage, et finissant par lacte 
faict par les" de St-Flour, sieur ‘de Chasteiu Mourant, du 7° jour de 
juin 1551, 


LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 193 


Autre vollume des homages et recognoissances … escript en 382 
fulliets papier, comencent par la continuation du verbal du d. s° juge- 
mage du 13° juin 1551, et finissant par l’appointement donnée paricell i 
3° janvyer 1552, le tout signé par le d. Rosselly : ’ 

Plus un aultre volume dhomages et recogaoissances de Ja baronye de 
Chalancon couvert de mesme fasson... comancent par la continuation 
du verbal du d. seigneur juge-mage du 18° jour d’aoust 1553,et finissant 
par la declaration et denombrement balhié par dame Loïze de Montlor, 
prieure du prieuré de la Ville Dieu, le tout signé par le d. Rosselli, le 
dict libvre escript en 514 fullietz papier. 

Un aultre libvre plus petit, escript en 209 fulhetz papier, oultre le 
repertoire des recognaissances faictes à la d. dame de Poitiers, comme 
baronne de Chalancon, comansant par la recognoissance faite par Pons 
Vernet, de la paroisse de Pouzat le 18° jour de mars 1550 et finissant 
par la recognoissance de Jean Catallon, du 20° decembre 1572, signées : 
de Vernet notaire ; 

Plus un vieux libvre homages sans couverture, faitz au proffit de 
Louys filz ayné du Roy de France, prince daulphin, comme cumte de 
Valentinois et Duiois et baron de Chalencon, comanssant par lhomage 
fait par Guidon de Lestrange, du 27° febvrier 1446, et finissant par 
lhomage fait par Jean de Colomb, signé Gruteri. le d. libvre contenant 
136 fulhetz ; 

Une vielhe lieve (1) sans couverture ; 

Aultre libvre, escript en 210 fulhetz papier, comansant par une reco- 
gnoissance faite au proffict de la d. dame de Poitiers, baronne de Cha- 
lencon, par Estiene Martel et François Lascontes, du 11° de novembre 
1552, et finissant par une recugnoissance faite par M° Jean Catalon du 
20° décembre 1552, signée de Vernet notaire ; 

Aussi un terrier etlieve du lieu de Seriere, couvert de parchemin fort 
vieux et rompu ; 

Item, un libvre dans lequel sont escrytz les homages faitz par les 
vasSaux de la maison de Tournon, comanrsant par lhomage fait par 
Anthoine Fournatts de Chaime, du %5 aoust 1480, et finissant par 
Ihomage fait par noble Jean de Chamaroux, du 26° aoust au d. an, le 
tout signé : Broc notaire de Tournon, escript en 150 fullietz parchemin ; 

Autre libvre, ou sont les homages de la maison de T. (2)escript en 125 
fulhetz parchemin comansant par lhomage faict par Jean de Bolenassi, 


(1) Lieve, Livre de reconnaissances féodales. 


LE) one ce nom se reproduira souvent nous le désignerons par la 
ettre T. 


1904 LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 


Ausnai du 24° aoust 1414, et finissant par Ilhomage fait par André Cha- 
relre, du 10° avril 1415, non signé par notaire ; 

Autre libvre de recognaissance de la baronnie de Seriere, appartenant 
au seigneur de T. couvert de basane neuve sur des ai, comansant 
par la comission de M: François Colomby notaire,et comissaire depputé 
par la d. cour de M. le seneschal, du 5° de mars 1487, etfinissant par 
Ihomage et recognoissance faite par Enemond de Via, du 8° novembre 
1517, le tout signé par le d. Collomby notere et commissaire, escript eu 
172 fulhets papier ; | 

Plus un grand terrier pour la comté de Rossillon, contenant 476 fulhetz 
papier escriptz, comansant par Ja recagnaissanse faite par Rolland 
Barbier, le 9° septembre 1519, et finissant par la recognoissance de Bar- 
thelemy Canard, de Solelin, du 13° janvyer 1520, le tout signé Patry 
notere ; 

Un arrest donné par la cour de parlement de Gren ble au proffit du 
d. feu seigneur Just-Louis de T. contre les sieur et dame de Plezioud, 
du 5° jour daoust 1599 ; 


Contrat de transaction passé entre feues dames Anne et Françoize de 
de T. filles et heritières de feu Messire Just de Tournon d’une part, et 


le d. feu seigneur Just-Louys, d'autre, receu par M° Cussonel notere 
du d. T. le 9° jour de juin 1593 : 


Les provisions obtenues du roy par le d. feu. seigneur Just-Louys, 
de lestat et offres de grand seneschal dauve gne ei ballif de Viverois, 
datées du 5° may 1595, signées Henry et plus bas : par ‘le Roy : de 
Neufville ; 

Lettres de chevallier de l'ordre du St-Esprit expédiées au proffit du d. 
feu seigneur Just-Louys, sellées du grand seau, datées du 1° de mars 
1611, signées : Louys, et plus bas : Par le Roy : Potier. 

Hommage fait par le s' de Jarnyeu au proflit du sieur de Brian s' de 
Beauchastel, de lannée 1367, en parchemin grossyé ; 


Ordonnance donnée par les officiers ordinaires de T. sur le rapt 
comis en la personne de Catherire Pichonyere contre Paule de Fain dit 
dEstables, Gaspard du Puis, Estiede Turnellis dit Bilhée et autres, 
portans confisquation de leurs biens au proffit du d. seigneur de T., du 
31 décembre 1557, avec autre «ordonnance donnée sur lexecution de la 
susdite, du 3° de janvyer de la mesme année, le tout signé : Gordol 
no'* ; 

Un contrat de bail annuel achaipt fait par Just de T. au profit de 
Claude Alemane des pieces y designées, receupt par M° Jean Dellina 
uotere, du d. T., le 25° janvyer 1537; 


LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 195 


Contrat dachaipt de 45 livres de pension anuelle fait par le d. seigneur 
Jus de T., de Pierre Clamensson, du 23° aoust 1540, receu par M° 
George Gordol notaire du d T. ; 

Autre contrat dachaipt fait par le dit seigneur Just. de Clément 
Bergette, de 10 livres de pantion annuelle, receu par le d. Gordol le 
aoust 1540 ; 

Donation faite par le d. seigneur Just, à M° Jean Pellma, du 31 
octobre 1529, receu Broe notere dud. T. 

Aussi un contrat de transaction passée entre noble Guilhaume de 
Rossilion, et noble Diserand conseigneur d’Ay, sur les enfants et limites 
des juridictions d'Ay, et Yserand, du 6° juin 1387, avec un seau pendant 
encre verte ; | 


Achaipt fait par le d. seigneur Just,de Laurent Dumas, dun choveer- 
met pour fait la levée du mollin de la Roche d'Ay, receu Richard 
notaire, le 7° jour doctobre 1562 ; | 


Autre contrat dachaipt du d. seigneur Just fais des biens y mentionné 
de Pierre et Claude Richard père et fils, du 7* doctobre 1516 receu 
Faure notaire d'Ay. 

Autre contrat dachaipt fait par le d. seigneur, de Jacques Guion, du 
bien dAy, d’une siene maison et place, vigne et jardin, assiz à Aÿ receu 
Faure no'e le 19° daoust 1517; 

Plus autre acquisition faite par le d. feu seigneur Just, de Pierre 
Richard, dun pred assiz à Ay receu par le d. Faure, le 9° aoust 1512 ; 

Procedure contenant enqueste faite à linstance du scindic de Ihospital 
de T. des donations et dotations des biens du d. hospital faitz par dame 
Clauce de la Tour, la d. procedure faite par M° Jean de Jausserand 
juge de T. le 3° décembre 1570 ; 

Un vienx ach:ipt du seigneur de T. de la maison et jardin de Girard 
de Serai, en lan 1400 ; 

Un compte des marchandises fournye aud. feu seigneur Just-Louys, 
par les’ Sallier merchand de Lion, avec les pièces justificatives y 
mantionnées, du 1°" may 1611 au 24 novembre 1612 ; 

Contrat de mariage passé entre la d. seigneur Just de T. et Jeanne 
de Vissac, dame d'Arlenc, et autres places, du 3° doctobre 1497 ; 

Le procès receu au siège presidial dAuvergne seant à Riom, dentre 
Francois Chastellus et dame Leonarde de Chabanes, dame de la 
Palisse, avec le jugemant y intervenu le 10° daviil 1581 ; 

Accusement passé par le d. feu sg” Just dune vigne au lieu dAy, à 


Jean de Losme et autres pour 31 barral vin annuellement receu par 
M: Pierre de Volle notaire le 19 mars 1550 ; 


196 LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 


Autre acensement passé par le d. seigneur dune vigne assize à 
Quintenas, à Philebert Martore pour 45 saulmées, un barral et demy 
vin annuel‘ receu par An'hoine Colombi notere du d. lieu le 27° janvyer 
1576 ; 

Contrat de loyer perpetuel fait par le d. seigneur Just à Claude 
Persie, du lieu dAy et autres dune vigne pour 13 soumées vin annuel- 
lement, receu par le d. Colombi, le 11° de juin 1555 ; 

Louage perpetuel fait au proflit du d. seigneur Just par François 
Richard notaire de St-Alban, d'une vigne à Ai pour {4 soumées vin, 
receu par Pierre de Ville notaire de Satilieu, le 27° de mars 1552 ; 

Acte de sommaire apprinse de lestat du chasteau et domayne dAy, 
devant Me Colombi, lieutenant en la jurisdiction de Satilieu, du 10° 
jour de novembre 1581 ; 

Remission au profit du d. seigneur Just par les hoirs de Jacques 
Chazales, d'une vigne apelée Prat Perrier, receue par Anthoine 
Tourton notaire de Boulieu, le 23° janvyer 1560 ; 

Le testament du d. feu seigneur Just de T. comte de Rossillion, 
receu par M° Balmat notaire royal dè St-Deydier, du 10° may 1557 en 
parchemin grossyé ; 

Le testament de messire Charles de T. evesque de Viviers, 
du 5° de julliet 1550, receu Broe notaire de T. en parchemin grossyé ; 

Testament de messire Jacques de T. evesque et comte de Vallence, 
du 11° de juin 1553 receu par le d. Broe ; 

Arrest obtenu par le d. seigneur Just de la cour de parlement de 
Grenoble, contre M" le procureur général en icelle, à raison des viles 
de Beauchastel, en date du 30 juin 1540, signé Picard, avec la procedure 
fai:e sur Jexecution du d. arrest ; 

Extrais de procedure faite par M. Michel Falguairolles et M° Crozet 
com'* entre le d. seigneur demandeur et les habitans du d. Beauchastel 
deffandeurs, du mois de septembre 155%, signée par Croze, no”. 

Arrest de la cour de parlement de Grenoble, donné entra le d. feu 
seigneur Just Louis de T. et noble Anthine de Sassenage, du 13° mai 


1596, signé Louat ; 

Extrait de procedure faite par feu M° Merlin de Viliers Juge des 
terres de la maison de T. sur la verification du tresor des tiltres de la 
d. maison, du Y* de may 1583 ; 

Un livre couvert de parchemin... ou sont couchés les baux darren- 
tement des terres de la maison de T. comansant le 19° avril 159%. et 
finissant par un arrentement des grefles de Vion, Iserand et Durtal, au 
profit de Michel Valette, daté du 6° fevrier 1590, contenant 307 fulhiets 


papier ; 


LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 197 


Un libvre dhomages au profit du d. seigneur Just, escript en 64 
futhe'z papier, comansant par Ihomage fait par dam!'° Gabrielle de 
Lagenterie le 20° may 1519, et finissant par lhomagefait par noble [oys 
du Vache, le 31 may 152 ; 

Vidimus qes Provisions obtenues du Roy pour le seigneur de T. pour 
le fait des libertés et franchises des impositions qui se font sur le vin, 
fourages et autres subéides, le d. vidimus fait par M° Aleman jadis 
lieutenant de balli au siege royal lhors seant à Roussieu, par lui signé 
et Baud greffier ; 

Loriginal des d. provisions fort vielles ; 

Coutrat de translation passée entre Guil. de la Rorie s° dEspinasse 
et Demparany, dune part, et le feu seigneur Jacques de T. du 6° 
novembre 1479, receu par M° Pierre Lafont no'ere royal du d. lieu de 
Bossieu , 

Un codicile fait par le d. de la Rorie, du 12° febvrier 1486, receu 
par M° Jean Galion pb'* ex notaire ; 

Transaction passée entre messire Jacques de T. dune part. et dame 
Alaix de Vissac, du 17° may 1391, receu par M° Thomas Chirol notaire ; 

Achaipt pour Giraud Roulles a luy fait par noble Thomassier Baron 
receu par M° de Saunigues notaire de Condrieu, le 8° doctobre 1545 ; 

Quitance generalle au profit de feu messire François cardinal de T. 
ou son procureur, par feu messire Nicolas Danjon, comte de St Foryen 
et Mazieres, et Gabrielle de Marul, à raison de lacquisition faite par le 
d. seigneur cardinal de la moitié de la comté de Rossilion, du 20° avril 
1544, receu par M‘ Bereau et Torpin notaires au chastelet de Paris ; 

Un grand rouleau parchemin ou est escripte la procedure faite à la 
req‘ de Guil. de T. soi disant successeur de Jacques de T., mort en la 
guerre D'Ongrie, sur laceptation soubz benefice dinventaire des biens 
dicellui par devant le juge royal de Viverès, comancée le 26° octobre 
1398, auquel est aussi incérée la pancarte des peages de T. le tout 
escript en 41 peaux parchemins coseus ensemble, signé : Cairot greffier ; 

Procès intenté par le siet r de Sassenage contre le feu seigneur de T. 
au nombre de 25 tiltres ; 

Procès verbal en 4 cahiers papier consernant le peage de terre du 
lieu et seigneurie de Satillieu ; 

Plusieurs lettres missives envoyées au d. feu seigneur, dans un cofire 
bahut ; 

Une layette couverte de velours violet avec broderie dargent fort 
vieille, presque pleine de lettres missives envoyées au d. feu seigneur (1); 


1. Terrier de Durtal signé par Me Arnazi. Toutes les archives qui suivent 
se trouvent daus le cabinet de la tresorerie. 


198 i.A SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 


Libvre couvert de bazane verte intitulé : Noveaux homages de 
Tournon, escript en 100 fulliets papier, comansant par lhomage fait 
par d'e Gabrielle de la Greterie du 20° may 1549, et finissant par Ilhomage 
de noble Louis du Vache, du 31 aoust 1582, receux et signés par le Mur 
notaire de Valence, escript en latin en 37 fulhetz papier covert de 
parchemin rouge comancé en lan 1481 ; 

Un grand libvre couvert de buzane noire dans lequel sont escriptes 
plusieurs recognoissances pour la comté de Rossillon, le premier fulhet 
estant cotté 468 et y a descript jusques folio 912, comansant par la 
recognoissance de Jean Jacob, dit d'Urre, de Salezes, du 17° febvrier 
1542, ou sont aussi couchées les mezures et quantités des de’ voirs 
deub z à la d. comté ; 

Un cayer de recognoissance des rentes de Guires, reçeues par feu 


M: Claude Came nctaire de Rossillon, escript de 21 fulhets papier 


comancé le 18° avril 1539 ; 

Autre libvre covert en bazane noire dans lequel est un terrier de 
Rossillion des rentes que feurent des S'° Douzon, Labastie et Guires, 
contenant 253 fulhietz escriptz, comancent par la comission de M° Jean 
Cames notaire de Rossillion et commissaire deputé par la cour de 
parlement de Grenoble du 21° avril 1555 ; 

Verdime de lacquisilion faite par dame Claude de Turayne dame de 
T. de la rente anuelle de 1.111 escutz 6 solz 6 denyers, des gens de 
trois estats du pays de Viverès, signé par Colomby lieutenant de baïllit 
au siège roial dAnnonay et Molinot greffier, du 26° mars 1583 ; 

Lettres patantes contenant le don fait par Sa Magesté au seigneur 
de T. du droit de lods, par luy deub, à raison de lacquisition de la 
baronye de Chalencon, données à Blois, Le 3° de septembre 1599, avec 
larrest donné par la chambre des comptes de Grenoble, sur la vériff- 
cation du d. don. estans dans une boitte de fer blanc : 

Un grand libvre escript en latin en 326 fulhetz papier intitulé : Second 
terrier de Vaulcaust comencent par la recognoissance dAndré Fourest 
du 13° mai 1439, finissant par la recognoissance de Jacques Cros signée : 
Romaneti notaire de Satilieu ; 

Une petite layette dans laquelle sont les comptes et autres papiers 
conseruant ladministration faite par la d. feue dame de Turayne, des 
denyers du feu seigneur cardinal de Tournon ; 

Pièces du procès jadis pendant en la cour de parlement de Grenoble, 
dentre le d. feu seigneur de T. et le seigneur de Maugirond : 

Vieux terrier contenant plurieurs homages et recognoissances au 
profit des seigneurs de T. escript en latin en 107 fulhetz papier. 
comancé en lan 1363 ; 


LA SUCCESSION DE LA MAISON DE TOURNON 199 


Instrument descchange en parchemin passé entre noble Anthoine 
Fournat, de Dessaigne, comme procureur de messire Jacques de T., 
et Jean Ville, du lieu d’Ay, receu par Claude Brove notere de T., en 
lan 1474 ; 

Terrier de la baronye de Seriere comansant par la recog' de Raymond 
de Longere du 17° décembre 1537, et finissant par la recoge de Florize 
Periere, signé par le d. Cames notere, le tout escript en latin, en 292 
fulhietz ; 

Le 4° terrier de Durtal, avec son repertoire, comancent par la 
recog° faite par Jacques Designe, le 2 de may 1555 et finissant par la 
recog° de Guil. de Jeans escuyer, du 10 aoust 1561, receues Blanc not. 
de T. le tout escript en 211 folhetz papier : 

Le 4° terrier de T. comansent par la recog* de Durant Barragna, du 
28° decembre 1408, et finissant par la recog* de Pierre Sabatier, du 28 
janvier 1475, receues par Giraudi notere du d. T. et toutes autres par 
Sanrahoneti notere, escriptes en latin, en 102 fulhets papier ; 

Ordonnance par les officiers ord'** de T. contre les bollangers de la 
d. ville, du 10 mars 1587, en parchemin, signée : Giraudi greffier. 

Achapt pat Bermond de Briou, de Guil. de St-Roman, du 14° febvrier 
1443, receu par Erederi de Rozier, notaire de St-Vallier ; 

Trois copies de transaction passées entre messire Jacques de T. 
prieur d’Arlenc dune part, et les habitants du d lieu pour raison des 
benefices, recues Sirmont notere dArlerc en lan 1544 ; 

Lettres de provisions du Roy Charles 9° de lestat et office de ballif 
de Viveres au profit du d. feu seigneur Just Louys de T., du 21° 
septembre 1568, avec autres six provisions de conservation des autres 
rois ou dispances. 

Dispance obtenue du pepe Gregoire XIII par le d. feu seigneur Just 
Louys, pour se marier avec dame Magdelaine de la Rochefocaud, en 
date du 11° febvrier 1582 ; | 

Libvre de vieux homages faits au seigneur Guil. de T. par les habitans 
dud. T comancé par lhoimage d'André Mamet du 27° mars 1246 y 
ayant ensuitte quelques autres recog®* le tout escript en latin; 

Arrest donné par le Roy eu son conseil, du 19° mars 1599, portant 
main levée au profit du dh ‘eu seigneur Just Louys, des estatz et biens 
à luy saizis d’authorité de la cour de parlemant de Paris nour raison du 
fait des Jesuittes ; 

Libvre des recognoissances faites par les habitans d'Escostes daray, 
comansé par la recog® generale des habitans des Costes daray au profit 
du seigneur Hectorge de T., en lan 1445, et finissant par lhomage de 
Jean Gilbert du 22° juin 1446, escript en 180 fulhetz ; 


200 LA SUCCESSION DE LA MAÏSON DE TOURNON 


Arrest donné par la cour de parlement de Tholouze le 23° septembre 
1598, à la requeste du syndic du pays en faveur des Jssuittes, contenant 
inhibitions et deffances au d. feu seigneur Just Louys de T. leur donver 
aucun trouble dans Tournon, soubz pretexte des arrestz de la cour de 
parlement de Paris, ni autres, aux peynes y portées, le d. arrest signé : 
du Bourg, avec le seau pendant ; 

Terrier des directs de la maison de T. au lieu de Plas, comencent 
par la recog‘* generale des habitans du d. lieu, et finissant par la 
recog‘* de Philibert Monaud, du 17° septembre 1480, contenant 120 
fulhetz papier escriptz ; 

Terrier des directes du mandement de Beauchastel comencent par la 
recognoissance generale, et finissant par la recog‘* de Pierre Bergeiron, 
du 15° may 1542, contenant 529 fulhetz escripts, avec la rubrique ; 

La fondation faite par feue dame Blanche de T., dame du Mandement 
de Mahun, vefve de feu messire Jacques de Colligny, seigneur de 
Chastillon, dun college de six chanoines, en lesglise parochialle de 
Satillieu, du 7° de juin 1526, receue par M° Brol notere du d. T. 


(À suivre). Prosper FALGAÏIROLLE. 


LE 
MASSACRE DE-DEUX JESUITES 
Laüsl NAS 
CG FEVRIER 1593) 


Des circonstances particulières nous ayant mis en 
possession des portraits des deux martyrs d'Aubenas, 
le P. Jacques Sälez, et son compagnon, le F. Guil- 
laume Sautemouche, et notre collaborateur, M. 
Tartary, ayant bien voulu nous en faire deux beaux 
dessins à la plume pour la /èerue du Virarais, nous 
en donnons aujourd'hui la reproduction,en les accom- 
pagnant d'une étude de M. Mazon sur ce tragique 
incident de la surprise d'Aubenas en 1593 — étude 
extraite de la 3° partie encore inédite de ses Noles et 
Documents sur les Iluguenots du Vivarais, dont le 
tome 2 doit paraître prochainement. 


E. BENOIT D'ENTREVAUX. 


La trêve du 14 décembre 1592 fut assez bien observée par les 
deux partis, jusqu'au 5 février 1593, où elle fut violée, au grand 
scandale des protestants eux-mêmes,par les réfugiés albenassiens 
de Vals et des environs, qui avaient combiné leur action avec 
celle de Chambaud, et ce fut uniquement par suite d'un malen- 
tendu, que Chambaud, au lieu de venir leur prêter main forte 
dés le 6 février au matin, n'arriva que le lendemain soir 

(Ici le récit détaillé du fait.) 

L’Assiette était réunie depuis le 26 janvier au Bourg-St-Andéol, 
quand elle reçut, le jour même (6 février), la nouvelle de l'évé- 
nement. 


14 


202 LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AUBENAS 


Sur l'avis qui a été donné à l'assemblée de la surprise de la 
" ville d'Albenas, faite cejourdhuy matin par aulcuns ennemis du 
repos du pays, infracteurs et violateurs de la foi publique, et 
comme le chasteau et citadelle tiennent encore, 

À été conclud et arrêté uniformément que, d'autant que cet 
attentat est une pure et très évidente contravention de la trève, 
au préjudice de la foi publique et de l'autorité de Msgr de Mont- 
morency, l'assemblée en donnera promptement advis à Sa 
Grandeur et le suppliera très-humblement désavouer la dite sur- 
prise et y pourvoir en telle sorte que la réparation s'en ensuive, 
au contentement du sieur de Montréal ; et cependant, suivant ce 

ue est porté par le traité de la trève, et pour couper chemin aux 
ortifications que lesdits ennemis de la patrie pourroient faire, 
tous seigneurs, gentilshommes, capitaines, soldats, villes et 
commun aultres, d'une et d'autre religion, sont priés et exhortés 
d'accourir au secours dudit sieur de Montréal et autres des siens 
qui tiennent ladite citadelle et château. 

Et à l'instant à été dépêché devers sa dite Grandeur le prévôt 
Tranchard, avec les lettres que l'assemblée en a écrites en corps. 
Et de même ont été faites des dépêches au sieur de Leugières et 
autres gentilshommes du pays... 


Le PÈère Jacques SALEZ pe 14 Ci: DE Jésus 


MASSACRE À AUBENAS 


Le lendemain 7 février, qui était un dimanche, eut lieu le 
massacre.des deux membres de la Société de Jésus, le P. Salez 


LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES À AUBENAS 203 


et le F. Sautemouche, sur lequel il est d'autant plus nécessaire 
d'entrer dans quelques détails. que la manière un peu trop som- 
maire dont nous en avons parlé dans un autre ouvrage (1), a pu 
laisser une impression qui ne correspond pas exactement à la 
réalité des faits. 

Les deux Jésuites étaient à Aubenas depuis le mois de novem- 
bre, s'employant diligemment, dit un contemporain, à la conso- 
lation des catholiques et à la réduction des dévoyés, par la pré- 
dication ordinaire de la parole de Dieu, par l'administration des 
sacrements de Pénitence et de la Sainte Eucharistie. et par 
conférences privées avec ceux qui en avoient besoin (2)». Ils y 
étaient sur la demande du gouverneur de la place, M. de 
Montréal, qui avait prié le Provincial des Jésuites de Lyon delui 
envoyer quelqu'un des siens, « lequel ne seroit pas seulement de 
bon exemple aux catholiques et d'appui à leur foi, mais seroit 
encore de terreur et d'épouvante aux ministres », c'est-à-dire 
capable par son savoir et son éloquence de neutraliser l'effet des 
doctrines anti-catholiques préchées par les ministres aux popu- 
lations. Le Provincial fit choix du P. Salez, professeur de théo- 
logie du collège de lournon, très-zélé pour la conve sion des 
huguenots, et qui de plus, d'après son biographe, était particu- 
lièrement désireux de mériter les palmes du martyre (3). 

Les prédications du P. Salez ne paraissent pas s être bornées 


{1} Chronique religieuse du vieil Aubenas. 


(2) Extrait d'une plaquette, imprimée à Paris, l'année même de l'évènement, 
sous ce titre. Le doux et gracieux traitement des partisans du Roy de Navarre 
à l'endroit des catholiques, c'est-à-itre le cruel assassinat, où plulél, si j'ose 
dire, glorieux martyre de deux Jésuites, etc. Cette relation fut écrite d'après 
des lettres de Lyon du 18 février et du 10 mars, ce qui explique l'erreur com- 


mise par l’auteur quand 1l parle du curé d'Aubenas comme ayant été mis à 
mort dans la même circonstance 


G) Vie et Martyre du P. Jacques Sale: et du F. G'sillaume Sautemouche, par 
le P. Odo de Gissey. La première édition de cet ouvrage fut imprimée à Tou- 
louse en 1627, et la seconde en 1642. La dernière édition a paru en 1869 à 
Avignon chez Aubanel, sous la forme d’un petit in-3: de XVIII et 126 pages. 
Le P. Jacques Salez était né à Lezoux (Puy de Dôme) en 1555. Elevé au collège 
de Billom, il avait été reçu dans la Compagnie à 17 ans et avait terminé ses 
études à Pont-à-Mousson puis à Paris. Avant de venir comme professeur de 
théologie à Tournon, il avait été déjà professeur de philosophie et de théologie 
à Pont-à-Mousson ; c'était un érudit en même temps qu’un théologien, puisqu'il 
possédait à fond, disent ses biographes, les langues anciennes, le grec, l’hébreu, 
le syriaque, le chaldaïique et qu’une longue étude des Livres Saints et des 


Pères de l'Église faisait de lui un adversaire redoutable pour les novateurs du 
temps. 


204 LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AURENAS 


à Aubenas. Son passage est signalé notamment à Ruoms, Lar- 
gentière et Chassiers. C'est dans ce dernier endroit qu'il était au 
commencement de février, ainsi qu'il résulte d'un passage du 
livre d'Odo de Gissey, où il est dit que « deux ou trois jours 
avant de tomber aux mains des ennemis de la foi, sortant de la 
maison du sieur de la Motte, qui le vouloit retenir, il se retira 
dans Aubenas, lui prononçant ces paroles : Je ne suis ce que 
Dieu fera de moi, mais j'ai un sigulier désir d'expirer pour sa 
plus grande gloire (1). 

Il était allé plusieurs fois à Ruoms, sur l'invitation de la dame 
de Chaussv, et une rencontre oratoire avec le ministre Labat, de 
Villeneuve de Berg, le plus réputé des ministres huguenots de la 
région, avait dû même avoir lieu dans ce bourg, comme il résulte 
d’un autre passage du même ouvrage, où, après avoir constaté la 
satisfaction des catholiques d'Aubcenas, d'avoir reçu en la per- 
sonne du P. Salez, « un homme tel qu'ils l’avoient souhaité, à 
raison qu il ne leur servit pas seulement d'arc-boutant et estançon 
pour la foi, mais aussi d'épouvantail à l'hérésie qui étoit si 
peuplée à Aubenas », l'auteur ajoute : 

« Il y avoit un ministre, à quelques lieues d'Aubenas, qui fai- 
soit le fier-à-bras ; il défioit tout le monde en dispute, se persua- 
dant que personne n'oseroit lui prêter le collet. Cet homme se 
cabrant de la sorte, les catholiques se délibérèrent de le mettre 
aux embles. Pour ce, essayent-ils de le faire joindre ; on le 
presse ; enfin journée est prise, et lieu assigné et donné d'une 
part et d'autre en la maison du sieur de Chaussy. Le Père se 
rend au jour et point nommé, mais ce bravache ministre ne com- 
parut pas. Or, comme pour lors le l’êre étoit fort molesté de son 
asthme, la demoiselle de Chaussy le pria instamment de vouloir 
retourner (revenir) en sa maison pour se purger, étant périlleux 
à un homme de sa qualité de se fier en tel cas à médecins et 
apothicaires huguenots, et qu'elle le feroit servir par des person- 
nes catholiques. À cette charitable semonce, le Père répondit 
que, si c'étoit la volonté de Dieu, il y retourneroit dans quinze 
jours. Mais le ciel pendant ces jours versa de si bénignes influen- 
ces sur lui, qu'il fut guéri de tous maux et couronné de la 


(1) Idem. 


LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AUBENAS 205 


couronne qu'il désiroit lui être faite par un huguenot, ainsi qu'il 
disoit quand on lui faisoit la couronne et les cheveux », 

La présence des deux Jésuites à Aubenas n'était donc rien 
moins qu'ignorée, et l'on comprend que, dés leur entrée dans la 
ville, les chefs protestants, et surtout les ministres venus à leur 
suite, aient dû songer à s'assurer de leurs personnes. 

Ces ministres étaient au nombre de trois : 


1° Pierre Labat — précisément le ministre de Villeneuve de 
Berg qui avait faussé rendez-vous au P. Salez à Ruoms (1) ; 

2° Raillet ou Railly (2); 

3° Guérin, ministre à Vals, le même que Bernardin Gudet ou 
Gudin, nommé dans la relation protestante comme faisant la 
prière aux soldats protestants avant l'escalade (3). 

Que se passa-t-il alors ? 

Les renseignements sur ce point ne manquent pas, et, en 
somme, sauf quelques détails, sont assez concordants, grâce aux 
deux enquêtes dont l'évènement fut l'objet : 

D'abord l'enquête judiciaire du lieutenant de bailli du Vivarais’ 
Louis de Chalendar, commencée à Bourg-St-Andéol, sur l'ordre 
des Etats du Vivarais le 15 février, poursuivie à Largentière le r2 
avril et le 24 mai 1593 et terminée dans la même ville le 6 


juillet 1594 ; 
Ensuite l'enquête de l'autorité ecclésiastique qui fut close 


(1) Labat ou Pierre Labat était venu du has Languedoc. Le pasteur Arnaud 
indique ainsi son curriculum vitæ : Pasteur à Vauvert en 1570. Passé en Viva- 
rais après 1#8o. On Île trouve : à Aubenas, 1583-1585 ; à Villeneuve de Berg, 
1SN7-16099 ; à Vallon, 1599-1609 (deémeura à Salavas, 1600-1606). A la date de 
1609, 1l était âgé et ne pouvait plus faire les courses de Salavas et de la Gorce. 
Jl obtint son congé et d'excellents témoignages de sa fidélité pastorale. Député 
au synode national de Gap, 1603. 


(21 Probablement Jacques Raillet, qu'on croit être le fils de Pierre Raillet, mi- 
nistre à Annonay cn 1562. Il était pasteur à Thuevts et Mevras en 1593. Il 
épousa alors Anne Marnas de Villeneuve de Berg, dont la famille possédait un 
dnmaine à Berzème. À ce mariage assistaient : Jacques d’Arcons, beau-père 
d'Olivier de Serres; Perrotin, licutenant de prévot ; Labat, ministre à Villeneu- 
ve, ct Pincton de Chambrun, pasteur à Nimes. 


C3) Pour qui connaïit les ah-éviations d'écritures du XVIe siècle, rien de plus 
facile à expliquer que la transformation du mot Guérin en Gudin sous la plume 
d’un copiste inexpérimenté. Ce Guérin ne parait pas avoir joué un role bien 
actif dans l’histoire locale, puisque son nom ne figure pas dans la liste des pas- 
teurs donnée par Arnaud, et que celui de Gudet parait n'être venu à la con- 
naissance de l'historien protestant que par la mention qu'il en a trouvée dans 
le Récit de ce qui s’est passé à Aubenas, inséré à la fin du tome 3 des Mémoires 
Sur le Vivarars de Poncer. 


206 LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES À AUBENAS 


seulement le 22 octobre 1627, et qui paraît avoir servi de base 
au livre du P. Odo de Gissey publié la même année. : 

Une vingtaine de témoins oculaires déposérent dans ces deux 
enquêtes et signèrent leurs dépositions. C’est sur cet ensemble 
imposant de témoignages qu'est basé le récit d'Odo de Gissey 


que nous allons reproduirë, en le faisant suivre des observations 
qu'il comporte. 


Constatons d'abord qu'avant la surprise du 6 février le P. 
Salez, plus prévoyant que les autorités d'Aubenas, n'avait cessé 
.&d'avertir cette ville des désastres qui lui pendoient sur la tête, 
et ce, tant en public en ses sermons qu'en particulier par avis 
particuliers. Il ne faisoit trêve à leur inculquer que, si onne 
faisoit de l'amendement en la ville, l'on y verroit en bref quelque 
grand malheur. Un personnage digne de foi, continue l'auteur 
m'a assuré que pour lors y ayant trève et suspension d'armes 
entre les deux partis, cependant les huguenots ne cessoient 
d'amasser gens pour bailler sur la ville d'Arles en Provence, 
comme ils mentoient, mais en effet et en vérité sur Aubenas. Le 
P. Salez pria ce personnage d'aller trouver de sa part le sieur 
gonverneur d'Aubenas pour le supplier de n’ajouter foi au bruit 
que faisoient courir les huguenots, jue leurs troupes fussent 
pour Ârles en Provence, car elles étoient pour Aubenas, et que 
partant il le requit de donner ordre pour qu'en ville on fit bonne 
garde. Le sieur gouverneur, homme loyal, cuidant que la loyauté 
se logeât en l'âme des huguenots ainsi qu’en la sienne, fit réponse 
qu'il ne falloit rien redouter. Le Père, n'étant pas satisfait de 
cette réponse, va trouver en personne ledit sieur gouverneur, 
lequel, soupçonnant que le Père parloit à la mode des gens de 
lettres. souvent plus timides que courageux, lui répartit : Mon 
Père, vous avez peur, ce semble ; si vous redoutez quelque 
danger, je vous hébergerai dans le château, et vous y assignerai 
une chambre pour la sûreté de votre personne. — À quoi le Pére 
fit ce repart : Monsieur, croyez le, et je vous prie de le vous 
persuader, ne m'adresse pas à vous à ces fins ; il y a quinze ans 
que je souhaite avec passion le martyre et d'exposer ma vie pour 
Dieu ; heureuse soit la main qui fera le coup, pourvu que ce soit 
celle d'un huguenot!...» 


LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES À AUBENAS 207 


L'évènement ne vint que trop tôt justifier les appréhensions du 
P. Salez. 


La veille de la surprise, (par conséquent le vendredi 5 février)» 
le Père veilla jusqu'à 11 heures de nuit, travaillant à la conver” 
sion d'une demoiselle hérétique qui, depuis, a persisté toujours 
dans la religion catholique. Son sommeil ne fut pas de beaucouP 
d'heures, puisque. sur les quatre de matin, se réveillant aux cri$ 
et alarmes de la ville prise à la faveur des ténèbres, il se glissa 
jusques en l'église Ste-Anne, afin d'obtenir l’aide du ciel, préfé- 
rant le lieu de dévotion à celui d'assurance et du château, où 
ainsi que plusieurs autres, il se pouvoit sauver S'étant quelque 
temps en cette chapelle résigné és mains de Dieu, il se retire en 
sa chambre, où prosterné en terre avec son compagnon. ils s'of- 
frent à Dieu en sacrifice, le requérant de leur vouloir départir 
force et courage pour pouvoir supporter la mort, si tant étoit que 
pour l'amour de lui ils fussent dignes de l'endurer. Îls restèrent 
jusques à soleil levant. 

Lors voici trois soldats ne respirant que cruauté qui heurtent à 
la porte. On leur ouvre. Entrés qu'ils furent, ils trouvent nos 
deux martyrs à genoux, chacun avec un livre de dévotion en 
main, priant Dieu, Ces misérables de prime face chargent d’ou- 
trages nos deux victimes et les serrent à la gorge. On les interroge 
insolemment qui ils étoient.— Nous sommes, répondent-ils, de la 
Compagnie de Jésus. — Rendez la bourse, rechargent ces cruels. 
— Nous n'avons point d'argent, dit le vertueux Guillaume. — 
Si, avons, crie le Père, tenez ce mouchoir ; il y a quelques sous 
que nous a baillés le collège de Tournon pour nos menues néces- 
sités. Toute la somme n'étoit que de trente sous. 

Ils happent ce mouchoir, mais, comme la somme donnoit plus 
appétit à leur avarice qu'elle ne les saouloit, ils tempétent et 
menacent le Père de l'égorger et de le faire pâtir son saoul, si 
présentement il ne leur baïilloit une plus grande somme. 

Le Père, sans s'émouvoir, leur signifie qu'il n'en a pas davan- 
tage. Bien, ajoute-t-il, si le désir de l'argent ne vous mène point, 
ains (mais) une envie d’avoir notre vie, nous sommes tout prêts à 
la livrer pour l'honneur de Dieu et de son Eglise, avec autant de 
sortes de tourments que vous aviserez. 

À peine le Père avoit parachevé qu'ils lui sautent au collet, le 
frappent à coups de poing, le fouillent avec insolence, furétent sa 
chambre et le cabinet, pillent tout ce qu'ils trouvent. C’étoient 
quelques Agnus Dei et grains bénits, avec une petite croix 
d'argent, dans laquelle le dévotieux martyr gardoit quelques 
reliques. De plus, une horloge de table et certains livres que 
partie il avoit empruntés, et partie apportés du collège de Tournon. 
Ils s'emparèrent, de plus, des écrits du Pére que naguëre retenoit 
encore rière soi la veuve du ministre Labat, à Villeneuve de 
Berg (1). 


(x) Cette arrestation est racontée dans la déposition de Platet, docteur en droit. 


208 LE MASSACRE DE’ DEUX JÉSUITES À AUBENAS 


Tel est'le premier acte du'drame. Le second va nous montter 
les deux religieux aux prises avec les ministres calvinistes. 


Ces trois misérables s'étant saisis des personnes du P. Salezet 
de son compagnon, les tirent de la maison du juge Veyrenc où 
ils résidoient, en celle du sieur de la Tour(i). à leur capitaine 
Sarjas (2), clabaudant et hurlant le long des rues qu'ils tenoient 
les faux prophètes et imposteurs. De là, ils tirent nos deux 
agneaux en l'hôtel du sieur de la Faye dit Lantouzet, où comme 
prisonniers, ils les laissent avec garde de soldats. 

Ils n'y furent longtemps que voici trois prédicants misérables, 
que divers assurent avoir été les auteurs de cette prise. Îls s'ap- 
prochent donc avec espoir de tirer le Père à l'apostasie en laquelle 
ils étoient tombés : ils le saluent courtoisement et ourdissent avec 
paroles les mieux choisies qu'ils pouvoient, leurs discours ; le 
sujet duquel étoit la prospérité et l'heureux succès de leur supers- 
tition huguenote. Ces trois gourmands, avant bien diné, firent 
le tissu de leurs discours plus long que de personnes à jeun et 
mal menées n'eussent désiré. étant déjà l'heure de midi, voire de 
2 heures après midi, que nos deux religieux n'avoient bu ni man- 
gé. C'est pourquoi un serviteur de la maison donne avis à ces 
gras prédicants qu'il étoit temps de faire déjeuner nos gens.Lors, 
ces trois hypocrites commencent à s excuser, crient qu'on leur 
apporte quelque chose, que c'est trop jeûner. Voilà qu'on leur 
représente un potage, duquel ainsi que le Père cuvdoittâter,sans 
y prendre garde, le bon Guillaume l'admoncste que le potage 
étoit de chair, et que cependant il étoit jour de samedi. Le Père 
a l'instant s'arrête et connoit que le potage étoit de chair ; il 
rejette ce bouillon. 

Les prédicants en font les étonnés. et demandent pourquoi il 
ne vouloit goûter de ce potage. — C’est, répond le Pére, que les 
enfants de l'Église ne mangent ni chair, ni graisse les samedis, 
l'usage leur en ayant été interdit par icelle, comme trop bien 
vous savez. 

Cette répartie fut le fusil de la dispute, car lors ces prédicants, 
jetant le feu contre le jeûne et l’abstinence lcurennemie, s'échauf- 
tent sur ce sujet. Le Père, quoiqu'affaibli du jeûne, et harcelé de 
sa faim importune, ne laisse pourtant à prêter le collet à ces bri- 
fauts, seul contre trois, et leur rend tant de combats qu'il les 
fait reculer. Confus d'un tel échec, ils tâchent derechef de recou- 
vrir leur honneur, et pour ce, les voici revenir aux mains. Îls se 
ruent sur une autre controverse qu'étoit du franc-arbitre, où, 
n'ayant eu du meilleur, non plus qu'auparavant, et ne pouvant 
soutenir cet estour trop rude, ils sont forcés encore un coup de 
tourner dos. Ainsi vaincus, ils sc jettent aux injures et outrages 


(1) Bérengcr de la Tour d'Aubenas. 

(2) Jean de Bosse, seigneur de Sarjas, fief de St-Andéol de Bourlenc ; il 
avait épousé Roberte de Beaumont, tante du brave Brison ; ilse remaria en 
1607 avec Marie de la Tour de Savas (MS. Deydier), 


LB MAGSACRE DR DEUX: JÉGUITES À AUBBNAS 209 


siséperdument qu'ils semblent avoir le cerveau démonté, et le Père 
voulant le leur mettre en sa place, leur présente un livre, écrit de 
sa main bien proprement, qui contenoit la: doctrine des sacre- 
ments. Puisque, dit-il, n'y a pas moyen de traiter avec vous 
parmi tant de clameurs, je vous supplie de vouloir jeter l'œil à 
loisir sur ce cahier : il contient la doctrine de l'Eglise catholique 
et romaine touchant les sacrements.Par icelui vous verrez ce que 
je crois, car je l'ai composé et l'avoue pour mien. 

Le ministre Raillis happe ce livre et s'en saisit, teilement que 
depuis il l'a gardé toujours avee estime. 

Après ce, les trois prédicants sortent de la maison fort indignés 
de se voir étriller de la sorte, trois par un seul. La nuit s'appro- 
choit, et le Père, comme son compagnon, étoit encore à déjeuner, 
sans que personne leur baillât rien, fors le petit enfant de cette 
maison-là,lequel en cachette leur porta quelque morceau de pain. 
à ce que j'ai appris. Nos deux pauvres prisonniers, laissés à la 
merci des soldats,passent la froide nuit ensuivante sans feu, sans 
lit. et sans beaucoup de sommeil. 

Le lendemain, jour de dimanche, les trois prédicants veulent 
retourner au combat, vomissant autant d'outrages que leurs têtes 
en pouvoient dégorger ; auxquels ils ajoutent une dispute du 
trèés-auguste sacrement de l'autel, s escrimant contre lui avec 
plus de cris et de passion, que de jugement et de raison.Le Père, 
avec modestie, jetant de l’eau sur les flammes de leur colère, les 
faisoit passionner tout outre. Or. pour leur faire reste de jeu, il 
leur offre de vérifier tout ce qu'il leur avoit mis en avant, par 
leurs propres bibles. On m'a raconté que ce fut en cette escar- 
mouche où le Père leur donna une charge si pressante, par le 
moyen d'une demande qu'il leur fit, qu'eux jetant bas les armes, 
il les mit du tout en‘désarroi ; de quoi s'apercevant les huguenots, 
is s'essayent de sauver l'honneur des prédicants. Pour ce. selon: 
leur coutume en tel cas, ils font appeler le ministre Labat et lui 
signifient que l'heure du prèche s'approchoit ; par cette façon il 
se dégage, laissant ses deux compagnons engagés. 


On voit que le drame s'est corsé de tout le fanatisme religieux 
du temps, et, les circonstances aidant, on peut déjà prévoir 
l'horrible issue du troisième acte. 


Le meurtre de ces innocents ne fut point si brusquement et à 
Ra chaude perpêtré, qu'il fne fut ballotté et concerté par les hu- 
guenots qui, assemblés pour ce sujet, ne conspiroient pas à une 
autre fin. Comme pour lorsil y avoit un ministre détenu pri- 
Sonnier de guerre entre les catholiques, plusieurs concluoient à sa 
délivrance, par un échange du P. Salez et de ce prédicant. 
D'autres. aimant mieux l'argent que leur ministre, jugèrent qu'il 
valoit mieux tirer rançon des Jésuites, que le sieur de Tournon 
ne manqueroit pas de payer, en égard à l'affection qu'il leur 
portoit, vu mêmement qu'ils étoient de son collège. Ces deux 


210 LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AUBBNAS 


avis, étant trop humains, ne furent pas suivis, ains le troisième, 
pour ce qu'il étoit sanglant et plus conforme à l'hérésie. 

Ce fut l'opinion de Labat, secondée de celle de Sarjas et de 
quelques autres plus séditieux et animés contre la foi catholique. 
Ce fut celle que ce prédicant Labat séditieusement précha en 
chaire et en pleine place, y déclamant et clabaudant contre les 
te singulièrement contre celui qui étoit dans Aubenas, le 

ivre duquel il tenoit en main, battant et combattant de tout son 
pouvoir la Sainte-Eucharistie. Enfin il se travaille de cette façon 
sur ce sujet, qu il émeut ses auditeurs à la sédition, jurant et se 
parjurant que le Jésuite étoit un faux prophète et un antechrist. 
l'el il l'atteste, et le déteste comme chose abominable Il fait 
retentir ces mots : J'uez cela, fuez ; c'est une peste ! Il yen a assez 
en lui, non seulement pour perdre la ville d'Aubenas, mais encore 
un entier royaume. Pour davantage allumer les brandons de sa 
rage, il met en avant l'histoire d'Hlélie et deS faux prophétes de 
Baal, mis à mort par le conseil d'Hélie. 

Descendu de chaire, il rencontre Sarjas bien pcrsuadé à mal 
faire, lui inculquant que jamais il n'avoit rencontré homme plus 
obstiné que celui là ; qu'il étoit de nécessité d'épandre son sang, 
puisqu'il étoit une peste à leur religion. 

Sarjas se montre si fort esclave des passions de ce ministre que, 
étant sorti du prêche avec environ vingt soldats, il commanda à 
trois d'iceux d'aller assassiner ceux que son cruel prédicant lui 
avoit indiqués, et qui auroit voulu qu'on les égorgeät dès lors 
qu'ils mirent le pied au logis du sieur Lantouzet. Mais ces trois 
soldats délibérent entre eux s'ils exploiteroient l'ordonnance 
cruelle de leur cruel capitaine. — Non pas moi ! dit l’un. — Ni 
moi aussi. ajoute l'autre. —- Le troisième jura que le diable l'em- 
portât s'il faisoit aucun mal aux nôtres. Voire, quelques temps 
après, Sarjas les interrogeant s'ils avoient exploité son ordonnan- 
ce, ils répondirent que pour rien du monde ils ne la voudroient 
avoir exploitée. 

Labat donc, après un de ses prêches, suivi d'une grande troupe 
de gendarmes, tirant à la porte de Notre Dame,auprès de laquelle 
est le logis du sieur de la Faye dit Lantouzet, commande que les 
Jésuites descendent. Pour à quoi satisfaire, Sarjas monte en haut 
vers nos deux innocents, suivi de quelques soldats. 

Ce meurtrier étant entré, le Pére lui fait Ja révérence ; mais cet 
incivil capitaine ne lui rendit aucun salut, sinon celui d'un bri- 
gand ; à raison que, happant le Père par le bras, il lui use de ces 


termes : Suis moi. idolâtre Pharisien, suis-moi ! — Et où me 
voulez-vous mener ? réplique le Père. — Suis-moi, suis-moi, 
recharge cet assassin, il te faut mourir ! — Je suis tout prêt, 


répond le Père ; allons au nom de Dieu ! 


Lors, se retournant vers son compagnon qui ne cessoit de 
prier Dieu, il lui adresse ces paroles : Et vous, mon frère. que 
deviendrez-vous ? Ayez bon courage. Ah ! que nous deviendrons 
grands au ciel, de petits compagnons que nous sommes en ce 


LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES À AUBENAS 211 


monde, si nous pâtissons quelque chose pour Dieu ! Lors, le 
Père sortant signifia à tous que son compagnon n'étoit pas 
homme de lettres ; que, partant, il ne pouvoit point faire de pré- 
judice à leur créance ; qu'on le laissät vivre. — Ce fut à cet 
endroit que notre frère Guillaume fit preuve de sa vertu. — Je 
ne vous abandonnerai point, s'écria-t-il, mon Pèére ; ains je 
mourrai avec vous pour la vérité des points que vous avez dis- 
putés ! — Un de la compagnie l’avertit aussi pour lors de se 
retirer, que ce n'étoit pas pour lui que cette tragédie se jouoit, 
ains seulement pour le Pére. À quoi le vertueux Guillaume 
répartit : Dieu me garde de tomber en cette faute ; je n'abandon- 
nerai jamais celui-là auquel l'obéissance m'a adjoint pour 
compagnon, quand bien je devrois trépasser avec lui. Je l'accom- 
pagnerai jusqu'à la fosse Que si la divine Miséricorde me vouloit 
faire tant de grâce, que quelque soldat me dépéchât pour son 
honneur, j'en serois très-aise et prierois Dieu pour lui, outre le 
pardon que dès maintenant je lui fais de ma vie. 

Ce prononcé, il exécute sur le champ ce qu'il avoit protesté. 
Cela fut cause qu'un de cette sanglante méèlée, le poussant, lui 
cria : Bien donc, tu veux mourir, tu mourras ! 

Le Père étant jà sorti, et Guillaume faisant force afin de 
l'aborder, on lui lächa un coup de poing sur le dos. 

Le prédicant Labat, voyant le Père en la rue.derechef l'attaque 
et l'agace avec quelques autres sur la réalité du corps de Notre 
Sauveur au Sacrement de l'autel. Mais, le Père répondant à tout 
pertinement. le ministre [abat fut si courroncé que, perdant 
patience et conscience, il s'écrie : Dépêchez cela, dépêchez cela ; il 
ne mérile point de vivre, c'est une peste ! 

Puis, réitérant ce qu'il avoit débagoulé en chaire, il tourne 
bride et se retire. 

Lors, les assistants, prévoyant ce que l'on vouloit exécuter, 
S'écartent pour la plupart. 

On cherche les soldats pour égorger ces deux patients, mais 
personne n y vouloit entendre. Un capitaine huguenot ordonne à 
un sien soldat d'exécuter cet assassinat. Il répond qu'il n'en fera 
rien et qu'il aimeroit mieux être convaincu d’avoir fait mourir 
son pére, que d'avoir baillé le moindre coup à ces hommes quine 
portèrent jamais couteau qui tit mal à personne. À cette réponse, 
le haibare capitaine lance un coup d'épée à ce pauvre soldat, 
lequel il ne sut si bien gauchir, qu'il n'en füt atteint à l'épaule 
droite Les gens de Sarjas ne furent si difliciles ; car le Pére 
restant seul avec son compagnon au milieu de ces cruels bouchers, 
l'un et l’autre se disposant au souhaité martyre, voici un mal- 
heureux qui cria au Père : Retire-toi ! A quoile Père répartit : Je 
le prie, mon ami, donne-moiun peu de loisir pour me recom- 
mander à Dieu et le supplier pour toi ! Puis, se tournant vers le 
vertueux Guillaume, i! lui dit: Mon frère, recommandons-nous 
à Dieu! 

En aprés, s’avançant environ cinq pas de la porte du sieur de 


212 LE MASSACRE. DE DEUX. JÉSUITES À AUBENAS 


Lantouzet, il se prosterne à deux genoux. Son compagnon s'y 
prosterne de même à quelques pas de lui. On ne leur fit grâce de 
beaucoup prier ; car voici, par derrière, comme le Pèrese re- 
commandoit à son patron St-Jacques, redoublant les noms de 
Dieu et de Jésus, un des assassins délächa son arquebuse, de 
laquelle le Père fut atteint en l'épaule, dont il chût par terre, 
prononçant par trois fois : Jesu, Maria !/ Puis le meurtrier, 
s'avançant plus près,lui sacque un coup de dague dans l'estomac. 

Guillaume se jette sur le l’tre, l'embrasse et proteste qu'il ne 
l'abandonneroit mort, non plus qu'ilne l'avoit abandonné vivant. 
Pour ce, il reçut, par la main du même meurtrier, un coup de 
dague au sein. Mais. n'en ayant point rendu l’âäme, survinrent 
sur le champ quelques autres qui lancèrent au Père et à lui 
divers coups d'épées et de bâtons ferrés. Il fut poignardé non 
loin du four d'Aubenas et assez proche du Pêre, tenant toujours 
ses bras en croix, et ne prononçant autre chose que ces mots: 
Endure, chair, endure un peu ! (1) 

J'ai appris que le Père Salez, pendant qu'on le meurtrissoit, 
avoit aussi les deux pouces en croix, laquelle continuellement 
il baisoit, quoique les huguenots à grands coups lui abattissent 
les mains à ce quil ne baisät cette croix. Cependant il ne cessoit 
de supplier pour eux la Majcsté Divine, s'écriant : Mon Dieu, 
pardonnez-leur ! Outre ce que dessus, un malheureux habitant 
d'Aubenas lui fourra un coup de couteau au gosier, si rudement 
que la marque en restoit encore en l'os forculaire, entre les deux 
clavicules, lorsque son corps fut déterré. Un soldat qui vit faire 
ce meurtre, m'a déclaré que le Pére, gisant à terre, tint quelque 
temps sa main sous son chef, les yeux dressés au ciel, et que, 
force lui manquant, son chef pencha en terre, et qu'ainsiilexpira. 
Le F. Guillaume fut plus de temps à rendre l'âme. 

Après tout, ils furent dépouillés par deux de ces meurtriers, 
qui, se gaussant, vêtirent les robes des martyrs et portèrent leurs 
chapeaux, auxquels ils attachèrent une queue d'écureuil en forme 
de plumache. | 

Cet heureux martyre arriva le 7 février 1593. Le Pére avoit de- 
meuré vingt ans en la compagnie, et notre Frère douze ; le pre- 
mier, rendant l'âme au 37° an de sa vie, et le second au 38° (2). 

Ces deux hosties étant immolées, l'une et l'autre fut dévêtue,. 
le Père tout nu, et Guillaume juszu à la chemise, pour ce qu'elle 
étoit dépecée et rompue. Ces meurtriers commirent des actes si 
insolents autour de ces sacrés corps, que ma plume en rougit et 
n'ose les écrire. Entre autres, ils dansoient et sautoient à l'entour 
chantant : Exaudi, exaudi etc Quelques heures après, l'assassin 
Sarjas et son lieutenant criérent de la fenêtre aux homicides 
soldats : Otez cette :anaïille de là et les traînez en quelque coin de 


(1) Dans le texte latin : Palere, caro, patere ! 


(2) Il résulte de documents récemment trouvés que le F. Sautcmouche 
avait que 36 ans. 


LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES À AUBENAS 213 


ta ville ! Mais ils ne furent obéis si bien qu'ils le furent-én 
l'homicide,puisqu'un des témoins a déposé qu'après qu'ils furent 
piteusement égorgés, ils restèrent morts devant le four de Jean 
Patissier en la rue de Tribi jusqu'au 6* jour blancs commeneige. 

Le placard imprimé de ce martyre récite que les corps des 
martyrs furent trainés par les rues de la ville par quelques uns 
des meurtriers, chantant par gausserie les Exaudi et Oraisons que 
chantent les catholiques aux convois funèbres, et portant le 
bonnet carré du Père au bout d'un javelot au lieu de la Croix. 
Enfin ces précieux corps furent retirés et enterrés au jardin de 
l'hôtel ruiné des seigneurs de Géorand.… 


À côté de ce tableau émouvant, dont quelques détails peuvent 
être inexacts, mais dont le fond porte un Si frappant cachet de 
vérité, et qui, d’ailleurs, n'est que la mise en scène des témoigna- 
ges recueillis dans les deux enquêtes et des renseignements que 
le P. Odo de Gissey vint prendre lui même à Aubenas une dizaine 
d'années après le massacre, on jugera de la valeur que peut avoir 
la version suivante qu'en donne un écrit protestant : 


« Ici (dit-il aprés le récit de la surprise d’Aubenas), on doit 
répondre à une méchante calomnie dont les Jésuites ont chargé 
ceux de la religion, c'est d’avoir fait tuer de sang-froid et cruelle- 
ment un Jésuite nommé Jacques Salez et son novice quise trou- 
vérent dans la ville, et ce pour avoir vaincu en dispute des minis- 
tres entrés dans la ville, après la prise. La vérité est que ces 
bonnes gens tombérent entre les mains de quelques soldats voi- 
sins de la ville, qui avoient su comme ledit Salez n'avoit cessé 
de prêcher séditieusement et contre le feu roi et le roi ré- 
gnant, dans Aubenas et ailleurs ; lequel toutefois n'avoit rien à 
craindre en sa personne s'il se füt contenu modestement, puisqu'il 
étoit entreles mains de ses ennemis, et s’il eût do cement attendu 
l'issue de toute cette affaire. Mais, comme quelques-uns voulurent 
l'arraisonner, le lendemain de la prise, dans la maison du baile 
la Faye, de la religion, qui s'employoit bien. pour lui, afin de 
savoir sur quoi il fondoit sa mauvaise doctrine, qu'il fût permis 
aux Français de se dispenser du serment de fidélité et se bander 
et liguer contre le roi, lui, au lieu d'être modeste et de se confor- 
mer aux maximes chrétiennes, se prit à invectiver contre l’hon- 
neur du roi et ceux à qui il parloit, disant que le roi de Navarre 
n'étoit pas roi de France et ne le pouvoit être, l'appelant hérétique 


214 LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES À AUBENAS 


et damné, et que ceux qui lui faisoient service étoient damnés. 
Cette audace, accompagnée de plusieurs autres traits amers, ré- 
veilla en ceux qui l’oyoient la mémoire de discoursséditieux qu'il 
avoit auparavant tenus dans ses sermons, tellement qu'un soldat 
dont je n'ai su le nom et qui est mort depuis, ayant trouvé le 
moyen d'être seul avec lui, poussé d'un zèle toutefois bien incon- 
sidéré, tua ledit Salez d'un coup d'arquebuse, et après, tout aus- 
sitôt. d'autres en firent autant à son compagnon. Ce n'étoit pas 
certainernent un procédé louable, étant contraire au droit de 
guerre et à l’honnèteté, combien que si on eût fait le procés à ce 
boutefeu, par ses écrits mêmes il y avoit plus que de besoin pour 
le faire mourir exemplairement comme criminel de lése majesté » 


LE FRÈRE GuILLAUME SAUTEMOUCHE 


MASSACRE A ÂUBENAS 


Cette note est extraite des papiers de Delichéres qui déclare 
l'avoir tirée d'un manuscrit anonyme, rédigé en 1594, lequel était 
entre les mains de G. Valeton, intitulé : Fidèle récit de ce qui s'est 
passé en la ville d'Aubenas durant celle guerre de la Ligue commen- 
cée en juillet 1585. 


LE MASSACRE LE DEUX JÉSUITES A AUBENAS 215 


C'est à la même source que M. Henri Deydier avait puisé d'au- 
tres détails du mêmegenre, que l'impartialité de l'histoire nous 
fait un devoir de noter ici malgré leur invraisemblance : 


« L'auteur du Fidèle Récit dit que La Faye avait les Jésuites 
chez lui, où il tes arraisonnait pour qu'ils missent à l'avenir plus 
de modération dans leurs discours ; mais que ces boutefeu con- 
tinuërent à soutenir leur doctrine pernicieuse, louant Jacques 
Clément d'avoir tué le roi Henri [Il ; qu'alors un soldat indigné, 
poussé par un zèle inconsidéré, avait tiré sur Salez un coup 
d'arquebuse, et que tout aussitôt ses compagnons en firent autant 
au F. Sautemouche ;1). » 

Il est certain que, si les choses s'étaient passées ainsi ; si, par 
de pareils discours, le P. Salez avait exaspéré ses adversaires et 
attiré sur lui le châtiment qu'ils lui firent subir, au lieu de voir 
en lui un martyr de la foi catholique, on ne pourrait que le blä- 
mer d’avoir aussi mal compris ses devoirs d'apôtre de l'Evangile, 
et on ne lui devrait que le tribut de pitié qui s'attache à toutes 
les victimes de nos discordes civiles. 

Mais un juge impartial peut-il hésiter quand il a devant soi : 

D'un côté, le résultat concordant de deux enquêtes officielles 
présentant toutes les garanties désirables de sincérité et de jus- 
tice, 

Et de l’autre, un témoignage, isolé et d'origine inspecte ? 

Le récit du P. de Gissey frappera tout esprit non prévenu, 
parceque de l'enssemble des déposiions des deux enquêtes qu'il 
résume, jaillit un faisceau de lumière qui ne laisse dans l'ombre 
aucun incident du drame. Il se déroule au grand jour,du commen- 
cement à la fin ; toutes les parties se tiennent, et comme dans 
un mécanisme bien réglé rejettent tout élément étranger tendant 
à en compliquer ou fausser le jeu. Chacun des acteurs y a sa 
physionomie propre et son rôle nettement tracé, et, si celui de 
Labat, n'est pas des plus édifiants, il est si bien en situation, 
dans l'esprit du temps et du personnage, qu'il faudrait ne pas 
savoir un mot de l'histoire de nos guerres religieuses, pour oser 
affirmer que les choses ne se sont pas passées ainsi. 


(1) N'oblesse et Bourgeoisie M. S., à l’article Monilor. 


216 LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES :A’AUBBENAS 


Les préludes du crime ont eu lieu, en public et en:plein jour ; 
c'est un dimanche, un peu après midi, dans la rue Triby, au mi- 
lieu d'un grand concours de peuple,que le ministre de Villeneuve 
a fait le prêche qui équivalait à une dernière sommation adressée 
aux deux Jésuites de renier leur foi, de rétracter leur doctrine sur 
la présence réelle. 

Les trois ministres, au moins Labat, ont donc une part de la 
responsabilité du crime, et l'attitude violente de ce dernier paraïi- 
tra sans doute moins invraisemblable à ceux qui voudront bien 
approfondir (en tenant compte de la discrétion obligée 4e l'au- 
teur) les renseignements que donne sur lui un de ses coreligion- 
naires. Voici ce qu'en dit le pasteur Arnaud : 

« Lobat — D'abord pasteur à Vauvert en 1570. Ayant, à cette 
date, accusé imprudemment d'adultère la femme de Bernard, 
viguier du lieu, le séjour de son Eglise lui devint impossible, et 
il demanda au synode du bas Languedoc, réuni à Nimes, de l'au- 
toriser à prendre une église dans la Gascogne. La compagnie le 
nomiaa à Cournonterral (Hérault). Un autre synode, assemblé à 
Sauve en 1570, le donna à l'Eglise d'Eyguière en Provence ; mais 
il ne parait pas s'y être rendu. Enfin, un dernier synode, réuni à 
Nîmes en:1580, lui donna.un congé définitif, et c'est alors qu'il 
passa au service des églises du Vivarais (1) ». 

Qu'on se rappelle aussi le passage cité plus haut du livre d'OQdo 
de Gissey sur le rendez-vous manqué de Ruoms. et la rivalité 
d'influence religieuse qui existait, depuis l'arrivée du P. Salez à 
Aubenas.entre lui et le fougueux ministre de Villeneuve de Berc. 

Nous ne connaissons qu'imparfaitement l'enquête.ecclésiastique 
faite, d'ailleurs, à un point de vue qui nest pas le nôtre ; mais 
nous avons étudié soigneusement celle du lieutenant de bailli du 
Vivarais,-et, bien que n'y trouvant pas la confirmation directe de 
l'accusation portée contre Labat, nous voyons qu'elle en dit assez 
contre les ministres pour qu'il n’y ait pas à douter du motif reli- 
gieux qui.amena ce double assassinat. Qu'on en juge : 

Guillaume Rigaud {20 ans) a assisté au massacre et. a entendu 
dire que les Jésuites furent tués « parcequ'ils avoient disputé 
avec les ministres Labat, Railhet et Guérin ». 


(1) Histoire des protestants du: Vivarais, 1, 66. 


LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AUBENAS 217 


Jacques Boyron, fils d'un ancien consul d'Aubenas, dit que sar- 
jas alla chercher les Jésuites en leur disant : Venez ça, faux pro- 
phètes ! et qu'ils furent massacrés après la sortie du prêche fait 
.par les ministres. 

Mais voici qui est plus grave : 

Blaise Thomas dit que Vidal le simple se glorifia d'avoir tué le 
P. Salez, sur l'ordre de Sarjas, parceque le Père avait disputé 
avec les ministres calvinistes, dont l’un s'appelait Labat, et l'au- 
tre Raillet. 

La déposition de Moyse Phélix, un homme de 30 ans, est enco- 
re plus catégorique. Dans la maison, où il était lui-même retenu 
prisonnier, il vit Vital le simple, très connu de lui, venir revêtu 
de la soutane de Salez, toge perforée d'une balle à l'endroit cor- 
respondant à l'épaule, et il entendit la femme du maître de la 
maison (Etienne Senolhet) reprocher son crime au meurtrier 
dans les termes suivants : Malheureux, pourquoi as-tu tué ce 
Jésuite et son compagnon qui étaient des hommes de bien (/m- 
probe, cur Jesuriam illum et ejus soctum occidisti probæ vitæ viros) ? 
À quoi Vital répondit ceci ou quelque chose de semblable : Tu 
es donc une papiste ? — Pas du tout, répliqua la femme, mais ce 
Jésuite et son compagnon étaient de bonnes mœurs. Alors Vital 
äjouta que lesdits Jésuites avaient disputé avecles ministres de 
sa religion, et qu'ils avaient été tués pour cela (proplerea sllos 
occisos fuisse). 

Dans l’enquête ecclésiastique, Jean Cachon, maréchal à Aube- 
nas, témoin oculaire, affirme que les deux religieux furent tués à 
l'instigation des ministres, et particulièrement de Labat. 

Que, malgré tout cela, les trois ministres, même Labat, n'aient 
pas eu formellement l'intention de faire massacrer les deux reli- 
gieux ; qu'emporté par son zéle, par son tempérament, oupar le 
dépit de n'avoir pu vaincre la fermeté du P. Salez, le ministre de 
Villeneuve soit allé dans ses paroles ou dans ses gestes au delà 
de sa pensée, et que la bestiale férocité de quelques uns de ses 
auditeurs ait fait le reste ; que même le P. Salez, amené par ses 
contradicteurs sur le terrain de la politique du jour, se soit expri- 
mé d'une façon défavorable au roi de Navarre: c'est ce qu'on peut 
à la vigueur admettre. En tous cas, il est bien certain qu'avant 


15 


218 LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES À AUBENAS 


l'exécution des Jésuites,on a discuté avec le P. Salez longuement, 
si ce n'est pas uniquement, des questions théologiques. et il est 
évident que si le Père avait voulu renier sa foi pour adopter les 
doctrines calvinistes, au lieu de le tuer, on en aurait fait volon- 
tiers un collègue de Labat. Il est non moins certain qu'en livrant 
les deux religieux à la foule, après l'avoir directement ou indirec- 
tement excitée contre eux, on faisait exactement à leur égard ce 
que les paiens faisaient aux premiers chrétiens en les livrant aux 
bêtes. 


La religion est donc ici infiniment plus en jeu que la politique, 
en supposant! que celle-ci y ait été mèlée, et l'Anonyme autorise 
singulièrement à douter de sa bonne foi, quand il cherche à faire 
croire que les Jésuites n'ont eu 4 faire qu'à des soldats, qu'ils ont 
discuté avec d'autres que les ministres et sur autre chose que des 
questions théologiques. Toujours est il qu'il est le seul de son 
opinion, le seul qui ait osé faire du P. Salez un ligueur exalté, 
bien plus, un apüire du régicide. 

Or, nous avons assez étudié l'histoire du Vivarais, et plus par- 
ticulièrement les guerres de religion dont il a été le théâtre, pour 
pouvoir affirmer que rien de semblable ne s'est vu dans nos con- 
trées. Il y a eu d'ardents Ligueurs, se dévouant corps et bien 
pour défendre la religion menacée, mais tous ceux qui ont laissé 
une trace dans notre histoire locale sont des laïques. Nous ne 
connaissons aucun ccclésiastique qui se soit distingué dans le 
nombre, et parmi les laïques eux-mêmes, les appréhensions reli- 
gieuses sont tempérées par le respect de l'autorité royale, en sorte 
que les prédications régicides dont parle l'Anonyme n'ont jamais 
existé, selon toute apparence, que dans sonimagination. L'accu- 
sation, en tous cas, tombe passablement à faux sur le P  Salez 
que tous les témoignages du temps représentent comme un hom- 
me « d'une trèés-douce conversation », et comme ayant su se con- 
cilier les protestants eux même (à l'exception des ministres) par 
sa modestie et sa charité. Nulle part (est-ildit dans les documents 
recueillis sur lui et qu'ilest question de réunir en un volume), il 
ne se livra à des attaques contre eux ; il évitait même de les nom- 
mer, et il eut constamment pour méthode d'exposer sim- 
plement et clairementles doctrines de l'Église catholique,laissant 


CR LE 


LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AUBENAS 210 


volontiers à ses auditeurs le soin de faire les applications que 
comportaient les circonstances. | 

Ce n'est donc pas comme ligueur, mais comme apôtre de la 
religion catholique, qu'il fut mis à mort. À cet égard, toutes les 
dépositions se ressemblent. Les témoins de 1593, comme ceux 
de 1627, affirment que c'est en haine dela foi catholique et comme 
ennemis de la doctrine calviniste, que les deux Jésuites furent 
recherchés et retenus prisonniers, puis massacrés à la suite de 
leurs discussions avec les ministres. Et à une question plus pré- 
cise (dans l'enquête de 1627), ils répondent qu'ils n'ont été con- 
damnés à mort pour aucun délit, ni pour aucune cause étrangère 
à la religion, mais uniquement pour la religion, et que pour cette 
raison ils ont toujours été considérés comme de vrais martyrs, 
confirmant ainsi le témoignage si caractéristique qu'on a lu plus 
haut, d’une protestante, la femme d’Etienne Senolhet. 


e 
vs. 


Avant de continuer l'examen des assertions de l'Anonyme, il 
est nécessaire de dire quelques mots, empruntés à son propre 
récit, des suites politiques de lasuprise d'Aubenas,des négociations 
auxquelles cet évènement donna lieu et des circonstances qui 
empêchèrent finalement de laisser cette ville comme place de 
sûreté aux protestants. 

Le Roi, instruit par Lesdiguières et Montmorency, était très 
mécontent d'un acte qui était une violation flagrante de la trève. 
Les huguenots de l'endroit deputèrent au connétable de 
Lesdiguières le capitaine Valeton et le sieur Sanglier « pour lui 
faire trouver bon le dessein qu'ils avoient exécuté sur la ville, 
que c'étoit pour le service du Roi, à qui ils feroient entendre leurs 
raisons si cela lui plaisoit. Durant ce voyage, le château se rendit 
à M. de Chambaud, aidé de M. de Chaste. On députa le sieur 
Laborie, docteur, et le sieur Valeton à la cour, le Roi étant alors 
à Mantes pour qu'il approuvât la prise d'Aubenas. Le sieur 
Valeton, qui y fut seul, le sieur Laborie étant tombé malade en 
chemin, essuya beaucoup de dangers en chemin, n'y ayant pas 
alors de province où il n'y eut une armée pour le Roi et une 
autre pour la Ligue. Il trouva à Mantes le Roi sortant du logis 


220 LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AUBENAS 


de M": de Beaumont, sa maîtresse, lequel, l'ayant renvoyé 4 son 
souper, entendit avec plaisir le récit de la prise miraculeuse 
d'Aubenas ; mais M. de Lesdiguiëres ayant envoyé au Roi dans 
l'intervalle, le Roi changea bientôt de disposition. Ce fut dans ce 
temps que le Roi se fit catholique. Le capitaine Valeton étoit 
religionnaire ». 

Là se trouve la clé du mystère, car il est bien évident que 
l'auteur du manuscrit n'est autre que le capitaine Valeton (1) et 
la double mission de ce personnage auprès de Lesdiguières et à 
la cour explique tout. 

Chargé de la tâche difficile de justifier à Grenoble et à Paris 
la coupable équipée de Sarjas et Cie, on peut bien penser que 
le capitaine huguenot ne négligea rien de ce qui dépendait de lui 
pour réussir et qu'il consulta surtout les besoins de sa cause : ce 
qui l'amenait tout naturellement à présenter les choses comme il 
le fait dans le l'idèle Récit. Et, ayant devancé tous les autres 
courriers, il pouvait espérer d'atténuer par ses artifices l'horreur 
des attentats commis et peut-être détourner le châtiment que le 

parti avait mérité en violant la trève. 
Cet aperçu sur l'origine du manuscrit achève d'en réduire la 
portée. À vrai dire, il n'y eut pas de version protestante sur la 
cause de la mort des deux Jésuites, car il ne semble pas que les 
protestants aient parlé alors autrement que les catholiques : pour 
tous, le P. Salez et son compagnon avaient été mis à mort pour 
leur foi religicuse. Le Fidèle Récit ne nous donne que la version 
d'un protestant intéressé, pour se disculper,à charger les victimes. 
Et peut-être le capitaine Valeton ne l'eût-il pas écrit, s'il n'avait 
eu qu'une mission à remplir. Mais quand, pour réparer l'échec 
subi à Grenoble auprès de Lesdiguiéres, il fut chargé d'aller 
plaider la cause auprès du Roi, il sentit le besoin de fixer sur le 
papier la maniëére dont il avait présenté les choses à Grenoble, 
afin que le rapport que Lesdiguiëres ne manquerait pas d'en- 
voyer au Roi, ne püt le mettre en contradiction sur aucun point. 
Il'écrivit donc, surtout pour son usage personnel, le passage que 


(x) Ceci résulte du sens général du manuscrit, non moins que du fait, constaté 
par Delichères, que Île manuscrit original était encore, à la fin du siècle 
dernier, entre les mains d'un Valeton. 


LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AUBENAS 221 


nous avans cité. Et, si l’on peut s'en rapporter à lui, ce ne serait 
que vingt mois après (en octobre 1594) qu'il aurait relaté la série 
des événements auxquels il avait pris part. 

Or, un fait, qui nous semble venir à l'appui de cette manière de 
voir, c'est l'existence de deux éditions de l'œuvre de l’Anonyme : 

L'une, pour le public : c'est celle que Poncer a reproduite à la 
fin de son troisième volume des Mémoires historiques sur le 
Vivarais, d'après le manuscrit autographe qui existait, dit-il, au 
commencement du xix° siècle, chez M. Roure, avocat à Largen- 
tière, et dans laquelle il n'est pas dit un mot du massacre des 


deux Jésuites ; 
L'autre, où se trouve le passage calomnieux, et dans laquelle 
Delichères et Henry Deydier ont puisé, mais dont il a été impos- 


sible de découvrir l'original (1). 

Comment se fait-il que cette dernière, plus complète sans doute 
que l'autre, soit restée ignorée pendant deux siècles ? car, si elle 
n'avait pas été tenue secrète par l'auteur lui-même, les circons- 
tances ont été telles qu'il en aurait transpiré nécessairement 
quelque chose. Comment comprendre que l'Anoayme ou les 
siens n'en aient pas tiré parti après l'attentat de Jean Châtel, 
commis le 25 décembre de cette même année 1594. alors que les 


(1) En comparant les notes de Delicheres avec la publication de Poncer, on 
voit que le texte est le même pour le plus grand nombre des pages, et que s’il 
12 plus de détails dans celui de Poncer, cela vient probablement de ce que 

clichères n'a pris qu'un résumé de certaines parties, se rapportant à des faits 
bien connus de lui, tandis que Poncer a reproduit in-extenso le manuscrit qu'il 
avait en mains Le paragraphe de Delichères relatif aux deux Jésuites, devrait 
venir dans le texte de Poncer à la dernière ligne de la page 682, suivant immé- 
diatement le récit de la surprise d'Aubenas, et le début de l'alinéa suivant, dans 
la même page, est un indice suffisant que ce paragraphe a étè intercalé après 
coup, car l'alinéa suivant. se liant naturcilement au précédent, commence ainsi : 
Il faut donc entendre que M. de Maugiron vint du Lyonnois etc., tandis que, 
par suite de l’intercalation, l’auteur dut ultérieurement modifier ainsi ce début: 
Revenant à notre récit, M. de Mpugiron vint etc. 

Le texte de Delichères se termine ainsi : Tel éloit l'élat de cette ville (d'Au- 
benas) dans l'attente que le Roï, attendu de jour à autre à Lyon, y remédieroilt. 
Fait à Aubeuas l'an susdit 1594 par un palriole vérilable et amateur de .a 
aix. 

Celui de Poncer est un peu différent : Tel éloit l'élat de cette ville lorsque le 
discours s'en dressoit. Dieu fasse que la suite soit à sa gloire et à la consolation 
de son Eglise el au repos et rétablissement de cetie pauvre ville, Amen. Ce 4 
octobre 1594. 

En résumé, il y a lieu de croire que l’auteur du Récit en a faitune première 
rédaction, qui ne diflérait pas notablement de celle qu'a publice Poncer ; qu 1 
a cru nécessaire d'y ajoutér plus tard le fameux paragraphe sur le massacre des 
deux Jésuites, en vuc d'atténucr le crime de leurs assassins, et finalement qu'il a 
jugé prudent de le supprimer dans la rédaction définitive déstinée au public. 


222 LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AUBENAS 


ennemis des Jésuites, triomphants sur toute la ligne, pouvaient 
faire mettre à la torture, puis exiler à perpétuité le P. Guéret, 
pour le seul fait d'avoir été le professeur de Jean Châtel un an 
avant son crime, et faire pendre en place de Grève (7 janvier 
1595) le P. Guignard, parce qu'il s'était trouvé, égarée parmi ses 
papiers, une de ces feuilles, comme on en distribuait par milliers 
du temps d'Henri ini, contenant des imprécations contre ce prince? 
Le Parlement de Paris trouva même dans ces faits matière à 
bannir les Jésuites de son ressort ; d'autres Parlements l'imité- 
rent ; mais celui de Toulouse, dans le ressort duquel le P. Salez 
avait prèché, n'ayant rien trouvé sans doute à reprocher aux 
Jésuites, résista à l'entrainement et ne voulut jamais inquiéter ces 
religieux. Bien plus — et le fait est assez piquant — c'est avec 
l’encouragement secret d'Henri 1v, autant qu'avec l'appui déclaré 
du Parlement de Toulouse. que le comte de Tournon put résister 
aux injonctions du Parlement de Paris qui prétendait l'obliger à 
chasser les Jésuites de son collège de Tournon. Et à ce propos,il 
n'est pas sans intérêt de noter une manifestation des Etats du 
Vivarais, (le seul fait de cette époque concernant les Jésuites que 
nous fournissent les procès-verbaux de cette assemblée), où l'on 
voudra bien voir, nous l'espérons, en même temps qu'une preuve 
éclatante de la correction des Jésuites de Tournon, un indice très 
appréciable en faveur de celle de leurs confrères passés et 
présents d'Aubenas. 

En voici le texte tiré de la séance du 3 juin 1595 : 

Sur la plainte faite en pleine assemblée, que aulcuns, mal zélés 
au repos public et détracteurs de l'honneur d'autrui,ont publié et 
fait sonner jusques aux oreilles du Roi, que les Jésuites, qui sont 
encore en cette ville de Tournon, ont été envoyés en divers lieux 
de ce pays pour y faire prédications séditieuses durant les 
semaines de Carème et de Quasimodo dernier passés, et queledit 
seigneur de Tournon les y pousse, favorise, entretient et fait 
accompagner, 

Ayant été requis par le Syndic du pays qu'il en fût fait décla- 
ration en ces Etats — à ce que S. M. soit informée au vrai de 
l'état desdits Jésuites, 

L'assemblée en corps. composée des gens des trois Etats dudit 
pays de Viverois — avoir entendu la teneur de ladite exposition — 
a déclaré et déclare par cet escript que les Péres Jésuites dudit 


Tournon se sont toujours et en tout temps depuis leur institution 
audit collège, maintenu en l'obéissance du Roien leurs prédica- 


LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AUBENAS 223 


tions et autres exercices, comportés avec toute modestie, mesmes 
en leurs oraisons publiques et ordinaires, ont toujours prié Dieu 
pour sadite Majesté et font encore, sans que de leur part, 
commandement ni consentement dudit sieur de Tournon, soit 
arrivé aucun sujet de scandale à ses fidèles sujets. 

À laquelle (majesté) ladite présente assemblée en a voulu 
donner le témoignage et la supplier trés humblement d'avoir 
agréable, au cas qu'elle ait pris finale résolution de faire mettre 
à exécution larrêt de la cour de Parlement de Paris dans 
l'étendue de son royaume et terres de son obéissance, de donner 
quelque surséance et temps pour les Pères Jésuites de Tournon, 
afin que M. de Tournon, fondateur et patron du collège, et les 
gens dudit pays, puissent avoir le loisir et moyen [faire choix] de 
régents et professeurs de la qualité capable et suffisante requise 
pour continuer l'instruction de la jeunesse du pays, laquelle 
ordinairement excède le nombre de mille écoliers de ceux de 
pays de Viverois outre les étrangers de Languedoc, Provence, 
Dauphiné et autres pays voisins, et une grande partie étant de 
gentilshommes pour être le pays fort peuplé de noblesse, et que, 
pour être éloigné de toute autre université. Ics bonnes lettres se 
pourroient avec le temps trouver réduites en état d'ignorance et 
de barbarie. 


Il nous semble que, s'il y avait eu le moindre fondement dans 
l'accusation de l'Anonyme, c'était l'occasion ou jamais de rappeler 
« les prédications séditieuses » du P. Salez, en dénonçant la 
congrégation tout entière à la vindicte royale et à l'indignation 
publique. D'autre part, on ne comprendrait guère, si le P. Salez 
avait été un Ligueur exalté, qu'il y eût eu pour lui un commen- 
cement de procès de canonisation sollicité par des évêques, par 
des Etats géneraux et particuliers de province, par des person- 
nages comme le marquis de Sennecterre, la maréchale d'Ornano 
et Louis x1v lui-même. Est-ce que, s'il y avait eu le moindre 
soupçon de crime de lèse-majesté, on aurait osé demander au 
grand Roi d'intervenir en la circonstance (1)? Puisqu'aucune 
objection de ce genre ne fut soulevée, c'est qu'apparemment il 
n'y avait pas lieu. C’est pourquoi la mémoire du P. Salez a été 
respectée même par les ennemis de l'Eglise et de la compagnie 


(1) Le premier procès pour la canonisation des deux religieux fut fait en 
1627 par ordre de Louis de Suze, évêque de Viviers. Il n'eut pas de suites à 
cause, parait-il, d'un vice de forme, bien que la cause eût été l'objet de 
diverses interventions, notamment des Etats du Langucdoc en 1729 et des 
Etats du Vivarais en 1743. La cause vient d'ètre reprise à la suite de la décou- 
verte fortuite*dans une bibliothèque de Rome (en 1900) du procès d'information 
de 1627, 


22 LÉ MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AUBENAS 


de Jésus. sauf une exception ; et cette exception offre encore 
ceci de particulier que l’auteur du Fidèle Récit ni aucun des siens 
n'a jamais songé à ébruiter la calomnie, sentant bien que cette 
tentative de justification de ses coreligionnairés ne trouvérait 
aucun crédit, et qu'il a fallu plus de deuxsiécles pour qu'un érudit 
la déterrât par hasard au milieu de vieilles paperasses. On est 
donc en droit de dire que jamais cette aceusativn ne fut sérieuse- 
ment alléguée pour excuser les assassins qui furent, d’ailleurs, 
traités par la justice comme il convenait, au moins ceux qu'on 
put atteindre. 
Les faits matériels furent ainsi établis par l'enquête : 


C'est un soldat de Barjac qui tira au P. Salez un coup d'ar- 
quebuse qui lui fracassa l'épaule et le fit tomber. Dans cette 
position, le Père rêçut un coup de dague en pleine poitrine de la 
main du même soldat, qui détacha un coup pareil au F. Saute- 
mouche, quand celui ci essayait de faire à son ami un rempart de 
son corps. Sautemouche, blessé, se sauva dans la rue Tribv où 
était la maison de la Faye. Vidal Suchon, dit le Simple, de Vals, 
un Soldat de Mercuer et Jacques Massis, dit Béolaïigue. aussi de 
Vals, le poursuivirent à coups d'épée et de bâtons ferrés, et ils 
l'achevèrent prés du four de la ville, tandis que Jacques Beaume, 
boucher d'Aubenas, enfonçait son couteau dans la gorge du P. 
Salez. Les meurtriers dépouillèrent les cadavres des deux martyrs 
et se revétirent dérisoirement de leurs soutanes, laissant leurs 
corps nus livrés pendant six jours aux outrages des passants 
devant le four de Jean Patissier, dans la rue Triby. 

Îl résulte enfin de cette même enquête que les huguenots re 
furent pas moinsindignés et affligés de ce crime que les catholiques. 

Le manuscrit de M. Henry Deydièr nous fait connaître Ja 
destinée ultérieure des assassins. Le principal d'entre eux, qui 
était de Barjac, et dont le nom est resté inconnu, eut les oreilles 
coupées et fut condamné aux galères. 

Vidal Suchon fut considéré comme n'étant pas parfaitement 
sain d'entendement, et le sénéchal du Puy le condamna, le 4 
mars 1595, à faire amende honorable en chemise, tête et pieds 
nus, la torche au poing, à être fustigé jusqu'au sang ét banni à 
perpétuité. Il mourut complètement fou. 


LE MASSACRE DR DEUX JÉSUITES A AUBENAS 225 


Jacques Beaume fut accusé et non convaincu. Fout ke reste de 
sa vie, il nia sa participation au crime, contrairement au témoi- 
gnage de personnes dignes de foi. 

Deux ans après, M"° Léonarde de Chaussy obtint la permission 
de faire exhamer les ossements des deux victimes qu'elle fit 
transporter dans sa chapelle, à l'église de Ruoms, où ils restérent 
pendant deux ans. Le P. Jeannin, du collège de Tournon, les 
retira ensuite pour les transférer à Avignon. 


Il nous faut maintenant reprendre la série des faits authentiques 
qui suivirent la surprise d'Aubenas. 

On a vu que la nouvelle en avait été portée le jour même (6 
février) à l'Assiette réunie au Bourg-St-Andéol. 

Il en fut question incidemment à la séance du :5 février. Les 
protestants de Vernoux et de Chalencon ayant demandé le rem- 
boursement des frais qu'ils avaient faits pour la fortification de 
ces deux places, d'ordre de leur Eglise, l'assemblée déclara 
qu’ « étant advertie que lesdites Eglises de la Religion et le corps 
de leurs villes étoient adhérans à ceux qui ont surpris Albenas 
contre la foi publique, n’y a lieu d’ouir leurs demandes pour le 
présent ; sauf à leur être pourvu, pour les obligations dépendant 
du fait de Chalencon se montant 550 écus, aprés l'obéissance 
rendue aux commandemens de Mgr de Montmorency pour la 
réparation dudit attentat; néanmoins,pour le fait dudit Vernoux, 
n ya lieu d'avoir aucun égard » 

Plus loin, l'assemblée, considérant que « l'attentat commis à 
Aubenas contre la foi publique regarde non seulement l'intérêt 
particulier du Viverois, mais aussi le général de tout le pays de 
Languedoc », décide de demander à Montmorancy de faire 
porter sur tout le Languedoc la dépense qui en résultera. 

La session des Etats se prolongea jusqu'au samedi 15 février, 
et c'est ce jour là seulement que l'assemblée fut informée par le 
Syndic de l'assassinat des deux Jésuites. Nous citons les termes 
du procès-verbal : 

« Le syndic dit que les ennemis du repos de ce pays, infracteurs 


226 LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AUBENAS 


de la trêve, non contents d’avoir supris la ville d'Aubenas contre 
la foi publique, tué et massacré un bon nombre d'habitants 
catholiques, pillé ét ravagé tous leurs biens, auroient trés cruel- 
lement assassiné deux Jésuites qu'ils auroient trouvés, aprés les 
avoir tenus prisonniers deux jours, étant besoin d'en faire informer 
pour l'énormité de l'acte, — Conclud que l'information desdits 
assassinats sera faite par le Prévôt ou premier magistrat royal, à 
la requête du Syndic, pour. icelle information rapportée, être 
procédé en justice contre les coupables. 

Après la surprise d'Aubenas, Chambaud était né avec une 
armée composée de 200 maîtres, 200 arquebusiers à cheval et 
3.000 hommes de pied. Cette armée séjourna vingt-huit jours 
dans la ville pour amener la capitulation du château. De plus, 
les habitants furent contraints de faire des gardes extraordinaires 
pour se garantir des surprises des ligueurs qui bloquaient la 
ville. Aussi la ville d'Aubenas eut-elle à payer une forte note à 
Chambaud, savoir : « 2,500 écus que celui-ci disoit avoir fournis 
pour la reddition du château, son état de gouverneur et durant 
six mois soldoyer deux compagnies de gens de pied, les soldats 
des garnisons du Pont, de St-Pierre et de la Bégude Blanche, 
qu'on avoit fortifiés de nouveau; faire plusieurs voyages en cour, 
etc. La ville d'Aubenas eut de plus beaucoup d'autres charges à 
supporter, en sorte que son compte de l'année rendu par Valeton, 
s'éleva à 27,528 livres (1). 

Le 9 août le Roi adressait la lettre suivante à « ses chers et 
bien amés, les maire, échevins, manants et habitants d'Aubenas »: 


« De par le Roy. 


« Chers et bien amés, 


« Nous dépêchons présentement le sieur Pascal, conseiller en 
notre cour de Parlement de Normandie, par de là pour porter 
notre intention tant à notre cousin, le duc de Montmorency, que 
au sieur de Chambaud et à vous tous, sur le fait de la reprise de 
notre ville d'Aubenas, à laquelle vous ne fauldrez d'obéir et vous 
conformer comme à chose qui n'a pas nous été avisée que pour 
votre plus grand bien et repos,et pour obvier aux maux et 
désordres que ce fait pourroit attirer après soy. Prenez au reste 


| (1) Manuscrit de Valeton. 


LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AUBENAS 227 


toute assurance de la continuation de notre bonne volonté en 
votre endroit et croyez que nous ne désirons pas moins que 
vous-même votre conservation. 

« Donné à Saint-Denis, le 9° jour d'aoust 1593. 


« Signé : HENRI. » 


Or, tout désavouant la surprise d'Aubenas, le duc de Mont- 
morency n'était nullement disposé à faire rendre cette place aux 
chefs de la Ligue en Vivarais ; c'est pourquoi il répondit, dès les 
premières réclamations de M. de Montréal et de M. de Montlor, 
que la place devait être remise en main tierce. 

M. de Montlor adressa de nouvelles réclamations aux États, 
à deux nouvelles assemblées, du 4 août à Vivierset du 31 à Lar- 
gentière ; mais la majorité des membres tournait évidemment 
du côté d'Henri IV. qui venait d’abjurer à St Denis le 28 juillet. 
Elle décida que la place serait mise sous la garde de Louis du 
Pont, chatelain de Bays, gentilhomme protestant. 

Le 4 août, à Viviers, le syndic expose, dans une réunion des 
députés de l’année, « que par un traité conclu hier avec le sieur 
de Montréal, commandant pour le parti des catholiques-unis 
(ligueurs) en ce pays, par le sieur de Gayon,délégué de Montmo- 
rencv, une suspension d'armes en Vivarais a été résolue, en 
attendant la publication de la trève générale accordée pour toute 
la France, et que pour affirmer le repos public, le duc de Mon- 
morencv a ordonné à Chambaud, détenteur de la ville d'Aubenas 
contre la foi publique. de la remettre aux mains du sieur du Pont 
de Bays pour la tenir en sequestre... » 

Le 2 septembre, le lieutenant de bailli de Vivarais, Louis de 
Chalendar. dit que, « à la poursuite du procureur du Roi et du 
syndic, il auroit procédé à l'information de l'assassinat commis 
és personnes des deux Jésuites qui se trouvèrent en Albenas, 
lorsque ladite ville fut surprise par le sieur de Chambaud et 
aulcuns de la Religion infracteurs de la trève, et, d'autant que 
ladite information est grande, y ayant travaillé en divers jours, 
et qu'il convient en expédier des copies pour envoyer en plusieurs 
lieux, il requiert de pourvoir au payement de ses vacations et de 
son greffier ». L'assemblée lui alloue sept écus. 


228 LE MASSACRE DE DEUX JÉSUITES A AUBENAS 


On a vu. plus haut la punition des coupables. 

La surprise d'Aubenas fut le dernier incident militaire des 
guerres civiles du Vivarais au XVI: siécle. Au mois de janvier 
1594, dans l’Assiette tenue exceptionnellement à Bagnols, M. de 
Montréal fit vituellement sa soumission entre les mains du duc 
de Montmorency, et l'arrangement définitif entre le parti du roi 
et les derniers chefs ligueurs du Vivarais fut conclu dans l'assem- 
blée des Etats tenue à la Voultele 3 septembre suivant. 


À. MAZON. 


sp A e ce — 
» La v EN D 


TOUR OÙ CLOCHER 
DE VIVIERS 


(Surre Il) 


S IT. Descriprion DE LA Tour DE VIviERS À L'INTÉRIEUR 
Première partie ; description de l'intérieur. 


Rez-de-Chaussée. — Le fond de la Tour ou rez-de-chaussée 
consiste en un local qui, en y comprenant la rentrée sous les 
arcades et dans l'épaisseur des murs, mesure 8 mètres 12 de long 
sur 5 mètres 80 de large. Il est à peine éclairé, en face de la porte, 
par une fenêtre grillée qui est moderne. Cette fenêtre est ouverte 
dans un arceau, muré vers la même époque, qui a 2 mètres 
42 centimètres de large. Elle occupe le sommet de la porte qui 
fermait la Tour, de ce côté, en temps de guerre, comme on peut 
le reconnaître aux deux gros trous, percés dans chacun des côtés 
du mur, qui étaient destinés à recevoir la barre transversale de 
chêne ou de fer. 

On descend au rez-de-chaussée, au moyen de deux marches, 
alors que jadis il en existait une dizaine. Le glacis en grappier 
qu'on y a placé paraît élevé de 1 mètre 10, au dessus du niveau 
du sol primitif. 

La voûte jetée au dessus est d'une hauteur d'environ 6 mètres 
12. Elle est à quatre arcs diagonaux avec œil central mesurant 
1 mêtre 75 de diamètre. Cette ouverture, que recouvre habituel- 
lement un trappon en bois mobile, est formée d'un cercle en 
pierres de taille qui fait saillie au dessous, comme une margelle 
de puits renversée. C'est par là qu'on monte ou qu on descend 
ordinairement les cloches et les objets nécessaires pour Îles repa- 
rations de la Tour. En 1876 cependant, c’est par l'extérieur, et 
par le côté de devant la Cathédrale, qu'a été descendu le timbre 
de la vieille horlage transporté sur/la tour de Florès. 


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LA TOUR DE VIVIERS 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 231 


Les deux arcades romanes du nord et les deux du midi, qui 
reposent sur des impostes, et des pieds droits disparaissant en 
partie sous le pavé, correspondent avec celles du dehors. Elles 
ont : mètre 70 environ de largeur et 40 centimètres de rentrée ou 
d'enfoncement. Mais à l'extérieur elles sont plus larges et plus 
hautes. 

Le rez-de-chaussée sert aujourd'hui de débarras à la Cathé- 
drale. Il est utilisé par le sacristain, le sonneur et les ouvriers de 
l'église. Une foule de meubles, qui l'encombrent en partie, 
empêchent de voir commodément la forme des murs. 

M. l'abbé C. Bourg, parlant de cette partie de la Tour, dit : 
« Cette base du portique était construite en pierres plates de 
moyen appareil ; on n'y voyait ni sculptures, ni marbres ; c'était 
l'architecture latine dans sa plus grande simplicité. » 

Escalier. — Pour monter au sommet de la Tour, on compte 
158 degrés. Leur hauteur d'une moyenne de 22 à 24 centimètres 
est beaucoup plus forte que celle qu'on observe dans les montées 
de nos monuments modernes. L'ascension en est par suite un 
peu moins aisée ; elle s'effectue au moyen d’un seul escalier, 
étroit et en hélice, qui est divisé en deux parties, situées l'une au 
dessous, l’autre au dessus du deuxième cordon de la Tour et dans 
des positions différentes. 

Cet escalier est construit tout entier dans l'épaisseur des murs ; 
il tourne sur un pilier central cylindrique. Le dessous rampant 
n'est ni voûté, ni finement sculpté ou lisse, comme l'est celui, par 
exemple, de la tour de Montréal. Les marches de la partie infé- 
rieure surtout sort à peine ébauchées. Cette première partie, 
mal éclairée par deux petites lucarnes situées du côté de la 
Cathédrale, est pratiquée dans l'angle du sud-est et la seconde 
dans le mür septentrional de l'édifice. Une montée transversale 
de quelques marches, ajourée par une troisième lucarne, les relie 
entre elles. | 

D'après M. C. Bourg. la première partie de l'escalier serait 
postérieure à l'époque où fut élevée la partie octogone de la Tour. 
Mais, avec l'auteur du Voyage au pays Helvien, nous dirons 
« qu'il nous semble difficile d'admettre qu'elle ait été faite aprés 
Coup. » 


232 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


Une des raisons allégnées par feu M. le curé de Cruas pour 
conclure que l'escalier d'en bas n'était pas si ancien que celui 
d'en haut, c’est qu'il était moins usé. Mais l’auteur des Notes 
diverses sur Vaviers nous explique d’où venait, entre les deux, 
cette différence d'usure et de conservation. « L'escalier tournant, 
dit-il, n'a pas été fait après coup. Son revêtement en pierres 
l'indique clairement, mais il a pu être modifié sur certains points. 
La partie de l'escalier qui conduit à la chapelle, au premier 
étage, était {ellement usée que la descente était très périlleuse. Je 
l'ai éprouvé dans mon jeune âge. Il a été refait à neuf. » Gette 
réparation :a eu lieu vers 1830. 

‘Une seconde preuve à laquelle a recours l'auteur des articles 
sur le (Clocher de Viviers, est celle qui a rapport « aux plus 
hautes marches qui aboutissent au deuxième étage, pour la pose 
desquelles on a gâté, dit-il, l'angle du sud-est du portique et du 
baptistère. » Peut-être pourrait-on trouver une explication des 
détériorations et irrégularités auxquelles il fait allusion, dans le 
raccordement qui, à une certaine époque, a dù être opéré entre 
la Cathédrale et la Tour, entre l'escalier de l'une et l'escalier de 
l'autre, par le moyen du pont-levis dont nous avons parlé ailleurs. 
Ge pont-levis devait aboutir précisément vers la cime du premier 
tronçon de l'escalier en spirale, non loin des « hautes marches » 
dont il est question. Qu'il me suflise de signaler le fait aux 
archéologues. Peut-être leur servira-t-il à résoudre plus d'une 
difficulté. 

C'est à la .28° marche qu'on pénètre dans le premier étage de la 
Tour. Avec la 76° on atteint le second, celui de la première rangée 
de croisées. C'est là que commence la derniére partie.de l'esca- 
lier. Dissimulé au nord par un pilier, il se dérobe aux regards; 
mais une étroite ouverture pratiquée vers le milieu de ce pilier 
trahit bientôt sa présence. | 

A partir de cette hauteur, il reste encore 82 nouvelles marches 
à gravir. Désormais c'est de l'intérieur de la Tour, doublement 
ajouré par les fenêtres romanes et par les fenêtres gothiques, que 
l'escalier reçoit de la clarté, à travers deux espèces de portes 
rectangulaires, qui se fermaient autrefois : la première a 1 mètre 
ss sur 7o et la seconde 2 mètres 25. À mesure, en effet, quil 


LA TOUR OÙ CLOCHER . DE YIVIERS _233 


déroule ses spirales on rencontre es ouvertures destinées non 
seulement à l'éclairer, mais à :donner passage au sonneur et à 
permettre aux curieux de plonger 1e regard dans l'intérieur du 
-monumert. Du dehors, cette partie de la montée ne reçoit que la 
faible lumière d'une dernière lucarne, ouverte à la hauteur des 
cloches. Cette quatrième ,tucarne, quoique la plus grande, ne 
mesure que 50 centimètres de haut sur 20 de large. 

Le :aombre des degrés de l'escalier de la Tour de Viviers, 
avons-nous dit, est de 158. Ce n'est pas 158 seulement, mais plus 
de:300 qu'il compterait, si la hauteur des marches était celle d'un 

. grand nombre de nos monuments d'aujourd'hui. Il se décompose 
ainsi qu'il suit : 
Escalier en colimaçon, partie la plus basse......... 64 degrés. 


» » partie la plus haute ..…. … 82 D) 
.) transversal intermédiaire qui les unit... 12  » 
Prersier étage. — Un monument à coupole, à abside,: à nom- 


breuses colonnes:et arcatures romanes, occupe cette partie de la 
Tour.:Tout connaisseur et touriste de marque, qui le visite pour 
da première fois, éprouve une agréable surprise. Il ne peut s'em- 
pêcher de manifester son étonnement et son admiration. Nous 
‘avons vu mn directeur de séminaire d'Amérique, absent de France 
depuis quarante ans, s'extasier en le contemplant. Sans s'y -atten- 
dre, en effet, on se trouve tout à coup en présence d'un édifice 
raligicux remarquable, :antérieur au X° siècle, rare échantillon 
d architecture en son genre. 

La premiére iidée qui se présente à : l'esprit est celle d'une 
basilique en miniature, temple paien ou église chrétienne. 

: L'abside et les colonnes en effet étaient communes aux deux 
genres d'édifice:et l'on sait, ‘par l'existence du Panthéon de Rome, 
que coupoles et dômes n'étaient pas inconnus chez les Romains. 
Nous verrons plus loin quelle est l'opinion qui doit prévaloir au 
sujet de la destination primitive du:monument dont nous nous 
occupons. Avant tout, commençons par le décrire. 

Disons d'abord que, sans compter l'ouverture centrale de la 
voûte, accessible au moyen de hautes échelles ou d'un ascenseur. 
trois portes domnaient entrée dans ce lieu. L'une d'elles a été 
murée en dehors, les deux autres subsistent toujours. 

1Ô 


234 LA TOUR OU CI.OCIHER DE VIVIERS 


La porte murée, située au nord, a conservé le nom de porte du 
Chapitre, parce qu'elle établissait une communication entre cette 
partie de la Tour et d'anciens bâtiments des chanoines, bâtiments 
qui ont fait place à un simple enclos et à un jardin. De forme 
ogivale et visible au dehors, comme nous l'avons fait remarquer 
déjà, elle est indiquée au dedans par l'interruption du banc de 
de pierres, qui règne tout autour. 

L'arcade à plein cintre, dans laquelle elle s'ouvrait, est sou- 
tenue par de simples jambages sans ornements. Sa hauteur 
atteint le chiffre de 3 mètres 90 et sa largeur celui d'un mètre. 

Une seconde porte, ouverte au levant, qu'on appelle indifférem- 
ment porte à échelle, porte de défense, porte-fenèêtre, porte des 
soldals, servait d'entrée à ces derniers pour pénétrer dans la Tour, 
quand la porte extérieure de l'escalier était murée. Ils y montaient 
au moyen d'échelles qu'ils retiraient après eux. Nous en avons 
déjà donné la description. Ordinairement fermée, elle sert de loin 
en loin pour introduire certains objets encombrants : poutres, 
planches, charpentes, etc., qui ne pourraient passer par la mon- 
tée ordinaire. Une des dernières réparations ayant fait disparaître 
les moyens de fermeture employés autrefois pour cette porte, 
nous empruntons à M. le chanoine Chenivesse la description 
qu'il en a laissée. « Pas de trace de gonds, mais on voit dans les 
murs, au milieu de la hauteur, les trous qui recevaient la barre 
avec laquelle on assujetissait la porte ; à gauche, un trou carré à 
quatre pouces de profondeur, trois en hauteur et en largeur. A 
droite, un trou de même dimension, avec une rainure dans la 
pierre pour y faire arriver la barre dc fer. Et, ce qui est fort rare, 
il y avait aussi une barre perpendiculaire, comme le prouvent 
les deux trous placés, l'un à la partie supérieure de l'ouverture, 
l'autre au dessous. » 

La troisième porte, enfin, est celle qui donne issue par l'escalier 
au premier étage et à l'abside, où était l'autel dédié à St-Michel. 
C'est un couloir plutôt qu’une porte proprement dite, un étroit 
passage, sans fermeture, irrégulier, de 1 mètre 70 de haut seu- 
lement sur 45 centimètres de large en moyenne. Cette porte 
semblait à M. Flaugergues, pére, « faite après coup ». M. 
Chenivesse la croyait modifiée,sinon de même date que la Tour. 


LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 235 


Le dedans du premier étage est peu éclairé, il n'y pénètre 
qu'un demi jour. Il l'était moins encore autrefois et l'on était 
souvent obligé de recourir à la lumiëére des cierges ou des lampes. 
La clarté du soleil en effet n'y arrivait que par l'ouverture du 
dôme et par les deux petites baies en forme de meurtrières, 
vitrées aujourd'hui, qui traversent le mur du midi et le mur du 
levant. 

Depuis les temps modernes l'obscurité n'y est plus aussi 
grande, par suite de la pose, au fond de l’abside, d'une fenètre 
mesurant 1 mètre 80 sur 78 centimètres d'ouverture. Néanmoins 
le touriste, désireux de bien voir toutes choses en détail, devra 
visiter ce lieu dans l'après-midi, quand le soleil couchant projette 
en face ses rayons sur la fenêtre dont nous venons de parler, en 
même temps que sur l'étage des fenêtres romanes. 


L'édifice est à une seule nef. Sa longueur dans œuvre est de 
10 mètres 70, en y comprenant l'abside, et sa largeur de 8.40. Il 
est orienté en sens inverse de la cathédrale, je veux dire,du levant 
au couchant. 


Le pavé, qui est de même niveau que l'abside elle-même, a été 
renouvelé en entier, il y a une dizaine d'année’. Il avait été 
dégradé par le temps et surtout par les vandales du XVI siécle, 
qui essayérent de mettre le feu à la Tour. Ce travail de répara- 
tion, opéré sous l’habile direction de M. Baussan, a été bien 
exécuté. Les dalles symétriquement posées reproduisent diverses 
figures géométriques autour de l'ouverture du milieu, notamment 
la forme d'un octogone et, aux angles du parallélogramme, celle 
des quatre coquilles ou trompes. C'est pour ainsi dire la reproduc- 
tion du plan par terre de la coupole. La pierre employée est une 
sorte de marbre provenant de Lens, dans le Gard, où se trouve 
une ancienne carrière romaine. 

Non seulement l'ancien dallage avait eu à souffrir à l'époque 
des guerres religieuses, en 1:67, mais encore d'autres parties de 
la Tour : murs, piliers, colonnes. C'est ce qu'on peut facilement 
reconnaître à certaines pierres fendillées, calcinées ou noircies 
par le feu. Les colonnes surtout avaient été endommagées, 
puisque treize d'entre elles ont dû être refaites en entier et quatre 
ont reçu des chapiteaux neufs. 


236 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


Les murs sont tous ornés d’arcatures reposant la plupart sur 
des colonnes isolées ; ces colonnes sont au nombre de quinze, 
sans compter les huit colonnes engagées dans les quatre pilier, 
qui soutiennent le dôme. Trois des côtés du monument sont un 
peu renfonces, et de forme presque circulaire à leur base, en 
dehors du carré long formé par l'intervalle des piliers. Mais, en 
haut, ils se rapprochent en s'arrondissant en forme de conques, 
d'absidioles, et se raccordent insensiblement à l'archivolte exté- 
rieure des arcs doubleaux. Quant au quatrième côté, celui du 
couchant, il est occupé par l'abside proprement dite. Voici la 
description que nous donne à ce sujet M. Flangergues : 

« L'intérieur présente un carré formé par quatre gros 
‘piliers. L'’entre deux des piliers est arrondi presque également 
dans ses trois côtés ; l'autre arrondissement est plus considérable 
et la voûte plus basse. (Voir Note A). » Notre auteuf 
du XVIII siècle désigne par ce dernier mot l'abside, qui 
s'enfonce, au delà de la Tour proprement dite, entre l'arceau et 
la terrasse de la partie latérale. Cette abside, privée d’aute] 
-aujourd'hui, est très gracieuse avec ses cinq petites arcades à 
plein cintre supportées par six colonnes, à chapiteaux variés, dont 
il a fallu renouveler tous les futs qui tombaient de vétusté. Assez 
longtemps elle fut masquée entièrement par un mur moderne, 
qu'à un moment donné on avait cru nécessaire à la solidité de la 
Tour. Il a heureusement disparu, à l’occasion des réparations 
faites il y a environ dix ans. Cette construction grossière mais 
solide avait accrédité dans le public la légende d'un trésor caché 
dans cet endioit, obscur d'ailleurs, où l’on ne pouvait accéder 
que par une porte étroite. 

Tout-autour de cette primitive chapelle règne un stylobate ou 
socle prolongé, un banc de pierre de 30 à 40 centimètres de 
hauteur et de largeur, servant de piédestal aux six colonnes. Il 
se prolonge ensuite des deux côtés sous celles qui soutiennent 
d'autres arcatures. Ce banc de pierre suit tous les contours 
du bâtiment ; il n'y a d'interruption qu’à trois endroits, je veux 
dire devant les trois portes déjà décrites. 

Un auteur déjà plusieurs fois cité, parlant des colonnes 
rangées autour des divers côtés intérieurs de cet étage, écrivait 


LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 237 


en 1881 les réflexions que voici : « Ces colonnes... quoique. 
exécutées ayec assez d'art n'ont plus cependant la belle forme de 
l'architecture antique : elles portent l'empreinte du mauvais goût 
qui se faisait sentir depuis la décadence de l'Empire romain. Les 
chapiteaux sont d'un style bizarre et licenlieux. À la belle feuille 
d'acanthe se mèle la sculpture originale du genre romano-byzan-. 
tin. Mais ce qui... annonce l'oubli des règles et des bons princi- 
pes, c'est que ces colonnes supportent des arcs au lieu d'archi- 
traves et que l'entablement, rigoureusement nécessaire dans la 
belle architecture grecque et romaine, fait ici entièrement. 
défaut (1) ». 

On remarquera que la fenêtre percée dans l'arcade du fond de 
l'abside.et amortie par un arc en demi cercle,n'est pas posée dans 
le même sens que cette arcade; mais d'une maniere oblique. 
Ceci nous amëne à faire une réflexion générale. C'est qu'il ne 
faut pas chercher dans notre monument une entiére régularité, 
L'architecte semble animé du désir de varier. La symétrie paraît 
lui être inconnue ou plutôt lui déplaire. Une arcade.par exemple, 
posée à côté ou en face d'une autre, seraou plus haute ou plus 
large, ou moins en relief que celle qui l'avoisine ou qui lui. 
correspond. Àinsi il en existe de diverses hauteurs. depuis 3, 
mètres 80 environ jusqu'à 4 mètres 40. De même des colonnes 
qui s'envisagent ; vous les verrez différer, non seulement par le 
nombre, mais par les dimensions qui varient entre 2 mètres 7; et 
3 mètres 70. 

Il est juste de faire observer toutefois que ce manque de régu- 
larité tient à une autre cause. Il trouve en partie son explication 
dans l'utilisation par l'architecte, de colonnes, de chapiteaux, 
antiques et d'inégales grandeurs, empruntés, selon nos auteurs, 
aux ruines d'Alba-Augusta ou des belles églises de St-Julien et 
de N.-Dame du Rhône, élevées par St-Venance. (Note I). 

Ce qu'il y a de plus régulier dans l'édifice, c'est la coupole ou 
dôme qu'il nous reste à décrire. 

Coupole. — Elle est portée sur quatre piliers reliés entre eux 
par des arcs doubleaux à deux archivoltes. Ici l'architecte a 
donné des preuves véritables de son talent. M. Flaugergues a 


(1) Le Clocher de Viviers. 


238 LA TOUR OU CIOCHER DE VIVIERS 


pu dire : « Sur ces arcs doubleaux s'élève une coupole fort 
belle et fort élégante et qui paraît dans toutes les proportions. 
(Note A). » Observons d'abord que ce bel édifice romano- 
bysantin a une hauteur de 11". environ sous voûte, sans y 
comprendre la hauteur de l'orifice circulaire dont il se trouve 
percé au sommet. Cette ouverture en effet. espèce de lanternon, 
l'œil du dôme, s'élève verticalement sous la forme d'un puits 
cylindrique teiminé par une margelle. 

Les quatre piliers sont ornés de huit colonnes engagées, à 
chapiteaux assez bien sculptés. Les arcs qui les relient à angle 
droit offrent, deux par deux, une hauteur légérement différente. 
Les plus élevés sont ceux du nord et du midi. 

La coupole mesure dans œuvre environ 5.35 sur 4.15. Elle est 
à pans coupés, et octogone. Quatre de ses huit côtés sont plus 
petits que les autres. Ce sont ceux des angles. Ils se terminent 
par ce que Flaugergues appelle des « coquilles » (1) et l'abbé C. 
Bourg des « petites voûtes en encorbellement ». Sur ces quatre 
ornementations ont été sculptées les quatre figures allégoriques 
de la Tour. Files se trouvent un peu au dessous de la belle 
corniche qui contourne le bâtiment en en dessinant les huit 
côtés. La coupole est toute en pierres de taille, de moyen 
appareil, lisse et généralement grise et facile à sculpter. Les 
murs inférieurs de l'étage, en dehors des piliers, surtout dans 
‘intérieur des arcatures, sont bâtis en petits moellons ordinaires. 

Quatre choses surtout méritent d'attirer l'attention dans ce 
dôme ou coupole : la corniche, les quatre bas reliefs, les inscrip- 
tions murales inédites pour la plupart, et enfin diverses 
ornementations : signes religieux, figures d'hommes, d’anges, 
d'animaux, trop passées inaperçues. 

[. La corniche à laquelle certains donnent le nom de frise. Cette 
belle moulure octogone, comme la coupole elle-même, et fine- 
ment sculptée, n'a pas manqué d'attirer l'attention des visiteurs. 
« Au dessous de la coupole, dit le père de notre astronome, il 
règne une frise élégante, très bien sculptée représentant un 

(1) « Le vrai nom des quatre coquilles est trompe. La coupole romane octogo- 
ne était presque toujours supportée par 4 trompes, Voir St-Just, Mélas, le 


Bourg-St-Andéol, Larnas, etc. » (Note due à l'obligeance de M. Baussan, archi- 
tectc). 


LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 239 


feuillage qui court. » L'ancien curé de Cruas renchérit encore : 
« Au dessus des arcs, il rêgne sur tout le contour de l'édifice une 
frise où l'on remarque les ornements élégants du style bysantin, 
des feuillages, des rinceaux, de gracieux enroulements et diffé- 
rentes broderies d'une délicatesse remarquable. De cette frise 
s'élance, comme une sorte de coupole, une magnifique voûte à 
pans coupés, laquelle s'appuye aux quatre angles sur de petites 
voûtes en encorbellernent, simulant les pendentifs indispensables 
au style bysantin. » Ajoutons quelques’ détails oubliés dans 
cette double description, c'est d'abord une belle tête de cheval, 
qui tient à la bouche l'extrémité du rinceau sculpté tout le long 
de la moulure. Elle est placée du côté de l'abside, entre Île 
sommet de l'arc triomphal, la corniche, et le bœuf de St-Luc. 
Tout près de cette tête, un peu au dessous de la corniche, se 
trouve un quadrupède qu'on prendrait pour une fouine. On y 
voit aussi tout à côté des B semblables à celui que M. Revoil 
n'aperçut qu'au bas de la Tour et qu'il dit « en tout conforme à 
ceux des monnaies au type Chartrain ». 


(I. Les quatre figures allégoriques. Ces sculptures, aussi ancien- 
nes que la Tour,placées chacune dans une des quatre trompes de 
la coupole, ne sont pas très apparentes, à cause de leur faible 
dimension, de leur peu de relief en général et de la position 
qu'elles occupent à six mètres de hauteur, sans parler de l'obscu- 
rité du lieu. Et d’ailleurs leur exécution est tout à fait naïve et 


rudimentaire. 


Aussi les touristes varient-ils souvent quand il s agit de déter- 
miner leur signification et leur origine. Les uns veulent n’y voir 
que des sujets et des attributs paiens ou simplement profanes. 
C'est un génie, disent-ils ; c'est un oiseau, l'oiseau de Jupiter, 
symbole de la puissance romaine ; c'est le bœuf, attribut de 
l'agriculture, faisant penser aux tauroboles ou aux courses de 
taureaux ; c'est enfin une bêle féroce monstrueuse quelconque, 
rappelant une divinité cruelle du paganisme. 

Les autres, au contraire, y découvrent les figures symboliques 


de nos quatre évangélistes, savoir l'Ange de St-Mathieu, le Bæ:y 
de St-Luc, le Lion de St-Marc et l'Aïgle de St-Jean. 


240 LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 


Ce que j'ai bien pu voir moi-même, c'est 1°'une figure humaine: 
ailée à l'entrée de l’abside à gauche; 2° un lourd quadrupéde, 
bœuf ou taureau, à l'entrée de l'abside à droite; 3° du côté de: 
l'escalier, un animal monstrueux avec tête de tigre, griffes 
d'oiseau de proie et queue en pointe de dard, repliée sous: le: 
ventre; 4° enfin, au quatrième angle, un grand oiseau’ à tête 
d'aigle et à queue en balai. Le bœuf et l'aigle peuvent avoir 
so centimètres de long,lelion et l'ange 40 centimétres de hauteur. 

Toutes ces figures sont ailées et paraissent voler dans l'espace. 
M. Flangergues s'est mépris en parlant de « lion couché ». Les- 
trois animaux portent, suspendu à leurs pieds, un objet oblong, 
presque carré. Quant à l'autre figure, outre un petit objet carré 
qui est posé sur sa tête, elle en soutient, des deux mains: un 
autre plus grand dé même forme. 

Le champ de ces bas-reliefé offrant peu d'espace, le sculpteur a: 
été obligé de ramener un peu en arrière la tête des trois animraux, 
dans le sens opposé au côté vers lequel il$ dirigent leur vol; la 
tête du bœuf est tournée à droite, celles dé l'aigle et du lion, le: 
sont à gauche.Chaque sujet est nimbé,c'est-à-dire qu'une auréole 
lui environne la tête. Sauf l'oiseau, tous ont à côté d'eux au moins 
une roselle, je veux dire un fleuron ou rose épanouie. Et même 
autour du personnage il y en a jusqu'à trois avec une figure , 
formant deux S$S entrelacées. Détails particuliers à l’homme ailé, 
ange ou génie, selon les opinions. Il vole seul de face, il a la 
tête découverte, le corps tant soit peu en avant,ses bras sont'très 
gréles et ses ailes presque pendantes. 

M. l'abbé CC. Bourg'est un des premiers qui aient cru voir'les 
évarigélistes dans ces sculptures « nimbéts ». « Les figures gra- 
cieuses en demi-relief sur ces pendentifs, dit-il, me paraissent 
représenter les quatre évangélistes…. Ce n'est pas sans motif’ 
que l'artiste leur a donné des ailes et lès a entourées de roses.Ces 
ailes expriment la rapidité avec laquelle l'Evangile s'est propagé 
dans le monde entier.... Les roses signifient la bonne odeur de 
ce livre divin qu'on appelle l'Évangile, comme aussi l'amour dont 
les Evangélistes ont été embrasés envers leur divin Maître. » 

Il est vrai, répliquent les contradicteurs, que le nimbe et: l'au- 
réole auxquels vous faites allusion: caractérisent: la- sainteté 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS- 241: 


chrétienne pour l'ordinaire. Néanmoins ces cercles symboliques 
se voient quelquefois, quoique rarement,en iconographie païenne, 
d'après M. Didron. Quant aux ailes, les païens, en donnaient 
souvent aux'êtres fictifs, personnifiés, au Temps, à la Renommée, 
à la Victoire. Pour les roses, ce sont des fleurs dont ils aimaient à 
se couronner, comme les chrétiens se plaisent à vivre parmi les 
lis. 

Une preuve en: faveur de son sentiment qu'aurait pu faire: 
ressortir M. le curé de Cruas, c'est la présence, dans chaque 
sculpture, de l'objet mystérieux de_forme carrée qu'on voit 
suspendu aux serres de l'aigle, aux griffes du lion, aux.pieds du 
bœuf, aux mains de la figure humaine et sur sa tête. Quel peut-il 
être sinon le livre de chacun des Évangélistes. En dehors de 
cette explication, on ne voit pas ce que pourraient alléguer ceux 
qui ne veulent rien trouver que de profane ou de païen dans ces 
représentations sculpturales, non. plus que dans l'édifice lui- 
même Mais, à quoi bon nous attarder, la question est désormais 
tranchée puisque, comme nous allons le voir dans le paragraphe 
qui suit, les noms des Évangélistes ont été gravés, par l'ouvrier: 
lui-même, dans la pierre, et en lettres capitales épigraphiques, 
au dessous ou au dessus de chaque figure. 


(HT. — Les Inscriphions murales. — Certains lecteurs trouveront 
peut-être que nous entrons ici dans trop de détails ; mais d'autres 
en grand nombre, et des plus autorisés, le verront avec plaisir. 
Plusieurs de ces derniers nous ont fait connaître leur sentiment à 
ce sujet. L'un d'eux, auteur ardéchois distingué. qui s'occupe 
plus que personne de recherches intéressant le Vivarais, nous 
faisait l'honneur de nous écrire l'an dernier: « Je n'ai jamais vu 
nulle part les inscriptions de la Tour de Viviers. Vous feriez, en 
nous lès faisant connaître, une découverte intéressante. Car je 
ne crois pas que personne les ait données. » 

Ces inscriptions, placées à une certaine hauteur et hors de 
portée, nous les avons relevées et recueillies avec soin, mais non 
sans difhicultés,car il nous fallait recourir à l'emploi pénible d'une 
jumelle ou lorgnette, et. en tout. cas, vaincre l'inconvénient 
fréquent de l'obscurité de l'endroit, surtout quand le temps 
est nébuleux. Parmi les. inscriptions que renferme le premier. 


242 LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 


étage, toutes gravées dans l'épaisseur de la pierre, les unes le 
sont au dessous de la corniche: ce sont celles qui accompagnent 
les quatre figures allégoriques des Évangélistes. Les autres au 
dessus, recouvrant en grande partie les parois de la coupole. 

1° Noms des Évangélistes. — La découverte de ces premières 
inscriptions présente une importance réelle, puisqu'elles sont les 
témoins irrécusables et décisifs du caractère chrétien du monument 
dès son origine. Elles sont au nombre de quatre. Ce sont, en 
latin : les noms de S!-Mathieu, de St-Marc, de St-Luc et de 
St-Jean. Les deux premiers sont écrits au dessus de la tête des 
figures qui représentent l'ange et le bœuf. Les deux derniers le 
sont sur les livres que tiennent l'aigle et le lion. 

La première inscription. au sud-ouest, porte ainsi, sur deux 
lignes, le nom de St-Mathieu : 


MATE 
VS 


La seconde, au nord-ouest, donne le nom de St-Luc, écrit par 


exception sur une seule ligne, 


LVCAS 


Sur la troisième au sud-est, apparaît le nom de St-Marc, 
MAR 
CVS 
Enfin dans la quatrième, au nord-est, est reproduit incomplé- 
tement le nom de St-Jean, avec un o beaucoup plus petit que les 


autres lettres du mot, 
o AN 


ES 
À côté du bas-relief représentant l'ange de St-Mathieu, se 
trouve gravé, en la forme suivante : 


BE 
LAN 
Nous sommes porté à croire que ce mot de BELAN est le nom 
de l'ouvrier qui a sculpté les attributs de nos quatre Evangé- 


listes. L'artiste, qui a fait le travail, aurait-il voulu le signer, ne 
pouvait en effet, pour y mettre son nom, choisir une place plus 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 243 


naturelle, puisque l'inscription est gravée prés de l'ange de 
St-Mathieu qui est le premier des historiens de J. C. C'est tout à 
fait à tort qu'on avait cru pouvoir lire, à la place de cette épi- 
graphe, bien constatée, les deux mots suivants accouplés et 
terminés par une S commune, avec un petit R au-dessus du 
premier (note B). 
R 
PET V 
LAN 
Outre les cinq inscriptions épigraphiques que nous venons 
de reproduire, on remarque encore sous la corniche du dôme un 
certain nombre de capitales romaines isolées (Note C). Il y a 
entre autres cinq grands B, conformes à ceux c'es monnaies 
au type chartrain(i}). Trois de ces lettres sont tout prés du bœuf, 
à gaucheet à droite, la quatrième à gauche de l'aigle et la cin- 
quiéme à droite de l'ange. 
Voici une note dont les épigraphistes pourront faire leur 
profit. Sur le ventre du bœuf de St-Luc sont inscrits en lettres 


majuscules les deux mots, 


AUGUSTE 
MA ER 


Il ne faudrait pas qu'ils les prissent, comme le fit un jour un 
visiteur, pour une inscription du même âge que les précédentes. 
Au lieu d'être gravés dans la pierre, comme ils en ont l'appa- 
rence, ils ont été tracés simplement au crayon, en lettres 
capitales modernes. Une vue médiocre pourrait aisément s'y 
méprendre. C'est, un peu effacé sur le milieu, le nom fran- 
çais d'un ouvrier de la ville ayant pour prénom le mot 
Auguste. Le visiteur avait cru lire en latin Auguste Ma(gister, 
deux mots qui lui rappelaient le Magister bone, qui se lit pusieurs 
fois précisément dans l'Évangile de St-Luc. Il ne faisait pas 
attention que les deux U au lieu de deux V, trahissaient la date 
récente de la prétendue inscription antique gravée sur pierre, 
comme les noms des Évangeélistes. 


(1) On voit. au bas de la Tour, deux autres B semblables sur l’angle exté- 
rieur du nord-est L’un est sur la face qui donne dans le jardin, l'autre sur 
celle qui regarde l'escalier. Îl y a aussi, avec quatre signes lapidaires et une 
petite sculpture placée dans un cadre situé derricre la margelle d'un puits, 
plusieurs lettres de l'alphabet. Ce sont un E,un F, deux L et une douzaine de N 
couchés. 


244 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


Nous ferons remarquer encore à nos lecteurs que sur la petite 
face de la coupole qui s'élève au dessus de l’attribut de St-Luec, 
on a inscrit, il y a dix ans à l'occasion d'une réparation, la date 
1892 et deux ou trois autres noms d'ouvriers. (1) À part cela et 
les deux mots qui précèdent, rien dans la coupole, en fait d'ins- 
crip tions et d'ornementations,qui ne date de l'origine de la Tour. 


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TOUR DE VIVIERS (INTÉRIEUR DE LA CouPoLE. — UNE PAGE 


ÉPIGRAPHIQUE DU 1X® SIÈCLE }) 


(1) Perrx, s. Banow, L. 8. [l y a encore le nom de L. Navozv, qui a (SR 
ajouté la même année ; mais il se lit sur le côté nord, à la suite des autres. 


Digitized by Google 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS | ‘24$ 


.2° Autres inscriptions. — Les huit faces qui forment la coupole 
sont couvertes de caractères divers, lettres, noms, signes ou 
marques, sigles, ornements, gravés ou sculptés dans l'épaisseur 
de la pierre. 


Lettres. — Les lettres employées sont des capitales épigra- 
phiques latines, sauf quelques rares exceptions, l'oméga, par 
“exemple, L'A/pha, le rho grecs. Leur hauteur est de 10 à 18 centi- 
mètres. Elles sont, en général, d’une grande pureté, parfaitement 
lisibles, et semblables à celles qui étaient en usage en France, 
vers le milieu de la période carlovingienne. On .peut voir, àila 
note C, un Tableau indiquant leur nom, leurnombreet leur 
forme. 

Certaines lettres sont, tantôt droites, tantôt posées de haut en 
bas, ou mêmes couchées, quelques unes enfin sont placées à 
rebours. C'est afin que le lecteur ait une idée du genre d'épigra- 
phie murale de notre monument que, comme spécimen, on a 
fait reproduire intégralement ligne par ligne, ou plutôt assise 
par assise, dans le dessin ci-joint, toutes les lettres d'un des 
faces, celle du nord. Ces assises ont en moyenne 20 à 25 centi- 
mètres de hauteur. 


Noms propres. — Le nom de Salar ou Salard, en latin Salardus 
qu'on vient de lire de trois maniéres différentes ; SALAR, YV7vS 


et SALAR?” se trouve quatre autres fois encore gravé sous la 
coupole, en l'une de ces formes, deux fois au midi, une fois à 
l'ouest, et une fois au nord-est. Quant au motentier SALARDVS, 
que certains ont cru y voir, nous n'avons pule découvrir. On 
croit que ce nom est celui du Maistre-ès-pierres, du constructeur 
principal de la Tour. Il n'y a pas longtemps qu'il existait encore 
des Salard à Donzère : 


Une particularité à remarquer, c'est que au dessus des lettres 


R° dans le mot SALARD, écrit quatre fois avec un D, est gravé 
un oméga. Cela se reproduit trois fois, une fois au nord, une 
fois au couchant, au midi et une fois sur ce dernier côté on voit, 
vers le milieu de la 11° assise, une main sculptée entre le mot 


SALAR? à la fin de l'assise 9‘, et son initiale S, deux fois de suite 


246 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


suivie de l'A, SA» S** au commnement de la ligne 12°. Le cons- 
tructeur de la Tour n'aurait-il pas voulu exprimer cette chrétienne 
pensée qu'en élevant ce monument, il le faisait au nom de Celui 
qui est l'A et l’Q, le principe et la fin de toutes choses: ce qui 
peut se traduire et se résumer ainsi: SALARD fecit in nomine 
Christi. 

Stephan, en latin Stephanus, NVA4AS" serait le nom du construc- 
teur en second. Il figure une deuxième fois sur le côté de l'est 
écrit SEFAN et une troisième fois au sud-est formé comme 
il suit: EFAN. Dans les deux cas l'F et l'N ont la forme altérée 
qu'indique la note C. 

Nous retrouvons le nom de SALARD dans l'église de St-Gabriel, 
près de Tarascon, et celui de SEFA, ainsi abrégé, dans celle de 
St-Paul-Trois-Châteaux (Drôme). Les caractères sont formés 
exactement comme dans notre coupole (1). Ce serait là une 
preuve ou du moins une sérieuse présomption que ces édifices 
ont été construits à la même époque, c'est-à-dire au 1x° siécle, 
d'après le témoignage de plusieurs érudits. Mais nous revien- 
drons sur cette question. 


(A suivre). Chanoine MOLLIER. 


(1) Dans l’église de Larnas qui est très ancienne, non loin de Viviers, on 
lit le nom de STEFAN. La lettre qui suit le N n'est pas lisible. Cette inscrip- 
tion est sous la chaire au dessus d’une seconde, aux caractères un peu plus 
longs, qui porte le mot SIAN, avec une dernière lettre ressemblant à un A 
mais fruste. Les deux inscriptions sont gravées sur deux pierres de taille 
superposées et enclavées dans une colonne adhérente aux murs. 


LA RÉVOLTE DE ROURE 


ET L'HISTOIRE DE LARGENTIÈRE DE 1670 À 1700 


En l'an 1670 (du mois de mai au mois de juillet). le bas 
Vivarais, au moins dans la région située entre Largentière, 
Joyeuse, Aubenas et Antraigues, fut le théâtre d'un soulèvement 
rural, qui menaça un instant de prendre de grandes proportions, 
mais qui, le moment venu, fut aisément réprimé. 

On avait fait croire aux paysans déjà beaucoup trop surchargés 
d'impositions, qu'il allait paraître un Edit du Roi ordonnant la 
levée de dix livres pour la naissance d’un garçon, cinq livres 
pour celle d'une fille, un écu 3 livres pour chaque habit neuf, 
cinq sols pour un chapeau, trois pour les souliers, cinq pour 
chaque chemise, et un sol pour chaque journée de travailleur de 
terre. | 

Personne n'a jamais su d'où venait cette fausse nouvelle, qui 
peut-être fut simplement le produit d'une imagination surexcitée. 
Le fait est qu'elle fut la cause ou l'occasion d'une levée presque 
générale de la population des campagnes au sud du Coiron. 

C'est ce qu'on a appelé la révolte de Roure. 

Jusqu'à ces derniers temps, on ne connaissait guére les évène- 
ments de 1670 que par la relation publiée qu'a M. Laboissière, à 
la suite des Commentaires du Soldat du Vivarais (1). Les rares 
personnes qui avaient pu lire dans les manuscrits de M. Deydier 
les pages consacrées à Roure, avaient déjà pu se faire une idée 
plus exacte de l'homme qui avait donné son nom au mouvement 
de 1670. 

Car Roure n'était pas, comme on l'avait dit, un simple /abou- 
reur de la Chapelle, mais un ex-officier, de la petite noblesse de 
nos contrées, possédant le fief de la Rande, entre la Chapelle et 
St-Sernin, et dont la famille se prétendait parente des Roure de 
Gras. Le nom de Jacques qu'il prend dans une proclamation aux 

(1) D’après Delichères, cette relation serait d'Avond, de Mercuer, mais il y 


a lieu de croire que Laboissière est plus dans la vérité en l’attribuant à 
François Valeton. 


248 LA RÉVOLTE DE ROURE 


paysans du Vivarais, et sous lequel il fut condamné et exécuté, 
iui vint de ce qu'il avait été à la tête S’une jacquerte, et ce nom 
comme la qualité de laboureur, que lui donne le jugement, avait 
pour but, dans l'intention des autorités d'alors, de diminuer 
l'importance du mouvement, en rabaissant la condition du 
coupable. Le pauvre homme, d'aiileurs, avait été mis bien contre 
son gré à la tête de la révolte ; c'est surtout pour répondre à des 
reproches de lâcheté, et par un point d'honneur excessif, qu'il se 
crut obligé d'accepter les propositions des paysans : en résumé, 
un véritable général malgré lui — Molière n'avait pas prévu ce 
cas là. 

La récente étude de M. Raoul de Vissac (1) est venue, depuis, 
mettre en pleine lumière la physionomie du seigneur de la 
Rande, et elle emprunte un intérêt particulier aux documents de 
famille échus à l'auteur, puisque la femme de Roure était une de 
Vissac (2). Peut-être y a-t-il quelque exagération à faire de Roure 
un héros méconnu, un précurseur des revendications populaires, 
coupable d'avoir été trop honnèëte et d'avoir manqué de résolu- 
tion. On peut aussi trouver que l'auteur, entrainé par son sujet, 
a forcé la note en parlant des misères des paysans d'autrefois, 
outre que son œuvre a partois une allure trop romanesque, «et, 
de plus, que ses jugements sur ce qu'on pourrait appeler la 
politique du temps, ne nous paraissent ‘pas d'une rectitude 
absolue ; ce qui veut dire que l'auteur, tout'en reconnaissant les 
périls de l’action populaire, toujours plus ou moins inconsidérée 
et sujette à tous les emballements, ne semble pas assez com- 
prendre les obligations qui en résultent pour ceux qui sont chargés 
de maintenir l'ordre et la sécurité du plus grand nombre. C'est 


(1) Antoine Du Roure ef la révolle de 1670. Paris, Lechevalier, 1895. 


(2) Isabeau de Gont de Vissac, mariée à Jean Antoine Roure le 219 février 
1664, était fille de Claude de Gont, de Jaujac, dont le père-avait ét5 un instant 
syndic des Etats du Vivarais (en 1568) et de Marie d'Esparvier. Une sœur 
d'Isabeau épousa Martin dit de Burac, de qui descendait le Chastanier de 
Burac qui figure dans lhistoire du camp de jalès. Leur frère, Annet sieur de 
Blazère, épousa le 15 août 1674, Gabriclle Gamon, d’Antraigues, de la famille 
du futur conventionnel, et en eut seize garçons, dont quinze entrèrent au ser- 
vice militaire et onze y moururent ; deux d'entre eux devinrent officiers supé- 
rieurs et chevaliers de St-Louis. {Mss. Deydier). Un dernier écho des affaires 
de cette famille se trouve dsens les annonces judiciaires des journaux de l’'Ardë- 
che de 1#74, par suite de la mise en: vente, comme ‘biens de mineurs, du 
‘domaine de Vissac, à la Souche, dépendant de la succession du dernier Chasta- 
gnier de Burac, qui venait de mourir président du tribunal de Beaune. 


LA RÉVOLTE DE ROURE 249 


Pourquoi, tout en regrettant les sévérités excessives dont on usa à 
l'égard des paysans révoltés de la région d'Aubenas, nous sommes 
obligé de reconnaître que leurs excès avaient justifié d'avance la 
répression dont ils furent l'objet. Et, tant que la pure raison ne 
suflira pas à prévenir lesconflitsincessants que suscitent fatalement 
l'opposition des intérêts dans la machine sociale et la divergence 
des idées dans nos pauvres cervelles, si intellectuelles qu'elles se 
croient, nous craignons bien que les mêmes causes n'engendrent 
toujours les mêmes effets. 

Notons.en passant que l'histoire de Roure, par les analogies 
qu'elle présente avec celle de nos jours, devrait être pour tous 
un enseignement précieux. Nulle part on ne voit mieux que 
la masse inconsciente va toujours au delà du but qu'on lui a 
marqué, au delà même de ce qu elle s'est proposé elle-mème et — 
toutes les teçons du passé le démontrent — que les oppositions 
violentes retardent plus qu'elles n'avancent les améliorations 
justes et désirées de tous. 

En tous cas, Jacques Roure, ou plutôt Antoine Roure, seigneur 
de la Rande, le petit gentilhomme de St-Sernin, sort du livre de 
M. de Vissac sous un tout autre aspect qu'on ne l'avait vu jusqu'à 
présent, et il suffirait, à notre avis, des deux lettres que le 
malheureux condamné écrivit de la prison de Montpellier à sà 
femme, quatre jours avant son exécution, pour que personne ne 
pôt lui refuser -un sentiment de pitié sympathique, car il est juste 
d'y voir, non sans doute sa complète justification devant l’histoire, 
mais une démonstration aussi compléte que touchante de son 
honnéteté personnelle et de ses pures intentions. 

Pour ce qui concerne la région de Largentière, M. Léon Vedel 
a puisé dans ce sujet les éléments d'un récit fort dramatique (1), 
mais qui ne répond pas précisément aux données authentiques 
que nous fournissent les Délibérations municipales de la ville de 
Largentière, et nous croyons d'autant plus intéressant de repro- 
duire celles-ci qu'elles manquent aux archives de la mairie, bien 
qu'’indiquées dans l'Inventaire fait par Fayolle en 1787. Les voici 
donc, telles que nous les avons trouvées dans les manuscrits du 
président Challamel : 

(1) Jmpura ua Jutve. Les chasseurs d'élus. Largentière 1875 in 12. 


an 


250 LA RÉVOLTE DE ROURE 


L'an 1670 et le 15° jour de mai, sous la halle du marché de cette 
ville de Largentière, par devant M° Annet Rochier, sieur du Prat, 
docteur és droits et juge en la baronnie dudit Largentière, ont 
été assemblés en corps de communauté les consuls, conseillers 
et principaux habitans de la dite ville ci-après nommés, savoir : 


Noble Jean de Fages, seigneur de Bessas ; Jean Desrocles et 
Loys Baille, consuls modernes ; noble Guillaume de Fages ; 
M. Jean Riviére, sieur de Chames ; Guillaume du Boschet, sieur 
de Charlhac, ct François Montbel, docteur en droit, conseillers ; 
noble Claude de Fages, sieur de Chaunes ; sieur Alain de 
Fages, sieur de Bertis ; [Jean et Louis de Largier, frères, et Annet 
Mollier, sieur de Grandval ; fean Mouraret, sieur de Malet ; 
Pierre Mouraret, sieur de Tauriers, et Jean Mouraret, sieur de 
Belvèze. père et fils; et plusieurs autres, faisant la plus grande et 
saine partie des habitans de la dite ville. 

À tous lesquels ledit sieur de Bessas, premier consul, a exposé 
et donné à entendre que, depuis quinze jours ou environ, certains 
libertins, sous prétexte de bien public et de chasser les esleus, se 
sont attroupés, pris les armes et fait battre le tambour en divers 
lieux et paroisses du voisinage, et qu'ayant augmenté peu aprés, 
ledit sieur de Bessas. assisté des magistrats et autres principaux 
habitans bien intentionnés pour le service du Roi, auroient fait 
leurs efforts et diligences pour l'empescher, tant par remontrances 
particulières que autrement ; mais n'ayant rien pu avancer, la 
chose auroit plus et tous les jours augmenté ; en telle sorte que, 
se donnant le petit peuple toute sorte de libertés, ils auroient fait 
plusieurs insultes et entreprises sur les maisons de plusieurs 
particuliers de cette ville ; et le jour d'hier, r4° du présent mois, 
seroient venus en cette ville plusieurs et diverses troupes de 
gens armés au nombre de 8 ou 900, la plus grande partie des 
habitans de la ville et duché de Joyeuse, pe lesquels furent 
reconnus : Loys Gévodan, praticien ; Guillaume Gévaudan, 
Bastier, son frère ; Loys Lachapelle ; Vincent, maréchal ; Mau- 
rin, marchand ; Pellier, consul ; Philippe Fabre ; Archier, chi- 
rurgien ; François Rieu, maréchal ; Siméon Boissin, Es 
Vaugère, Chevalier, Loys Richard et plusieurs autres, ne sachant 
leurs noms ; lesquels se croyant ëétre les plus forts et rendus 
maistres de la ville, auroient entrepris de user et de se saisir des 
meilleures maisons de ladite ville pour les mettre au pillage et 
détruire, ce que infailliblement ils auroiïient fait, n'eût été le bon 
ordre que les bons et fidéles habitans y auroient donné avec 
l'assistance de quelques soldats et troupes voisins qu'ils auroient 
appelés à leurs secours ; n ayant néanmoins pu empêcher que 
lesdites troupes mutines ne fissent sédition et attaqué plusieurs 
maisons et personnes, contre lesquelles ils auroient tiré plusieurs 
coups de fusil et pistolet ; desquels le sieur Jean Joseph Rochier, 
sieur de la Sablière, du lieu de lrébuols, paroisse de foanas, 
auroit été tué ; le sieur de la fTronchière, de la paroisse de la 
Souche, grièvement blessé de quelques coups d'hallebarbe ou 


LA RÉVOLTE DE ROURE 251 


pertuisane ; Etienne Pelletz, habitant de cette ville, battu et blessé 
de plusieurs coups, ensemble le seigneur de Chazeaux et plusieurs 
autres habitans : etil en seroit arrivé pis, si ledit seigneur de 
Chazeaux et autres n'eussent contraint et fait filer par force hors 
de ladite ville lesdites troupes mutinées, lesquelles, en se retirant, 
auroient usé de diverses menaces et proteste de revenir au 
premier jour, avec de plus grandes forces, pour mettre la ville au 
pillage ; de maniére que, pour éviter lesdites menaces et des 
évènemens plus fâcheux, et se maintenir en l'obéissance du Roi, 
il est de toute nécessité d'y pourvoir promptement. 
Ce que entendu par les susdits habitans, ils ont unanimement 
rotesté qu'ils veulent vivre et mourir en l’obéissance du Roi et 
ui être toujours fidèles, ce qu'ils ont juré et protesté entre les 
mains de messieurs les magistrats et consuls, criant hautement 
Vive le Roï ! Vive le Roi ! et ont délibéré que, pour s'y maintenir, 
ledit sieur de Bessas est prié de s'en aller en toute diligence 
devers Monseigneur le marquis de Castries, chevalier de l'ordre 
du Roi et son lieutenant général en la province de Languedoc, 
pour lui faire les très-humbles remontrances, protestations et 
soumissions de la part de tous les susdits habitans, et l'informer 
de tout le passé, désavouer devant lui toutes les insultes qui 

ourroient avoir été faites par lesdits mutins et séditieux contre 
Htennos desdits habitans, avec protestation d'en rechercher les 
coupables et aider à les faire punir ; le supplier aussi très- 
humblement de donner ses ordres pour apaiser et faire cesser 
lesdits troubles ; et cependant, pour empêcher les incursions et 
hostilités dont ont été menacés, que, à la diligence desdits sieurs 
consuls, ils sera pourvu à la sûreté du château et à la réparation 
et remise des ponts-levis des deux portes principales de la pré- 
sente ville, auxquelles il sera mis garde bourgeoise pour empè- 
cher que à l’advenir aulcunes troupes étrangères n'entrent avec 
armes dans ladite ville que par l'ordre de mondit seigneur le 
marquis de Castries, ni aussi que personne desdits habitans n'en 
sorte pour se joindre auxdits séditieux et perturbateurs du repos 
public. 

Les sachant escripre soussignés. 
Les autres illitérés. 


Du vendredi, 23° jour du présent mois de mai, environ les 7 
heures du soir, en présence de tous les habitans nommés aux 
délibérations précédentes. 

Le sieur de Bessas, premier consul, ayant rapporté qu'il 
venoit d’être averti qu'il paraissoit des troupes du costé de la 

orte de Sigalières. M. de Chazeaux fut prié, de la part de 
ssémblée de les aller recognoistre; ce qu'il fit,etayant rapporté 
que c'étoit une compagnie de 60 hommes de pied, conduite par 
le sieur Chambon, par ordre du Roi. pour se mettre en garnison 
dans le château de Largentiére. — À été délibéré. tout d'une voix 
et sans discrépance, qu'on leur ouvriroit les portes de la ville et 


252 LA RÉVOILTE DE ROURE 


du château, et que le sieur de Bessas iroit leur faire compliment 
de la part de cette communauté et leur offrir tous les secours et 
commodités dont ils auroient besoin ; ce quia été exécuté de 
point en point. 


Du samedi 24° mai, en présence de plusieurs habitans et autres 
composant presque toute la ville. Le sieur de Bessas, ayant reçu 
divers avis de plusieurs parts que très grand nombre de factieux 
étoient assemblés du côté de Villeneufve et qu'il étoit important 
que les respect et obéissance des habitans de Largentiére aux 
ordres du Roy et de Monseigneur le marquis de Castries fussent 
cogneus au point qu'ils sont, et que pour cet effet il falloit faire 
quelque chose d’extraordinaire.—A été délibéré unanimement qu'il 
seroit fait défense à toutes sortes de personnes, de quelle qualité 
et âge, sexe et condition qu'elles soient, de sortir de la ville 
pendant tout le temps que cette troupe sera assemblée, et qu'on 
lui courra sus, supposé qu'ils viennent se présenter comme ils 
menacent devant l'Argentière ; ce qui a été résolu et délibéré 
avec un applaudissement général. 


Du 25° mai de matin, ont été assemblés les principaux et autres 
composant presque toute la ville.—Par devant Me Annet Rochier, 
sieur du l’rat, docteur ës droits, juge en la baronnie de Largen- 
tière ; auxquels ledit sieur de Bessas, premier consul, a repré- 
senté quil vient d'être averti que les attroupés s'étoient tous 
retirés d'auprés de Villeneuve sur une ordonnance de Monseigneur 
le marquis de Castries, et avoient promis de se séparer et quitter 
les armes ; et néanmoins ce matin divers factieux inconnus, et en 
grand nombre, étant venus sur le haut de la montagne qui 
domine cette ville, aprés avoir tiré plusieurs coups de fusil à balle, 
ils auroient crié : Traitres gens de Largentière ! làches { poltrons ! 
qui ne nous avez donné aucun secours ! et plusieurs autres injures 
menaçantes. À été pris en question ce qu'il y avoit à faire 
désormais pour la garde de ladite ville. Sur quoi a été délibéré 
unanimement que ledit sieur de Bessas étoit prié d'aller commu- 
niquer la chose à M. Chambon, qui commande le chasteau pour 
le service du Roi, et à Messieurs les autres officiers de la garni- 
son, pour prendre et suivre leur advis. Ensuite de quoi le sieur 
de Bessas s'y étant transporté, et lesdits' sieurs officiers ayant 
entendu et vu tous lesdits factieux, avec tout le susdit vacarme, 
sur le haut de ladite montagne, après en avoir donné une délibé- 
ration audit sieur de Bessas, lui ont conseillé de garder encore 
pour quelques jours les portes de la ville jusques à ce qu'ils 
verront le calme général. 


On sait comment finit cette malheureuse échauffourée. Toutes 
ces bandes de paysans, sans cohésion et sans discipline, furent 
mises en complète déroute, à la Villedieu, le 25 juillet, par les 


LA RÉVOLTE DE ROURE 253 


troupes royales, et Roure, étant parvenu à s'échapper, put donner 
une nouvelle preuve de sa bonne foi et de sa naïveté, en profitant 
de cette chance inespérée, non pas pour se mettre le plus tôt 
possible à l'abri, mais pour se diriger sur Versailles, avecl'inten- 
tion de voir le Roi et de lui exposer les griefs des populations 
rurales du Vivarais. La premiére personne à qui il s'adressa 
à Paris le détourna naturellement de ce projet imprudent et lui 
conseilla de mettre au plus tôt la frontière entre lui et les officiers 
de justice. C'est ce qu'il essaya alors de faire en passant en 
Espagne, mais il fut reconnu à St-Jean-Pied-de-Port, à cause de 
ses pistolets qu'il avait laissés sur une table et sur lesquels son 
nom était gravé. Conduit à Montpellier, il fut condamné à mort 
et rouë le 29 octobre, et sa tête envoyée à Aubenas y demeura 
assez longtemps exposée au dessus du portail St-Antoine (1). 

La Collection du Languedoc (2) contient une autre relation de 
la Révolte de Roure qui ne diffère guère que par la forme de 
celle qu'a donnée M. Laboissière. Elle se termine par l’anagram- 
me et les vers suivants : L 


JACQUES ROÛRE (qui SERA ROUÉ) 


Il est certain, ce qu'un savant 

Dans ses proverbes nous cxpose, 

Que le nom a le plus souvent 
Quelque rapport avec la chose. 

Qui ne tiendra pour avoué 

Que le destin de Jacques Roure, 

N'ait ordonné, qu'il a beau coure, 
Qu'’enfin il sera pris et qu'il sera roué. 


Conventunt rebus nomina sœpé suis. 


Nous laissons à ceux qui auront du temps de reste, le soin de 
chercher quel aurait été son sort, si, au lieu de mériter le nom de 
Jacques, il fût resté fidèle à ses vrais prénoms qui étaient Jean 
Anthoine. 

* 
+ *# 

Au mois de janvier 1676, vint à Largentière le chanoine Monge, 

chargé de la visite générale des églises du diocèse de Viviers, 


(13 Il y a dans les Chroniques du Languedoct. 1. p. 265, une relation de son 
arrestation et de son exécution, écrite par André Delort, un contemporain. 

(2) Biac. Nar. t. 95 pp. 152 à 184. Cette relation est indiquée comme ayant 

été envoyée à dom Bourotte par M. d’Albenas. 


254 LA RÉVOLTE DE ROURE 


accompagné de messire Pages, official d'Aubenas. (Le procés- 
verbal fort intéressant de cette visite viendra plus naturellement 
dans le chapitre spécial que nous consacrerons à l’église de 
Largentière.) | 

En 1682, aux Etats du Vivarais tenus à Joyeuse, « l'assemblée, 
ayant considéré que les RR. PP. Récollets de Largentière, qui 
n'est qu'à une lieue de Joyeuse, rendent beaucoup de services 
dans tout le voisinage et ont un extrême besoin de secours, et 
qu'ils en auroient tiré d'elle de très-grands, si leur ville avoit eu 
le bonhenr d'y voir tenir ces Etats, dont elle a été privée depuis 
plus de 60 ans et plus de six tours de sa baronnie, leur accorde 
par ces considérations 400 livre ». 

Le 30 septembre 1687, le maire de Largentière, Joachim de 
Chalendar, sieur de Lambras, répondant à une circulaire du 
syndic du Vivarais, sur la déclaration des revenus des maisons 
religieuses, dit qu'il est allé trouver les RR. PP. Cordeliers et 
les Dames religieuses (de N. D.) « pour les advertir de faire les 
déclarations voulues, et que tous ont promis de le faire » ; mais 
il ne dit pas un mot des Récollets, par la raison sans doute que 
ceux-ci ne jouissaient d'aucuns revenus et vivaient uniquement 
du produit de leurs quêtes. 

« Pour ce qui est de notre hôpital, ajoute le maire, il a été uni 
aux Commanderies de St-Lazare, et je ne sais pas qui en est le 
commandeur ni où est ce qu'il demeure, l'hôpital n'étant gardé 
par personne... (1) 

Cette lettre se rapporte aux Edits royaux d'avril et décembre 
1686, qui invitaient toutes les communautés du Languedoc à se 
pourvoir de lettres d'amortissement de leurs biens et usagcs. 
Tous les lieux ayant des propriétés de ce genre se rendirent 
immédiatement aux désirs du gouvernement et remirent leurs 
titres et déclarations entre les mains des commissaires nommés 
ad hoc. 

Voici le texte de la déclaration des consuls de Largentière (2) : 


Premiérement, une halle à la place de ladite ville, où l'on vend 
châtaignes, huille et sel, et où les marchands étrangers qui 


(1) Archives départementales de l'Ardèche. C. 1487. 
(2) Archives départementales de l'Hérault. Lettres du Grand Sceau. 


LA RÉVOLTE DE ROURE 255 


viennent aux marchés se mettent, la communauté l'affermant 
ordinairement environ de 316 livres. 
Item, une petite esplanade hors ladite ville, y ayant quelques 
arbres meuriers, desquels la communauté jouit de la feuille. 
Item, les poids de ladite ville que la communauté arrente 


annuellement. EL 
Item, une fontaine hors ladite ville sortant dufonds des religieux 


Cordeliers. 

Item, quatre foires desquelles il n’y en a qu’une qui est à la 
St-Martin qui soit observée. 

Item, un marché tous les lundis de la semaine. 

Item, en l'année 1639 la communauté possédoit une maison 
qu'on appeloit maison de ville et un hôpital, laquelle a esté. . . 
par les chevaliers de l’ordre de St-Lazare. 

Nous consuls etc. signés le 15 avril 1587. 


Les lettres royales sur ce furent expédiées en octobre 1688 à Fon- 
tainebleau et enregistrées à Toulouse et à Montpellier de 1690 à 
1691. Elles garantissent aux villes et aux provinces la jouissance 
de leurs « facultés », le roi prenant l'engagement, tant à son 
nom qu'au nom de ses successeurs, de ne jamais redemander 
aucune finances ni indemnité pour pareilles causes. 

D'une note, placée au bas d'un placard imprimé, provenant des 
archives des Cordeliers de Largentière {placard portant les lettres 
royales qui étendaient aux Frères Mineurs du Languedoc tous 
les privilèges accordés aux Frères Mineurs de Guyenne), il 
résulte que nos Cordeliers avaient un Père lemporel qui était un 
laïque. Voici cette note : 

« Nous Frère Thomas Roussel, Gardien actuel des Frères 
Mineurs conventuels St-François de la ville de Largentière, 
déclare et reçois pour nostre père temporel maistre Pierre 
Lapierre, masson, du lieu de Balazuc. — En foi de quoi je lui 
ay donné les présentes lettres le s° febvrier 1690. — Frère 
Thomas Rouseel, gardien et syndic au nom de toute la 
communauté. » 

Au dos suivent deux annotations, de date postérieure, que 
voici : | 

« Nous Frère Jean François Amouroux, Gardien et syndic des 
Frères Mineurs conventuels de la ville et baronnie de Largentière, 
voyant décédé feu Pierre Lapierre, du mandement et paroisse de 
Balazuc, sans qu'aucun des siens puisse exercer la charge de 


256 LA RÉVOLTE DE ROURE 


père temporel qu'il avait exercée dans son vivant, avons élu en 
son lieu et place Louis Molier, fils à feu Claude de Laune, de la 
même paroisse, lequel nous déclarons et reconnaissons pour 
notre pére temporel dans ladite paroisse, suivant. la patente à 
nous accordée par S. M. et enregistrée par le Parlement de 
Toulouse, lequel s'oblige à recevoir et loger chez lui les religieux 
du même ordre qui iront chez lui ; afin qu'ik puisse jouir de nos 
privilèges, nous lui avons donné ces présentes lettres ce 24° juillet 
de l'année 1703 et me suis signé comme dessus du consentement 
de toute la communauté. — Frère Jean François Amouroux 
Gardien et syndic des Frères Mineurs de Largentière. » 


Par la seconde note, conçue dans les mêmes termes, le Frère 
Antoine Jaussoin, Gardien, déclare, le 24 avril 1730, que, Louis 
Molier étant décédé, il reconnaît pour père temporel, Antoine 
Molier « son petit ». | 

Le seigneur de Largentière, Louis de Suze, évêque de Viviers, 
mourut au Bourg-St-Andéol le s septembre 1690 à l'âge de 86. 
‘ans. C'était le doyen des évèques de toute la chrétienté. C'était 
aussi l'un des membres importants des assemblées générales du 
clergé de France, où sa parole exerçait une grande influence, et 
dont il fut l'un des présidents en 1660 Aux Etats généraux du 
Languedoc en 1671, il avait été nommé président de la députation 
chargée de porter à la cour le cahier des doléances, et le 15 
novembre de la même année, il avait sacré à Paris son neveu et 
grand vicaire, Antoine de Chambonas, nommé évèque de Lodève 
et destiné à devenir son coadjuteur puis son successeur à l'évêché 
de Viviers. | 

Nous renvoyons à notre article de. la ‘Revue du Vivarais de 
1901 au sujet des difficultés qui eurent lieu, au milieu. du. siècle, 
entre l'évêque.et les Etats du Vivarais ; mais, quoi qu'on puisse 
penser du caractère et de certains actes de Louis de Suee, il est 
certain que cet évèque fut à la hauteur des circonstances difficiles. 
qui marquérent son épiscopat, puisque c'est grâce à lui, grâce 
surtout au zèle qu'il mit à organiser les grandes et salutaires 
missions de St-Jean François Régis, du P. Olier et d’autres 
saints personnages, que le Vivarais, jadis à moitié protestant, 
dut de redevenir en grande majorité catholique: 


LA RÉVOLTE DE ROURSE 257 


Le portrait que nous avons donné de. lis, à l’occasion de sa 
visite à Largentière en 1634 est du célèbre graveur Nanteuil, 
comme i} résulte de J'inscription. placée au bas de quelques 
exemplaires : Nanteusl ad wévum faciebat 1656. 

Les rôles de la capitation en 1695 peuvent nous donner une 
idée, par la taxe de chacun, de ce qu'était alors à Largentière 
« la société ». Nous omettons les cotes au dessous de trois livres. 


Voici les plus imposés : 


Jacques Lascombes, ménager, 20 livres 
Noel Chabert, marchand en détail et ménager, 10 
Jean Valens, ménager et savetier, 6 
Pons Chabert, marchand, 6 
Noble Alain de Fages, 40 
Sieur Jean-Baptiste Jaussoin, bourgeois, 40 
Sieur François Bellidentis, bourgeois, 20 


François Jacques, marchand maugonnieret ménager, 6 
Noble Claude de Granval et demoiselle Françoise de 


Serre, veuve d'Anne de Granval, 20 
François Pontier, apothicaire, 6 
Antoine Caires, notaire, 6 
Noble Jean de Fages. consul, 10 
Sieur Jean Rochier, marchand, 10 
Demoiselle Marthe d'Eynault, veuve de noble Alain de 

Riviére, 6 
Jacques Divol, marchand en détail, 10 


Noble Guillaume de Fages, sieur de Seveyrac, et son 
beau-fils, noble François de Fages, demeurant avec lui 6 


Barthélemy Béraud, maître cordonnier, 10 
Joseph Béraud, son fils, marchand en détail, 6 
Noble Jean Joseph de Fages, 10 
Sieur Jean Derocles, marchand en détail, 40 


Noble Charles de Vacher, sieur de la Moliére, et daine 
Marguerite de Montégut, sa mère, demeurant ensemble 10 
Guillaume Sauret, commis au controle des actes de 
notaire, 10 
Nicolas l'urnamiés, marchand tailleur et ménager, 10 
Noble: Jean de.Largier, 10 


258: LA RÉVOLTE DE ROURE 


Jean Gabriel Suchet, praticien et ménager, 10 livres 
Louis Eynault, borgeois, 10 
Demoiselle Louise de la Roque, veuve de sieur Claude 
Taranget, ménager — noble Joachim de Chalendar de 
Lambras son beau-fils — et noble Antoine de Chalendar 
de la Combe, père de Joachim — demeurant ensemble 16 
Noble Jean de Bonnefilhe, 
Noble Louis Comte, 
Me Rostaing Boyer, notaire, 
M° François Duroure, notaire, 
Jean Rouzier, cardeur de laine, et son fils, 
Jean Allemand, marchand mangonnier, 
Messire Annet Rocher, docteur es droit et sa mére, 
Marie Boyer, veuve d'Annet Rocher, juge demeurant 


OO OO D D ww 


ensemble, 10 
Louis d’Allamel, bourgeois, et son fils, | 10 
Noble Jean de Mouraret, 20 
Demoiselle veuve de Pierre de Mouraret, avec Jean son 

fils, 6 
Sieur Jean Jaussoin de Bonnery, bourgeois, 20 
Dame Françoise de Jaussoin, sa fille, veuve de noble 

François de Donin, demeurant avec lui, 6 
M° Henri Jaussoin, avocat, | 6 : 
Anne Tressaud, marchand cordonnier, 6 
Pierre Monteil, peintre, et son gendre Julien, cardeur ce 

laine, demeurant ensemble, ._. 6 
Louis Chabert, cadissier et ménager, 6 
Noble Jean de Mouraret de Belvèze, Fe) 
Antoine Ribeyre, ménager et Darasse, son gendre, 

demeurant ensemble, 6 
M° Joseph Boyer, avocat, 10 
Noble Guillaume de Fages de la Terrisse, 6 
Antoine Brot, maître cordonnier, . > 6 
Sieur Nohé Niclot, apothicaire, 6 
François Blachière, mangomier, 6 
Joseph Jaussoin, marchand, 20 


Dans le tableau des novles du temps qui eurent maille à partir 


Et mm 


LA RÉVOLTE DE ROURE 259 


avec les officiers royaux chargés de la recherche des titres de 
noblesse — ce qui, d'ailleurs, comme on sait, fut plutôt une 
mesure fiscale qu'autre chose, nous relevons les noms suivants 
qui intéressent Largentière (1) : 

ALLAMEL., sieur de Laval, de Largentière, condamné par défaut 
le 17 février 1698 à 2000 livres ; on n'a rien trouvé pour saisir ; 
a fait sa soumission le 23 mars 1700 pour 50 livres. 

ALLAMEL (Louis d'}), coseigneur de Planzolles, condamné le 19 
février 1698 — mort — rien trouvé à saisir. 

BonweriLHe, de St-Alban, à Largentière, condamné comme 
faux noble en 1698, à 2.000 livres. In:aisissable faute de biens. 

BonweriLue (Louis), condamné et déchargé, mort. 

Conre (Jean de), sieur d'Aubusson, noble du 1°" mars 1698. 

LarGter (Louis de). demeurant à Largentière, maintenu dans 
sa noblesse le 28 septembre 1669. 

GRANDVvAL (François de), de Balazuc ; condamné par défaut le 
12 février 1698 à 20oc livres ; déchargé, attendu qu'il est garde 
du corps de S. A. frère du Roi; condamné à nouveau le 26 
novembre 1708. Le 17 août 1701, ordonnance de modération à 
100 livres ; a payé le 24 août 1701. 

MourarerT (Jean de); condamné le 14 octobre 1698 à 2000 
livres ; le 23 mars 16909, garnison et levée, peu à saisir ; ordon- 
nance de modération à 200 livres : fait sa soumission le 29 
décembre 1698 à 100 livres ; a payé 100 livres le 10 mai 1701: 

Rocuer (Joseph François de) de Largentière ; a payé 800 livres 
d'amende comme faux noble. 

VaCHER (Charles de) reconnu noble. 

Sur les comptes consulaires de 1697 nous remarquons : 

Un payement de 20 sols 8 deniers à Guillaume Fraisse, pour 
avoir accomodé le tambour de la garde bourgeoise : 

Un autre de 12 livres, pour quatre revues faites par M. Doriple, 
major des compagnies de bourgeoisie ; 

Enfin 30 livres pour les frais des feux de joie à l'occasion de 
la paix. 

À cette époque, les cinq conseillers sont qualifiés conseillers 
politiques. 


(1) Bistioruèque Narionaue M SS. Nouvelles acquisitions, 32290. 


260 LA RÉVOLTE DE ROURE 


Les comptes consulaires de 1698 contiennent le paragraphe 
suivant : 

Envoi par un exprès à Msgr de Viviers « d'une lettre de Ta part 
de MM. les conseillers politiques et autres principaux habitants, 
au sujet d'une imposition à faire de 150 livres pour les gages du 
régent d'école, la communauté priant Sa Grandeur de vouloir 
permettre qu'il ne sera imposé que 50 ou 60 livres pour lesdits 
gages de régent d'école ; les écoliers payeront ce qu'on a accou- 
tumé de payer pour leur éducation ». 

Voici, à ce propos, un aperçu de la question des écoles à 
Largentière pendant le XVII: siècle : 

En 1601, un maître d'école « étant venu à Largentière et y 
ayant servi l’espace de quelque temps, messieurs les conseillers 
auroient trouvé bon de lui payer quatre repas qu'il auroit pris à 
Béraud, montant à 15 sols ». 

En 1605, il y a aussi un maïtre d'école appelé Blaye, de Belley. 
Les consuls promettent de lui payer sa dépense durant un mois 
et de lui louer une maison « pour une année, pour y tenir les 
écoliers et instruire la jeunesse, car il n'y a aucun maître ». 

Blaye demande que pendant cette année il soit défendu à tout 
autre d'ouvrir une école ; ce qui lui est accordé. 

En 1608, on trouve un Boyer, maître d'école, à qui on accorde 
30 livres. 

En 1609, c’est 90 livres qu'on paye à Boyer, en vertu de son 
contrat d'école, et 12 livres pour les ustensiles. 

En 1620, le maïître d'école s'appelle Jean de Broa ; en 1627, 
Boissin, avec 30 livres par an ; en 1661, Martel, avec 30 sols par 
mois. On lui rembourse alors 12 sols qu'il avait avancés pour 
faire accomoder le couvert de la « maison préceptoriale » de la 
ville, c'est-à-dire la maison Justin-Vedel, qui appartenait au 
preceplor (commandeur) du St-Esprit. 

En "666, apparait une demoiselle Dumas, qui donne l'instrut- 
tion aux filles et à qui la ville alloue 10 livres. 

En 1667, Martel a 25 livres par an, et la ville se déclare très 
satisfaite de ses services. 

En 1679, il y a un Gonnet, maître d'école et une demoiselle 
Madière pour instruire les petites filles. 

Nous venons de voir que l'allocation municipale pour l'institu- 
teur s'est élevée à la fin du siécle, à 150 livres. A. MAZON. 


VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 


CHANSON DE MAI 


ne 


Voici qu'Avyril aux oubliettes 

Vient de descendre, el pour longiemps. 
A l'huis des châleaux, des fillettes, 
Blanches prélresses du printemps, 

De frais lilas, leurs deux mains pleines, 
S'en vont chanter le jali mois : 

Qui reverdit le front des chênes 

Et met de l'ombre dans les bois. 


Oiseaux mignons, grise fauvetle, 

Fins rossignols, joyeux pinsons, 

Fille de l'air, blonde alouetlte, 

Egrenez vos claires chansons. 

Partout renaît la douce ivresse 

Des premiers baisers du prinilemps ; 

Le mois de maï se lève et presse 

Ceux qui pour aimer n'ont qu'un temps. 


Dans les grands bois pleins de fougère, 
Dans le velours des prés fleuris, | 
Dans le vallon plein de mystère, 

Beau mois de Mai tu nous souris. 

Partout de ton décor magique 

Les yeux et l'âme sont ravis, 

Et de l'amour, le frais cantique 

Monte joyeux au paradis. 


# . 
CE 
De sa compagne au nid de mousses, 
Qui se blottit sous les buissons, 


Le rossignol aux plumes rousses, 
Charme l'ennui par ses chansons. : 


262 


VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 


Il lui conte en un long poëme 
Que redit un écho lointain, 
Son amour el sa joie extrême, 
Ses doux espoirs du lendemain. 


+ 
« © 


Depuis longtemps les hirondelles, 
Messagères des temps nouveaux, 

A nos climats toujours fidèles, 

De leurs vieux nids font des berceaux. 
A ses pelits, éclos à peine, 

Dans l'encoignure des chevrons, 
L'agile oiseau qui se démène, 

Sert en festin des moucherons. 


Sur le sommet aride el sombre, 
Des monts puissants du Vivarais, 
Le clair soleil a chassé l'ombre 

El le printemps s'est mis en frais. 
Il a semé, sans compter l'or, 
Dont les genêts font leur parure 
Et la montagne son décor, 

Pour le réveil de la nalure. 


C'est fête au ciel, fête sur terre, 
Oiselets, papillons et fleurs 

Sont révêtus comme un parterre 
De leurs plus brillantes couleurs 
Ivres d'amour et de lumière 
La fleur, le papillon, l'oiseau, 
N'ont qu'un désir, qu'une prière, 
Jouir sans fin du renouveau. 


VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 263 


se. 
Le soir, quand vient la nuit sereine 
Où lout paraîl se reposer, 
La brise à la tiède haleine, 
Dans chaque fleur met un baiser 
Dont le matin fait une opale. 
Puis dans le firmament très pur, 
La lune monte, froide et pâle, 
Vaisseau fantôme de l'azur. 


Paul d'ALBIGNY. 


Paris, Avril 2902. 


TL TD 


VIEUX CHATEAUX 


A Monsieur Benoit d'Entrevaux. 


Surplombant toutes les vallées 

Et couronnant tous les coteaux, 
Nombreux chez nous sont les châteaux 
Aux tourelles démantelées. 


Les chauves-souris affolées, 
Les reptiles et les moineaux 

Y vivent, seigneurs et vassaux, 
Des existences non troublées. 


Sur leurs ruines, triomphant, 
J'ai grimpé, révé, lout-enfant ; 
J'ai bu la brise avec ivresse. 


Et leurs grands profils soucieux, 
Que je vois en fermant les yeux, 
Dominent toute ma jeunesse. 


25 mars 1902. 


. 364 VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 


MISÈRE & BOUE 


De même que, du fond des eaux, 
Les plus pures, les plus limpides, 
S'élèvent des relents morbides : 
Débris d'herbes ou de roseaux. 


Quand les brises ou les oiseaux 
Passent les effleurant rapides 
El les couvrant de mille rides 
Qui finissent en longs réseaux. 


L 
Un souventr, un nom qui sonne, 
Dans'une âme tranquille et bonne, 
Peut soulever tout un limon. 


Aurait-il tous les dons qu'on loue 
Dans Socrate et dans Salomon, 
Le fond du cœur-humain est‘boue. 


HEenr BOMEL. 


24 mars 1902. 


NOTICE HISTORIQUE. à 


SUR \ SN } 


SAINT-LAURENT LES BAINS 


Le bourg de St-Laurent-les-Bains est situé à mi- côte de la 
montagne de l'Espervelouse, au fond d'un ravin qui aboutit à la 
rivière de Borne , affluent de Chassezac. Il domine Borne d'envi- 
ron 150 mètres et est dominé d'au moins autant par l'Esperve- 
louse . Une vieille tour se dresse sur son piédestal de granit 
surplombant le village de cent mètres ; comme elle était trop 
petite pour recevoir beaucoup de monde, il faut v voir une vigie 
plutôt qu'un véritable fort. Le château, fondu dans les masures 
du haut quartier, est habité par les plus pauvres de l'endroit. 

Les données historiques sur St-Laurent sont les suivantes : 

En premier lieu, il est certain que ses eaux ont été connues des 
Romains:la preuve en est dans la maçonnerie en briques et ciment 
que l'on peut encore voir à l'orifice de la source de la Saigne, 
dans la piscine de l'établissement Bardin, et dans la découverte de 
nombreuses médailles d'empereurs romains recueillies par l'ancien 
curé, M. Chenivesse, et conservées au musée du Pny. Il est à 
noter que St-Laurent se trouvait sur le passage de l'ancienne 

18 


266 NOTICE HISTORIQUE 


voie romaine qui conduisait dela basse Helvie à la voie Regor- 
dane, par la Croix de Fer et le Petit Paris, suivant à peu prés la 
direction de la voute actuelle des Vans à St-Etienne de Lugdarés. 
Tout récemment encore, en fouillant le sol pour la construction 
d'une maison, on a trouvé plusieurs monnaies romaines, et à 
côté, des médailles frappées à l'effigie de plusieurs papes d'Avi- 
gnon, particulièrement de Benoit XII. 

Saint Laurent figure sous le nom significatif de Mitrense, dans 
une des donations faites à l'évêché de Viviers avant le VIIIe siè- 
cle, donations relevées par l'évèque Thomas II vers l'année 950. 

Il est appelé, dans les documents du moyen-âge, Sanctus Lau- 
renlius de Balneis, notamment dans le Cartulaire de Saint-Chaf- 
fre (1). En 1010, son église fut donnée au prieuré de Langogne 
par Léodegaire,évèque de Viviers (2). 

En 1327, Guillaume de Randon reconnaît tenir en fief franc et 
noble de Guidon, seigneur de la Roche en Régnier et de Pra- 
delles, la villa de St-Laurent les-Bains et ses dépendances (3). 

La même année, une enquëte fut faite devant noble Guillaume 
de Randon, coseigneur de St-Laurent, à la requête du prieur, à 
l'effet d'établir les droits de l'église sur certaines terres, droits 
contestés par Balmes, ex-baile du lieu pour le seigneur de la 
Roche ; à la suite des dépositions, ces droits furent reconnus et 
de nouveau concédés (4). 

En 1332, Guillaume de Randon assigne à sa fille douze vingt 
livres tournois sur St-Laurent (5). 

En 1358, le nom de St-Laurent reparait dans une enquête de- 
mandée par quelques seigneurs pour établir que leurs sujets 
étaient taillables à merci et par conséquent non astreints à payer 
les nouveaux impôts qu'on voulait exiger d'eux ; et cette exemp- 


tion fut admise en 1375 (6). 


(1) L'église de St-Laurent-les-Bains est désignée trois fois dans ce Cartulaire : 
la première fois, à la p. 94 (édition du chanoine Ulysse Chevalier, 1884) parmi 
les possessions du prieuré de Langogne en Vivarais, sous le nom d'ecclesia 
sancti Laurentii de Balneis, et les deux autres fois (pp. 179 et 194),simplement 
sous le nom de St-Laurent 

(2) Leodegarius dedit priori Lingoniæ ecclesiam Sancti Laurentii de Balneis 
anno MCX. Corumsi, De rebus gestis episcoporum viva:iensium. p. 83. 

(3) Huiccaro-Buénoures. /nventaire des titres de la maison ducale de Bourbon. 

(4) Note du chanoine Chenivessc. 

(s Peyaaro. Invenfaire des titres de la maison de Polignac. 

(6) HuirLarD-BRkEHOLLES. 


SUR SAINT-LAURENT LES BAINS 267 


En 1403 : cette date se trouve au chœur de l'église de St-Lau- 
rent, dans une inscription, en partie figurative, qui doit être 
traduite ainsi : 


ANNO DOMINI MCCCCIII 
HŒC ECCLESIA FUIT ŒDIFICATA PER DOMINUM 
LEONEM DE BOVE 
DE BURZETO 


Les mots hæc ecclesia fuit ædificata sont remplacés par une figu- 
re de l’église et le mot Bove par un bœuf, 

Le livre d'estimation des biens de St-Laurent les Bains en 
1464,donne les noms et domiciles des possesseurs qui sont au nom- 
bre de 75 ; les commissaires experts furent Guérin Blanquet, 
Joseph Garnier, Jean Chabrol et Antoine Damwville (1). 

Une reconnaissance de 1683, faite au seigneur du lieu, nous 
fait connaître les précédents seigneurs de St-Laurent : 

Le vicomte de Polignac, en 1465 ; 

Le seigneur de Montiaur, en 1513; 

Thomas Girard, en 1617; 

Jean de la Motte, en 1863. 

Les procès-verbaux des Etats du Vivarais pour l’année 1575 
mentionnent Thomas Girard comme s'étant chargé alors, de 
concert avec quatre autres habitants de St-Laurent, de garder le 
fort. c'est-à-dire probablement la tour, et l'assemblée leur accorde 
deux soldats entretenus aux dépens du pays. 

Sur une porte du vieux château, un écusson pentagone porte le 
nom de Thomas Girard avec la date de 1582. Ce même person- 
nage est nommé aussi dans les Délibérations des Etats du Viva- 
rais, en 1617, comme étant seigneur de St-Laurent-les-Bains. 

La seigneurie de St-Laurent passa en 1644 à Jean de la Motte, 
seigneur du Mazel,par son mariage avec Honorade Girard Les de 
la Motte étaient une branche des Chalendar de Chassiers. Jean de 
la Motte figure dans le registre des Pénitents bleus de Chassiers 
comme ayant été recteur de cette confrérie en 1639 ; l’année 
suivante, il était capitaine d'une compagnie dans le régiment de 
Roque-Serviére, faisant la guerre en Piémont, d'où il envoya à 


(1) Archives dép. de l'Ardèche, C. 612. 


268 NOTICE HISTORIQUE 


ses confrères pour leur chapelle « un grand tableau de Notre- 
Dame ». Jean de la Motte était revenu d'Italie au mois d'octobre 
1641, puisqu'il eut alors, entre Largentière et Tauriers, une fa- 
cheuse aventure, à raison de laquelle il fut poursuivi, et on peut 
voir dans le livre de raison de son frère, Annet de la Motte. sei- 
gneur d'Uzer, devenu président du présidial de Valenee après 
avoir été syndic des Etats du Languedoc, que ce dernier eut 
beaucoup de peine à le tirer d'affaire. Il s'agissait d'une bagarre 
sanglante, dans [laquelle il avait tué un des fils du notaire Taran- 
get, de Largentière, qui était baile de Tauriers pour les demoi- 
selles de la Baume de Vallon, et en avait blessé deux autres — 
bagarre motivée sans doute par des questions d'intérêt, car les 
dames de Tauriers étaient ses parentes, et c'est le notaire Taran- 
get qui faisait les affaires de la famille. Cette affaire ne l'empêécha 
pas, comme on l'a vu, de faire un bon mariage, puisque trois 
ans aprés, il épousait l'héritière dela seigneurie de St-Laurent- 
les Bains. 

Le beau père de Jean de la Motte parait avoir eu une aventure 
du même genre, car c'est de lui sans doute qu'il est question dans 
le fait suivant que nous relevons dans les mémoires du chanoine 
de Banne, à l’année 1631 : 

« [l y a environ trois ans que le curé de St Laurent des Bains, 
appelé Aiglon, fut assassiné le jour de la Pentecôte, allant dire 
la Sainte Messe, sans qu'on eût pu savoir qui l'avait assassiné ; 
ce qui s'est su la présente année ; dont les meurtriers ont été 
punis, à savoir, deux voleurs et assassins roués, et le seigneur 
dudit St-Laurent des Bains exécutés en efligie, s'estant enfui ; 
et les procédures ont esté faites aux despens de Mgr le Révéren- 
dissime Evesque et comte de Viviers. » 

Les registres paroissiaux de St Laurent constatent, en effet, le 
décès du curé Thomas Aiglon à la date du 25 octobre 1628. Cet 
ecclésiastique était, l'année précédente, en procès avec les ha- 
bitants au sujet des dimes. C'est lui aussi qui avait vendu. en 
1607, les bains de St-Laurent au pharmacien de Joyeuse, Abra- 
ham Girard, et l'on est naturellement amené à supposer qu'il 
existe entre ces divers faits une liaison quelconque. Le manus- 
crit du chanoine Chenivesse sur St-Laurent nous apprend que 


SUR SAINT-LAURENT LES BAINS 269 


le prieur curé Aiglon, le seul qui figure en cette qualité dans les 
annales paroissiales, laissa son héritage à sa sœur, laquelle 
accepta sous bénéfice d'inventaire, car les legs pies absorbaient 
tout l'avoir du défunt. Notons ici que ce manuscrit, dont l'auteur, 
avec son obligeance habituelle, nous fit jadis la communication, 
est fort intéressant principalement pour les détails qu'il contient 
sur les mœurs de la montagne. 


ie 


Nous avons vu que les eaux de St-Laurent étaient connues du 
temps des Romains, et le nom donné à la localité indique assez 
qu'elles n'avaient jamais cessé d'attirer quelques malades pendant 
la période du moyen âge. Mais il est bien probable que l'établis- 
sement thermal se réduisait alors à une piscine exposée à tous Îles 
vents, sous l'abri d'un simple hangar, et ouverte à tout venant. 
C'est du moins ce que fait supposer l'acte de 1607, où l'on voit 
que le prieur Aiglon, autorisé par le prince de Polignac, de qui 
les bains relevaient directement, les vendit à un pharmacien de 
Joyeuse, appelé Abraham Girard, aux seules conditions de payer 
au seigneur du lieu 20 sols de cense par an, de réédifier et de 
couvrir les bains, de faire une salle pour loger les pauvres, et de 
leur donner des soins gratis, « se réservant pour lui, prieur, une 
robe de drap cadis pour ses entrées et le droit de percevoir 2 
deniers sur chaque baigneur ». 

Aujourd'hui les deux sources, qui jaillissent de la roche 
guésique par deux ouvertures horizontales, séparéés par une 
distance de 30 ou 40 mètres, correspondent à deux hôtels plus ou 
moins confortables. 

La premiére de ces sources, à qui son débit plus considérable 
f210 litres à la minute),a valu le nom de grande source,se trouve 
sous la route même.en face de l’ancien hôtel Meyrand.L'eau sort 
en bouillonnant sous une voûte en maçonnerie. Elle passe dans 
une auge carrée, en pierre, d'un mètre de côté. percée de trois 
échancrures qui divisent la source en trois branches, dont deux 
vont alimenter l'établissement Bardin, aîné. devenu l'hôtel Mey- 
rand,et la troisième la fontaine publique,située à côté,où les ména- 
gères du bourg viennent laver leur vaisselle, et même leur linge. 


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SUR SAINT-LAURENT LES BAINS 271 


La seconde ouverture, en contrebas de dix mètres, au bord du 
ruisseau, alimente l'établissement Casimir Bardin. Cette source, 
un peu moins considérable quel’autre, mais qui n'a pas la servi- 
tude de la fontaine publique, est appelé la Saigne,du nom de son 
propriétaire au siècle dernier. Elle était destinée plus particu- 
lièrement autrefois à l'usage des pauvres, d'où le nom de Bain 
des pauvres qu'on lui donne encore. C’est à son point d'émergence 
qu'ont été trouvés les restes de maçonnerie romaine. 

Ïl y a cinq ou six ans, en transformant une ancienne écurie en 
café (aujourd'hui Café du Centre), on mit à jour une nouvelle 
source, ou plutôt une nouvelle issue de la grande source, qui 
alimente, par deux bouches différentes, les deux hôtels et la 
fontaine publique. Cette source donnaîït 20 litres à la minute, 
mais sa température ne dépassait pas 40°. L'existence de tuyaux 
de plomb soudés au marteau et d'une cage de bois de châtaigniers 
montra qu'elle avait été exploitée ; on suppose que ses eaux 
servaiént à l'hôtel Meyrand. L'abondance des deuxautres sources 
rendant son emploi inutile, on l'a abandonnée de nouveau à sa 
destinée souterraine. 

La température des sources de St-Laurent est de 52° à 53°, et 
l'on observe qu'elle n'a pas diminué au moins depuis un siécle, 
puisque les degrès thermométriques, constatés à la fin du siècle 
dernier, sont les mèmes qu'aujourd'hui. | | 

L'eau de St-Laurent est trop chaude pour qu'on puisse y tenir 
la main, mais on la boit sans dégoût, malgré ses 52° et elle 
produit une sensation de fraicheur que ne procure pas l'eau 
ordinaire. Insipide par elle-mème,elle a une chaleur suf generis qui 
la ferait distinguer de l'eau ordinaire, comme (selon l'observation 
du docteur Francus) si elle avait été chauffée à un feu particulier 
qui l'aurait en quelque sorte électrisée, et, vu l'absence d’une 
quantité notable d'éléments minéraux (les analyses n'en indiquent 
qu'un gramme au plus sur mille grammes d'eau), c'est dans cette 
particularité que notre compatriote a cru apercevoir le principal 
agent de son action salutaire dans bon nombre de maladies. 

Les eaux de Saint Laurent ont été préconisées par divers 
médecins ou pharmaciens : Rochier, de Largentière (1714) ; 
Estève, de Montpellier ; Combaluzier du Bourg-Saint-Andéol, 


272 NOTICE HISTORIQUE 


doyen de l’école de pharmacie de Paris (1743) ; Bonniface, du 
Bourg-Saint-Andéol (vers 1750) ; Reynaud (1808) ; Mathieu, de 
Langogne ; Bonnaure, de la Blachère (1843) ; Fuzet du Pouget, 
des Vans (1852) ; Silhol, du Bourg-St-Andéol {article du Patriote 
en 1877) etc. Mais, comme elles ont une clientèle généralement 
peu lettrée, on peut supposer que sa bonne renommée lui vient 
plutôt des gens qu'elle a guéris, que des écrivains qui se sont 
occupés d'elles. 

Comme toutes les les eaux minérales, elles se vantent, par 
l'organe de leur apologistes, de ‘guérir toutes les maladies. La 
vérité est qu'elles paraissent avoir eu de véritables succès dans 
les cas de rhumatismes et d'ulcères ou engorgements provenant 
d'anciennes plaies. Il faut ajouter qu'il existe, sur leurs propriétés 
réelles, de notables divergences, qui prouvent au moins qu'elles 
n'ont pas encore été étudiées d'une manière suffisante. 

Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elles sont trés actives, et 
qu'elles nécessitent plus que beaucoup d'autres les avis et la 
sage direction d'un médecin expérimenté. 

La première analyse des eaux de Saint-Laurent fut faite par le 
docteur Bérard de Montpellier en 1818 ; une autre, par le D" 
Robinet, de l'Institut, en 1865 ; une troisième,par le D" Moynier, 
en 1877. La plus récente est celle de M. Wilh, professeur à la 


Faculté des Sciences de Lille, chargé officiellement de cette 
mission en voici le résultat : 


GROUPEMENT HYPOTHÉTIQUE DES ÉLÉMENTS 


Acide carbonique des bicarbonates  0g3596 
— libre 0.0973 


Carbonate neutre de sodium 0.3861 0.5486 (1) 
— de calcium 0.0400 0.0554 
— de magnésium 0.0036 0.0055 
Bicarbonates anhydres 
Sulfate de sodium 0.0448 
— de potassium 0.0249 
— de lithium 0.0007' 


1) correspond à 0.6144 de bicarbonate réel au sel de Vichy (COd Na H) 


SUR SAINT-LAURENT LES BAINS 273 


Chlorure de sadium 0.0293 

Metaborate de sodium (B. O2 Nao o114) (1) 
Azotate de sodium traces O.1843 
Oxyde de fer (carbonate) traces 

Selice 0 .0669 

Matière organique par différence 0.00693 

Poids de résidu fixe par litre séché 0.7938 


à 150° O 6140 


M. Wilh appelle l'attention sur une quantité notable d'acide 
borique à l'état de borate de sodium ; ce principe, dit-il, doit 
évidemment jouer un rôle actif dans la thérapeutique des eaux 
de St-Laurent. 

On peut encore citer parmi les publications relatives à Saint- 
Laurent-les-Bains : 

Un rapport inséré dans une Notice des travaux de l'Académie 
du Gard, par Trélis. Nimes 1809, gros volume in-8, et les 
chapitres consacrés à cette localité dans le Voyage autour de 
Valgorge et dans le Voyage à travers l'Ardèche et la Haute-Loire, 
du docteur Francus. 

Mais la plus curieuse,sinon la plus savante, de ces publications 
est sans contredit la description, en langue d'oc, des eaux de St- 
Laurent en 1687, éditée récemment par M. Bondurand. l'archi- 
viste du Gard, d'après un manuscrit trouvé à Courry. L'auteur 
inconnu, {un gai compagnon, » qui, selon la, remarque de son 
éditeur, « ne mâche pas ses mots, et qui, par la propriété de ses 
expressions, ferait évanouir vingt prudes », a, pour nous,un 
véritable mérite de chroniqueur : ses tableaux ont la vigueur de 
ceux de Saint-Simon, et ce n'est pas sa faute si les baigneurs 
et les baigneuses de son temps, auvergnats pour la plupart, ne 
ressemblent que de ‘fort loin aux élégants personnages de la 
cour de Louis XIV. 

Laissant de côté les boutades etles traits de mœurs, nous en 
relèverons seulement les passages qui peuvent servir à la compa- 
raison avec le temps présent. Voici d'abord ce qu'il dit de la 


SOUTCE : 


(1) correspond à 0.0087 de borax Bo4 O7 Na 


274 NOTICE HISTORIQUE 


.. Oquelile fouont minérale 

Que fay, per ové lo sonta, 
Qu'oquel liot és tont freconta. 
Oquelle source tont sollutouso 
Souor el pé d’une roche offrouso 
Que domine sur oquel bourg, 
Comme ovea dit, embé so tour. 
L’aigo es tont chaude ei tont clare 
Que ges qu'ieu n'aye vis en carre, 
Et diriat, quon fume toujour, 

Que sort del bourboural d’un four, 
Mais d’une force ou abnndance, 
Qu'ieu pode dire en assurance, 

Per l'en ove visto sourti, 

Que n'y aurio prou per fa tira un mouli. 


La suite montre que la grande source était déjà divisée en 
trois parts. 


Son canal crouse un exolonade 
Que li sert oqui de porade 

Et ver lou miet se desportis 

En trex tems (i)un pau plus petits, 
Dont l’un n'es fat que per l'uzatge 
De tout oquelles del vilatge ; 

Car ofin d‘espornia lou fiot, 

N'y o pas une tenne del liot 

Qu’on s'y serve de l'ovontatge 

Per la potoullo del meinatgc. 

Lous autres dous donon o goigna 
Et servon per faire boigna 
Oquelles qu'on quauquo moculle. 
Cas parcequ'’oquelle aïigo brulle, 
Et lou fio purifiie l'or, 

Elles creson de guory d’obord. 


Comme aujourd'hui aussi, les deux autres branches allaient à 
deux hôtels distincts : 


L'un des royols (2}] a per portatge 
L'oustal plus nuble del vilatge, 
Que l'oprllon de mosey Rat ; 
Mais lou rentié ex trop offeyrat 
Per poude fourni lo boutique, 
Chaudrio que quittes lo trofique. 


D'où il semble résulter que le principal hôtel du temps était 
tenu par M. Rat, fermier du seigneur, et que ce brave 
hôtelier était en même temps un gros marchand de l'endroit, le- 
quel trop occupé par son commerce, négligeait plus ou moins ses 
baigneurs Etait-on mieux à l'hôtel de l'autre branche ? Ecou- 
tons le poëte : 


(1) Pour tels, filets d'eau. 
(2) Royal, rigole, ruisselet. 


SUR SAINT-LAURENT LES BAINS 275 


L’autro broncho s'en vay dedin 
L'oustal de messire Bordin, 

À may dision que sous one 
Ly gaston pas trop sous ofayrés. 
Mêmes los gens des condissieu 
Non y fon pas gronde estozieu, 
A cause de lo gran rocalhe 

Que nuet et jour y boctailhe : 
Car lous riches ou lous couquis 
Non son pas distinguat oqui, 
Omay, bay souvent lo paurieyre 
O taule servon lo prumeyre. 


Décidément notre rimeur n'avait pas la bosse de l'égalité mo- 
derne, et il y a lieu de supposer qu'il alla au troisiéme hôtel, 
celui du Bardin de nos jours, où l'on avait l'espoir d'être « plus 
proprement logé ». 


Une autre source qu’es o part 
Vay dret o l’bustal de Girard, 
Ou be de monsieur de Lasaigne. 
Oqni s’y tray lo gron compaigne 
Parcequ’oqui on pessoment (1) 
De n'y lougea plus proprement. 


Quant aux singularités de l'eau de St-Laurent, elles sont 
résumées d'une façon si originale qu'on nous permettra une 
dernière citation : 


Mais dovon que passa plus outre, 
Hieu possorio per un jean-f..….. 

Se hieu non vous disio quicon 

De lo vertu d'oquello fouon. 

Que toujour bul ct toujour coule 
Sons veyre jomay vessa l'oule ; 
C'est-o-dire qu'incessoment 

Raye toujour esgaloment, 

Sans que, par l’essut ny lo pletge, 
Creyssé ny mesma (2) l'on lo vege. 
Et ce qu'es de plus surprenent, 

De d'obor ou incontinent 

Qu'y ovet tray d'herbes chaumides, 
Venon fraisches et plus poullides. 
Ce qu'es cause lou plus souven, 
Que l'on n'y vey pas gron jouven. 
Mais fay be force fennes ruades (3), 
Lo plupart toutes eydentades, 
Que creson de chonja de pel. 
Autre cause plus omirable, 

Es que brûle sars eschauda. 
Oquo es une esperience 

Que surpasse toute lo science. 


(1) Pensement, pensée. 
{2) Diminuer. 
(3) On y voit force femmes ridées. 


270 NOTICE. HISTORIQUE. 


Car, d'obord qu'y trempon lou det, : ; 
Vous iay dire Sucre tout net. | 
Me oco se dit quon l’on reculle, 

Et ex bien permes quon l'on s’y brulle.. 
En tout oco cadun la bicou 

Touto chaude sans nversieou, 

Ny que lous eschaudo lo bouche, 

NY may lo lengo quon l'on touche ; 

Ny son gous n'es pas ton meschon 
Comme belcopt de gens lo fon. 

Ny may l'aigo n'es pas soufrade 

Eyton coume lou monde badc. 

Hieou lo buve eyto voulonties 

Comme lo fouon des Siroulliès, 

Car n’on poit pas estrc plas nete, 

Picyque gronoulle ny renete, 

À ce que l'on no remorquat, 

Non n’y a pas jomay pctat..…. 


Un document important pour l'histoire des eaux de St-Laurent 
est l'arrêt suivant du conseil du Roi, en date du 28 août 1734, 
qui accorda un périmêtre de protection à la propriétaire de la 
seconde source : 


Arrêl du Conseil d'Etat du Roi pour la conservation des 
bains du lieu de St-Laurent en Vivarois 


Sur la requête présentée au Roi, étant en son conseil, par le 
Syndic général de la province de Languedoc, contenant que les 
eaux minérales de Saint-Laurent dans le Vivarois, sont fortutiles 
pour la guérison de plusieurs sortes de maladies ; qu'elles sont 
emplovées avec succès pour les malades, auxquels les médecins 
en ordonnent Ja boisson, ou qui y prennent des bains et étuves ; 
que la demoiselle de Lasaigne, à qui la source des dites eaux 
appartient, a eu soin de la conserver pour l'utilité du public, mais 
que quelques particuliers, qui sont ses ennemis et qui lui envient 
l'avantage d'avoir dans son funds la propriété de cette source, ne 
cessent de la menacer de fouilles dans la terre pour couper la dite 
source, ou pour la saigner, ce qui causcroit en même temps la 
perte des dites eaux : mais comme le public [est] encore plus 
intéressé que la dite demoiselle de Lasaigne à la conservation 
des diteseaux minérales, — Acescausesil requéroit.conformément 
à ce qui a été ordonné à l'égard des bains de Balaruc par les 
arrêts du Conseil des 29 janvier et 14 décembre 1715. qu'il plût à 
sa Majesté faire défenses à tous particuliers habitants de Saint- 
Laurent, ou autres personnes, de faire aucuns puits,fossés, creux, 
ni excavations ou fondations de maisons, ni autres ouvrages, qui 
puissent nuire ni préjudicier aux dites eaux et bains. dans l'espace 
contenu depuis la tour jusqu'au ruisseau de St-l_aurent, à com- 
mencer depuis la montagne jusqu'au... — suivant les limites qui 
seront dounées par la vérification qui pourra être faite à ce sujet; 


sauf à la dite demoiselle Lasaigne, à indemniser, s'il y a lieu, les 


particuliers qui, en vertu de la dite défense, seroient obligés 


SUR SAINT-LAURENT LES BAÎNS 277 


d'interrompre des ouvrages commencés dans leurs fonds : 
auquel eftet, lad. demoiselle Lasaigne,et les consuls de St-Laurent 
pour les habitants dudit lieu,remettront leurs mémoires pardevant 
le S' de Bernage de St-Maurice, [ntendant en Languedoc, lequel 
pourra faire procéder par telle personne qu'il lui plaira de 
commettre, à la vérification énoncée ci-dessus et entendre les 
parties sur ladite demande, pour, sur son procès verbal et avis 
envoyé au Conseil, être ordonné ce qu'il appartiendra ; avec 
cependant défenses aux parties de se pourvoir ailleurs. 

Veu ladite Requëte. et les arrêts du conseil des 29 janvier et 14 
décembre 171, donnés pour la conservation des eaux de Balaruc; 
Oui le rapport, et tout considéré, le Roy, étant en son conseil, 
ordonna queladite Lasaigne ayantla propriété des eaux minérales 
de St-Laurent, et les consuls dudit lieu pour les habitans, seront 
entendus par devant le S' de Bernage de St-Maurice, maître des 
requêtes, intendant de justice, police et finances en la province 
de Languedoc ; que, par telle personne qui sera par lui commise, 
il sera procédé. en présence des dites parties. ou elles dûment 
appelées, à la véritication de la source et origine des eaux 
minérales, à l'effet d'indiquer l'étendue et les limites du terrain 
dans laquelle il ne doit point être fait de puits, creux, excavations 
et autres ouvrages capables de détourner lesdites eaux et de les 
faire perdre ; et quil sera dressé procès-verbal par le S' de 
Bernage de St-Maurice, des demandes, contestations, dires et 
réquisitions des parties, pour, ledit procès-verbal vu et rapporté, 
avec son avis, être par sa Majesté fait et ordonné ce qu'il appar- 
tiendra ; et cependant, Sa Majesté fait défenses aux dits habi!ans 
de St-Laurent ettous autres de faire des creux, des fossés, ni 
aucun autre ouvrage qui puisse détourner ou rompre les 
dites eaux minérales. lesquelles demeureront libres. communes 
et publiques, comme elles l'ont été jusqu'à présent, à peine de 
tous dépens, dommages et intérêts ; à moins que par ledit Sr de 
Bernage, il ne füt jugé à propos d'en faire par provision ; Sur 
quoi sa Majesté lui permet de rendre telles ordonnances qu'il 
_avisera bon être. 

Fait au Conseil d'Etat du Roy, sa Majesté y étant, tenu à 
Versailles le vingt huitième jour d'août mil sept cent trente 
quatre. 

Signé Phelypeaux. 


Louis, par la grâce de Dieu Roi de France et de Navarre, à 
notre amé et feal conseiller en nos Conseils, le S' de St-Maurice, 
maître des requètes en notre hôtel, Intendant de justice en notre 
province de Languedoc : Salut. Nous vous mandons et ordonnons 
par ces présentes, signées de notre main, d'exécuter l'arrêt ci- 
attaché sous le contrescel de notre chancellerie, aujourd'hui 
donné en notre conseil d'Etat, nous y étant, sur la requête du 
syndic général de notre dite province de Languedoc ; de ce faire 
vous donnons pouvoir, autorité, commission et mandement 
special ; commandons au premier notte huissier ou sergent sur 


278 NOTICE HISTORIQUE 


ce requis de faire, pour l'entière exécution dudit arrêt, ce que 
vous ordonnerez, en conséquence, tous exploits signification et 
autre actes de justice que besoin sera, sans pour ce demander 
autre permission : car tel est notre plaisir. Donné à Versailles le 
28 jour d'août, l'an de grâce 1734 et de notre règne le 19°. Signé 
Louis ; et plus bas ; par le Roi. PHÉLYPEAUX. 

Louis Basile de Bernage, chevalier, seigneur de St-Maurice, 
Vaux, Chassy et autres lieux, conseiller d'Etat, Grand'Croix de 
l'ordre Royal et militaire de St-Louis, Intendant de justice, 
police et finances en la province de Languedoc, 

Vu l'arrêt du Conseil d'Etat ci-dessus, et la commission 
expédiée sur icelui, nous ordonnons que,dans un mois du jour de 
la signification de la présente ordonnance, la demoiselle de 
Lasaigne, propriétaire de la source des eaux minérales de St- 
Laurent, remettra devant nous les mémoires concernant ses 
demandes, pour être communiqués aux Consuls de St-Laurent, 
et cependant que l'arrêt du Conseil ci-dessus sera exécuté 
suivant sa forme et teneur en ce qui concerne les défenses qu'il 
contient, aux habitans de St-Laurent et à tous autres, de faire 
des creux, puits. fossés, ni aulcuns ouvrages qui puissent détour- 
ner ou rompre le cours desdites eaux minérales. 

Fait à Monpellier, le 18 janvier 17935. Signé de BERNAGE, et 
plus bas : par Monseigneur. GRASSET. 


e 
+ + 


1 y avait à St-Laurent, pendant la seconde moitié du siècle 
dernier, un médecin de la Lozère, appelé Barthélemy Girard, sur 
Jequel l'Appendice à l'histoire de Soulavie contient quelques dé- 
tails intéressants. On y voit, entre autres choses, que ce Girard 
avait écrit un ouvrage sur les eaux de St-Laurent — ouvrage qui 
n'a probablement jamais été imprime, puisqu'il a été impossible 
à l'auteur de l'Appendice d'en retrouver la trace. Girard avait le 
titre d'Intendant des eaux de Bagnols et de St-Laurent. Ses 
lettres vont de 1767 à 1780. Dans une, datée du 8 octobre 1776, il 
écrit de Marvejols qu'il a été surchargé d'occupations pendant les 
trois mois qu il a passés aux bains de Bagnols ou de St-Laurent. 
« Ces derniers, ajoute-t-il, ontété, en général, plus salutaires que 
ceux de Bagnols ; mais il y a eu un monde infini aux uns et aux 
autres. » La même lettre nous apprend qu'il n'a pu se refuser à 
l'empressement de plusieurs personnes de considération qui lui 
ont demandé de faire imprimer pour la saison prochaine ses 
observations sur les eaux de St-Laurent. Ailleurs, l'Appendice dit 
qu'il fit des essais comparatifs des eaux de Bagnols et de St- 


SUR SAÎNT-LAURENT LES BAÎNS 270 


Laurent et qu'il publia sur ce sujet,un mémoire dans les journaux 
de médecine. Girard resta probablement à St-Laurent jusqu'en 
1784, époque où l'administration de ces eaux fut confiée à Rey- 
naud. |] mourut à Mende en 1812. 

L'ancien curé de St-Laurent, M. le chanoine Chenivesse, a 
laissé un gros volume de notes manuscrites sur la région, auquel 
il est souvent fait allusion dans le Voyage autour de Valgorge ; 
C'est à M. Chenivesse que le bourg de St-Laurent doit la recons- 
truction de son église. 

Un passage des procès-verbaux des Etats du Vivarais nous 
apprend qu’en 1776, cette assemblée décida de faireimprimer,aux 
dépens du pays, pour distribuer aux corimunautés, quelques 
ouvrages utiles, parmi lesquels « un ancien traité sur les eaux de 
Vals et de St-Laurent, écrit en 1732 par le sieur Gounin, docteur 
en médecine de Montélimar, afin d'attirer en Vivarais le concours 
d'étrangers dont la réputation et la bonté de ses eaux doivent le 
rendre susceptible. » 

D'autres délibérations tendant à faciliter l'accès de St-Laurent, 
notamment par la construction d'un pont sur Borne, se trouvent 
aux années 1628, 1667, 1668 et 1741. Cette année là, on vota 
l'établissement d’un pont en pierre au lieu d'un pont de bois. En 
1781, on alloua une somme pour le chemin de Chap d'Elbosc 
(Cha del Bos, le sommet du bois), c'est-à-dire la grande descente 
qui se trouve avant d'arriver à la rivière de Borne en venant de 
Montselgues. 

A la session de 1785, les Etats ayant accordé un secours aux 
pauvres de la paroisse de St-Georges (les Bains) et St-Marcel de 
Crussol, et le commissaire principal, M. de la Gorce, ayant fait 
observer que les pauvres, qui se rendent aux eaux de St-Laurent 
mériteraient peut-être aussi les charités de l'assemblée, celle-ci 
délibéra aussitôt de faire remettre 50 livres au curé de St-Laurent, 
« pour être distribuées aux plus indigents des pauvres qui se 
rendront auxdits bains la présente année, sur le certificat du 
médecin des eaux ». | 

Le médecin intendant des eaux de St-Laurent, de 1784 à 1791, 
fut Reynaud, l'auteur du mémoire publié en 1808, (par les soins de 
Boissin, fermier des eaux à cette époque), mais qui avait été lu, 
dés l'année 1792, à l’ancienne Société de médecine. 


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SUR SAINT-LAURENT LES BAINS 281: 


La population de la commune de St-Laurent,qui était d'environ 
650, au commencement du siécle dernier, aprés s'être élevée à 
plus de 8oo vers 1840, est revenue à peu prés à son ancien chiffre 
(697 au recensement de 1896.) 

Le nombre des baigneurs qui viennent chaque été se plonger 
dans ses piscines (car les bains dans des baignoires y sont à peu 
prés inconnus) varie de 600 à 1000. En 1839, il en serait venu 
jusqu'à 2000 ; mais ce chiffre est d'autant plus difficile à admettre 
que même aujourd'hui St-Laurent serait incapable de suffire à une 
pareille affluence de clients. Le chiffre de 800 parait représenter 
la moyenne de ces dernières années. Il y a lieu d'espèrer qu'il 
s'élèvera graduellement, maintenant que le lieu est devenu infini- 
ment plus accessible, grâce au chemin de fer d'Alais à Brioude, 
dont il n'est éloigné, à la gare de la Bastide,que par une distance 
de 8 kilomètres, qu'une belle route permet de franchir en moins 
d'une heure. 


SILVIUS. 


La deuxième gravure de cette Notice, est une note gaie dans 
le grave concert des publications de la Kevue. Elle montrera à nos 
lecteurs que les rhumatismes à St-Laurent les Bains n'excluent 
pas le franc rire et les honnestes plaisanteries, surtout quand, 
parmi les habitués de l'hôtel Bardin, il se trouve un artiste aussi 
habile que M. Bouschet à prendre « la portraicture et la physio- 
gnomie » de chacun. | 


19 


LA 


COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 
DANS L'ANCIEN TEMPS 


(SUITE ET FIN) 


e 
#* + 


La question des casernes est une de celles qui tiennent le plus 
de place dans les délibérations municipales de St-Agrève. En 
1766, on reconnaît la nécessité d'en avoir, tant pour les temps de 
passage que pour la garnison, afin de n'avoir plus à loger les 
soldats chez les particuliers. On espère l'établissement d’une 
ligne d'étapes par St-Agrève. On demande que l'Etat, la province 
et les communautés voisines participent à la dépense. Le premier 
Consul rappelle que les commandants de la province ont jugé à 
propos, depuis 1714, de fixer une garnison à St-Agrève. Sur la 
plainte des troupes logées chez l'habitant, le subdélégué de 
l'Intendant, Robert du Molard, vint sur les lieux et choisit la 
maison qui a depuis servi à cet usage, pour le loyer de laquelle 
on imposa 150 livres par an jusques vers 1740. Ladite . maison. 
étant restée inhabitée quelques années, l'imposition fut réduite à 
100 livres pour une autre maison qui servait d'auxiliaire 
Cette dernière, qui était située dans la grande rue de Lestra et 
appartenait à Me Bollon, fut achetée plus tard au prix de 4.000 
livres, et l'on comptait aménager dans ce bâtiment une salle 
pour les assemblées du conseil et pour les archives. En :769, la 
dépense totale pour les casernes, y compris ces 4 000 livres, est 
évaluée à 30.000. Le Roi accordait 1.000. Les Etats du Vivarais 
en votèrent 6.000. La communauté de St-Agrève décida alors 
de contribner pour 8.000, et vu les avantages de la nouvelle ligne 
d'étapes qu'elle proposait, elle demanda un secours de l'Etat En 
1771, la maison servant de casernes a grand besoin de réparations. 
En 1772, nous trouvons la description détaillée de la caserne 


… 
, 


LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 283 


située dans la grande rue de Lestra, qui a été achetée à M": 
Bollon et l'inventaire de son mobilier. Elle est dans un tel état 
de délabrement que le rapport de l'inspecteur des travaux publics 
du Vivarais, nommé Périolas, propose de la démolir jusqu'à 10 
ou 12 pieds au dessus du niveau du sol. On vote un emprunt de 
200 livres pour cette démolition. Mais, le 16 décembre :773, 
cette maison s'écroule et Brunel de Moze, premier consul maire, 
conseille d'abandonner le projet qu'il croit irréalisable, lors 
même que la communauté y entrerait pour la moitié de la 
dépense (15.000 livres). Le conseil maintient le projet (9 janvier 
17743, mais il dut l'abandonner peu aprés, car, le 10 avril suivant, 
la maison et les matériaux furent mis en vente, et finalement, le 
tout fut acquis par le sieur Lacombe, au prix de 3.000 livres. 


Lo 
2) 


Plusieurs débibérations témoignent des préocuppations du 
conseil au sujet des archives municipales et de son désir d'y 
mettre de l’ordre et d’en assurer la conservation. Celle du 16 mai 
1773 nous apprend que la communauté n'a jamais eu un endroit 
pour mettre ses archives, lesquelles, en conséquence, sont restées 
chez les divers administrateurs et ont passé à leurs héritiers ; 
d'où naturellement est résultée la perte de beaucoup de papiers. 
Il n'y a chez le greffier en exercice aucun ancien cadastre ni 
livret, aucun registre des charges et décharges pour les différentes 
mutations, mais seulement un extrait du nouveau cadastre fait 
en 1636, qui, de même qu'un second extrait existant chez les 
héritiers de M. Bollon du Fraisse, est en assez bon état. Les 
autres papiers de la communauté qui sont au greffe se réduisent 
aux rôles de la taille avec leurs mandes et préambules, à un tome 
des Délibérations et à un registre des évaluations, le tout depuis 
le 14 juillet 1765 date de l'entrée en fonctions du greffier actuel. 
Sans doute le peu de ressources de la communauté, le défaut 
de biens patrimoniaux, sont les causes qu'ils n’y a jamais eu 
d'archives. Mais depuis plusieurs années, on a senti la nécessité 
d'un dépôt de papiers publics, surtout à cause des procés. Le 
projet de construction des casernes faisait espérer qu'on pourrait 
ménager dans ce bâtiment une pièce pour les assemblées du 
conseil et pour les archives. On a vu comment le projet échoua. 


284 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


Un exposé de Brunel d'Arcenesche, fait au conseil le 2 
septembre 1781, montre que la situation ne s’est pas améliorée. 
Le conseil décide de s'adresser à l'Intendant pour faire rentrer 
entre les mains de Garde, greflier en exercice, les titres qui sont 
chez les anciens maires, consuls et grefliers consulaires. D’Arce- 
nesche constate aussi le mauvais état « de ce qu'on appelle 
improprement la maison de ville » : C'est, dit-il, une mauvaise 
maison couverte en paille, composée de deux pièces, dont l’une 
a quatre toises de long sur deux de large, cette dernière occupée 
par les lits et garde-meuble de celui qui l'habite, en sorte qu'il 
ne reste qu'un espace de six pieds. La seconde pièce est une voûte 
de douze pieds de long sur neuf de large. Ladite maison, sans 
aucun meuble appartenant à la communauté, exige une garde- 
robe portative pour y mettre lesdits titres et documents. laquelle 
puisse se transporter aisément le cas échéant. On décide alors 
de prier l'Intendant de permettre à la communauté de faire faire 
cette garde-robe, (ayant cinq pieds de haut sur quatre et demi de 
large et un pied huit pouces de profondeur, afin qu'en cas 
d'incendie, ce petit meuble puisse s'enlever facilement, plus une 
table avec un tiroir et un tapis, laquelle dépense, y compris deux 
serrures et autres ferrures nécessaires, est évaluée par les déli- 
bérans, ayant des artistes parmi eux, économiquement à cent 
dix livres ». | 

On voit, par les détails d'une séance du 1° avril 1782, que la 
dépense s'éleva à cent vingt livres. 

. 

Sur les écoles de St-Agrève, les données sont fort rares pour 
toute la période antérieure au milieu du XVII: siècle. 

Nous n'avons relevé pour le XVIe que deux noms: celui de 
Barthélemy Fabri, recteur d'école, à qui noble Claude Largier, 
seigneur de Chaillans. donne, en 1552, en nouvel acapt et 
emphytéose perpétuelle, une maison à St-Agrève, et celui de 
Jacques Sapet, également recteur d école, qui fait son testament 
en 1575. année d'épidémie. On sait qu'autrefois l'instruction 
primaire était surtout donnée par les curés ou vicaires ; c'est ainsi 
que messire lBernard, qui fut curé en 1764, faisait l'école aux 
enfants, dés l’âge de 17 ans. 


DANS L'ANCIEN TEMPS 285 


Dans un acte du 27 janvier 1767, reçu Desroys notaire, et 
relatif à divers legs.pies de Charles Fay, lequel en avait été 
chargé par son grand oncle, Antoine Fay, nous relevons une 
donation de 188 livres destinée à une institution des « Filles de 
l'instruction ou de St-Joseph (1) » à St-Agrève ; malheureusement, 
par une raison quelconque, les intentions du donateur ne purent 
être réalisées, puisqu'en 1781, le curé Bernard demandait à 
l'évêque l'autorisation d'employer ce legs à d’autres usages. 

Les délibérations municipales nous fournissent sur ce même 
sujet les données suivantes : 

En avril 1771, le conseil se préoccupe de la brutalité du maitre 
d'école Vallet, qui maltraite les petits enfants, et ne donne qu'une 
leçon à ceux qui ne lui payent pas 5 sols outre ses gages. Un 
nommé Roche tient une école et traite beaucoup mieux les 
enfants. Les consuls lui ont enjoint de cesser, mais, sur les 
observations des parents au sujet de Vallet, ils ont toléré l'école 
Roche. 

En février 1779, on voit que la régente de l'école est partie, vu 
l'insuffisance de son traitement (100 livres de gages et 10 livres 
pour le logement). « Sur la représentation de M. le curé au sujet 
de l'ignorance des enfants des familles peu aisées de la commune, 
concernant les premiers principes de la religion, les consuls ont 
écrit à la demoiselle. .. dont la vertu, l'âge et les talents sont 
connus, de venir dans la communauté pour l'instruction des 
jeunes filles. Cette régente est arrivée dimanche. Elle désire 
avoir 200 livres, outre le logement. On demandera l'autorisation 
à !'Intendant. et en attendant, l'assemblée permet « de faire un 
tarif d'une petite somme proportionnée à la faculté de ceux qui 
enverront leurs enfants à l’école de cette régente, pour lui faire 
un chiffre suffisant à son entretien ». 

Une délibération du 31 août 1783 nous apprend que Mathieu 
Blache, marchand, a légué sa maison, rendue logeable par M. 
de Flossac, son héritier, pour l'habitation d’une ou plusieurs 
Sœurs ou filles dévotes chargées d'instruire les jeunes filles. 
Flossac a mieux fait. De concert avec le prieur-curé, M. de 


(1) La congrégation des Sœurs de St-Joseph avait été fondée au Puy en 
1650 ; des la fin du XVII* siècle ces Sœurs avaient des écoles en Vivarais. 


286 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈYE 


Laulanier, il a procuré à la communauté deux Sœurs pieuses et 
instruites qui ont commencé leurs classes le 1°" mai. Ïl faut 
maintenant pourvoir à leur entretien et à celui d'une souillarde 
et d’un second domestique dont elles ont besoin. La communauté 
ne peut disposer que de 110 livres. Le maire (d'Arcenesche) 
propose d'imposer à l'avenir pour cet objet 400 livres (y compris 
les 110), à la charge par les Sœurs d'instruire gratis les enfants 
qui lisent à l'alphabet. et de leur apprendre la prière et le caté- 
chisme accoutumés, sauf à l'Intendant à faire une taxe pour les 
filles qui liront en d’autres livres que l'alphabet et qui recevront 
des leçons d'écriture, ou de laisser cette taxe aux lumiéres et à 
la prudence de l'assemblée. Cette proposition est adoptée 

Le 10 octobre 1784, le maire revient sur la question de l'école 
des filles. Depuis longtemps on imposait à cet effet 110 livres, 
mais c'était insuffisant. Des personnes pieuses parfaisaient le 
nécessaire. Cela a continué jusqu'au 1° juillet 1780. Alors on 
ajouta 40 livres prises dans la bourse de personnes généreuses. 
L'emploi de gérante de l’école a été tenu par une fille plus pieuse 
qu'instruite jusqu'au 1°" mai 1783. Deux sœurs de l'instruction 
chrétienne sont venues alors ouvrir leur classe Le maire refait 
l'éloge de M. de Flossac et du curé qui ont employé une somme 
de 1200 livres pour rendre à peu près logeable la résidence des 
sœurs, cette somme prise en grande partie dans leur bourse, le 
reste venant de la charité des fidèles. Le conseil décide de 
s'adresser à l’intendant pour qu'il autorise la délibération du 31 
août. 

M 

On sait que St-Agrève dépendait judiciairement du Velay. En 
1769, la nouvelle de la suppression du Présidial du Puy et de sa 
réunion à celui de Nimes, fut l'occasion pour la municipalité de 
St-Agrève d'un éloge de la cour du Puy. Le consul Choisin 
convoqua l'assemblée générale des habitants pour lui faire part 
d'un « événement si contraire et si préjudiciable à cette partie du 
Vivarais et en particulier à St-Agrève. Le zèle, dit-il, et l'appli- 
cation continuelle de MM les officiers à maintenir le bon ordre 
et la sûreté publique dans cette partie du Vivarais, par des 
exemples de sévérité toujours propres à intimider les coupables 


DANS L'ANCIEN TEMPS .: 287 


et contenir les malintentionnés, ont ramené dans cette partie la 
tranquillité que les malheurs du temps avaient souvent troublée, 
en sorte que les crimes graves, dont plusieurs parties du Vivarais 
retentissaient, y étaient devenus bien moins fréquents, et s'il 
arrivait de temps à autre quelque crime,on était bien assuré d'en 
voir suivre de près la punition. Leur présence sur les lieux 
amenait la confiance publique et contenait tout le monde. Quelle 
que soit, au contraire, la bonne volonté de MM. les officiers du 
présidial de Nîmes, leur administration en deviendra bien plus 
difficile et plus dispendieuse pour les parties, etc... » 

L'assemblée décida de joindre ses respectueuses représentations 
sur ce sujet à celles des pays de Vivarais et de Velay. 

ll paraît que la sécurité publique à St-Agréve laissait encore 
beaucoup à désirer en 1781. 

Le 4 février de cette année, le maire expose que, depuis longues 
années, il n'y a aucune police dans la communauté. Il cite des 
faits de vol, de désordre et d'insolence,caractéristiques du temps 
et du lieu, par suite’de quoi il a demandé à l’Intendant d'envoyer 
à St-Agréve un détachement de dix hommes à pied, offrant de 
les loger. 

En 1771, la Communauté de St-Agrvève appuya Ja demande 
de la ville du Puy pour l'établissement au Puy d'une juridiction 
de « Bourse commune des marchés ou tribunal » (un tribunal de 
commerce sans doute) qui dispenserait d'aller à Montpellier. 

Les communications avec le Puy étaient cependant assez 
difficiles. Une pièce de 1767 constate que l'éloignement des 
bureaux de poste et le refus fait à la communauté d'avoir un 
messager pour porter les lettres au plus prochain bureau, ren- 
daient l'envoi des papiers d’affaires trés dispendieux, « attendu 
que les intéressés sont souvent obligés de les porter eux-mêmes 
au Puy ». ' 

En 1777, on fit des démarches pour avoir un bureau de poste 
à St-Agréve. La communauté offrit d'entrer pour 200 livres dans 
les frais d'un messager qui porterait le paquet au Puy. 

to 

Les relations entre la municipalité et l'autorité ecclésiastique 

Paraissent avoir été généralement bonnes, sauf au siècle dernier 


288 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


quelques exceptions où il faut voir simplement la preuve que les 
petites ambitions, rancunes et rivalités locales, inséparables de 
toute société humaine, jouaient leur rôle à St-Agrève comme 
ailleurs. 

Notons, à ce propos, que le plus ancien curé du lieu, dont le 
nom nous soit parvenu, s'appelait Martin de Roveria. Son 
existence nous est révélée par une transaction en latin du XV: 
siècle dont nous aurons à parler plus loin. 

Aux siécles suivants, nous trouvons : 

Jacques Boyer, syndic de la communauté des prêtres de 
St-Agrève, en 1542 ; 

Astier, avec la même qualité, en 1559 : 

Boyer, curé de 1567 à 1583 ; 

Gontard, vers la fin du XVI siècle : 

François Serres, 1623 à 1640 : 

Trescartes, 1640 à 1642 ;: 

Pierre Testud, 1642 à 1686 ; 

Jean Chambe, 1686 à 1699 : 

Dubessé, 1699 à 1704 ; | 

Deidier et Avon, curés commis, 1704 à 1507 ; 

Cyprien Roux, 1708 ; 

Joseph Amalric, 1709 ; 

François Camier, 1709. 

Ici nous avons deux pièces qui jettent une certaine lueur sur 
les conditions et les ressources du bénéfice curial de St-Agrève ; 
la première est la démission motivée d'Amalric et la seconde, la 
nomination de son successeur. 

Le 16 février 1709, à Rochepaule, dans la maison prieurale, 
Amalric. prètre, docteur en l'un et l'autre droit, prieur de 
Roqueserre, au diocèse d'Apt, et pourvu de la cure de ladite 
ville et paroisse de St-Agrève — par devant Jean Christophe 
Raymondon, notaire de St-Agrève, - et en présence de Louis 
Benoit, syndic des Minimes de Roussillon, prieurs et seigneurs 
de Rochepaule, et en cette qualité curés primitifs de ladite ville 
et paroisse de St-Agrève, 

Expose qu'étant pourvu dudit bénéfice de curé, en conséquence 
de la résignation de M. Cyprien Roux, il en avait pris possession 
depuis le commencement de cette année. Mais, averti que ledit 


bénéfice est extraordinairement chargé de décimeset du payerent 
des vicaires nécessaires pour le service divin, dont il est même 


DANS L'ANCIEN TEMPS 289 


dû de gros arrérages, en sorte que, loin qu'il y ait de quoi 
subvenir à sa subsistance, les revenus demeurent insuflisants 
pour le payement desdites charges ordinaires, attendu que les 
revenus ont été réduits par certaines anciennes transactions à 
une modique portion de dixmes à la gerbe de ladite paroisse, 
dont le service est pourtant très pénible, soit par la vaste étendue 
d'icelle que par le grand nombre de communiants et habitants 
qui la composent, et qu'on ne saurait se passer au moins de 
deux vicaires, 

Vu les Edits du Roi qui permettent d'opter et de se réduire à 
la porn congrue, | 

| déclare qu'il n'a perçu aucun revenu dudit bénéfice, qu'il 
n'entend payer aucun arrérage des charges du passé, qu'il fait 
entier abandon de toutes les dimes de ladite paroisse et autres 
droits concernant le prieuré d'icelle et qu'il se réduit à la portion 
congrue, sans préjudice des droits de novales qu’il est en droit 
d'exiger, verrouil et casuel de l’église, et autres droits attribués 
à ladite cure ; Sommant le syndic des Minimes d'accepter. 

Celui-ci demande un délai pour répondre. 

Le 22 juin 17c0, les Péres Minimes de Roussillon réunis — 
Etant informés que le sieur Pierre Joseph Amalric, curé de 
St-Agrève, a fait démission pure et simple de cette cure entre 
les mains de l'évêque de Viviers — informés des bonne vie, 
mœurs et capacité de François Camier, prêtre du diocése de 
Vienne, l'ont nommé et présenté à l'évêque de Viviers pour 
recteur et curé de ladite cure de St-Agrève et ses dépendances 
— Requérant l'évêque lui accorder ses lettres de provision et 
institution. 


Fait au couvent de Minimes de Roussillon le 22 juin. 


La pauvreté de la cure de St-Agréve est implicitement confirmée 
par les données que nous fournit un feuiiiet détaché d'un ancien 
compois, sur les contributions, se rattachant plus ou moins au 
culte, qui étaient levées autrefois dans la paroisse de St-Agrève. 
I résulte, en effet, de cette pièce : 


Que la fabrique de l'église paroissiale percevait dans les deux 
parcelles de Freycenet et Chavagnac les trois quarts des dimes 
dont le produit était destiné pour la réparation de l'église, les 
gages du campanier et l'huile de la lampe ; 


Que le recteur de la chapelle de Lestra, « à raison de la retarde 
et hospitalité », percevait des rentes en directe au bourg de 
Lestra, au Pontet et à la Roche, avec droit de dimes à la Roche ; 


Que le commandeur de Devesset exigeait annuellement des 


290 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


rentes ou directes tant à la Chapelle, Chomette, les Chabannes, 
Lacour, qu'à St-Agrève (1) ; 

Que les Jésuites du Puy, à raison de leur prieuré de Macheville, 
y percevaient aussi des rentes « de très petite considération » ; 

Enfin que le chapitre de N. Du Puy percevait des rentes à 
Malleval, Chomette et le bourg de Lestra, outre d'autres rentes 
en paréage avec les hoirs de Maisonseule au village de Chavagnac, 
en raison du terroir de la Rassayre. 

La période la plus orageuse des relations entre la cure et la 
municipalité fut celle qui suivit la retraite de Camier. Celui-ci, 
ayant résigné, en 1752, son bénéfice en faveur de Claude Brunel, 
une guerre acharnée fut engagée contre le nouveau curé par les 
grosses influences du lieu, à la tête desquelles était son propre 
cousin germain, Bollon, juge, maire et recteur de la confrérie 
des Pénitents. Autant qu'on peut en juger par les documents 
existants, il y aurait eu des torts réciproques. En tout cas, le 
curé Brunel avait à faire à trop forte partie, et dés l'année 1756, 
ses adversaires obtenaient contre lui une lettre de cachet qui le 
condamnait à s'éloigner de St-Agréve. à une distance de trente 
lieues au moins. En 1764, Brunel se décida à résigner sa cure en 
faveur de son ancien vicaire Alexis Bernard, moyennant une 
pension viagère de 430 livres, qui, d'ailleurs, ne Jui fut pas 
longtemps payée, comme étant hors de proportion avec les 
revenus de la cure. Aussi voyons-nous bientôt son successeur 
offrir de lui abandonner, en échange de la pension, le tiers du 
revenu de son bénéfice. Brunel était devenu, dans l'intervalle, 
curé de Bonzi, au diocèse d'Orléans. Son procés avec la cure de 
St-Agrève n'était pas encore terminé en 1790, et ce fut consé= 
quemment ce terrible juge qu'on appelle la Révolution qui le 
trancha en dernier ressort. 

A cette période, c'est-à-dire à l'époque du départ du curé 
Brunel (1754) se rapporte évidemment le mémoire ci-après qui 
contient d'intéressantes particularités sur l'ancienne Confrérie 
du Saint-Sacrement à St-Agrève : 


(1) On a vu, au praçès-verbal de la visite canonique de 1583, que le curé 
d'alors évaluait le revenu de la cure à $8o cestiers de blé, dont le commandeur 


de Devesset prenait la moitié. 


DANS L'ANCIEN TEMPS 291 


Il existe de temps immémorial dans la petite ville de St-Agréve 
dans le haut Vivarais une confrerie de Péninets spécialement 
consacrée au culte du Saint-Sacrement. Cette confrérie a joui 
dans le XVe siècle d'une réputation peu commune. Elle a vu 
environ cent dix paroisses affiliées à ses statuts. Elle comptait 
parmi ses confrères, au nombre de plus de 500. au moins quarante 
personnes de la plus haute noblesse du pays tels que des comtes 
de Tournon, de Vissac, des évêques de Valence, des comtes 
d'Annonay, des Corsac, des Chateauneuf et autres. Il n'est pas 
douteux que son lustre n’eût subsisté jusques à présent sans Îles 
guerres civiles dont St-Agrève a été la proye, pris et repris par 
les partis différents ; elle fut brulée et saccagée pour la seconde 
fois en 1580, et les protestants devenus les maîtres s’attachérent 
particuliérement à détruire cette confrérie. Ce ne fut que plusieurs 
années aprés qu'elle fut reproduite par M. Chomier. de Mars. 
Depuis cette seconde époque, elle n'a pu acquérir ce premier 
lustie, parcequ'elle n’a existé que précairement, et toujours sous 
l'arbitraire des différents évèques et curés, dont les uns ont tâché 
de la relever, d'autres de l'abolir. Malgré tant de vicissitudes 
cependant. elle semble n'attendre qu'une existence légale qui, 
en fixant ses fondements, puisse attirer cette foule de confrères 
prêts à se dévouer au culte des autels, en réparant autant qu'il 
est en son pouvoir les profanations du calvinisme très nombreux 
en cette partie. 

Toute confrérie, pour exister légalement, doit être fondée sur 
des lettres patentes dûment enregistrées, ou du moins avoir une 
antiquité qui la mette à l'abri de toutes recherches. Telle est la 
disposition de l’Edit de 1749 qui, renouvelant les anciennes 
ordonnances, supprime les confréries établies depuis trente 
années antérieures à 1666 et toutes celles qui le seront postérieu- 
rement sans l'agrément du Roy. Telles étoient les dispositions 
de la Déclaration du 7 janvier 1659. 

Il est question dans ce moment de déterminer si la confrérie 
de St-Agrève peut exister légalement par son antiquité sans 
avoir besoin de lettres patentes. Il semble, pour déterminer 
l'affirmative, qu'il suffit d'établir que trente ans avant 1666 elle 
était reconnue publiquement, que si pendant quelques années 
les fureurs du fanatisme l'avaient tenue dans le néant, ces guerres 
civiles n'avaient pu détruire letitre constitutif de son établissement. 
Ce titre, à la vérité, n'a pu parvenir jusques à nous. Il a péri avec 
d'autres documents essentiels. Il était réservé à notre siècle de 
retrouver, dans les archives d'une auguste maison, un titre qui 
semble équipoller à tout ce qu'on peut désirer en ce genre. C’est 
un registre écrit en latin, contenant environ 156 feuillets, dont 
quelques uns ont été mangés par la poussière et les vers, cepen- 
dant dont la plus grande partie existe en bon état. 

Ce livre ou registre est intitulé : 


Hic liber est papyrus sanclæ et devotæ Confratriæ... quæ fut 
fundata ad honorem et veverentiam sanctissimi corporis Domini 


2092 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


nosirs Jesu Christi el quæ annalim fil et est fieri solito in loco 
præœdiclo Sancti Agripan: duranlibus diebus marlis, a primis vespris 
immediale posl diem jovis quiä portalur per mireram chrislianitalem 
corpus ejusdem domint nosirs Jesu Christ el solemnitalur 1psa 
con/fralr:a ifsa die martis el mercuri incefplum. … ét die sejuentt 
usque an secundas vesperas diclæ dier quä die jovis parlatur 
solemniler corpus ejusdem domini nostri Jesu Chrisii personaliter 
cum nr reverentia et exullalione — El hic papyrus fuit in ceplus 
per me Bernardum Éscofierié, notarium regium, jurium bacalaureum 
loci Sanchi Agripant ipsius que Confratriæ Scribens el secretarius 
anno Domint 1556 et die 6 mcusis junit. 

Ensuite la première phrase de chacun des quatre Évangiles. 

À la seconde page : J'abula parocchiarum. 

À la sixième page : Nomina nobilium confraltrium, etc. 

Et au feuillet 32 est écrit : 


Receplio novorum confratrium confratriæ sanclissimi corporis 
domint nostri J. C. quæ aunis singulrs fil in loco Sanéli Agripaniin 
orationt bus jejunris ex ceplisin prima die marlis hora vesperarum.….. 
…... in loco diclo anno 1556. 


Et au feuillet 66 est érit : 


Receptiones novorum confralrium venerabilis ac devolæ confratriæ 
Vanclissimi corporis domini nostri Jesu Christ qui fuerunt recepti 
fer dominum Palrum de Valleta locotenentem domint prioris 
ejusdum devotæ Confratriæ dicto anno Domaint 1555. 


Tout le surplus de ce registre contient ou des réceptions ou 
des nominations d'ofliciers ou des redditions de comptes ou des 
fondations ou des inventaires, le tout écrit et signé à chaque 
séance par les notaires royaux de ce temps là et les mêmes qu'on 
connait encore aujourd hui. 

Depuis 1711, époque de l'incendie de la sacristie et de tous les 
titres, cette même confrérie a tenu un registre des réceptions, 
nominations d'ofliciers, jusques à présent, dans lequel on trouve 
deux règlements : le premier fait le # novembre 1712 par M. 
Massilian, vicaire général ofhcial de l'évèque de Viviers dans 
son cours de visite et mission de ladite année ; le second ce 6 
juin 1754 par M. de Mons évéque de Viviers dans sa mission 
et cours de visite confirmé par les statuts de ladite confrérie et 
en adjoute des nouveaux. 


Voici un bref aperçu des incidents auxquels, donnérent lieu 
pendant la seconde moitié du xvui siècle, les affaires de l'église 
dans les délibérations municipales de St-Agrève 

Le 29 juillet 1766, le conseil prend une délibération contre les 
prieurs décimateurs de St-Agrève, en vue d'avoir deux vicaires. 
L'acte rappelle qu'en 1:52. l'évêque de Viviers décida qu'à 
l'avenir, pour desservir la ville et les hameaux environnants, il 


DANS L'ANCIEN TEMPS 293 


y aurait deux vicaires, outre le curé et le vicaire existant, et qu'à 
chacun d'eux il serait payé 150 livres ; mais qu'on établit seule- 
ment un second vicaire pour le payement duquel il fut élevé 
plusieurs contestations contre les décimateurs. La cause fut 
portée au Parlement de Toulouse, et il y fut rendu « un arrêt 
sur soit montré », à la requête des syndics et de messire Alexis 
Bernard, second vicaire. Brunel, le curé d'alors, fut condamné à 
payer le second vicaire et, en exécution de l'arrêt, Bernard 
desservit alors la paroisse, conjointement avec le curé et le 
premfer vicaire. Or, en juillet 1764, Brunel ayant résigné son 
bénéfice en faveur de Bernard, le second vicaire s'est trouvé 
supprimé, et la paroisse n'est plus desservie que par le curé et 
par un seul vicaire. 


L'assemblée nomme deux syndics {(Bollon du Fraysse et Testud) 
pour agir auprès de l'évêque. 

Le 3 août, Testud expose que Bernard a protesté contre la 
précédente délibération déclarant les faits hasardés et menaçant 
de poursuivre. ]l demande à étre remplacé dans ses fonctions de 
consul, attendu qu'il a fait l'exercice pendant plus d’une année. 

L'assemblée confirme sa précédente délibération au sujet du 
vicaire et refuse de laisser partir Testud, dont elle reconnaît le 
zèle. 

Le 30 octobre 1770, le maire Brunel d'Arcenesche expose que, 
par son testament de mars 1769, dame Brunel, épouse du sieur 
Bainon, a institué Bainon son héritier, à la charge de payer un 
legs de 900 livres aux pauvres de St-Agrève. Mais Bainon ne pos- 
sède aucun bien dans la commune et pourrait tout dissiper. Il y a 
donc des précautions à prendre. Il a fait inviter le curé à venir à 
l'assemblée, comme intérressé dans la question. Il propose de 
créer un bureau, qui veillerait dorénavant aux intérêts des pauvres 
et à la conservation des legs pies. L'assemblée adhère et nomme 
ce bureau qui est composé des curé, juge, consuls et de MM. du 
Grail et Testud, médecin. Ce bureau choisit pour syndic et 
trésorier le prieur-curé Bernard. 

Le 2 avril 1771, les vicaires demandent une augmentation de 
traitement pour leur loyer. On constate, d'autre part, l'urgence 
de réparations au clocher et le mauvais état des poutres où les 


294 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


cloches sont suspendues. L'horloge a aussi besoin d'être réparée. 
Le maire signale l'insolence de Courtial, marchand, qui, malgré 
les consuls, maintient un banc au devant de la croix de la place, 
_« et dont les jactances laisseroient croire aux consuls que les 
personnes qui par leur état doivent les aider à maintenir l'ordre 
et la discipline politique, tâchent sous main de sy opposer » ; 
allusion visant évidemment le juge ou le seigneur, dont Courtial 
est le fermier. 

À propos d'une requête du curé Bernard demandant des 
réparations au presbytère, le maire d'Arcenesche fait observer 
que cette requête est de la main du clerc de Pierre Testud, pre- 
mier conseiller politique, et en prend occasion de reprocher à 
Testud d'agir en faveur du curé,contre les intérêts de la commu- 
nauté (27 décembre 1771). 

L'affaire revient le 6 septembre 1772. Le curé demande non 
seulement des réparations au presbytère, mais encore la recons- 
truction d'une grange et écurie servant autrefois à ses prédéces- 
seurs. On répond que cette grange a dépéri par la faute du curé 
Camier qui, de plus, en a laissé égarer les matériaux, et qu'il fut 
actionné pour cela au Puy, où l'instance fut reprise en 1752 avec 
le sieur Brunel son régignataire. L'assemblée autorise le consu 
à se transporter au Puy pour voir les pièces du procès. 


Le 14 mai 17575, le maire d'Arcenesche se plaint que le curé 
envoie trop facilement les vicaires suppléer les curés absents 
de St-Romain le Désert et de Devesset, privant ainsi les 
habitants de St-Agrève des messes nécessaires. Il rappelle l'or- 
donnance épiscopale de 1766. L'assemblée lui donne raison et 
nomme de nouveaux svndics (Moze et d’Arcenesche) pour tenir 
la main à l'exécution de l'ordonnance épiscopale et obliger le 
curé à ne pas priver les habitants des messes qui se disent 
ordinairement, particuliérement les dimanches et fêtes. 

Le 10 décembre suivant. d'Arcenesche exprime le regret public 
du départ du vicaire Dubessé dont il fait grand éloge, et on 
décide de prier l'évêque de le laisser à St-Agrève. 

En mai 1777, Choisin se charge des réparations de la maison 
curiale, moyennant 8solivres. 

Une délibération de 178: nous fournit d'intéressants détails 


DANS L'ANCIEN TEMPS 208 


sur la question des bancs de l'église. Le maire dit qu'avant la 
visite pastorale de Msgr de Mons en 1754, les bancs des différents 
particuliers dans l’église étaient adossés aux murs de chaque 
côté. L'évèque les fit placer sur deux files dans le milieu de la 
nef, pour laisser le passage libre de chaque côté. Il y avait quatre 
chapelles à côté des murs, savoir : du côté de l'Evangile, celles 
du seigneur et du sieur du Grail ; et du côté de l’Epitre, celles 
de MM. Bollon et Moze. Le banc Bollon était entièrement placé 
dans la nef en dehors de la chapelle ; l'évêque le fit reculer dans 
la chapelle ; mais, aprés son départ, Bollon le remit à sa première 
place. À cette époque, du Grail établit un banc qui servait de 
cloture à sa chapelle, sauf un passage pour aller au clocher, dont 
la porte est dans cette chapelle (1) ; mais il suivit l'exemple de 
Bollon, et avança son banc enentier dans la nef. Marson fit 
construire un banc à côté de celui de du Grail. A l’arrivée de 
Msgr de Savines, Bollon et du Grail ont retiré leurs bancs dans 
leurs chapelles et toutes les cérémonies se sont accomplies sans 
gêne, mais à son départ, tous les bancs sont ressortis. Le maire 
conclut qu'il faut avertir les particuliers de rentrer dans l'ordre. 

Le 2 avril 1782, le vicaire Martin expose le mauvais état de 
l'église : vitres brisées, confessionnaux pourris, degrés de la 
chaire hors de service, etc. 

La reconstruction et réparation de l'église paroissiale, eut lieu 
en 1784, sous la direction de Portal, architecte du Puy. Les 
travaux furent adjugés à deux entrepreneurs, Sovignetet Raynaud, 
au prix de 6,350 livres, avec autorisation de faire des fouilles à 
leurs frais dans les fossés et dans les combles du château de St- 
Agrève, pour en retirer toutes les pierres qui pourraient leur être 
nécessaires. Pendant ces travaux, le service du culte fut trans- 
féré provisoirement à la chapelle de N. D. de Lestra, où l'on 
avait fait préalablement quelques réparations indispensables qui 
coûtèrent 120 livres. 

La question des vicaires n'était pas encore épuisée à la veiile 
de la Révolution. Le consul Dufour en fit, le 1°" janvier 1787, un 
exposé au conseil qui mérite d'être signalé. Après avoir rappelé 
la résignation de Camier en faveur de Brunel et la nomination 


(1) En 1785, la communauté revendiqua cette chapelle comme lui appartenant. 


296 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


de Bernard, donné pour vicaire à ce dernier, il dit que ces deux 
prêtres, amis dés leur jeunesse, desservirent la paroise dans une ‘ 
union edifiante. Il y avait encore M. Laurent, prêtre habitué, 
donnant une troisième messe. L'ex-curé Camier célébrait souvent 
aussi la messe. C’est pourquoi on ne poursuivit pas la demande 
de nomination d'un troisième vicaire. Mais Bernard, au bout 
d'un certain temps, trouva le service de la communauté trop 
pénible pour deux prêtres, et on obtint un troisième prêtre. 
Brunel quitta la paroisse en 1754, et Bernard fut nommé curé 
commis. Il fut secondé par deux autres prêtres et reconnut qu'un 
quatrième était nécessaire. Après la résignation de Brunel, 
Bernard changea d'avis et ne parla plus de la nécessité d’un autre 
prêtre. Comme il n'y en avait que deux, beaucoup d'habitants, 
surtout de la campagne, étaient obligés de manquer la messe. 
C'est alors qu'eut lieu la délibération de 1766. Lors de la visite 
de l'évêque, il y a trois ans, on fit des représentations, et l'évêque 
convint que la seconde messe devait être célébrée les fêtes et 
dimanches à Lestra, depuis la Toussaint jusqu’à Pâques. Le curé 
s'est conformé seulement une année à l'ordre de l'évêque. Peu 
importe au curé les dangers de la descente de Lestra en hiver. 
On voit les gens descendre leurs sabots à la main, une bise 
impétueuse empêchant de marcher, la glace exposant à des 
chutes dangereuses.Hier,la mère de M.de Laulanier,qui est âgée, 
monte à la seconde messe appuyée au bras de sa servante « et 
fut forcée de glisser sur son derrière en descendant ». Il faut 
demander à l évêque d'ordonner que tous les dimanches et jours 
de fête, la seconde messe soit toujours célébrée à Lestra, de la 
Toussaint à Pâques. 

Adopté. 

Une note du procureur Champavère (géométre)dit que, s'il eût 
été présent, il eut fait les mêmes réquisitions que Dufour. 

L'évèque répond, le 12 janvier, en accédant au vœu de la 
communauté. 

Il est probable que cet incident avait des dessous injurieux 
pour le curé, plus ou moins imputables à d'Arcenesche, car le 
16 janvier, il fut la cause ou le prétexte d'insultes graves faites au 
maire par le frère du curé, Claude Lemègre de la Chazotte de 


DANS L'ANCIBN TBMPS 207 


Laulanier, et il parait avoir contribué à la retraite du maire 
survenue quelque temps après. 


e 
# « 


Nous ne dirons que peu de mots de l'époque de la Révolution, 
sur laquelle les documents municipaux manquent, mais qu'on 
sait s'être passée dans la région sans évènement grave — nous 
bornant à indiquer les faits saillants. 

Le 16 mars 1789, la communauté de St-Agrève {avec celles de 
Devesset, St-André-des-Effangeas, St-Romain-le-Désert et 
St-Jean-Roure) prend une délibération pour joindre ses cahiers 
de doléances à ceux du Vivarais. faisant observer qu'elle est du 
Vivarais, quoique réunie à la sénéchaussée du Puy : ce qui avait 
eu lieu à cause de la réunion du Vivarais à la sénéchaussée de 
Nimes, mais ce qui n'avait plus de raison d’être depuis qu'il y 
avait une sénéchaussée â Annonay. 

Toutes ces communautés adhérent aux délibérations de 
l'assemblée des trois ordres tenue à Annonay en octobre 1788. 

Le 26 juillet suivant, le conseil prend une délibération pour 
former une garde bourgeoise, à l’exemple d'Annonay et autres 
villes, vu l'importance du lieu de St-Agréve, « où les grandes 
routes, les foires et marchés semblent amener les vagabonds et 
gens sans aveu et qui pourraient se porter à y commettre des 
excès ». Cette garde se compose de deux compagnies, la premiére 
sous le commandement de M. de Laulanier, avec le chevalier du 
Grail pour lieutenant, et la seconde, de M. de Moze, avecM. 
de la Chazotte pour lieutenant. 

Le 30 novembre 1789, des délégués du Puy arrivent. M. de la 
Tour Maubourg a annoncé l'établissement d'un département et 
d'une cour souveraine au Puy. On voudrait que St-Agrève 
exprimât le vœu d'en faire partie. 

Un membre fait observer que, dans l'incertitude actuelle, il 
conviendrait que St-Agrève renouvelât son vœu de ne pas se 
Séparer du haut Vivarais sa mère patrie, si ellea l'avantage de 
réunir dans son sein un département ; dans le cas contraire, on 
réclamerait la réunion au Velay, tant pour l'administration 
publique que pour l'établissement d’une cour souveraine. 


L'assemblée adhère. 
20 


298 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


Les Délibérations municipales de St-Agrève mentionnent un 
mémoire du 2 novembre de cette année sur le même sujet. La 
question fut traitée dans le conseil municipal, et voici un aperçu 
du discours principal qui fut prononcé : 

St-Agrève a demandé d'être distrait de la sénéchaussée du 
Velay pour dépendre de celle établie à Annonay dans le haut 
Vivarais notre patrie, et c'est là le motif de sa demande dans ses 
cahiers de doléances. Mais, dès qu'on va faire 80 ou 85 départe- 
ments, il paraît indubitable que le Puy auraune cour souveraine. 
Il paraît, d'ailleurs, que le haut Vivarais convient à la cour du 
Velay. En raisonnant sur cette hypothèse [les limites de cette 
cour allant jusqu'à l'Eysse et l'Erieux), l’orateur demande la 
création de districts ou cours primaires à Craponne, Montfaucon, 
Annonay, Vernoux, St-Agrève. Et il s'étend longuement sur les 
avantages de la situation de St-Agréve, dont le district compren- 
drait : le Pouzat, les Nonnières, St-Julien-Labrousse, Mounens, 
St-Basile, Macheville, Desaignes, St-Prix, Nozières, la Farre, 
Rochepaule, St-Jeure et la Bâtie-d'Andaure etc. (en tout 31 
paroisses). | 

On décide d'envoyer un extrait de cette séance au comité de 
constitution judiciaire et aux députés du haut Vivarais et du 
Velay. 

Le 12 février 1790, la municipalité de StéAgrève entend la 
lecture d'une délibération d'Annonay du s février, remise par 
Malleval. « Lorsque nous avonsconsenti à nous séparer du Velay 
et à demander notre réunion au Vivarais notre mère palrie, c'était 
dans l'espoir de nous rapprocher des tribunaux, mais si les 
départements sont placés dans le bas Vivarais, comme nous en 
sommes menacés, nous nous serions éloignés de notre but. La 
ville d'Annonay a toujours été l'objet de nos vœux, parce que le 
véritable pointcentral estcelui où concourent toutes les ressources 
pour former le siège des départements de la justice et des admi- 
nistrations. Le commerce de la ville d'Annonay a toujours attiré 
à elle les autres parties de la province. Par cette raison, toutes 
les oppositions doivent cesser et nous adhérons à la délibération 
de la ville d'Annonay. 

Signés : de Laulanier. Armand. Bollon. de Talode du Grail. 


DANS L'ANCIEN TEMPS 299 


Crouzet. Fargier. Testud. Choizin consul. Riou. Champavère, 
1‘ secrétaire du comité. Chalaye. Chambonas. Desroys. Ruel. 
Le chevalier de Talode. Teissier. Crouzet, avocat en Parlement. 
Julien de Baumes. 
Ainsi arrêté devant nous, 
= Flossac, maire présidial, 
Garde, secrétaire greffier. 


La lettre suivante de M. Vernet, par laquelle nous terminerons 
ce chapitre, semble indiquer que le service religieux n'a jamais 
cessé complètement à St-Agrève pendant la Révolution, et comme 
ii n'y eut pas, que nous sachions, d'arrestation de prêtre dans la 
région, le fait est tout à l'honneur, non seulement des catholiques, 
mais aussi de la population protestante qui se montra ainsi plus 
libérale et plus véritablement républicaine que le gouvernement 
d'alors. 


Au citoyen curé à St-Agrève 
| 25 octobre 1796 

Peut-être M. Lancel n'est-il plus à St- Agrève, parce qu'on 
m'a dit qu'il était rappelé par ses grands vicaires du Puy. Je 
l'invite à retourner dans son diocése, et je lui laisse quinze jours 
après la réception de ma lettre, après lequel temps ses pouvoirs 
seront expirés. 

C'est un monsieur bien respectable et qui mérite toutes sortes 
d'égards. Je ne doute point de vos sentiments vis à vis de lui, et 
:e suis persuadé que vous vous quitterez bons amis. 

Je ne sais encore comment je m'arrangerai pour M. Testud. Je 
le prie, en attendant, de vous servir de second et de vous aider 
autant qu'il pourra pour les confessions. Je connais son zéle et 
je ne doute pas qu'il ne s'y prête avecla meilleure volonté, si 
vous voulez bien l'en prier de ma part. Il vous faut ménager 
votre santé ; vous succomberiez sous le travail. 

Nous verrons ensuite s'il y a moyen de vous donner un vicaire 
convenable. Je m'en occupe, et M. de Besses voudra bien 
combiner tout cela dans une tournée qu'il va faire du côté du 
Cheylard. | 

Je suis très respectueusement 
Monsieur 
votre très humble et trés obéissant serviteur 
MonTaL(1) 


M. Combelle, qui succéda à M. de Laulanicr en 1814, a 
desservi la paroisse de St-Agrève pendant 37 ans. Il mourut le 


(1) Pseudonyme habituel de M. Vernet pendant la Révolution. 


300 LA COMMUNAUTÉ DE ST-AGRÈVE 


11 juillet 1852. M. Barrial, nommé à sa place le 1°" octobre 
suivant, a rempli les mêmes fonctions pendant 48 ans. Tous deux 
ont laissé mémoire universellement vénérée dans le pays. Le 
curé actuel, M. Odde, a été nommé en 1899, après la mort de M. 
Barrial. 


A. MAZON. 


LA 


TOUR OÙ CLOCHER 
DE VIVIERS 


(Surre III) 


Signes. Le lecteur a certainement remarqué, dans la 2° gra- 
vure, l'existence de plusieurs signes religieux. Et d'abord, au 
commencement de la 6° ligne, la croix, une croix grecque précédée 
d'un S, S+. A la suite, sur la même ligne, un oméga majuscule, 
orné à son ouverture d'un petit x ou croix de St-André, le ch: des 
grecs, précédé et suivi de lettres probablement significatives : 
SISRS et TSPIS (1). 

Quatre autres petites croix, du même genre que la derniére, se 
voient aux lignes 7°, 9° et 10‘. Nous appelons particulièrement 
l'attention sur celle de la 10° ligne. Elle correspond à une colom- 
be qui se tourne vers elle après les deux lettres qui les séparent. 
On a pu voir enfin neuf fois le tau symbolique (T}) qui, des 
quatre genres de croix connues en iconographie, est celle qu'on 


(1) La lettre T, initiale de Jésus, figure deux fois ici, avant ou après le S. 
C'est involontairement qu'elle a été omise la première fois dans le dessin. 


LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 301 


nomme « la croix sans sommet » (Didron). La lettre T, dit St- 
Jérome, est le signe de la croix et du salut, Tau littera signum 
salutis el crucis. Tantôt il est précédé ou suivi d'une S, comme à 
la neuvième ligne, Sr, TS, tantôt seul ou au nombre de deux, 
trois. 

Voilà pour le côté septentrional. Les autres côtés ne sont pas 
tous privés de signes ou symboles religieux. Ainsi, à celui de: 
l'est figurent et une autre croix grecque au milieu de la ligne 13° 
et une croix latine renversée au commencement de la 10°. 
Pareillement la croix de St-André a été tracée au couchant et au 
nord-est. 

Enfin, sur la face qui surmonte l'attribut de St-Luc, on peut 
voir le monogramme du Christ, formé du chi (X) et du rho(P) 
grecs, premières lettres du mot XPisros. Le P coupe verticale- 
ment l’X au point où les deux branches se croisent : Ÿ- Nous ne 
l'avions pas encore aperçu à notre vingtième visite. Il est tourné 
de bas en haut, comme le sont beaucoup de lettres et certains 
noms. Au dessous de ce monogramme, l'A est gravé jusqu'à 
huit fois sur les assises ; quatre sont droits et quatre entièrement 
renversés. 

Sur la même ligne et sur une même pierre est ainsi gravé le 
premier mot de l'oraison dominicale : PA 

TER 

Letires Alphabétiques et Sigles. (Note F). — Les lettres en 
général qui sont tracées en creux, dans l'épaisseur des pierres de 
l'intérieur du dôme, sont très nombreuses. Sur le côté nord 
seulement on en compte cent soixante et onze (Note C). 

Dans ces lettres, si l’on excepte celles qui composent un nom, 
certaines personnes ne veulent voir que des marques de {âcherons, 
Où tailleurs de pierre à la tâche, de simples lettres tirées de l'al- 
phabet, auxquelles ne se rattacherait d’ailleurs aucun sens parti- 
culier, des lettres mueltes en un mot. On trouve des lettres de ce 
&enre sur le vieux mur méridional extérieur de notre cathédrale, 
avec la différence que celles-ci, au lieu d'être toutes, comme dans 
la Tour, des lettres capitales, sont en partie des lettres onciales, 
b,c,d,h,1... Ceux qui ne connaissent pas ou qui oublient la 
destination sacrée et primitive du premier étage, partagent ce 


302 LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 


sentiment ; aussi ne prètent-ils qu'une médiocre attention aux 
nombreux signes ou emblèmes religieux qu'on y observe. 

Les autres, et c'est notre opinion, y reconnaissent non seule- 
ment des marques de tâcherons, mais encore des sigles mêlés 
avec elles, c'est-à-dire des lettres significatives, parlantes, des 
initiales de mots qu'ils figurent et remplacent tout entiers, mots 
qui réunis forment une phrase, expriment une idée, une vérité, 
reproduisent.un texte. 

La signification de certains sigles est déjà connue de nos 
lecteurs. Ils savent trés bien, par exemple, que les quatre lettres 
N.S. J. C, sont les initiales et l'abbréviation des mots Notre 
Seigneur Jésus Christ ; que la lettre isolée S, dans S. Jean, 
dans S. Sauveur, est la première du mot Saint et en tient la 
place. N. S. J. Cet S. sont autant de sigles. ; 

Nos lecteurs n'ignorent pas non plus que les lettres JÈs sont 
mises pour Jesus ou Jesus Hominum Salvator ou Hominem 
Salvavit + (cruce). Jesus Sauveur des hommes ou a sauvé les 
hommes + (par la croix). Ils savent également que les lettres de 
la célébre inscription INRI remplacent les quatre mots : lesus ou 
Jesus Nazarenus Rex Iudæorum ou Judæorum, Jésus de Nazareth 
Roi des Juifs. Chacune de ces lettres forment autant de sigles. 

On doit reconnaïtre,cependant,que ce mélange de lettres pure- 
ment alphabétiques et de sigles rendra difficile la distinction et 
l'interprétation de ces derniers, tant qu'on ne sera pas arrivé à 
découvrir entièrement la clé jusqu'ici seulement entrevue de 
l'énigme. Peut-être admettra-t-on avec nous que les ouvriers 
graveurs semblent se jouer pieusement avec les mots qui com- 
mencent par S, à cause sans doute des noms des constructeurs 
de la Tour, dont cette lettre forme l'initiale. Cette lettre, en effet, 
parait être intentionnellement employée, étant de beaucoup la 
plus nombreuse, non seulement sur le côté signalé, mais aussi 
sur les autres faces, quoique la plus difficile à graver. On la lit 
jusqu'à 280 fois (Note C). 

De plus, on voit que l'ouvrier, ici comme plus loin dans les 
sculptures, est guidé par l'idée religieuse et la pensée de J. C. 
Aussi est-on amené naturellement à penser que, pour découvrir 
le vrai sens de la plupart des sigles, il faut, pour l'ordinaire, 
voir : 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 303 


Dans les À, l'alpha, ou les mots adorandus, amandus, admi- 
randus, adoretur, ametur, etc. ; 

Dans les B, les mots benedicamus, benedicatur ; 

Dans les G, gloria, glorificandus, glorificemur, gratulemur ; 

Dans les I, le nom de Jesus ; 

Dans les L, employés sous diverses formes différentes, laus, 
laudandus, laudemus, laudetur ; 

Dans les R, rex, rex regum, redemptor ; 

Dans les P, pastor, pater, pontifex, psallemus ; 

Dans les S, un des mots suivants ou semblables : Salvator, 
Salus, Salvavit, Sacerdos. Sanctus, Sanctissimus, Sanctus 
Sanctorum, Salve..... 

Un visiteur lisait ainsi, par exemple, la 16° ligne du nord : 
A. A. L. P. L. S. Adoremus, Amemus, Laudemus, Pastorem 
ou Patrem, Laudemus Salvatorem ; Aimons, Adorons, Louons, 
Pasteur (le) ou Père (le), Louons, Sauveur (le). A la ligne 7°, il 
interprétait ainsi le groupe des quatre lettres terminé par une 
croix AIS'’Tx Adoremus Jesum Salvatorem, Laus X (cruci). 
Adorons Jesus Sauveur, Louange Croix (à la). 


En résumé, nous trouvons, sous la coupole ; 

La + grecque, une fois au nord et une fois au couchant; 

La + latine, une fois à l'est ; 

La X de St-André, six fois en diftérents endroits ; 

Une petite croix d'Agnus Dei ; 

Le T, très souvent et un peu partout; , 

L'A, plus souvent encore. en particulier au nord, au midi et 

au nord-ouest ; 

L'Q une fois au nord, avec l’X à l'ouverture; 

L'Q placé trois fois sur les dernières lettres d'un nom ; 

Le F une fois au nord-ouest ; 

L'A P. A{lpha) P (Rho grec), précédés de la croix et suivis de 

la colombe ; 

Avant chacun de ces signes religieux ou lettres symboliques, si 
l'on excepte les deux derniers et la croix de St-André, on trouve 
FPS: S+, St, ST; SA, SQ, SR. 

On a voulu probablement saluer J.C. dans ses divers symboles, 
Salve; soit qu'on ait exprimé le Salut à la croix, le Salut par la 


304. LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 


croix, Le Salut par celui qui est l’A et l'O, Salus cruci, Salus cruce, 
Salus à Christo; soit qu'on ait reproduit le nom de celui qui sauve 
par la croix, Salvator ou Salvat cruce ; soit enfin qu’on ait célébré 
la sainteté des divers emblèmes du salut : Sancta crux, Sanctus 
Tau, etc. 


IV. Ornementations et Figures de la Coupole. —Le haut de 
la coupole,à l’intérieur, est orné de diverses sculptures historiées, 
aussi anciennes que la Tour. 1l y en a surtout à l'est et à l'ouest, 
direction vers laquelle la chapelle est orientée. Mais il existe des 
moulures variées sur toutes les faces, quelques-unes bien réussies 
pour l'époque. Ce sont des figures d'hommes, d'anges et d'ani- 
maux, des sujets empruntés à la Religion, à la vie rurale ou 
pastorale, des rinceaux de feuillages, des arabesques, des entre- 
lacs, des arcatures, des médaillons, etc. 

M. Revoil. en a fait quelques reproductions dans la planche IV 
d'un appendice de son ouvrage. À cette occasion il émet la 
réflexion suivante: « La fantaisie des ouvriers s'est surpassée 
dans cette coupole couverte d'ornements capricieux et de sujets 
de chasse, sculptés dans des arcatures et pris dans l'épaisseur de 
la pierre, rapidement jelés au hasard sur tel et ou tel appa- 
reil. (1) » 

L'ornement le plus souvent employé, ce sont les moulures 
circulaires renfermant des palmettes, de six et de sept feuilles, 
mais ordinairement de six, rappelant par leur forme, et parfois 
par une certaiñe blancheur, les six pétales de la fleur de lis. J'ai 
compté jusqu'à dix de ces médaillons au levant, dix au couchant, 
un au midi et deux au sud-ouest. Certaines assises en renfer- 
ment jusqu à quatre ou cinq. 

Voici du reste l'énumération et la description succincte des 


(1) Architecture romane du Midi de la France. — Ailleurs (Introduction), 
page xx, énumérant les caractères distinctifs des monuments antérieurs au 
x Siècle, dont le nôtre fait partie, caractères qu’on retrouve toujours réunis, 
dit-il, dans le même écifice, l'auteur ajoute, en parlant du 4° caractère : 
« Sigles et lettres initiales de l'alphabet romain... monogramme du Christ... 
noms d'ouvriers quelquefais : Tous ces sigles (il confond sous cette dénomination 
l'ensemble de toutes les lertres) sont placés sans ordre aucun » 

En ce qui nous concerne, sans ordre apparent serait plus exact. Il serait 
peut-être plus vrai aussi de dire que plus on étudie, dans notre Tour, Îles 
travaux de l'ouvrier sculpteur, de | magier, moins on y aperçoit des sujets 
profanes, de chasse ou autres, jetés au hasard. 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 305 


figures et des ornements sculptés que nous sommes parvenu à 
découvrir sur les diverses parois du dôme. Nous nous sommes 
aidé d’une jumelle et de l'utile concours d'un jeune professeur de 
Ja Maîtrise. Ces recherches ont présenté d’autant plus de diffi- 
cultés que les figures, en particulier, sont de fort petites dimen- 
sions et ne peuvent être vues qu’à une distance de sept à onze 
mètres. Les plus grandes ne dépassent guère en hauteur vingt- 
cinq centimètres et les plus petites quinze ou vingt. 


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Côté du levant (1). — 2°, 5°, 8° et 10° lignes ou assises. Mou- 


(11 C'est encore à un habile et obligeant dessinateur ardéchois, M. Tartary 
de résidence dans la capitale, qu'est due la reproduction de ce spécimen de 
sculpture ancienne, ainsi que de la Tour elle-même. Cette 3° gravure Ur 
sente en partie la face oricntale de. la Coupole,c'est à-dire onze assises sur 18 ; 
qui fait que la ie assise du dessin est en réalité la 4° du monument et” ph 
dernière, la 14°. Sauf une omission de lettre et une substitution de signe, 


306 LA TOUR OU CILOCHER DE VIVIERS 


lures rondes à palmettes variées. — A la s°, il y a de plus un 
fragment de frise avec des feuilles de vigne pour motifs. Dans la 
même assise on reconnaît deux pierres dont la taille en parement 
a presque fait disparaître. la sculpture qui se présente à l'état 
fruste. 

7° ligne. Vers le milieu, deux moitiés de médaillons à palmettes 
adossés l’un contre l'autre. 

8° ligne. Huit personnages assis et les deux mains posées sur 
la table qui est devant eux. Ils sont placés du même côté et vus 
de face. Tous sont nimbés. Ne serait-ce pas la représentation 
partielle de la Cène, ainsi abrégée par l'ouvrier. L'auteur du 
dessin, M. Tartary attribue « ce fragment de la Cène à l'époque 
carolingienne». Les trois sigles de cette assise sont à remarquer: 
S.[...N. 

10° ligne. D'abord, une croix latine, ce qui annonce un sujet 
religieux ; cette croix est renversée. Puis une petite arcature. Dans 
la première arcade apparaît un oiseau de proie, aigle ou vautour, 
qui prend son vol à droite. Dans la seconde,située de ce côté, un 
chamois, ou un chevreuil, qui fuit devant son ennemi en détour- 
nant la tête pour le regarder. 1l tient à la bouche une sorte 
de banderolle flottant sur sa tête. Suivent quatre médaillons 
décrits plus haut qui font perdre un instant de vue la scène dont 
nous venons de parler. Mais voici l'oiseau qui repäarait de 
nouveau. Au lieu d'une nouvelle victime, ce sont deux hommes 
courageux et armés qu'il rencontre, images du chrétien qui doit 
être toujours prêt à se défendre contre l'ennemi du salut. Il 
occupe l'arcade du milieu d'une seconde arcature et les deux 
hommes celles des extrémités. L'un d'entre eux lui lance une 
flèche à l'aide d'un arc bandé,et l'autre, muni d'un bâton qu'il 
tient élevé, lui assène un coup pour achever de lui enlever la vie. 
C'est là sans doute que M. Revoil a puisé son idée toute per- 
sonnelle de « sujets de chasse » qu'il a cru aperçevoir. Notre 
honorable dessinateur croit plutôt qu'on doit reconnaître « à 
droite, un archer, l'aigle romaine, puis un lanceur de javelot ; et, 
à gauche, la biche de Diane et l'oiseau de Minerve. » 
occasionnées par un manque de netteté inévitable dans une première épreuve 
photographique. la reproduction est très exacte. Le lecteur voudra donc bien 


se rappeler qu'il faut lire : 1° ST au commencement de la 8° ligne, celle de la 
Cène : 2° à la fin de la 13° : LS au lieu de HS. 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 307 


13° ligne. Vers le milieu un S et une croix. 


S+ 


Côté du couchant. — 3° ligne. Au milieu un T suivi d'un rin- 
ceau de feuilles de vigne. 

6°, 7° et 9° lignes. Moulures à palmettes dont deux sont plus 
profondément fouillées et travaillées avec plus de soin. 

6° ligne. Entre ces moulures deux pierres sculptées imitant 
un tissu ou une mosaique. 

8° ligne. Une intéressante scène rurale. C'est d'abord un 
grand arbre offrant un magnifique ombrage. Deux hommes qui se 
rendent autravail arrivent prés de lui avec leur âne : ils sont sans 
coiffure et vêtus d'une tunique qui descend à mi jambe. Le 
premier tire la corde qui doit servir à attacher la bête, tandis 
que le second frappe légèrement celle-ci par derrière pour la 
faire avancer un peu plus. Nos deux cultivateurs ou bûcherons 
vont évidemment passer la journée à la campagne ou dans la 
forêt ; car celui qui ferme la marche porte des provisions dans 
une espèce de gibecière qu'il tient d’une main. Le costume de 
ces deux campagnards et des deux hommes nommés précédem- 
ment ressemble à celui qu'on remarque aux planches X, fig. À, 
et à la planche xxxi, de l'Athlas pour servir au voyage dans les 
départements du Midi de la France de Millin (1807). 

9° ligne. Sous la scène précédente, deux figures sculptées'dans 
deux cadres arrondis qui se touchent. Le premier renferme un 
agneau de Dieu agenouillé, avec la croix traditionnelle élevée 
au dessus de lui et appuyée à ces pieds. Dans le second se 
trouve un ange dans l'attitude de la prière qui a les mains jointes. 

11° ligne. Un peu au dessous de l'ange et de l'agneau, deux 
animaux fantastiques affrontés, qui figurent au milieu d'un 
rinceau de feuillage. Ils tiennent du cheval, du chien et du lion, 
sont en fureur et Ont la gueule ouverte. Involontairement ils 
rappellent le mot de St-Pierre : Adversarius vesler diabolus, 
lanquam leo rugiens, circuil quærens quem devoret. Votre ennemi 
le démon, comme un lion rugissant, rode autour de vous pour 
vous dévorer. 

12° ligne. Mais voici le salut dans la croix, dans le Christ, 
dans le Sauveur, dont le T est le symbole : Sr, TS... 


308 LA TOUR. OU CI.OCHBR DE VIVLERS 


15° ligne. Encore cinq fois le Tau emblématique. 


Côté du midi. — ir ligne ou assise. Trois T assez espacés, 
vers la fin, et dominant cette face de la coupole comme trois 
Croix. 

6° ligne. Dans un rond, un petit personnage semblable à un 
ange, mais sans ailes, dont on ne voit que le buste. Il émerge de 
de la pierre en élevant les bras. C'est peut-être l'Enfant Jésus, le 
Salvalor natus est vobis. 11 est précédé des lettres S N R, suscep- 
tibles d'être interprétées ainsi : Salvator Noster Rex, Notre 
Sauveur Roï ; ou Salvator N'azarenus Rex, Notre Sauveur de 
Nazareth. 

7° ligne. Vers la fin encore une moulure ronde à palmette et 
une sculpture à côté ressemblant à une mosaique. 


11° ligne. Au milieu, dans un cadre carré, une belle main 
sculptée droite et ouverte. Elle éveille d'abord l'idée de la 
fameuse main de Balthazar et du Thécel Pharès. Elle est précédée 
des sigles : PS SRTSS et suivie de ces autres : P T S Tr. Ces 
lettres initiales n'auraient-elles pas pour but d'énumérer quel- 
ques-unes des qualités du Christ, dont la main nous à sauvés, 
du Christ à la fois Pontife et Pére, Sauveur, Saint des Saints, 
Roi, produisant le salut du monde par le tau ou la croix très 
sainte ? 

14° ligne. Un signe géométrique assez singulier. C'est un 
losange posé par pointe sur une ligne horizontale et dont les 
deux côtés inférieurs se prolongent en haut comme deux pattes. 
À premiére vue, on dirait qu'on a voulu représenter une gre- 
nouille. | 

17° ligne ‘À l'avant dernière pierre, une petite palmette enfer- 
mée dans une sorte de cœur. 

Côlé du sud-est. On n'y voit figurer aucune ornementation: 
mais seulement des lettres ; en particulier, un S suivi du Tetun 
R couché suivi de l'I(S r,@1) gravés sur deux pierres différentes. 

Côlé du sud-ouest. Vers la cime deux palmeites. Un peu au 
dessous, dans un autre rond, une petite branche d'arbuste posée 
horizontalement. 


Côlé nord. Déjà nous avons fait connaître les noms, lesleitres 


LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 309 


<t les signes religieux qui tapissent cette face de la coupole. 
Il est évident qu'il reste peu de place pour la décoration. Remar- 
quons cependant une arcature à la 6° ligne où se trouvent la 
croix grecque et l'oméga. À travers la première arcade, c'est un 
pêtit troupeau qu'on aperçoit occupé à paître, en avant d’une 
croix dont le sommet ressemble à celle del’Agnus Der. On distin- 
gue bien le cheval, l'âne et un gros chien de garde. Dans la 
seconde on dirait une biche. La tête tournée de côté, elle mord 
une branche de vigne et s'efforce d'atteindre un raisin, ou une 
feuille, qui y est suspendu. 

10° ligne. À la fin, figure la colombe dont il a été question. 
Tournée vers la petite croix de St-André,elle n’en est séparée que 
par deux lettres x A P (Voir la 2° gravure). 

15° ligne. Elle se termine par une sculpture. Celle-ci entoure 
une pierre rectangulaire polie, qui semble attendre une inscrip- 
tion et l'encadre en forme de gracieuse bordure perlée. 


Côté du nord-est. À la 15° assise, sur une pierre unique, on voit 
gravé sur le même plan, en très petit relief, le haut du corps 
seulement de trois petits personnages d'une égale dimension. 
Ils sont devant une table, les mains placées devant la poitrine. 
Sur le côté de celui du milieu se trouve un petit x. Aurait-on 
voulu rappeler les trois personnes de la Ste-Trinité avec la croix 
dont le Fils de Dieu s'est servi pour nous racheter ? Ou bien 
encore les trois vertus théologales, la Foi, l'Espérance appuyée 
sur la croix, et la Charité ? On pourrait encore prendre ces trois 
personnages, pour N.-S. et les deux disciples d'Emmaüs ; sur- 
tout s'ils étaient nimbés, au moins celui du milieu. 

Côté du nord-ouest. Voir la page 30. 

Les deux paragraphes précédents étaient à peu près terminés, 
lorsque nous tomba sous la main l’ouvrage le plus savant et le 
plus récent, croyons-nous, sur l’art de déchiffrer et de lire les 
écritures anciennes ; c’est celui de M. le chanoine -Reusens, pro- 
fesseur à l'université de Louvain : Les éléments de Paléograpiue, 
paru en 1860. Il fut pour nous comme une révélation. 

‘L'auteur, y parlant des diverses sortes d'écriture, majuscule et 
minuscule, capitale et onciale, fait observer que, dans l'écriture 
capitale, les lettres sont presque toujours grandes et régulières, 


310 LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 


inscrites entre deux lignes parallèles. Il distingue la capitale 
primilive ou anguleuse, plus facile à tailler dans le marbre ; la 
capitale épigraphique ou élégante (celle de notre Tour), qui se 
rencontre plutôt dans les inscriptions gravées que dans les 
manuscrits ; la capitale rustique à partir du IV+ siècle, moins 
régulière que la précédente. Puis il ajoute ces mots que nous 
avons le droit d'appliquer à l'objet de notre étude : « Pendant la 
période carlovingienne le goût pour l'écriture élégante. reparut. » 
Suit une belle planche renfermant des spécimens d'écriture de ce 
genre au IX: siècle 


(À suivre). Chanoine MOLLIER. 
rEStIO2KCTe3— 


BIBLIOGRAPHIE 


L'ARCHITECTURE RELIGIEUSE A L'ÉPOQUE ROMANE 
DANS L'ANCIEN DIOCLSE DU PUY 


Texte par Noël TuioLuier, gravures et héliogravures exécutées 
sous la direction de Félix Thiollier un vol. in-fe. Le Puy, 
Marchessou. 354 gravures dans le texte et 117 héliogravures 
hors texte. 

Nous avons attendu quelque temps pour parler à nos lecteurs du beau 
livre de M. Thiollier paru l’an dernier, car nous espérions reproduire 
en même temps la description et les gravures qu'il y donne de notre 
curieuse église de Champagne, imitation de la cathédrale du Puy. M. 
Noël Thiollier nous demandant quelque temps pour compléter cette 
description, nous publions un compte rendu de son ouvrage que nous 
empruntons a M. Emile Môle. 

« Jusqu'à présent on avait cru que les églises du diocèse du Puy 
relevaient de l'Ecole Auvergnate. Mallay l'avait jadis affirmé hardiment 
dans ses Eg'ises romanes et romano-bysantines de l'Auvergne. Vingt 
autres l'avaient répété après lui. En réalité, personne n'en savait rien, 
car personne, à commencer par Mallay, n’avait vu toutes les églises de 
l'arrondissement du Puy et de l’arrondissement d’Yssingeaux. M. Noël 
Thiollier, étant élève à l'Ecole des Chartes, entreprit l'étude de cette 
vaste région. Ce fut le sujet de sa thèse de sortie, dont jusqu'à présent 


Û 


le es —  . e 


BIBLIOGRAPHIE 311 


nous ne connaissions que les positions. Aujourd'hui il nous donne un livre 
austère, mais solide, définitif, qui durera assurément plus longtemps 
que quelques-unes de ces pauvres vieilles églises que le temps entame 
et que les architectes achévent. Seuls quelques archéologues passionnés, 
qui ont entrepris d'explorer un département, village par village, sauront 
quelles peines coûte un livre comme celui de M. Noël Thiollier. La 
Haute-Loire, où les liwnes de chemins de fer sont rares, où certaines 
églises s'élèvent à plus de 1300 mètres d’altitude, est un des départements 
les plus pénibles à parcourir ; mais c'est aussi un des plus beaux, et les 
fatisues de M. Thiollier eurent leurs compensations. Son père, M. Félix 
Thiollier, que connaissent tous ceux qui aiment nos vieilles provinces, 
s'est fait son collaborateur assidu. Il est sorti, cette fois,de ce délicieux 
pays de Forez qui a une bonhomie, une douceur incomparables, où se 
méle un charme d'ltalie. Il s'est intéressé à ce rude Velay, dont les 
églises sont parfois bâties entre deux coulées de laves. Laïissant à son 
fils le soin de décrire les monuments, il a donné tous ses soins à 
l'illustration. 

« De cette collaboration est né un livre dont les conclusions sont 
vraiment neuves. Nous savons maintenant que les églises du diocèse 
du Puy ne doivent à peu près rien à l’Auvergne. 

« L'art auvergnat n'a pas eu la puissance de rayonnement qu’on lui 
attribuait. M. Thiollier lui enlève la plus grande partie de la Haute- 
Loire, pendant que M. de Rochemonteil est en train de lui enlever 
presque tout le Cantal. Il est vrai qu’il lui reste tout le sud du départe- 
ment de l'Allier qu'on n’a pas l'habitude de lui annexer, et qui lui 
appartient bien réellement, comme nous avons pu nous en convaincre 
tout récemment. » 

« De quelle école relèvent donc les églises du diocèse du Puy ? De la 
grande école d'architecture qui s’est développée dans la vallée du Rhône 
et de la Saône, c'est-à-dire, à la fois de l’école provençale et de l’école 
bourguignonne, qui ont d'ailleurs tant de caractères communs. Les 
grandes églises à trois nefs du Velay, ou des régions les plus voisines, 
comme Chamalières, le Monastier, Langogne, Chanteuge, ont, ou 
avaient de hautes nefs percées de fenêtres, que les bas-côtés ne contre- 
butaient pas. Aussi est-il arrivé, en Vel4y comme dans la vallée du 
Rhône et de la Saône, que ces voûtes mal équilibrées, se sont écroulées 
en totalité ou en partie et qu’on a dù les refaire aux siècles suivants. 
Une église poitevine, celle de Dunières, à nef centrale aveugle, solidement 
contrebutée par des bas-côtés aussi élevés qu’elle, est isolée dans cette 
région et doit être attribuée à une influence monastique. 

< Quant aux petites églises à une nef, qui sont très nombreuses dans 


312 BIBLIOGRAPHIE 


ce pays pauvre et peu peuplé, elles trahissent par plusieurs particularités 
(absence de travée de chœur, hauteur des socles, manque de correspon- 
dance entre les formes intérieures et les formes extérieures de l’abside) 
l'influence provençale. L'absence du clocher que remplace un haut mur 
‘percé d’arcades où sont suspendues les cloches, achève de donner à ces 
églises leur physionomie méridionale. 

« Le chapitre consacré à la cathédrale du Puy et à ses dépendances, 
est un des plus importants du livre. Les origines de cette singulière 
église restent mystérieuses et le resteront sans doute toujours. M. 
Tinollier a au moins prouvé, contrairement à ce qu’on avance, qu'elle 
n'avait pas fait école. Il admet cependant que l’église de Champagne 
(Ardèche) peut s'y rattacher. Il ne repousse pas non plus l’idée ingénieuse 
&e M. Berthelé qui veut faire dériver Saint-Hilaire de Poitiers de 
Notre-Dame du Puy. Les archives du ministère des cultes ont permis 
‘à M. "Thiollier de nous faire connaitre toutes les restaurations dont la 
cathédrale du Puy a été la victime. Quelques unes étaient nécessaires, 
mais d’autres ne l'étaient pas. Rien n’obligeait l'architecte à refaire 
l'antique chevet, ou à modifier la forme de la lanterne. L'église presque 
tout entière a été rebâtie. Ce monument unique est maintenant un 
document falsifié. De combien d'autres n’en pourrait-on pas dire aëtant ! 
Si les choses continuent de la sorte, seuls les humbles monuments qui 
ont la bonne fortune de n’être pas « historiques », pourront servir à 
l’histoire. Les Anglais ont fondé une ligue pour empêcher les architectes 
de refaire leurs églises sous le prétexte de les consolider. Ne fertons- 
aous pas bien de les imiter... ? » 

Le beau livre de M. Thiollier nous fait espérer qu'il nous en donnera 
d’autres. Nous comptons qu'il nous apprendra un jour ce que les 
départements voisins de la Haute-Loire cachent de merveilles. Il a 
bien voulu nous promettre un travail illustré sur notre église de 
Champagne, intéressante à tant de points de vue, et déjà partiellement 
étudiée dans son ouvrage. Ce qui est certain. c’est que le grand et bel 
in-folio de M. Thiollier a sa place marquée dans toutes les bibliothèques 
publiques de la région. Tous ceux qui s'intéressent à l’histoire de 
l'architecture romane dans le centre et le midi de la France ne peuvent 
moins faire que de le lire avec fruit et de le posséder. 


VI LESRTAS # 
e aTs 


UNE 


PROMENADE ARCHEOLOGIQUE 


AU VIEUX SAINT-AGRÈVE 


— La ville. — Ses trois portes. — Ses rues. --- Les deux places du 
marché. -— La vieille église. --- La nouvelle. --- L'ancien cimetière. --- Le 
P. Lacombe du Crouzet. --- La chapelle hôpital de N. D. de Lestra. -— Les 
chemins. 


St-Agréve, appelé Chinacum du temps des Romains, est 
désigné en 1239 sous le nom de Castrum Sancti Agripe ; il 
redevient Mont-Chinac sous la Révolution pour rester enfin 
St-Agrève comme devant. 

La ville, perchée sur la butte, avait deux grands faubourgs 
placés à ses pieds : au levant,celui de la Font (la Fontaine), et au 
sud, celui de Lestra ( Burgus-Strata ou Lestrade), ainsi nommé de 
ce qu'il était sur la voie principale, celle de Tournon au Puy. On 
sait que, par suite du changement des conditions sociales, les 
besoins de la paix l'ayant définitivementemportésur les nécessités 
de la guerre, le faubourg de Lestra est devenu le St-Agrève 
moderne, tandis que la haute ville s'est vue graduellement 
délaissée, entraînant dans sa décadence l'autre faubourg et 
n offrant plus guére au visiteur qu'un intérêt archéologique. 

C'est à ce point de vue que nous allons faire notre dernière 
promenade sur le vieux mont Chinac, cherchant à faire parler ses 
ruines, avec la pensée qu'il y a toujours queïque profit à mettre 
sous les yeux des vivants tout ce qui peut leur rappeler le mieux 
l'instabilité des choses humaines. 

Dans l'ancienne ville de St-Agrève, il faut distinguer : 

Le fort ou château, qui occupait le sommet de la butte, et dont 
il ne reste que quelques pans de mur, dans le parc de Mme de 
Clavière, 

Et le castrum, c'est-à-dire, le bourg fortifié du moyen âge, 
adossé au fort, et formant sur le versant sud comme un évantail 
dont la poignée était au fort. 

21 


314 UNE PROMENADE ARCHÉOLOGIQUE 


Le petit observatoire du parc Claviére, qui couronne la grande 
muraille restée debout, paraît répondre à l'église primitive du 
lieu dont il recouvre le chevet ; le chœur, selon l'usage, regardait 
le levant. Beaucoup de débris de colonnes et de chapiteaux ont 
été exhumés de ce côté. La colonne voisine, érigée au bord d'une 


allée, indique l'endroit où l'on trouva beaucoup d'ossements, par 


conséquent le plus ancien cimetière. 

M. Albert du Boys, dont l'ouvrage remonte à 1842, dit,dans le 
récit de sa visite au sommet de la butte, qu'on lui fit remarquer 
«des voûtes, appartenant à la chapelle, où l'on avait découvert 
quelques cadavres trés bien conservés, et il ajoute que les autres, 
au nombre de prés de 2 ou 300, avaient été trouvés entassés dans 
le sol. On avait déterré aussi près de là beaucoup de boulets, et 
il vit sur une maison de la haute ville des traces de ces 
boulets (1) ». 

À quelle époque cette primitive église fut-elle abandonnée et 
remplacée par l'église paroissiale de la haute ville ? C'est ce qui 
ne ressort pas très-clairement de l'ensemble des données que 
nous avons pu recueillir. Deux documents du xv° siècle, dont 
nous avons déjà dit un mot, autorisent cependant à penser que la 
paroisse était encore à cette époque dans l'enceinte du fort. 

Le premier est la transaction passée entre le curé Martin de 
Roveria et Peyrot, de Rochessac, au sujet d'une baraque (chabota) 
élevée par ce dernier contre les murs de l'église, et par suite de 
laquelle le vent, la pluie et la neige occasionnaient des dégâts à 
l'intérieur de l'édifice. Parmi les raisons que donnait Peyrot pour 
sa défense se trouve celle-ci : qu'il est un de ceux qui payent des 
tailles pour la réparation du fort (unus ex solulione taliorum 
ralione reparahionis forlaliciui prediclorum), et quil avait pu 
conséquemment faire la constructian incriminée (ex quo ipse 
debuit et debel pedam seu chabolam infra dictum fortalicium...) 
Plus loin, le curé dit que la ehabola est entièrement construite 
dans l'église et au dessus d'elle, etque sa destruction est d'autant 
plus requise qu'il y a au dessous du fort{infra ipsum fortalicium) 
plusieurs autres emplacements où Peyrot aurait pu la faire plutôt 
que dans l'église (2°. 

(1) Album du Vivarais, p. 113. 


3 . 
(21 Archives de Chaillans, chez Me Morin-Latour. Les premières lignes de 
lacte ayant été détruites, il nous a été impossible d'en retrouver la date précise. 


+ AU VIEUX SAINT-AGRÈVÉ 3is 


Le second est la reconnaissance, faite par Pierre Irrisac, au 
vicomte de Polignac, d'une « chambre existant sous le portail du 
château de St-Agrève, confrontant des deux côtés avec le cimetière 
de l'église », reconnaissance qui est de l’année 1471 (1). 

On a vu par le procès-verbal de la visite canonique de 1583, 
que St-Agrève, « tant ville, chasteau que église », avaient été 
« renversés, démolis, abattus et brûlés », et que le visiteur 
recommande au curé Boyer « de redresser et faire mettre en bon 
état le temple rompu et brisé, ou bien en réédifier un autre », le 
service divin se faisant en attendant dans la petite chapelle de 
Lestra. 

Faut-il voir là uue sorte d'extrait mortuaire de la paroisse du 
château,en même temps que le présage de la nouvelle église de la 
haute ville ? En attendant que de nouveaux documents soient 
venus élucider la question, nous serions plutôt disposé à croire, 
vu l'exiguité de l'église primitive et le développement qu'avait 
déjà pris St-Agréve, vu aussi le grand nombre de chapelles dont 
l'existence dans l'église paroissiale est constatée par des donations 
antérieures aux guerres religieuses, que la paroisse avait été 
transportée dans la haute ville dès la fin du XV: siècle ou au 
commencement du XVIe. 

Au dessous de l'observatoire, au Sud de l’église, est un débris 
de bâtiment carré, où se trouve le puits de la our ; on remarque à 
l'entrée une pierre qu'on peut prendre pour une piscine baptismale, 
et près du puits un bénitier, qu'on nous dit avoir été apporté là 
de l'église de la vieille ville, dont nous parlerons tout-à-l'heure, ce 
qui n'exclut pas l'idée qu'il aurait pu appartenir d’abord à la 
primitive église. | 

À quelques pas de l'observatoire, au nord, se trouvent deux 
restes de vieilles murailles, dans l’une desquelle a été pratiquée 
une cheminée, ornée d'un écusson renversé, et d'une croix de 
Pierre provenant peut-être de l'ancienne église. Cette cheminée 
et le four voisin sont l'œuvre du vieux M. de Claviéres qui, ayant 
fait élever en cet endroit un pavillon en bois qui s'écroula, se 
proposait ensuite de le reconstruire en pierre;et de là, les pierres 


(1) Voir page 12, 


316 UNE PROMENADE ARCHÉOLOGIQUE 


de taille éparses tout autour qui devaient servir pour les portes 
et les fenêtres. 

Il est probable que l’ancienne ville romaine était tout entière 
contenue dans le fort. En tout cas, celui-ci renfermait,aux XV: et 
XVI° siécles, bon nombre de maisons particulières, comme :il 
résulte des actes notariés du temps,qui distinguent toujours entre 
les maisons « de la forteresse du château » et celles de la ville. 


s'e 

Descendons maintenant dans la vieille ville. 

Celle-ci avait trois portes correspondant aux trois montées par 
lesquelles on y accédait, venant de Lestra, — de la Fontaine ou 
du Pont. 

La principale était la porte de Notre-Dame [de Lestra] ou de 
Largier, parce qu'elle était adossée, d'un côté, à la maison de la 
famille Largier ; c est celle où l'on passait en venant du faubourg 
de Lestra. L'extrait suivant, d'une délibération municipale de 
1778 nous fixe sur la date de sa destruction. « Le conseil décide 
de démolir ce qui reste d'un mur qui est à l'entrée de la ville, 
sur lequel portait autrefois une porte d'icelle... ce mur gêne la 
place qui est déjà trop petite pour contenir ceux que le marché y 
attire... ) 

L'affaire n'alla pas sans quelque difficulté, car les matériaux 
ayant été vendus à un nommé Dorel, au prix de 52 livres, le 
procureur fiscal dressa, deux jours après, procés-verbal contre 
Dorel, en disant que ce mur appartenait au seigneur. Le maire 
d'Arcenesche se plaignit de ces «tracasseries » et,exposant l'affaire 
au conseil, soutint que jamais les murs d'une ville n'avaient 
appartenu au seigneur. Îl ressort de la délibération que le mur 
démoli était « le seul vestige restant des murs de la ville, à 
l'exception d'une porte unique appelée la porte de Vienne ». 

La seconde porte était celle qui s'ouvrait du côté de la Fontaine 
et qu'on trouve désignée, dans les anciens actes, sous trois noms 
différents : porte de St-Ürsin, qui paraît être le plus ancien; 
porte Chomier, parce qu'elle était adossée à la maison Chomier, 
et enfin porte de Vienne, parce que c'était de là que partait le 
chemin conduisant à Vienne. Nous nous souvenons d'avoir vu, 


AU VIEUX SAINT-AGRÈVE 317 


il y a quelques trente ans, la porte de Vienne encore debout : il 
n'en reste aujourd'hui que deux bases informes ; les pierres de 
taille ont servi, paraît-il, pour le lavoir. 

La troisième porte, dont il ne reste pas de traces, était celle de 
la route du Puy. On la trouve sous le nom de Galle ou Guales 
dans des actes de notaires, et sous celui de Galeys dans la relation 
du siège de 1580 ; mais si l'on peut croire, d'aprés le texte de 
Figon, qu'il a voulu désigner ainsi la porte de Vienne ou de 
Chomier, le doute n'est plus possible en présence de la double 
mention faite dans des actes de notaire : d’un chemin allant de la 
porle de Guales à la croix de St-Ursin (Boyer 1574), ef d'une rue 
allant du portal de Galles au portal de Chomier (Lagrange 1581). 

Il y avait encore une petite porte par laquelle on descendait 
dans la Ruelle aboutissant au chemin de Chavagnac, et nous 
supposons que cette porte nest autre que le portail du Sabot 
mentionné dans la reconnaissance de 1471 (1). 

Le mur semi-circulaire, appelé quelquefois le vingtain (2), de 
l'ancienne ville, assez bien conservé au sud et au couchant, est 
aisé à reconnaître sur toute la ligne, grâce aux points de repère 
que fournissent les trois portes. 

Le plan de l’intérieur est aussi facile à reconstituer. 

Notons, en premier lieu, l'existence de deux rues principales, 
rues routières, dont le pavé existe encore en grande partie, 
partant toutes deux de la porte de Notre Dame, pour se diriger, 
l'une à droite vers la porte de Vienne, et l'autre, à gauche, vers 
la porte de Guales. | 

Ajoutons à cela une troisième rue principale, déjà indiquée, 
allant directement de la porte de Guales à la porte de Vienne, et 
Séparant ainsi la ville du fort 

Les deux places pour les marchés étaient : 

La place de l’Aune, au sommet de la ville devant le fort, 
désignée dans divers actes de 1681, comme s'appelant autrefois 
la place Cordonnière, ou bien place des Cuirs. Au fond était le 
marché de la pitance ; on voit encore à la maison Rey les trous 


(1) Voir page 12 On appelle encore aujourd’hui le chemin du Sabot celui 
qui va de la maison Landry à la place dds bestiaux. 


(2) On appelait ainsi les murs d’une ville, parce qu’un 20° des impôts était 
employé à sa construction ou à son entretien, 


318 UNE PROMENADE ARCHÉOLOGIQUE 


dans la muraille qui servaient à fixer les auvents, et des crochets 
en fer où l'on suspendait les étoffes mises en vente ; 

La place de Notre Dame ou place du blé, à l'intérieur de la 
porte de N. D. ou Largier. 

Il y avait un puits au milieu de chacune des deux places. 

Parmi les petites rues, les vieux actes nomment la rue allant 
du portail Largier à l'église paroissiale, celle qui avait succédé 
à la primitive église située dans l'enceinte de la forteresse. 


"A 

Cette église se trouvait sur la droite de la rue routiére allant 
de la porte Largier à la porte Chomier, entre cette rue et le 
rempart auquel elle était adossée. On trouve également mentionnée 
une rue qui descendait du château vers l'église paroissiale. 

Les documents des XVI°et XVII° siècles mentionnent l'existence 
dans cette vieille église des chapelles suivantes : 

La chapelle de M. de St-Agrève, érigée par les Maisonseule, 
dont messire Gontard était recteur en 1575. 

La chapelle de St-Antoine de Padoue, où était le caveau de 
la famille Rebolet ; 

La chapelle des Largier, seigneurs de Chaillans, dont messire 
Girard était recteur en 1567 ; 

La chapelle du St-Esprit, qui fut l’objet d'une donation en 
1562, pour le rétablissement du service divin qui y avait été 
interrompu ; il est question ailleurs d'une pension annuelle de 
8 mestens (1} et un quarteron de seigle faite à la confrérie du 
Saint-Esprit, et d'une autre pension de 6 mestens pour le lumi- 
naire du Saint-Esprit ; 

La chapelle de Clavière, placée à la gauche du chœur, au 
dessous du clocher que Nicolas de Claviére avait fait reconstruire ; 

La chapelle de Ste-Catherine, 

La chapelle de St-Sébastien. 

Un acte de 1550 est relatif à un achat de pension, « pour la 
vénérable Confrérie, qu'on célèbre annuellement en l'église 


(1) Dans un terrier des Largiers seigneurs de Chaillans, on voit que le 
métan valait 8 litres ou 16 quartières et qu'il fallait 8 métans pour faire un 
setier. 


AU VIEUX SAINT-AGRÈVE 319 


parochielle de St-Agrève, en l'honneur du Saint-Sacrement de 
l'autel. » 

L'ancien cimetière était placé, selon l'usage, autour de l'église. 
La question de son déplacement donna lieu à plus d'un incident 
dans les délibérations municipales d'autrefois, à la suite de 
l'ordonnance royale de 1778 qui défendait d'enterrer les morts 
dans les églises, et aussi dans les ciraetières situés à l'intérieur 
des villes. Le conseil ayant décidé d'établir le nouveau cimetiére 
« dans un jardin appartenant prétendûment au sieur Crouzet de 
Flossac, situé dans le fossé de la citadelle et nouvellement clos 
de murailles », Crouzet naturellement protesta. Puis il adressa 
une requête à l'Intendant,où il disait que c'était un caprice et une 
tracasserie du premier consul d'Arcenesche, que son jardin était 
dans l'intérieur de la ville, et qu'il vaudrait mieux se contenter 
d'agrandir le cimetiére existant. — Cette requête, communiquée 
au conseil, fut soumise à une commission dont le rapport, en date 
du 15 août, dit que les mots caprice et {racasserie sont indécents 
et déplacés. Le rapport loue le zéle du maire pour les intérêts de 
la communauté. Il dit que le sol de Crouzet est au Roi et que les 
murailles ont été bâties avec les pierres de la citadelle, par 
conséquent que l'emplacement ne doit rien coûter à la commu- 
nauté. Îl ajoute que l'ancien cimetière ne peut être agrandi sans 
inconvénient pour les maisons voisines, notamment celle de 
Crouzet-Lacombe, l'oncle de Crouzet de Flossac. Il réfute enfin 
point par point les objections de ce dernier et le défie de trouver 
‘un emplacement plus commode, mieux situé et moins dispen- 
dieux. À la suite de quoi, le conseil persista dans sa précédente 
délibération. 

Mais bientôt se produisit une tentative de conciliation par 
l'intermédiaire de M. Farconnet, et le 28 février suivant (1779), 
le maire exposait les objections élevées contre le projet : le terrain 
Flossac était trop pierreux, il n'appartenait pas à la communauté, 
et il était trop exposé au vent, à la burle, ce qui rendrait souvent 
le transport des cadavres impossible. D'ailleurs, un particulier 
offrait un terrain plus favorable. 

Cette affaire du cimetière n'était pas encore terminée en 1784, 
par suite surtout d'une sorte de grève des conseillers qui s'abste- 


320 UNE PROMBNADE ARCHÉOLOGIQUE 


taient systématiquement de répondre aux convocations qu'ils 
recevaient, à cet égard, quand il s'agissait de traiter la question 
du cimetiére. Puis, l'Intendant ayant rejeté l'emplacement du 
jardin Flossac, on le pria, à l'effet de fixer un autre emplacement, 
d'ordonner que douze des plus forts taillables seraient obligés 
de se réunir avec le conseil politique pour prendre une décision, 
et que les manquants seraient frappés d’une amende. Enfin, le 
9 janvier 1785, le conseil, tous membres présents cette fois, 
décida que, vu les charges de la communauté et des réparations 
plus urgentes, on prierait l'Intendant d'’ajourner la question de 
la translation du cimetière. 

La pierre encastrée dans le mur du jardin Masse à Lestra 
(s cent. sur 29), où l'on voit une croix gravée avec ces mots au 
dessous : Mon Dieu, aide moi, vient probablement de l'ancien 
cimetière. 

Le nouveau cimetière de St-Agrève, situé sur le flanc oriental 
de la butte sous l'ancienne ville, date seulement de 1811. 


s. 

L'église de la haute ville, dont l'abandon était devenu tôt ou 
tard inévitable par suite du développement considérable qu'avait 
pris le faubourg de Lestra, n'a été démolie que dans ces derniers 
temps ; mais dès le commencement du XIX° siècle, il avait été 
question d'en construire une autre à Lestra pour remplacer 
l'ancienne chapelle détruite à la Révolution. Dans un billet, daté 
de 1814, M. de Flossac, « membre du bureau dela marguillerie», 
déclare avoir reçu de M'° de Laulanier du Noyer, héritière du feu 
curé son frère, diverses sommes qui avaient été remises à celui-ci 
pour la construction de cette église. Une lettre d'Annonay de la 
même année, conservée dans les papiers de la cure, demande des 
nouvelles à ce sujet, et son auteur promet de donner mille écus 
pour la nouvelle construction. 

Le projet ne fut réalisé qu'en 1827, comme il résulte de l’ins- 
cription gravée sur une pierre du clocher : Desroys maire 1827. 
Nous livrons à la sagacité des amateursles lettres : F. P. D. O. E. 
que nous avons cru lire sur une pierre voisine. Nous ignorons 


AU VIEUX SAINT-AGRÈVE 321 


aussi ce que peut signifier l'inscription M. P. E. 1624 gravée 
sur une pierre inscrutée dans la façade de la maison curiale. 

Enfin, nous renvoyons aussi à qui de droit l'explication d’un 
autre petit rébus lapidaire gravé sur la porte du jardin, qui se 
trouve en face de l'entrée de la maison de Clavière dans la 
haute ville, et qui consiste en une figure mutilée, paraissant être 
celle d’une Vierge, placée entre les lettres I. et P. 

L'église de la haute ville resta église paroissiale assez longtemps 
après la construction de celle de 1827 ; mais on n'y disait la messe 
que le dimanche, quelquefois deux fois par semaine. Finalement, 
ce fut une grosse émotion dans le quartier quand le service 
paroissial fut entièrement transporté à l'église d'en bas. 

Celle-ci a été reconstruite en 1878, par les soins du feu curé, 
M. Barrial, mais en conservant le clocher bâti en 1827. Les frais 
dé cette construction se sont élevés à cent mille fr. environ. sur 
lesquels l'Etat a donné 10.000 fr. et la commune o. Les catholi- 
ques de la paroisse ont fourni tout le reste. On doit aussi à M: 
Barrial l'établissement des Fréres de la Doctrine chrétienne (vers 
1860). 

Le bâtiment délabré, qui existe encore à la droite de la porte 
Largier, et était contigu à la vieille église, représente la maison 
commune d'avant la Révolution, différente sans doute de la 
précédente que nous avons trouvée désignée au XVI: siècle, sous- 
le nom de maison de la confrérie, puisque celle-ci était située 
dans la forteresse du château. 


* 
ss « 


Avant de descendre à Lestra, l'ancienne maison Crouzet- 
Lacombe, située sur la place de l'Aune, et remarquable par ses 
fenêtres en croix et par l'écusson mutilé encastré dans le mur de 
sa façade, nous rappelle le souvenir d'un homme, sinon célébre, 
le seul au moins des enfants de St-Agrève dont le nom figure 
dans les Biographies générales. Il s'agit du P. Lacombe du 
Crouzet ou Crouzet-Lacombe,'à qui l'église de St-Agrève doit le 
reliquaire, contemporain de St-Louis et contenant une parcelle 
de la vraie croix, qui constitue le plus précieux joyau de son 
trésor. On comprendra qu'à ce double titre nous donnions ici un 
bref aperçu de sa vie, puisé en grande partie dans l'article nécro- 


322 UNE PROMENADE ARCHÉOLOGIQUE 


logique que lui consacra l'Ami de la religion, à l'époque de sa 
mort (1) : 

Claude Agrève Lacombe naquit à St-Agrève le25 octobre 1752. 
Il entra de bonne heure au grand couvent des Cordeliers de Paris, 
qui servait de maison d'étude aux jeunes Cordeliers qui voulaient 
faire leur licence : c'était le collège général de ces religieux, et 
chacune des huit provinces qu'ils avaient en France avait le droit 
d'y envoyer un certain nombre d'étudiants. C'est dans ce couvent 
que se tenaient les chapitres de l'ordre de St-Michel et les 
assemblées de la confrérie du St-Sépulcre. Plusieurs familles, 
entre autres les Lamoignon, y avaient leur sépulture. Le jeune 
Lacombe y prononça ses vœux à l'époque de la réunion des deux 
branches de cet ordre (les conventuels et les observantins),qui fut 
opérée par un bref du pape en 1771. 1] fit sa licence en 1784 et 
reçut le bonnet de docteur le 18 octobre 1785. Ilest probatle qu'il 
remplit différentes charges dans le grand couvent de Paris. Au 
moment de la Révolution, il en était gardien. 

L'abbé d'Auribeau, dans ses Mémoires, nomme le P. Lacombe 
parmi les Cordeliers de Paris qui, par une correspondance 
assidue, tenaient leurs supérieurs de Rome au courant des phases 
successives de la persécution. Îl cite plusieurs de ces lettres, 
mais onn'v voit du P. Lacombe que ce post-scriptum du 20 
avril 1790, en langue latine,que nous traduisons : 

« Plût à Dieu qu'en ce moment je fusse à Rome ! Je n'aurais 
pas sous les yeux les maux qui nous accablent. Ils sont tels que 
je pourrais à juste titre m'écrier avec le Prophète : O épée du 
Seigneur, quand donc te reposeras-tu ! » 

C'est en qualité de gardien des Cordeliers que le P. Lacombe 
signa une adresse à l'Assemblée Nationale sur le décret du 18 
février 1790, qui établissait une différence entre la pension des 
religieux mendiants et les autres. L'adresse exposait que le grand 
couvent des Cordeliers de Paris avait plus de 30.00 francs de 
rentes foncières, et que l'ordre des Minimes conventuels avait 
depuis longtemps le privilège de posséder des immeubles. Cette 
adresse, signée également du P. Bourgade, secrétaire, protestait, 
d'ailleurs, du respect des Cordeliers pour l'assemblée et de leur 


(1) N° d'octobre 1834. 


AU VIEUX SAINT-AGRÈVE 323 


soumission à ses décrets. On peut être étonné de n'y trouver 
aucune réclamation en faveur de la profession religieuse, comme 
il y en eut alors de différentes communautés de la capitale. Il 
est certain, du moins, que le P. Lacombe était fort affectionné à 
son ordre. Il resta, tant qu'il le put, dans sa maison, et n'en fut 
arraché qu'en 1792 pour être enfermé aux Carmes. Etant 
tombé malade dans cette prison, le zèle d’un de ses confrères le 
tira de là peu de jours avant le massacre. Ce confrère était le P. 
Bourgade qui, pendant la Révolution, n'avait pas tout-à-fait 
suivi la même ligne que Lacombe, puisqu'il avait prêté le serment 
constitutionnel. Il profita de son crédit pour délivrer son confrère, 
et ce trait lui fait d'autant plus d'honneur qu'ils n'étaient pas très 
bien ensemble, et qu'il avait protesté dans le temps contre 
l'élection de Lacombe comme gardien, prétendant qu'il y avait 
eu quelque irrégularité. 


Sorti des Carmes, Lacombe rentra encore dans sa maison des 
Cordeliers et y resta en surveillance. Il en sortit le dernier sur 
les ordres réitérés qu'il reçut. Depuis, il resta toujours à Paris, 
exerçant son ministère en secret. Quoiqu'il n'eut jamais fait 
aucun sérment,il échappa aux persécutions de toutes les époques. 
Il tenait à honneur d'avoir traversé les temps les plus difficiles 
sans s être soumis à aucunes des formules ou déclarations impo- 
sées successivement au clergé Cette manière de voir le porta 
même à adopter en partie les idées des adversaires du concordat 
de 18o1. Il ne parut plus dans les églises à cette époque et 
disait la messe chez lui. Une brochure qu'il publia en 1816, sous 
le titre d'Hommage aux principes religieux et politiques ou Court et 
simple extosé de quelques vérités importantes, par C. A. L. de C. 
(in-8° de 82 pages), fit un certain bruit, parce qu'elle attaquait 
trés vivement le concordat et les concordataires, qu'il qualifiait 
d'assermentés et d'intrus et qu'il engageait à revenir à l'unité de 
la foi. Il y euttrois éditions de cet écrit, auquel répondit un 
anonyme qui signait M. P. Peu aprés, le P. Lacombe donna une 
suite de lettres sur l'Elat actuel de l'Eglise de France : il y en eut 
douze publiées successivement sous le format in-12. Dans les 
premières, il continue ses attaques contre le concordat ; dans la 
neuviéme, il semble revenir sur ses pas, et dit quil ne faut pas 


324 UNE PROMENADE ARCHÉOLOGIQUE 


rompre l'unité, mais se soumettre aux pasteurs.Il prenait,en effet, 
des pouvoirs de l'ordinaire et paraissait dans les églises, et tout 
porte à croire quil s'était repenti de l'intransigeance manifestée 
dans l'Hommage. 

En 1819,le P. Lacombe publia un écrit sous cetitre: Les 
regards d'un chrétien tournés vers le Saint-Sépulcre, ou Invitation 
aux princes de se coaliser pour garantir le tombeau du Sauveur des 
insulles des infidèles, par C. A. C. in 8°. On sait qu'il y avait 
autrefois, aux Cordeliers de Paris, une confrérie du Saint-Sépulcre. 
Le P. Lacombe prenait le titre de commissaire général de l’ordre 
royal et archiconfrérie du Saint-Sépulcre, et en cette qualité il 
reçut, depuis la Restauration, plusieurs membres de l'ordre. Et 
l’on peut observer, en passant, que cette circonstance donne une 
valeur toute particulière au reliquaire dont il fit don à l'église de 
son pays natal. 

Le P. Lacombe mourut presque subitement le 10 octobre 
1834, la même année que le P. Bourgade, celui qui l'avait tiré 
de la prison des Carmes Sa mort est ainsi rapportée dans l'Ami 
de la Religion : 

« Le P. Lacombe confessait quelques personnes et allait pour 
le même objet dans quelques communautés. Le jour de sa mort, 
il s'était trouvé un peu indisposé le matin ; mais il voulut aller 
confesser un de ses malades au palais Bourbon ; la route et les 
efforts qu'il fit pour se faire entendre de ce malade, qui était fort 
sourd, le fatiguérent. Il eut peine à retourner chez lui, On envoya 
chercher un médecin, mais il était mort quand le médecin arriva. 
Ses obséques eurent lieu le dimanche, 8 octobre, à l'église St- 
Séverin, sa paroisse. Le P. Lacombe était un homme estimable, 
attaché à son état, bon confrère et de mœurs fort douces. » 


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e © 


La chapelle de N. D. de Lestra ou de Lestrade, du latin Strata, 
se trouvait sur la place moderne du marché, en face de la maison 
Legoux, à l'endroit où est aujourd'hui la fontaine. 

En réparant celle-ci vers 1860 on trouva dans le sol de nom- 
breux ossements. 

M. Olier, le fondateur de la compagnie des prêtres de Saint- 


M =) 


AU VIEUX SAINT-AGRÈVE 325 


Sulpice, visita St-Agrève lors de son voyage à Viviers en 1652. 
Et voici ce qu'on lit à ce propos dans la vie de ce prêtre illustre : 

« En quittant Viviers pour se rendre au Puy, M. Olier prit sa 
route par Privas pour se rendre de là à St-Agrève, où la très 
sainte Vierge était honorée alors d'une manière spéciale. Ce 
dévôt serviteur de Marie, arrivé à ce sanctuaire, offrit de nouveau 
ses services et ceux de sa compagnie à l'auguste reine du 
clergé, et y laissa, en signe de sa dévotion, un tableau remar- 
quable qu'il avait fait peindre (1). » 

Il serait intéressant de savoir ce que ce tableau est devenu. 

Voici les noms de quelques recteurs de N. D. de Lestra : 

1273. lerras. 

1325. Lafaurie. 

1341. Michel Cros. 

XIV: ou XV: siécle. Capreyrolles. 

1573. Gontard. 

1581. Louis Terrasse. 

1583. Gontard. 

1643. Louis. 

1643. Gérin. 

1668-1672. Pierre Chareyre. 

1750. Gabriel Faurel. 

1782-1789. Du Fourel. 

La chapelle fut démolie à l'époque de la Révolution, et la 
vieille statue de la Vierge fut alors portée à l'église paroissiale 
située dans la haute ville. Nous avons vu cette vénérable relique 
chez M. l'abbé Legoux jui l'a fait restaurer avec soin : c'est une 
Vierge noire, en bois de cédre ou de pin, qui a près d'un mètre 
de hauteur. Elle est vêtue d'une robe rouge, avec un manteau 
bleu, et porte la couronne royale rouge avec des bandes d'or et 
un collier d'or à trois rangs. L'enfant Jésus est devant elle et non 
pas sur ses bras. 

Parmi les familles indiquées comme ayant leurs tombes à la 
chapelle de Lestra, nous voyons les Bollon (quoiqu'ayant 
aussi une chapelle à l'église paroissiale), les Marson. seigneurs 
de Seneclause et de Montgros, lss Brunel d'Arcenesche, etc. 


(1) Wie de M. Olier, par M. de Bretonvilliers, IT, 310. — Vie du même, par 
M. Faillon, Ill, 341. 


326 UNE PROMENADE ARCHÉOLOGIQUE 


L'ancienne maison des Marson est celle qui appartient aujour- 
d'hui au pasteur Boyer. 

M": Charra possède la maison de Flossac. 

La maison des Brunel est celle qui fait saillie sur la ligne des 
autres maisons, avec des croisées anciennes, sur la place des bes- 
tiaux. 

L'école des Frères occupe la maison du Grail, etc. 


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* * 


En dehors des trois grandes voies aboutissant à St-Agrève, les 
vieux actes mentionnent : 

Le chemin allant de la ville au faubourg de N. D., en passant 
par la Reclusière (peut-être est-ce le même que le chemin du 
Sabot) ; 

Le chemin allant de la ville à la croix Granette, en sortant par 


la porte de St-Ursin ; 

Le chemin des Rogations, allant de la croix Granette à la Font 
de St-Agrève ; 

Le chemin allant de St-Agrève à Chavagnac, passant par la 


Ruelle et le pré de Coussac ; 
Un sentier (viol) allant de St-Agrève au moulin du Serret, etc. 


Quelques actes mentionnent la « croix de Largier hors la ville », 
probablement à proximité de la porte Largier. 

Au sujet des grandes routes passant à St Agrève, les données 
ci-après, recueillies à diverses sources, montrent les louables 
efforts qui furent faits au XVIIIe siècle pour améliorer le réseau 
des voies de communications dans cette région. 

En 1710, les Etats du Vivarais votent une allocation pour des 
réparations aux ponts existants sur le chemin d'Aubenas à Saint- 
Agrève. 

En 1717, l’Intendant du Languedoc prescrit aux possesseurs 
de terres joignant les chemins, de les faire réparer dans toute 
l'étendue de leurs terres, en sorte que les charettes puissent 
aisément passer partout. Il permet même aux syndics du Vivarais 
et du Velay de les faire réparer aux frais de ceux qui n'obéiraient 


pas à cet ordre (1). 


(1) Docteur Annauv. — Histoire du Velay. 


ee ne manne me 


AU VIEUX SAINT-AGRÈVE 327 


Les difficultés pour l'établissement des chemins n'étaient pas 
médiocres, à en juger par un Mémoire du sieur Raymond du 
Pontet, juge et bailli de partie des terres de l'évèque du Puy en 
Velay et de celles du comte Clermont de Chaste dans le haut 
Vivarais, en date de 1741. L'auteur du Mémoire propose à l'In- 
tendant du Languedoc de faire exécuter ses ordonnances à ce 
sujet par un personnage, accompagné d'un ou plusieurs détache- 
ments des troupes qui sont et seront cy aprés dans les pays de 
Vivarais et Velay, « pays, dont les habitants, qui sont presque 
tous calvinistes, portent l’insolence et la férocité jusqu'au dernier 
excés » (1). 

La grand'route de St-Agrève au Puy par le pont de Mars et 
Foumourette date du milieu du siècle dernier. Elle est désignée 
sous le nom de nouveau chemin royal dans plusieurs actes 1e 
1756, 1764, etc. Elle n'était pas terminée en 1760, dans la partie 
située entre le pont de Mars et le Puy, car une lettre de cette 
année, adressée par le curé de Tence aux auteurs de l'Histoire du 
Languedoc, parie du chemin proyeté du Pont de Mars au Puy 
par Foumourette, en observant qu'il sera inutile en temps d'hier 
et qu'il vaudrait mieux le diriger par St-Jeure et St-Hostien. 

Au conseil de ville de St-Agrève, le 21 juillet 1771, les consuls 
exposent que la grand route du Vivarais par le Velay et le Forez 
passant par deux rues de St-Agrève, il est essentiel de la paver et 
de la rendre commode aux vovageurs et aux charettes. Il faut 
demander aux commissaires du pays, dont le bureau est à Viviers, 
la construction du pavé de ces deux rues, servant à l4 grand’ 
route, l’une par le Puy, l'Auvergne, le Limousin, le Bourbonnais 
et l'ile de France, et l’autre pour Montfaucon. le Forez, le Lyon- 
nais, en offrant de fournir les matériaux. IÎl faut aussi élargir la 
rue en prenant sur le jardin Brunel. 

Le 25 avril 1772, des commissaires des Etats du Vivarais venus 
ad hoc à St-Agrève, accordent à la communauté le pavé des deux 
rues du bourg Lestra servant à la grand'route. Le travail fut 
exécuté en 1774, mais on voit qu'en 1780 ces deux rues étaient à 
peu près dans le même état qu'auparavant « par le grand faix des 
charettes chargées de sel et autres », et qu'une nouvelle réparation 


(:) Archives départementales de l'Hérault. 


328 UNE PROMENADE ARCHÉOLOGIQUE 


était indispensable. Quatre ans après, la dépense de pavage à 
faire pour ces deux « rues routières » est évaluée à 4.000 livres. 

A | Assiette de 1781, on présenta le devis du chemin à cons- 
truire depuis le pont de St-Agréve jusqu'aux limites du Velay 
pour rejoindre celui de Tence, Montfaucon et St-Didier que le 
Velay avait entrepris, sur les réclamations pressantes du Vivarais, 
et qui devait lui coûter 165.000 livres. La dépense de la partie 
concernant le Vivarais était évaluée à 8.324 livres. 

En 1782, on trouve que le devis pour la construction du che- 
min de St-Martin-de-Valamas jusqu'à Beauvert, et jonction de 
celui du Cheylard à St-Agrève, revient à 2.200 livres, etc. 

# 
* + 

Notre intention était de compléter cette petite étude d'histoire 
et d'archéologie sur une partie trop peu connue de notre dépar- 
tement, par quelques notes et considérations d'un ordre plus 
moderne sur les conditions économiques et sociales de la région, 
sur le caractère politique et religieux des populations, enfin sur 
toutes les questions qui se rattachent plus particulièrement à la 
vie pratique et aux intérêts du jour. Mais, réflexion faite — outre 
qu'un livre court est toujours lu plus volontiers que les autres 
— il nous a paru que cette catégorie des notes de notre agenda 
de touriste seraient mieux à leur place dans une publication d'un 
autre genre, et nous les avons renvoyées à notre prochain Voyage 
au pays des Boutières dont le premier volume, consacré à la région 
de Vernoux, est déjà sous presse, et dont la suite, comprenant la 
région de Lamastre et de St-Agrève, paraîtra, si Dieu nous prête 
vie, dans le courant de l’année 1903. 


ERRATA ET ADDENDA 


Notre premier chapitre, consacré à la légende de St-Agrève, 
est basé principalement sur les données historiques contenues 
dans : 

Les Bollandisies, | 

L'Histoire du Languedoc, des Bénédictins, 

L'Histoire du Velay, du docteur Arnaud, 

Le Congrès scientifique de France tenu au Puy en 1856, 

Les Annales de la Société d'Agriculture du Puy, 

Les Tablettes du Velay, etc. 


CE 


AU VIEUX SAINT-AGRÈVE 329 


Parmi les ouvrages que l'on peut encore consulter sur cette 
question, il faut citer : 

Les Chroniques de Médicis, 

Le Sanctoral de Just de Serres, 

Le Sanctoral de M. de Maupas, 

La Vie de M. de Lantages, 

Le livre d'Odo de Gissey sur N.-D. du Puy, 

Le procés-verbal de translation des reliques de St-Agrève qui 
se réfère à un procès-verbal antérieur, 

La Semaine religieuse du Puy, qui a publié une étude de 
M. Fraysse sur les évêques du Puy, 

Le journal de Dom Bover, édité à Vanière, etc. 

En résumé, de toutes les données connues, il résulte de graves 
présomptions en faveur de l'authenticité dela légende : 

En premier lieu, le nom de St-Agrève donné à la localité où il 
mourut, 

Puis la persistance de l'Eglise du Puy à célébrer la translation 
des reliques de ce saint, de St: Agrève au Puy, 

Enfin la construction au Puy sur son tombeau d'une église, 
devenue paroissiale et collégiale, et démolie ensuite pour faire 
place au grand Séminaire. 

Plus on réfléchit, plus il semble impossible, comme nous 
l'écrivait naguëre un érudit du Velay, de ne pas trouver là un 
ensemble suffisant pour conclure raisonnablement à la vérité de 
ce fait : St-Agrève, évêque du Pay, a été marlyrisé dans le Vivarais, 
el ses reliques sont revenues au Puy. 


+ 

P. 8. — St-Agrève aurait été pillé vers 735 par les Sarrasins, 
allant au Monastier. (MS. de M. Fraysse, curé de Tence, cité 
par M°®e Brioude : Recherches historiques sur Tence). Les légendes 
sur l'expédition sarrasine du Monastier, rapportées par Mandet 
(Histoire du Velay) sont empruntées à Labbe qui les aurait tirées 
lui-même des manuscrits de François Bosquet, évêque de 
Montpellier. 


L 3 
+ « 


P. 27. — Il résulte d'une lettre de M. de Rochebonne au Roi, 
datée du Puy 18 septembre 1569, que ce personnage, alors gou- 
verneur du Velay, avait pris St-Agrève l'année précédente, et 
qu'il venait à ce moment de prévenir une tentative contre cette 
même place : «... Aussi faillirentils à prendre une autre ville 
nommée St-Agrève par escalade, et qu'est d'importance, et 
laquelle j'avois prins l'an passé ; mais, Dieu merci, le tout fut 
découvert... » (V. notre second volume ues Notes et documents su 
les huguenots du Vivarais, p. 120). | 

.e 

Pages 59 et suivantes. 

Nous résumons briévement quelques renseignements supplé- 
mentaires sur Phelise d'Assenne et ses descendants, que nous 
devons à l'obligeance de M. Charles du Besset. 

22 


330 UNE PROMENADE ARCHÉOLOGIQUE 


Guillaume de la Gruterie, le mari de Phélise, avait plusieurs 
frères et sœurs, parmi lesquels Jacques, sgr de la Gruterie (qui 
épousa Geneviève de Pélissac, dont il eut trois enfants, entr’ 
autres Marguerite, mariée à François de Tournon dit de Meyres. 
puis à Pierre de Rosières, que nous avons eu le tort de confondre 
(p.59) avec sa cousine-germaine, fille de Phélise d'Assenne), et 
Jean, commandant pour le Roi à St-Agrève, que l'on voit inter- 
venir en 159$ au contrat de mariage de sa sœur Anne avec noble 
François de Pibeier. 

Le mariage de Phélise. fille de Phélise d'Assenne, avec 
Gaspard du Vergier est du 29 mars 1553. Cette Phélise testa le 21 
avril 1607, en faveur de sa tille aînée, qui fut mariée le 4 mars 
1612 à François de Chanaleilles. 

Le 7 mai 1571, Phélise d'Assenne nomme elle-même un châte- 
lain du mandement de Maisonseule, ce qui est une confirmation 
de son second veuvage à cette date. 

Le $ mars 1574, Jean de la Gruterie, fils de Jacques et neveu 
de Phélise d'Assenne, occupait le château de Maisonseule, où il 
retenait prisonnier Odon de la Garenne ; il était capitaine d'une 
compagnie de so hommes de pied et avait pour lieutenant Guyot 
de Fay-Solignac. 

Le mariage d'Alexandre, fils aîné de Phélise d'Assenne avec 
Antoinette Bayle, fille de Guillaume, seigneur de la Motte-Brion 
et de Gabrielle de Chambaud, est du 20 février 1583. Ils eurent 
douze enfants. 

Jean, leur fils aîné, tué au siège de Soion en 1629, eut pour 
successeur Claude qui acquit en 1644 la terre de Lamastre au 
prix de 38.000 livres. Îl testa en 1668 

Antoine Marie, héritier de Claude, mourut en 1730 sans posté 
rité et eut pour héritières ses deux sœurs : Claudine. qui resta 
fille, et Jeanne, qui, mariée à Philibert de Chevrière, porta dans 
cette famille une partie des biens des Maisonseule. Plus tard, 
Claudine laissa les siens à son neveu, fils de Philibert. 

+ 

P. 91. — À propos des droits seigneuriaux des seigneurs de 
St-Agrève. voici ce que nous lisons dans l'inventaire des biens de 
Just Louis de Tournon mort en 1617 (article incomplètement 
reproduit, p 122) : 

Item la baronnie. ville et chasteau de St-Agrève, n'y ayant que 
les masures du chasteau qui y solloit estre, avec toute juridiction, 
haute, movenne et basse, 

Et dépend de ladite baronnie les lieux et paroisses de Lestras 
et autres lieux et mas escartés, 

Et le revenu consiste en rentes contenues ès terriers et lièves, 
droits de lods, tailhabilités aux cinq cas et autres debvoirs sei- 
gneuriaux accoustumés ; 

Le greffe et amendes, 

Le péage par terre, 

Le droit de levde, 

Le four banyer. A. MAZON. 


TOUR OÙ CLOCHER 
DE VIVIERS 


(Suire IV) 


Ces diverses circonstances, et le désir d'avoir l'avis d'une 
personne compétente, me suggérèrent l'heureuse idée d'écrire, 
sur le sujet qui nous occupe,à M. le chanoine Reusens lui-même. 
C'est ce que j'eus l'honneur de faire le 9 décembre dernier. Je lui 
envoyai en même temps une «copie de la page épigraphique 
reproduite ci-dessus, encore inédite, et qui attendait un interprète 
autorisé. » J'y ajoutai, avec l'exposé de ma manière de voir, un 
résumé des signes ou marques lapidaires et des sculptures histo- 
riées qui tapissent notre monument. 

L'éminent professeur voulut bien, quelques jours après, 
m'adresser en réponse la lettre insérée à la fin de cette brochure 
(Note E), et m'indiquer, comme sources à consulter sur la 
matière, les trois ouvrages suivants : 

L'eArchitecture romane du Midi de la France de M. Revoil, 1867 ; 
l'Archéologie du Moyen-Age et ses méthodes, par M. Brutails, 
archiviste de la Gironde, juge au tribunal d’Andorre, 1900 ; 
l'Archéologie Lombarde, par de Dortem. 

Un de nos amis, qui habite Paris, a constaté que ce dernier 
ouvrage n'existe pas à la bibliothèque nationale. De celui de 
M. Brutails, qui s'y trouve, nous donnons quelques extraits à la 
fin de la Notice. Ils ont été relevés à notre intention. Qu'il nous 
suffise d'en rapporter ici les lignes qui suivent : 4 Ces signes 
(lapidaires) sont généralement des marques de tächerons, des signa- 
tures apposées sur les blocs pour permettre de reconnaître 
l'ouvrage des tailleurs de pierres à la tâche... Ils figurent des 
lettres, surtout les premières de l'alphabet et celles qui sont faciles 
à graver.) 

M. Revoil, qui écrivait trente trois ans plutôt que l'archiviste 
de la Gironde, parle d'une manière plus absolue et plus exclusive. 
Il estime que signes et lettres lapidaires de la coupole de Viviers 


332 LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 


ne sont que des signes ou marques de tächerons. Je ne vois pas 
que, sous sa plume, il soit nulle part question de signes, de 
marques d'appareilleurs ou chefs ouvriers exécutant les ordres de 
l'architecte (1). 

S'il parle de lettres initiales, de sigles, il le fait sans les diffé- 
rencier des simples lettres alphabétiques, sans leur attribuer un 
sens particulier, spécial et surtout religieux. 

Tout en nous inclinant avec respect devant la science de nos 
maitres, et nous souvenant de l'antiquité respectable des marques 
de tailleurs de pierres, puisque M. Dieulafoy en a trouvé jusque 
dans les ruines de Ninive, nous ne pouvons nous empêcher de 
faire ici quelques timides observations. 

Que les signes lapidaires (lettres ou autres) aient généralement, 
comme le dit l'auteur de l'architecture au moyen-äge, la significa- 
tion qu'on vient d'indiquer ; surtout quand il est question de 
murs d'édifices profanes, ou de murs d'édifices religieux, mais 
extérieurs, ou bien quand il s’agit de signes vulgaires, tels qu'un 
outil, une figure géométrique quelconque, je le veux bien. 

Mais qu'il en soit foujours ainsi, qu'il n'y ait pas d'exception, 
même pour un monument religieux comme l'était, dès l'origine, 
notre coupole, couronnement d'une chapelle, sinon d'un baptis- 
tère ; même pour la croix, le monogramme du Christ et autres 
symboles sacrés, c'est ce qu'il paraît diflicile d'admettre. L'esprit 
religieux de l’époque n'était il pas trop profond pour permettre 
un tel abus, pour autoriser des ouvriers inconnus à couvrir uni- 
quement par vanité, les voutes du lieu saint de gros caractéres 
sans signification ; alors qu'il leur était facile de marquer leurs 
pierres avec de simples lettres onciales, en tout cas moins voyan- 
tes, comme on l'a fait plus tard sur les murs, même extérieurs,de 
la cathédrale ? 

Il est vrai que M. Revoil, « ne s'attachant pas à savoir qu'elle 
était la destination du monument, » s'occupe seulement de ce 
qu'il désigne par le nom de « grande salle du premier étage 
surmontée d'une coupole » (Note Bj. 

D'édifice sacré, il n'est nullement question ; aucune allusion à 
l'idée religieuse. Les signes hiératiques que nous avons énumeé- 


(1) Voir son Inlioduclion, pages 1 — XXIV, passim ; son apfendice. 


= em nr nn y 


LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 333 


rés, assez nombreux cependant, croix de diverses sortes, colombe 
symbolique, Alpha et Oméga, etc., lui échappent. 

En reproduisant, dans une planche, l'inscription gravée sur 
une seule pierre, et terminée ainsi par une croix de St-André : 
AIS7x, il néglige cette dernière et se contente d'insérer les quatre 
lettres. Parmi les ornements variés gravés sous la voûte, il ne 
mentionne que les sujets profanes. Le monogramme même du 
Christ est rangé sans réflexion parmi les marques vulgaires des 
tâächerons, « Le monogramme du Christ, dit-il, quelquefois un 
ornement pris dans l'épaisseur de la pierre, comme à St-Gabriel, 
à Viviers, remplace les lettres alphabétiques. » (1) 

Voici plusieurs preuves ou présomptions en faveur d'une 
exception à la règle générale posée par M. Brutails, et de l’exis- 
tence, dans notre coupole, de signes lapidaires, lettres et autres, 
en dehors de ces marques. 

so Nous venons de voir, d’après cet auteur, que les tâcherons 
pour marquer les pierres qu'ils taillaient, employaient entre 
autres signes des lettres de l’alphabet, surtout les premières et 
celles qui sont faciles à graver. Or, dans la Tour de Viviers, au 
contraire, on s'est servi des dernières lettres alphabétiques en 
même temps que des plus difficiles à graver. La lettre S par 
exemple est la plus fréquente de toutes. Nous l'avons vu pour le 
côté nord à la page 41. Au côté du sud-est, sur 56 lettres, elle figure 
25 fois, ce qui fait près de la moitié (Note C). De plus, cette lettre, 
à cause de sa forme, est bien celle qui présente le plus de difficulté 
au graveur. Cette particularitéexplique sans doute pourquoi parmi 
les nombreuses lettres du mur de la Cathédrale — lettres quisont 
sans conteste des marques de simples tailleurs de pierres — le 
S ne figure pas une seule fois, si je ne me trompe. 

Conclusion à tirer. C’est que : lettres, signes, emblèmes 
religieux surtout, figures symboliques, ornements, ont été 
choisis, gravés ou sculptés, non pas tout-à-fait au gré, à la 
fantaisie des ouvriers subalternes, mais sous l'inspiration, par 
ordre de l'architecte, du « Maistre-és-pierres », dont les plans 
et devis étaient exécutés par les ouvriers chefs, les appareilleurs. 
La lettre S, initiale des noms de Salard(us) et de Sefan{us) 
pour Sfepha(nus), architectes présumés, le premier surtout, aura 


(1) Introduction. 


334 LA TOUR OÙ CI.OCHER DE VIVIERS 


été mise de préférence, comme sigle, selon la remarque déjà faite 
quelques pages plus haut. 

2° Les ouvriers à la tâche, au Moyen-Age, marquaient leurs 
pierres, d'une lettre, d'un signe, mais rarement de deux, encore 
moins de trois et au delà, sur le même bloc. Îls ne tenaient pas, 
cela se comprend, à s'imposer un travail superflu et non rémunèré. 
C'est ainsi que, en dehors de la coupole, soit au bas de la Tour, 
soit sur la cathédrale, la marque est toujours unique, isolée, sur 
les pierres. Or, ici il en est tout autrement. Sur la même pierre, 
au nord seulement, on trouve à la 1"° et à la 6° assise, trois lettres 
ou signes : STI, sa : à la 7° et 10°, quatre : AIST, xAP et une 


colombe : à la 7°, jusqu’à : cinq AIS-x (2° gravure). 

Si nous considérons les huit faces de la coupole, en général, 
nous y trouvons quarante carreaux d'appareil, où sont gravés à 
la fois deux lettres ou signes, et quatorze où il s'en trouve trois. 
Deux en renferment quatre et deux autres jusqu'à cinq. Nous ne 
comptons pas les quinze pierres sur lesquelles sont inscrits les 
noms ou les mots signalés ailleurs. Parmi ces 58 petits blocs, 
l'S figure jusqu'à 43 fois, et les lettres variées qui la précédent et 
surtout qui la suivent sont : A, I, L,N,R, avec le T, l'@ et la + 
formant les sigles : S.A., S.E. ou [.S., S.L., S.N., SR., S.T. 
ou T.S., S.+., SQ— S.T.T., T.S.T., etc. 

3° Il existe à Trèves, en Allemagne, une inscription tumulaire, 
reproduite par M. de Caumont, dans son Rudiment d'Archéologie. 
Dans cette inscription figurent : un À suivi d'un P et d'un @,avec 
une colombe avant et une colombe après ces trois lettres grecques. 
Le P au dessous de la panse est traversé par une barre horizon- 
tale en forme de croix. 

Ici, nous avons quelque chose d'analogue. La différence c'est 
que l'A est précédé d'une X au lieu d'une première colombe, le 
P n'est pas barré, et l'on a négligé l'Q, déjà inscrit quatre assises 
plus haut. 

Dira-t-on aussi que c'est une marque de tâcheron ? Il faudrait 
alors convenir que les plus humbles ouvriers de ce temps-là 
n'étaient pas moins instruits que pieux,et qu'ils ne reculaient pas 
devant une perte de temps pour marquer leurs pierres. Nous 
pourrions faire la même observation,soit pour d'autres épigraphes, 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 335 


celles par exemple où figurent le grand oméga et le groupe des 
quatre lettres terminé par la croix, soit pour certains autres 
signes ou figures encore plus compliqués. 

Pour tous ces motifs réunis, en admettant qu'il existe dans 
notre coupole des signes lapidaires et un certain nombre de lettres 
simplement alphabétiques, sans signification particulière, nulle- 
ment employées à remplacer des mots entiers. nous avons la 
conviction que le plus grand nombre des lettres sont des sigles 
proprement dits, des lettres initiales destinées à former un sens, 
des mots, des phrases. Ces mots, ces phrases, il est difficile de 
les déchiffrer, de les lire, mais ce n'est pas impossible, une fois 
la clé trouvée. Une indication qui peut aider à discerner les 
sigles d'avec les simples lettres alphabétiques de tâcherons, c'est 
que les caractères dont ils sont formés doivent être les mieux faits. 
La raison en est qu'ils ont été exécutés, non par des ouvriers à la 
tâche, mais par des ouvriers à la journée, sous les ordres de 
l'appareilleur. 

De mème que le dôme est orné de figures religieuses ou sym- 
boliques : anges, saints nimbés, colombe, biche, cep de vigne... 
à côté de quelques figures profanes ; de même qu'il y a des 
signes sacrés parmi des signes vulgaires ; ainsi, à côté de lettres 
insignifiantes, muettes, de lettres mortes, si je puis ainsi dire, 
il doit y avoir, il y a des lettres significatives, parlantes, auxquelles 
est joint un sens plus ou moins intéressant à rechercher. 

En terminant cette matière. j'ajouterai que. d'après ma convic- 
tion personnelle, il y a eu une direction, une impulsion imprimée 
par le fondateur de la Tour ou l'architecte, le maistre-ès-fierres 
ou chef de corporation, comme on l'a aussi appelé, dans l'orne- 
mentation, l'embellissement lapidaire, l'expression de l'idée 
religieuse,accomplis en ce monument qui,malgré la croyance d'un 
grand nombre de siécles, n’a jamais rien présenté de profane, 
encore moins de païen à son origine. 

Je crois que, dans la plupart des nombreux caractères de l'inté- 
rieur de la Tour, on n'a rien laissé entièrement à la fantaisie des 
tâcherons, de même qu'on n'a pas abandonné au caprice des 
artistes l'exécution des sculptures historiées. En un mot, quand 
on considère que, à la construction de la partie inférieure de 
l'édifice a préside l'idée et une direction religieuse, il n'est pas 


336 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


possible de ne voir, dans ces figures et dans ces signes, que des 
sujets de chasse et de simples lettres alphabétiques d'obscurs 
ouvriers à la tâche, au lieu de sigles religieux et de signes 
emblématiques et symboliques. 


Deuxième élage. I] présente une forme particulière sous plusieurs 
rapports et excite la curiosité des architectes. M. X. l’appelle la 
« chambre de lumière, » qui servait à éclairer par le haut l'inté- 
rieur de l'étage à coupole. Le pavé, formé d'épaisses dalles en 
pierres de diverses dimensions, offre l'aspect du dessus d'une 
voûte de pont non encore comblé, ou. si l'on veut, d'un toit à 
deux égouts. Au lieu d'être une surface plane ou de former, au 
dessus de la coupole, un dôme octogone comme elle, il présente 
deux versants d'égale étendue, se dirigeant vers le nord et le 
midi. Ces deux côtés principaux de l'octogone, en s'arc-boutant, 
produisent une arête horizontale et arrondie au milieu de laquelle 
surgit le lanternon. auquel ils servent de solide appui. 

Lette seconde ouverture circulaire de 1 métre 70 de diamètre, 
élevée seulement de 1 mètre 25 au dessus de la forme de la 
coupole, ne dépasse l'arète que d'une quarantaine de centimètres. 
Elle livre passage aux quatre cordes des cloches, pour permettre 
de les tinter d'en bas pour diverses sonneries religieuses. On l'a 
prudemment environnée d'une balustrade en fer, afin de préserver 
les habitués du clocher et les curieux de tout danger d'accident. 

Encore ici des arcades romanes, ce sont les dernières et celles 
qui présentent le plus de régularité. Elles sont entièrement cons- 
truites en pierres de taille et ne traversent point les murs. Il yen 
a huit, deux sur chacun des quatre côtés de la Tour. Elles ont 
toutes 5 mètres en hauteur, 1 mètre 40 en largeur ; leur enfonce- 
ment ou relief est de 1: mètre 10. Un cordon en pierre, formant 
leur imposte et servant de chapiteau aux piliers, se prolonge hori- 
zontalement et court sans interruption tout autour de l'intérieur 
de cet étage, formant ainsi une moulure d'au moins trente six 
mêtres de longueur. 

Nous avons déjà parlé des douze fenêtres de cet étage, en 
en décrivant l'extérieur. Ajoutons seulement ici que toutes celles 
qui sont à jour ont été percées dans une des huit arcades et ornées 
d'une archivolte. Leur hauteur est, en général, de 1 mètre 50 


me ——— = —— = 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 337 


environ et leur largeur de 55 à 65 centimètres. Elles sont munies 
d'abat-vent, à l'exception d'une seule. 

Particularité à noter. C'est par cet étage qu'on communiquait 
autrefois et qu'on communique encore avec la première terrasse. 
On y descend aujourd'hui à l'aide d'une solide échelle en fer, 
tandis que jadis c'était par un escalier en pierres. Cet escalier, 
ruiné en partie, introduisait l'humidité dans la voûte de l'abside. 
Ïl y a une vingtaine d'années qu'on l'a remplacé. 

Au dessus des huit arcades devait exister une troisième voûte 
en pierres, avant l'exhaussement de la Tour par la construction 
de la partie octogone. Ce qui permet de le croire, c’est l'existence 
des pierres sculptées qu'on aperçoit dans les angles et qui 
devaient servir de point d'appui aux arcs diagonaux destinés à la 
soutenir, à l'instar de ce qu'on voit au rez-de-chaussée. Ces 
pierres sont des figures d'hommes grossièrement traitées, dont 
trois seulement sur quatre subsistent encore. Elles sont devenues 
un peu méconnaissables par suite des mutilations qui s'y sont 
produites. 

Mais, hâtons-nous de monter à la partie supérieure de la Tour. 
Voici, au nord, l'escalier qui y conduit. Placé à gauche des deux 
fenêtres visiblement obstruées de ce côté de la Tour, il semble 
vouloir;se dérober à la vue, derriére le pilier qui le renferme. 


Deuxième partie de la Tour ; description de l'intérieur. 


Nous sommes à la partie de l'intérieur qui correspond au qua- 
trième cordon de la Tour, c'est-à-dire au plancher sur lequel 
repose le beffro: ; au troisième étage, celui qui renferme les cloches, 
les fenêtres ogivales, et que couronne une seconde coupole, moins 
remarquable assurément que la première, mais qui a aussi son 
intérêt. 

Beffroi — Cloches. À cet endroit, où la transition entre la forme 
carrée et la forme octogonale de la Tour a été habilement ména- 
gée par l'architecte, il s'opère sur quatre de ses côtés une retraite 
sur les murs. Les ouvriers en ont profité pour appuyer solide- 
ment, et sans danger au point de vue de l'ébranlement de l'édifice, 
les bases de la charpente du beffroi. 

Cette charpente, construite en 1847, est l'œuvre des MM. Baron. 
Appréciée des connaisseurs, elle pourrait utilement servir de 


338 LA TOUR OU CI.OCHER DE VIVIERS 


modèle à l'occasion. « Beffroi trés remarquable par sa solidité et 
l'agencement de ses pièces, dit M. le chanoine Chenivesse. Toutes 
les cloches se meuvent par des roues et c'est un spectacle 
imposant que de les voir en mouvement toutes les quatre à la 
fuis. » Ajoutons que l'on peut, sans aucun péril, satisfaire sa 
curiosité sur ce point, en contemplant la mise à la volée de 
l'intérieur de l'escalier. En 1876, vingt-neuf ans aprés la pose du 
beffroi, un M. Lenoir, ancien fondeur, visitant les cloches, put 
attester que tout était en très bon état « sauf une suspension 
vicieuse des battants, » qu'il fit modifier avec succès. 

Nos cloches forment actuellement l'accord parfait : do,mi,sol,do. 
Elles sont très ornées, surtout les deux plus considérables. 
Rinceaux de feuillages. médaillons variés, bustes ou statues de 
saints en bas-relief, etc. 

À la première furent imposés les noms de Marie-Jeannette, le 
parrain s'appelant Marie Léon de Pierre, marquis de Bernis, et 
la marraine Jeannette Cook, baronne Brugière de Barante. Elle 
est semée d'étoiles, tandis que les deux suivantes sont semées de 
croix. Elle porte en latin ces mots : Vox Domint in virtute ; vox 
Domini in Magnificentià. ( La voix du Seigneur est toute puissante, 
la voix du Setgneur est pleine de magnificence.) ps. 28 ; ensuite 
en français ces autres : Bénite par Mgr J. H. Guibert,gév. de 
Viviers. Cathédrale de Viviers. M DCCCXLVII. Entre autres 
ornementations,on voit d'un côté les armoiries du prélat et de l'au- 


tre St-Vincent, une palme à la main, avec l'inscription : 
dont les lettres, posées les unes au dessus des autres, 


forment une ligne perpendiculaire. 


2mO0Z-< 


La seconde cloche se nomme Théodorine-Joséphine. Elle eut 
pour parrain lhéodore Galitzin, prince russe, et pour marraine 
Joséphine de Verdonnet, comtesse de Jovyac. Inscription : Le 
soir, le malin, el à midi, j annoncerai la gloire du Seigneur. ps. 54. 

Surla troisième onlit: « Je m'appelle Arsène-Elisabeth. » Parrain: 
Arsène Masclary, maire de Viviers ; marraine : Elisabeth Mossan 


LA TOUR OU CILOCHER DE VIVIERS 339 


née Bouzon. Louez le Seigneur avec des cymbales relentissantes, des 
cymbales d'un ton joyeux, ps. 150. 

Enfin la plus petite cloche fut nommée Antoinelle-Sophie ; elle 
eut pour parrain le chanoine Antoine Brun, doyen du chapitre, 
et pour marraine Sophie Flaugergues. On y a inscrit ces mots 
du dernier verset du livre des psaumes : «Que tout ce qui respire 
loue le Seigneur avec allégresse. Alleluia. » 

Fenêtres ogivales. Les sept fenêtres de cet étage sont destinées 
non seulement à l'éclairer, mais à permettre aux cloches de se 
faire entendre jusqu'aux extrémités de la paroisse. Elles sont de 
style ogival à lancette et terminées au sommet par un trèfle. Leur 
belle forme fait regretter qu’elles soient masquées par des abat- 
vent. Ce sera une vraie satisfaction pour le public, lorsque sera 
réalisé le projet que l'on a de les dégager en plaçant ces derniers 
à l'intérieur. 

La hauteur des fenêtres est uniformément de 3 mètres 40. Leur 
largeur varie : elle est de 1 mètre 5 en moyenne. Les jambages, 
taillés à trois pans et portés sur un socle, sont ornés de chapiteaux 
trés $Simples. 

À l'exception des fenêtres, dans cet étage, pas de moulures, 
pas de nervures, rien de sculpté. Aucune inscription, aucune 
figure sur les pierres de la voûte, pas même sur la clé, simple 
pierre ronde grossièrement brochée. À peine, ça et là. quelques 
rares marques de tailleurs de pierre isolées. 

La coupole hémisphérique, jui est très bien proportionnée et 
d'une régularité frappante, n'a d'autre ornementation qu'une 
simple petite corniche placée à sa naissance et courant tout 
autour, en dessinant les huit côtés dont elle est formée. La plus 
haute moitié de la bâtisse au-dessus de cette moulure est faite 
en petits moellons, par assises régulières. Le reste offre la même 
forme de construction, le même genre de pierres que les autres 
parties de l'étage. 

Une particularité qui ne doit pas échapper aux visiteurs ; c'est 
que. sous la calotte de la voûte, il existe un certain nombre de 
trous, les uns carrés, ce sont les plus grands, les autres ronds, 
qui vus d'en bas, sur le fond tirant sur le blanc des pierres, 
ressemblent à autant de tâches noires. Immédiatement au dessus 
de la corniche au levant et au couchant, sont les principales 


340 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


ouvertures carrées, une huitaine environ (1}. Parmi les enfonce- 
ments plus étroits placés sur le milieu du dôme. quelques uns en 
traversent même le sommet. S'ils ne sont pas visibles au dehors 
sur la terrasse de la Tour, c'est qu'ils sont recouverts par 
certaines pierres marquées faciles à déplacer. 

Pour expliquer la cause de ces divers percements partiels des 
murs, il faut savoir que les anciens n'ignoraient pas l'usage des 
ascenseurs, soit pour la construction ou la réparation des tours, 
soit pour leur défense personnelle, et leurs provisions en fait 
d'aliments, d'armes, de projectiles. Ce n'est pas d'aujourd'hui 
que ces engins sont connus. On les a perfectionnés sans doute, 
mais leur emploi remonte bien des siècles au-delà de notre époque. 

De solides poutres ou plateaux, enfoncés dans ces creux de 
murailles et munis de forts anneaux ou crochets, servaient à 
soutenir, au centre du bâtiment, poulies, cables, cordages, tout 
ce qui composait les systèmes variés,et plus ou moins compliqués, 
de locomotion ascendante et descendante qui étaient en usage 
dans ces temps reculés. 

Je dis variés et plus ou moins compliqués, car ils n'étaient pas 
partout ni toujours les mêmes. C'est ainsi qu'à la tour vraiment 
remarquable et très ancienne de Montréal (Ardèche), un plancher 
mobile (2) — ce qu'on appellerait aujourd'hui la cage de l'ascen- 
seur — était hissé du bas de l'édifice jusqu'à la hauteur des 
diverses portes latérales pratiquées dans les murs. Les corbeaux 
ou pierres saillantes sur lesquels il reposait subsistent encore, 
autour de l'intérieur du monument. Le vrai mécanisme employé 
pour faire monter ou descendre à volonté ce plancher mobile, 
appelé vulgairement pont-levadis, ne nous est pas entièrement 
connu. Mais quel qu'il fût il paraît certain qu'on utilisait pour 
cela de nornbreux anneaux. On en voit encore un certain nombre 
fixés à la voûte absolument exempte, elle, de toute ouverture ou 
enfoncement dans le mur. 


(1) Au dessus de la corniche de la coupole du premier étage, au nord et au 
midi, il y a aussi deux ouvertures du même genre mais plus petites. 


(2) Ce plancher, carré comme la tour elle-même tout entière, avait 5 mètres 
de côté. Îl ne rencontrait aucun obstacle jusqu’à la cime, tandis que pour en 
évablir un, dans la Tour de Viviers, on avait à tenir compte de la rondeur et de 
l'étroitesse des ouvertures centrales des voûtes en pierres. Voir le Vovage autour 
de Valgorge ; art. Montréal. 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 34t 
Troisième pariie ou partie rectangulaire. 


Nous avons dit que cette partie de la Tour se composait d'une 
plate-forme à son sommet, d'une abside confondue avec le 
premier étage, et enfin d'un arceau. 

De la plate-forme nous avons donné une description à la page 
21. Quant à l’abside, il en a été parlé au long en faisant connai- 
tre le premier étage. Reste seulement à dire quelque chose sur 
le dessous de l'abside, formé par l'arceau. En voici la description : 

L'arcade à plein cintre, à archivolte et à simple imposte qui 
l'enferme. s'élève à une hauteur de 5 mètres 95 et la voûte à 
6 métres 82, au dessus du sol (1). Son ouverture est de 3 mètres 
50 de large, sur 3." 15 de profondeur ; mais la largeur dans 
œuvre va jusqu'à 4 mètres 20. Le pavé est placé à 30 centimètres 
au-dessus du pied de la tour. 

Six colonnes avec chapiteaux embellissent | neue Leur 
hauteur est de 2 mètres 50 Elles sont placées,deux au côté droit, 
deux au côté gauche et deux en face. Les deux arcs latéraux et 
aveugles que soutiennent les quatre premières, montent à 3 
mètres 60. [ls sont bien proportionnés et leurs claveaux posés 
avec une régularité frappante. 

Sur les colonnes d'en face s'appuie l'arc servant d'encadrement 
à la porte. Cette porte, depuis longtemps remplacée par un mur 
muni d'une lucarne, donnait accès à la base de la Tour ou Baptis- 
tère. L’arc est amorti par un archivolte et formé de :laveaux en 
briques rouges, les seules qu'on voit sur le monument. 

Les bases de ces deux colonnes semblent comme déracinées : 
elles ont dû séjourner longtemps dans la terre. Les six chapiteaux 
sont variés et bien sculptés. Quatre sont antiques. Deux ont été 
refaits et modelés sur d'anciens chapiteaux qui tombaient de 
vétusté, mais qu'on avait eu soin de mouler tout exprès. Ils 
représentent des feuillages, des entrelacs. On a dû remplacer 
aussi deux futs de colonnes brisés, comme on en a remplacé 
Jusqu'à treize au premier étage. 

(1) M. l'abbé Chenivesse a remarqué au dessus de cette arcade,u de ce purtail, 
un peu à côté et en relief, une espèce de diablotin accroupi sur ses jambes de 


Aa et qui provient évidemment d'un monument antérizur. » (Notes diverses 
in-fol. 318). 


342 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


Ces diverses réparations et restaurations ont eu lieu en 18g1- 
1892,en même temps que celles de la chapelle et de l'abside, l'Etat 
ayant consacré une certaine somme en vue de ces deux objets. 
Une note de M. l'architecte diocésain.qui les fit lui-même exécuter, 
nous donne le détail de ce qui fut fait alors « à l'intérieur de la 
Tour pour restaurer la chapelle du premier étage. 

« 19 Démolition d'un grand mur en bâtisse ordinaire qui bou- 
chait complètement l'arc d'entrée de l’abside. 

2e Rétablissement des colonnes et pilastres qui manquaient 
soit au mur nord de cette chapelle, soit à son abside, soit au 
porche de la Tour. De même que les bases rondes moulurées et 
quelques pierres en recherches, redressement de l'oculus supé- 
rieur au centre de la voûte octogonale. 

3° Le dallage de toute la chapelle et de son abside. 

4° Etablissement du vitrail de la fenêtre de cette abside. Cette 
fenêtre était murée auparavant. Trappon de l'œil inférieur et 
petite porte en bois de chène du côté de la cathédrale. 

Ces réparations ont èté payées par l'Etat ». 

Rendons ici justice au ministère des Beaux-Arts d'alors pour 
avoir ordonné ces utiles réparations, depuis longtemps réclamées 
par l'état de délabrement où se trouvait notre Tour. Louons-le 
aussi d'avoir eu le bon esprit de se conformer aux vœux formulés 
publiquement à ce sujet par un membre du clergé de Viviers. 
Voici en effet ce qu'écrivait M. l'abbé Clément Bourg, dansle 
Patriote de l'Ardèche, en 188: : 


« Il serait à désirer qu'on restaurât les parties détruites de 
l'intérieur du 1°" étage et de son abside ; qu'on rétablit les colon- 
nes qui ont été enlevées au portique ou au baptistére ; qu'on fit 
disparaître la construction massive qui servait d'appui à l'horloge, 
ainsi que le mur en simple maçonnerie qui sépare le baptistéère 
de l’abside. On aurait alors un édifice qui serait, sans contredit, 
un des plus beaux et des plus curieux de la France méridionale, 
et où l'on trouverait un spécimen de chacune des époques les plus 
intéressantes de notre histoire architecturale. » 

M. le chanoine Chenivesse, en consignant, dans ses Noles 
diverses, l'article de son compatriote, ajoute ces mots : « Les 
desiderata ci-dessus exprimés ont été réalisés. Le gouvernement 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 343 


a fait remettre cet édifice dans son état primitif autant que possi- 
ble. C'est un vrai monument à visiter. » 

Il est une réflexion cependant qu'on ne peut s'empêcher d'expri- 
mer ici, à la vue des travaux d'amélioration apportée à la Tour à 
cette époque. travaux bien exécutés d'ailleurs sous l'habile 
direction de M. Baussan. C'est qu'on éprouve une pénible 
impression au souvenir du grand nombre de marbres précieux et 
de chapiteaux antiques dont étaient formées la plupart des colon- 
nes, quand, ä leur place, s'élèvent maintenant de simples colonnes, 
à chapiteaux renouvelés, en pierres blanches de Saint- Paul-Trois- 
Châteaux ou de Chamarëés, privées de cette belle teinte imprimée 
par les siècles qu'on aime à voir sur les vieux monuments. 


II. LA TOUR DE VIVIERS AUTREFOIS 


$ 1. QUESTION PRÉLIMINAIRE ; QUELLE EST L'ÉPOQUE 


DE SA CONSTRUCTION 


Dans les pages qui précèdent, nous avons dit ce qu'est la tour 
de Viviers aujourd'hui, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Disons 
maintenant ce qu'elle était autrefois, en nous reportant aux diver- 
ses périodes de son histoire. Etant en même temps une construc- 
tion religieuse et défensive dès l'origine, selon le sentiment le 
plus commun, elle eut nécessairement, sous ces deux rapports. 
diverses destinations particulières, soit au point de vue religieux, 
Soit au point de vuc militaire. 

Mais auparavant tâchons de répondre à cette question : À yuelle 
époque appartient la Tour de Viviers ? | 

Il y a un petit nombre d'années, les archéologues ne s'accor- 
daient guëre sur ce sujet. Certains, regardant notre monument 


344 LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 


comme un temple païen à sa base. l'attribuaient à la colonie 
romaine qui fonda la forteresse de Viviers, presque aux portes 
d'Alba-Augusta. Mais toute idée de temple païen et de tour bâtie 
par les gallo-romains de l'Helvie, doit être écartée devant ces 
deux faits : 1° Il est aujourd'hui reconnu que les quatre figures 
allégoriques de l'intérieur de la coupole sont bien celles de nos 
quatre évangélistes et non des sujets tirés de la Fable ; 2° La 
fondation de la Tour est postérieure à la destruction d'Alba et 
même à celle des magnitiques églises élevées par St-Venance. 
C'est des ruines de.cette ancienne ville en effet, d'aprés M de 
St-Andéol ou, selon le chanoine de Banne, de quelque autre 
« somptueux édifice, » que sont provenues plusieurs des colonnes 
et chapiteaux de « marbre, d'albatre et de porphyre, » qui ornent 
ou plutôt qui ornaient autrefois notre vieux monument, car le 
plus grand nombre a disparu. 

D'autres ont reculé l'établissement de la Tour jusqu’au delà du 
XIe siècle. « On a peut être employé des matériaux d'édifice 
romain, dit l’auteur des Voyages pitloresques, mais l'appareillage 
est du XII° ou du commencement du XIII° siécle ». 

Depuis quelque temps, cependant, nos auteurs sont arrivés 
généralement à admettre que la première construction de la tour 
remonte à la période carlovingienne (750-987). Cette dernière 
opinion nous paraît la seule vraie Nous croyons même pouvoir 
préciser davantage, et fixer au 9° siècle la date au moins du 
premier étage, que plusieurs plaçaient de préférence au VIII: ou 
au X°. Deux inscriptions qui y sont gravées plusieurs fois, au 
milieu d’un grand nombre de sigles, de marques et de signes 
lapidaires, favorisent grandement notre opinion si elles ne l'éta- 
blissent point d’une manière irréfutable. 

En effet, il est prouvé, par l'auteur de l'Architecture romane 
dans le Midi de la France, que les églises de St-Restitut et de 
St-Paul-trois-Châteaux,en Dauphiné, de St-Sauveur à Aix, et de 
St-Gabriel près de Tarascon en Provence, ont été bâties à cette 
époque. Or, d'après le même auteur, dans la tour de Viviers, on 
remarque la plupart des nombreux caractères distinctifs, obser- 
vés dans ces divers monuments : monogramme du Christ, forme 
des lettres, signes lapidaires, taille des pierres, pointillé, etc. 


— + tom 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 345 


De plus, deux des constructeurs ou Maïstres-ès-pierres, qui ont 
gravé plusieurs fois leurs noms dans notre Tour, les ont aussi 
sculptés dans deux des églises mentionnées plus haut, je veux 
dire SALARD (us) et S(T}EFAN (us). On signait alors son 
œuvre sur la pierre comme on la signe dans les livres. Ces deux 
noms, on peut les lire une fois au moins, avec les mêmes caractè- 
res et une forme à peu prés identique,le premier à St-Gabriel et le 
second, tant soit peu abrégé, à St-Paul-trois-Châteaux. Du reste, 
ces deux noms ont été reproduits dans les planches qui accompa- 
gnent l’appendice de l'ouvrage que nous venons de citer. L'auteur 
les joint aux noms de VGO, de BERTR (andus), de SALVA (tor) 
et autres qu il qualifie de chefs de corporalions ouvrières. 

Le même M. Revoil attribuait plus tard à Charles-le-Chauve 
la construction de notre Tour. Il allait même jusquà fixer la date 
de 858. Nous tenons ce détail d'un témoin auriculaire présent à 
une de ses visites. Îl est certain, comme le remarquent les histo- 
riens, que nos rois de la seconde race, pour se défendre de 
nouvelles invasions sarrasines ou autres, s'appliquèrent à fortifier 
les hauteurs qui avoisinent le Rhône. Il ne serait pas étonnant 
que la tour de Viviers eût été construite par le Chapitre de la 
cathédrale, sous l'évèque Bernoin et sous Charles-le-Chauve, à 
l'aide des diverses dotations qu'il reçut de la libéralité de cet 
empereur. On sait d'ailleurs qu’à Lyon, ce prince donna à l'arche- 
vêque Amollon la colline de Fourvières, où fut bâtie une des 
portes de l enceinte de la ville (1) De cette espéce de porte fortifiée 
ou de tour, il est dit que : « Le Chapitre de St-Jean avait la clé, 
les consuls désignaient le guetteur et les chanoines lui remettaient, 
avec la clé de la porte, une trompe pour donner le signal du 
couvre-feu ou pour convoquer en cas d'alarme. » (2) 

Comme nous le verrons, quelques pages plus loin, la Tour de 
Viviers aurait été fondée, en partie, pour servir dès le principe de 
baptistère à la cathédrale. Or, si de ce fait nous rapprochons ce 
que nous apprend le savant historien du Baptème, M. l'abbé 
Corblet, chanoine d'Amiens, il nous sera permis de conclure que 
la tour de Viviers existait déjà au moins avant la fin du Xe siécle. 


(1) Compte-rendu du Congrès Marial, 1900, tom. II p. 5. 
(2) — — — p. 764, en note. 


33 


346 LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 


Voici ce qu'il dit au sujet des Baptistères et de leur emplacement : 
a En France,c'ect vers la fin du VIII: siécle que les baptistères sont 
établis dans les cathédrales, au rez-de-chaussée d'une tour carrée 
contigué à l'église, faisant porche à l'ouest et ordinairement sur- 
montée d'une chapelle épiscopale : c'était là qu'après le baptème 
se donnaient la confirmation et la communion. Toutetois les cathé- 
drales qui possédaient des baptistères isolés les conservérent plus 
ou moins longtemps dans le cours du moyen-äge... En France 
on cessa au IX" siècle de construire des baptistères isolés, et on ne 
peut citer qu à titre d'exception celui qui fut fait à Rouen au XI° 


siècle, l'Italie conservant la plupart des siens et continuant à en 
élever.» (1) 

Pour ce qui regarde l'exhaussement de la Tour, par la construc- 
tion de sa partie octogonale, M. l'abbé Bourg la plaçait au 13° 
siècle. Il l'aurait même fait remonter plus haut, sans cette consi- 
dération que : « On ne trouve, avant le 11° siècle, aucun exemple 
de tour en forme octogone et élevée, elles étaient toutes carrées 
et écrasées. » Pour ne citer qu'un fait, à l'encontre de cette idée 
préconçue, il existe une belle tour à huit pans, bâtie en 840, à 
Oudon, non loin de Nantes, sur les bords de la Loire (2). 

Pour M. le D' Francus, la physionomie de cette partie du 
monument indique plutôt le XIVe ou le XV: siècle. Un rédacteur 
de la France illustrée, du 19 janvier 1895, partage le même senti- 
ment. Îl fait observer que la partie octogonale est « caractérisée 
par des ouvertures ogivales de cette époque. » 

En ce qui concerne les différentes parties plus ou moins essen- 
tielles ou accessoires de la four, on est loin de s'accorder sur 
l'époque où elles ont été élevées. À ce sujet, il n'est presque pas 
de sentiment qui n'ait été avancé. | 

D'après les uns, la Four, dans ses trois parties principales : 
carrée, rectangulaire, octogone, a été faite « d'un seul jet » et par 
suite à la même époque : M. de St-Andéol, M. Chabalier, M. X. 

D'après les autres, il en serait ainsi pour les deux premières 
parties, mais non pour la partie octogone : D" Francus..… 


(1) Hist. dogm. et Lilurg. archéologique du sacrement de Baptème 1882, t. 2, 
page 14. 
(2) Lettres Vendéennes, 17 vol. p. 294. 


LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 347 


D'autres enfin oubliant, ce semble, la double destination primi- 
tive du monument et son caractère à la fois militaire et religieux, 
n'admettant comme construite en même temps que la partie carrée. 
Et mème dans cette partie ils croient voir plusieurs constructions 
élevées après coup. M. l'abbé C. Bourg est de ce nombre. C'est 
ainsi que, selon lui, auraient été bâties aprés la Tour : la voûte 
du rez-de-chaussée, l'abside, la première partie de l'escalier, 
l'orifice de la coupole, ia porte fermée en bois du premier étage, 
la rangée des fenêtres romanes. 

S'il m'est permis, aprés mûr examen et detrès nombreuses 
visites des lieux, de donner humblement mon opinion personnelle, 
je dirai : 1° Je partage d'une manière générale le second senti- 
ment, sauf les deux observations suivantes. Premiére observation. 
La plate-forme crénelée de la partie rectangulaire, telle qu'elle 
est aujourd'hui, est évidemment « juxtaposée », postérieure à la 
Tour. Voir ce que nous avons dit, à la page 22. (Mais cela ne 
prouve rien pour ce qui est au dessous, c'est-à-dire pour l'abside 
et le porche). 

Sur ce point je partage l'opinion de M. Baussan, d'aprés lequel 
les créneaux des deux terrasses. si ressemblants d'ailleurs de ma- 
tiére et de forme, auraient été élevés, tels qu'ils sont aujourd'hui, 
à la même époque, c'est-à-dire quand fut construite la partie 
octogone de la Tour. Où nous différons de sentiment, avec notre 
honorable architecte diocésain, sans parler du baptistère dont 
l'appropriation des lieux l'empêche de reconnaître l'existence, 
c'est lorsque, au lieu d'admettre, avant la construction des 
créneaux actuels, une autre forme défensive quelconque, il ne 
voit, dans la Tour à sa fondation, qu'un monument exclusive- 
ment religieux. Pour nous, le monument a eu dès le début une 
destination à la fois religieuse et militaire. Nous regardons 
comme l'expression de la vérité ces mots de M. le chanoine 
Chenivesse, à savoir que : « Cette tour a été bâtie pour servir de 
baptistère, de clocher et de citadelle. » 

Deuxième observation. La voûte du rez-de-chaussée me paraît 
comme à M. Bourg faite après coup. Et cela, non seulement à 
cause de la forme ogivale de ses arcs diagonaux et à cause de sa 
physionomie moderne, deux choses reconnues par des hommes 


348 LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 


compétents eux-mêmes : mais pour une autre raison inédite, que 
j exposerai avec quelques développements à l'article baptstère, 
trois pages plus loin. 

2° Les raisons données par notre confrère, pour démontrer 
comme moins anciennes que la Tour certaines autres construc- 
tions particulières, ne nous semblent point péremptoires, et 
partant suflisantes pour aller à l'encontre des deux premières 
opinions. Voir ce que nous disons ailleurs au sujet de l'esca- 
lier et de la porte-fenêtre de défense. (1} Quant à l'orifice de la 
coupole, trois motifs devaient porter l'architecte à le faire en 
même temps que la Tour : éclairer l'intérieur par en haut ; créer 
une ouverture pour monter les matériaux ; imiter d'autres dômes 
percés aussi au sommet. (2) 

Ces divers détails fournis en réponse à la question posée sur 
l'époque à laquelle appartient la Tour, considérons maintenant 
celle-ci au point de vue religieux. 


$ 2. LA TOUR AUTREFOIS AU POINT DE VUE RELIGIEUX 


Sous ce rapport elle servit d'abord d'avant porlique ou de 
Porche, de Portique ou Atrium et de Bapiistère, pour l'ancienne 
Cathédrale. Ce baptistère, on le partagea plus tard en deux 
parties dans le sens de sa hauteur, au moyen d'une voûte. On 
transforma ainsi sa partie supérieure, aussi vieille d'ailleurs que 
la tour, en la Chapelle actuelle confondue avec l'abside déjà 
existante, et revêtue, dès le principe,de toutes les ornementations 
qu'on y admire tout autour depuis Île sol jusqu'au sommet de la 
voûte. 

Cette chapelle, qui forme ce que nous appelons le premier éta- 
ge, fut utilisée de diverses manières entre autres, croit-on, pour 
recevoir le trésor de la Cathédrale, les archives de l'évêché et du 
chapitre, devenant ainsi chapelle-trésorerie, comme on j'a 
appelée. On l'employa encore à l'installation des rouages de 


l'horloge paroissiale. 


(1) Pages 24, 26 et à l'article Donjon. 
(2) Pages 47, 54, 58, 59. 


LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 349 


Enfin la tour de Viviers devint le campanile ou clocher de la 
Cathédrale, clocher peu élevé d'abord, mais exhaussé dans la 
suite. 

Porche ou Avant-Portique. Cette portion dela Tour constitue la 
base de ce que nous avons appelé la partie rectangulaire ‘Nous 
en avons donné la description aux pages 21 et 59. C'est un 
précieux spécimen de porche romano-byzantin. Bien que détérioré 
par les siécles et par les hommes, il subsiste toujours. À la satis- 
faction des amis de l’art antique, il a été réparé et remis presque 
en son état primitif. S'il échappa au sac général de Chäteau- 
Vieux. du quartier de la Cathédrale, par les huguenots, en 1567, 
on doit l'attribuer à une circonstance toute particulière. C'est 
qu'il était enfermé, comme aujourd'hui, dans l'enclos d'une 
propriété privée (1), faisant partie des cinq maisons de l'endroit 
auxquelles il fut fait grâce. Selon les temps, on l'a employé à 
divers usages. Actuellement on y tient des fleurs naturelles et des 
plantes rares. C'est par là qu'on passait autrefois pour se rendre 
de la ville à la cathédrale, en traversant le portique ou atrium qui 
suivait, et le baptistère, qui ne faisait qu'un avec lui. | 

Portique ou Atrium. «C'est en avant de l'entrée principale 
(de l'église), dit M. l'abbé Bourg, que l'on résolut (en faisant la 
Tour) de construire un portique qui servit en même temps 
d'atrium, où les catéchumènes pourraient se tenir pendant les 
offices, et de piscine, où l'on administrerait le sacrement de 
baptème. » 

Pour se représenter ce qu'était cet endroit que précèdait 
le porche, il suffit de visiter attentivement le rez-de-chaussée 
dont nous avons donné la description. Mais, au préalable, 
il faut par la pensée, sinon en réalité, avoir fait disparaître Îles 
objets de toutes sortes qui s’y trouvent entassés, avoir rouvert la 
porte primitive, en démolissant le mur et la lucarne quila rem- 
placent, débouché l'arceau pareillement muré, qui fait face à la 
cathédrale. [l faut de plus abaisser le glacis actuel de plus d'un 
métre, démolir la voûte, qui, selon nous a été surajoutée, et, 


Q@) Cette maison était habitée, il y a un siècle environ par M: de Sandon, 
néc Tourville le constructeur de la maison des Sœurs de la Présentation, à 
Viviers. 


350 LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 


enfin, percer à jour, au moins en partie, les arcades à plein cintre 
qui ornent le côté du nord et le côté du midi, à l'intérieur comme 
à l'extérieur de la Tour. 

Ces quatre arcades n'étaient pas comme aujourd'hui, vers le 
fond, engagées en partie dans le terrain qui les environne. Plus 
évasées en dehors qu'en dedans, puisqu'elles y mesurent chacune 
2 mètres environ de largeur au lieu de 1 mètre 70,elles présentent, 
dans le portique, 40 centimètres de relief et 65 à l'extérieur, sur 
une épaisseur de 2 mêtres 35.1] est à croire que, sans être ouvertes 
à tous les vents, comme le vestibule moderne de la cathédrale, 
elles l'étaient cependant partiellement, ne fût-ce que pour donner 
un peu de jour. Si les vents, trés forts à Viviers, obligeaient 
parfois à prendre des précautions, les abat-vent étaient connus et 
aussi les draperies et les tentures qu'on utilisait autrefois, et 
qu'on utilise encore en certaines villes d'Italie, en des circons- 
tances analogues. 

Ajoutons que la porte qui mettaiten communication le portique 
ou atrium avec l'avant-portique, et qu'on pourrait aisément 
rouvrir, mesurait 3 mêtres 83 de hauteur sur 2 mètres $ de 
largeur. Quant à l'arceau qui s'ouvrait du côté de la cathédrale, 
et qu'on voit noyé dans le mur, il était beaucoup plus grand. Ses 
dimensions étaient celles à peu près de l’arceau du côté opposé, 
que nous avons décrit. Il va sans dire que le niveau de la cathé- 
drale contemporaine de la Tour était moins élevé que celui de la 
cathédrale actuelle. attribuée, quant à sa façade principale et à 
son portail,à l'évêque Léodegaire (1096-1119). 


Après la construction de cette église, continua-t-on, malgré la 
différence de niveau, à se servir de la Tour, comme lieu de 
passage, en élevant entre les deux monuments un escalier latéral 
de communication ? I] nous a été impossible de résoudre cette 
question. Îl est assez naturel de penser, cependant,qu'on n'aura 
pas abandonné immédiatement un usage déjà consacré par 
plusieurs siècles. Îl est des sacrifices auquels le peuple a besoin 
d'être préparé d'avance et peu à peu, pour qu'il les accepte sans 
murmurer. Certains obstacles, d'ailleurs, purent s'opposer dans 
le principe à ce qu'on.construisit immédiatement la montée qui 
subsiste aujourd'hui. 


LA TOUR OÙ CIOCHER DE VIVIERS 351 


Pour notre part, nous croyons que, pour arriver à la nouvelle 
cathédrale bâtie à la fin du XI° siècle, ou au commencement du 
XIIe,on aura définitivement renoncé à passer par la Tour,et 
par l'escalier disparu qui y aboutissait, à l'époque où fut construit 
le vestibule extérieur ou Northex actuel de la basilique. La date 
de cet intéressant monument, lequel nous n'avons pas à décrire 
dans cette notice, est très ancienne en effet. Sans pouvoir la 
préciser nous savons par l'histoire de nos Evêques, de Columbi, 
qu'elle remonte au delà des guerres de Religion ; puisque les 
protestants, en 1567, démolirent en partie ce que cet auteur 
appelle le Pronaos. | 

Si l'on admet que l'entrée de la Cathédrale de Léodegaire. par 
la Tour, avait encore lieu une sorxuntaine d'années après sa cons- 
truction, il en résulte un fait qui mérite d'être noté. C'est que, 
durant le seul cours du XIIS siècle, la Tour et la Cathédrale de 
Viviers, ont vu leur enceinte honorée de la présence de trois 
papes : Calixte IT, Innocent Il, Adrien IV. Témoins de l'arrivée 
triomphale de ces illustres pontifes, dans cette ville, devant eux 
nos deux antiques monuments ont eu la gloire d'ouvrir leur porte, 
d'incliner leur drapeau et leur banniére, en l’an 1119,1130et1159. 


Batptistère de St-Vincent de Viviers. — Son existence. — Sa forme. 


Son existence. — On appelle généralement Bapirstères les édifices 
destinés à l'administration du baptème parimmersion, Ils étaient 
le plus souvent isolés des églises et comme l'accompagnement 
obligé et ordinaire des églises cathédrales. Les évèques y confé- 
raient ce sacrement aux catéchumènes les veilles de Pâques et de 
la Pentecôte, et même, en France, d'après Saint Grégoire de Tours 
cité par Fornici, la veille de Noël et de la Nativité de Saint jean 
Baptiste. 

Tout nous porte à croire que la tour de Viviers a servi de Bap- 
tistére à la Cathédrale : 

1° Sa position. — Cette Tour est isolée, bâtie au couchant et à 
proximité de l’église. [l existe un grand nombre de baptistères 
qui ont la même disposition. Tels sont ceux d'Aix, de Crémone, 
de Florence, de Latran ou de Constantin, de Novare, de Padoue, 
de Parme, de Pavie, de Pise. 


352 LA TOUR OÙ CLOCIHER DE VIVIERS 


2° Les usages liturgiques de l'Eglise. — « Suivant un constant 
usage de l'antiquité ecclésiastique, dit l'abbé Bourrassé, en parlant 
du baptistéère de Florence, toute église épiscopale eut un baptistére 
où le baptème était administré solennellement. » Pourquoi notre 
église cathédrale n'aurait-elle pas eu aussi son baptistère spécial ? 


3° Les précédents du diocèse de Viviers. — Deux fois déjà nos 
évêques avaient élevé des baptistères, l'un à St-Etienne-de-Mélas 
dans le voisinage de notre ville ; il subsiste encore avec sa forme 
octogone trés gracieuse et sa voûte cônéiforme ; l'autre à Viviers 
(hors des murs) dans l'église aujourd'hui ruinée de St-Julien. Ce 
dernier, plus remarquable encore, est décrit dans les vies de 
St-Venance. Construit par ce saint évêque, il fut détruit par les 
Sarrasins vers 735, après deux cents ans d'existence (1). N'était-il 
pas naturel que, en faisant la Tour et le campanile un siècle et un 
quart environ plus tard, on songeât à y bâtir, en un lieu sûr cette 
fois, un troisième baptistére digne des deux premiers, et, si pos- 
sible, encore plus grandiose, qui remplacät dignement celui dont 
on regrettait toujours la perte. 


4° La tradition. — Plusieurs écrivains nous la font connaître, 
entre autres M. C. Bourg, et avant lui M. X., l'archéologue ano- 
nyme, M. Chabalier et l'auteur des Voyages pittoresques et roman- 
tiques dans l'ancienne France. « Cette Tour, dit ce dernier, en 
parlant du Vivarais, a été aussi nommée baptislère.. On croit dans 
le pays que la tourelle octogone est de forme mauresque,et quel- 
ques savants ont voulu faire remonter à l'invasion Sarrasine la 
construction de la tour ancienne. D'autres ont pensé que le fond 
du clocher pourrait être un ancien temple paien, qui aurait été 
construit par la colonie romaine fondatrice de la forteresse de 
Viviers. Il n'y a rien de mauresque, de sarrasin, de romain, ni 
de païen dans cette Tour, ni dans aucune partie de l'église de 
Viviers. Les traditions ecclésiastiques laissent croire qu'elle doit 
avoir été achevée avant le commencement du XIII: siècle, et les 
traditions ecclésiastiques sont bonnes ; quand on n'a pas d'étude 
archéologique, il faut fouiller dans les archives, et quand les 


(1) Voir, à la note G, quelques détails sur ces deux baptistères des environs 
de Viviers. 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 353 


archives ont été brûülées, ou volées, ou enfin dispersées, il faut 
croire les traditions. » 

s° La forme primitive de l'intérieur de la Tour comfarée avec 
celle des anciens baptistères qui subsistent encore. — Nos lecteurs la 
connaissent. Ils n'ont qu'à se rappeler, d'une part, la description 
que nous avons donnée plus haut, soit du rez-de-chaussée, soit 
du premier étage, et à supprimer par la pensée, d'autre part, la 
voûte relativement moderne qui les sépare en deux parties. Dés 
le principe, le bas de la Tour, jusqu'au second étage, ne formait 
qu'un seul et même édifice religieux. Edifice remarquable, avec 
arcades grandes et petites à sa base ; abside, arcatures, nom- 
breuses colonnes, galeries, sur ses flancs, à la hauteur d'une 
tribune ; à son sommet enfin, élégante coupole portée par quatre 
piliers et huit colonnes, coupole octogone percée à la cime d'une 
sorte de petite lanterne, tapissée d'inscriptions et de figures, ornée 
des attributs des quatre évangélistes, dépassant en hauteur la 
voûte de beaucoup de nos grandes églises. 

Tel est, en résumé, l’aspect que présentait à l'origine l'intérieur 
de cette partie de la Four, abstraction faite de la voûte à nervures 
et à orifice circulaire et central, élevée plus tard pour former le 
pavé de la chapelle actuelle. 


Voici maintenant quelques brèves citations extraites de divers 
ouvrages sur les baptistéres les plus connus. Le lecteur, en les 
lisant, verra qu'il existe plus d’une analogie entre ces édifices 
sacrés et le nôtre. 

Baptistère d'Aix. Il se compose de 8 colonnes avec 8 chapiteaux 
et présente la forme octogone, avec une coupole iLe chevalier 
J. Baro). 

Baptistère de Constantin à Rome. Edifice octogone, surmonté 
d'une lanterne, entouré de 8 colonnes (L'abbé Bourassé). 

Baptistère de Florence. Comme à la Rotonde de Rome. panthéon 
d'Agrippa, le dème du baptistère de Florence n'a de jour que par 
l'œil percé au centre de la voûte (L'abbé Bourassé). —L'intérieur 
est garni de 16 colonnes (Lalande ; Voyage d'Italie).—I1 battistero 
di Firenze tempio dedicato à Marte, servi di cattedrale fino al 
1128. La lanterna in mezzo della vôlta fu sostituita all'apertura 
che vi esisteva come nel Pantéon di Roma. La tribuna dell’ altar 


354 LA TOUR OU CI.OCHER DE VIVIERS 


maggiore fu incominciata nel XIII secolo (Guida delle citla 
d'Italia). Le baptistère de Florence, temple dédié à Mars, servait de 
cathédraie à la fin de 1128. La lanterne du milieu de la voûte fut 
établie au dessus de l'ouverture qu'il y avait comme au Panthéon 
de Rome. La tribune du maître autel fut commencée au Xllie 
siècle (Guide des villes d'Italie). 

Baptistère de Pise. L'intérieur est orné de 8 colonnes. Ces 
colonnes en portent d'autres qui soutiennent une coupole ellipti- 
que (Lalande) : — L'entrata é divisa in 2 ordini d’architettura ; il 
primo forma 12 arcate a pieno cintro sostenute da 8 grandi 
colonne et 4 grossi piloni. L'altezza sino alla cima della cupola é 
diss metri (Guida). L'entrée est divisée en deux ordres d'architec- 
ture. Le premier forme 12 arcades à plein cintre soutenu sur 8 
grandes colonnes et 4 gros piliers. La hauteur jusqu'à la cime de 
la coupole est de 55 mètres (Guide des villes d'Italie). 

D'après toutes ces données, il serait difficile sans doute de reje- 
ter l'existence du troisième baptistére de nos évêques dans la Tour 
de Viviers. Ilest vrai que nous ne possédons de cette époque 
aucun document écrit, pour donner à ce fait la certitude histo- 
rique ; mais comment s'en étonner, quand on sait avec quelle rage, 
en divers temps, on s'est acharné à détruire, par le feu, les riches 
documents accumulés, pendant de longs siècles, par les évêques 
de Viviers, et les chanoines de la cathédrale déjà établis au VI° 
siècle par St-Venarce. 

On objecte que si la Tour avaitété un baptistére, elle aurait été 
appropriée à cette fin ; il s'y trouverait, à sa base, quelque indice 
dans ce sens, une piscine, une cuve baptismale. Or, rien de sem- 
blable n'apparaît au regard. A cette difhculté, qui semble assez 
sérieuse, nous répondrons : 


1° Vu sa double destination religieuse et militaire, la Tour, 
surtout dans sa partie inférieure, ne pouvait, par sa forme, répon- 
dre entièrement à son titre de baptistère. Devant servir habituel- 
lement de passage au public. il est même possible qu'on y ait 
pratiqué ce que dit M. l'abbé Corblet des cuves baptismales, pour 
certains cas analogues. 

« Parfois, dit-il, la cuve était placée dans le porche et il faut 
présumer qu'en ce cas c'était un vase mobile, en bois ou en métal, 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 355 


qu'on apportait seulement au moment de la cérémonie, car des 
pierres fixes auraient pu géner l'entrée des fidéles (1). » Dès lors, 
rien d'étonnant qu'il ne reste aucun vestige actuellement visible 
de cuve baptismale dans l'intérieur de la Tour. Seule une cuve en 
pierre, en marbre, en airain, aurait pu se conserver jusqu'à ce 
jour, et encore comment aurait-elle échappé au vandalisme révo- 
lutionnaire. | | 

2° Exige-t-on la présence d’une piscine, ou de restes de 
piscine, comme preuve essentielle de l'existence d'un baptistère 
dans notre Tour, nous avouerons que l'objection serait facile à 
résoudre, si le sol primitif de la base du monument subsistait tel 
qu'il était autrefois. Mais il n’en est pas ainsi. On sait que,depuis 
un temps immémorial, il a été comblé et exhaussé de plus d'un 
mètre, et nul ne sait si l'on a jamais fait des fouilles pour vérifier 
ce que contient l'espace qui sépare l’ancien et le nouveau pavé. 
Cette épaisseur du terrain intermédiaire était assurément plus que 
suffisante pour faire disparaître, dans le fond de l'édince, tout 
indice apparent de baptistére, toute trace de piscine. 

Qu'on veuille bien se rappeler,en effet, le peu de profondeur 
qu'avaient les bassins baptismaux, d’après les nouvelles décou- 
vertes archéologiques qui ont été faites. Selon l'auteur que nous 
venons de nommer et qui fait assez autorité, croyons-nous, en 
cette matière, «la piscine proprement dite, bassin central des 
baptistères, avait selon l'importance du monument de 2 à 5 mètres 
de diamètre sur 30 à 45 centimètres de profondeur. » 

Nous ne devons pas dissimuler, cependant, que ceux qui 
admettent l'existence du baptistère de St-Vincent ne sont pas 
tous du même sentiment au sujet de sa forme prinulive. 

D'après une première opinion, le baptistère renfermé dans la 
Tour n'aurait compris que le rez-de-chaussée actuel, haut de six 
à sept métres seulement. Voici, du reste, comment s'expriment 
deux de ses partisans. « La Tour de Viviers, dit l'auteur de Vais 
el les environs, était. baplisière au rez-de-chaussée, le premier 
étage contenant le trésor de l'évêché. » L'honcrable archéologue 
anonyme, cité par M. C. Bourg, partant de ce principe que la 
Tour a été faite « d'un seul jet, » même pour sa partie octogo- 


(1) Histoire archéologique du Baptême, page 107. 


356 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


nale, soutenait que le premier étage était une chapelle-trésorertie ; 
une chapelle où se donnaient aux nouveaux baptisés la commu- 
nion et la confirmation ; une trésorerie où l’on conservait le 
trésor de la cathédrale et les archives du Chapitre... Il n'est pas 
rare, continuait-il, de trouver d'anciennes chapelles-trésoreries 
élevées de plusieurs mètres au dessus du sol... On croyait, par ce 
procédé, mettre le trésor de l'église mieux à l'abri de la rapacité 
des voleurs. Ce qui prouve que ce premier étage a été une de ces 
chapelles, c'est la porte qui fait face à la cathédrale, par laquelle 
on devait, au moyen d'une échelle, pénétrer dans l'édifice, qui 
s'élevait au dessus du portique ou du baptisière, » (Communication 
faite à M. C. Bourg). 

Le D' Francus,sans parler au moins directement du baptistére, 
croit aussi que la partie carrée et rectangulaire de la Tour — non 
la partie octogone — est faite « d'un seul jet et procéde d'un 
même plan. » — « La chapelle, ajoute-t-il, est visiblement aussi 
vieille que la Tour elle-même. » 


La scconde opinion a été soutenue, pour la première fois, par 
M. l'abbé Bourg dans ses articles sur le « Clocher de Viviers ». 
Cet auteur croit que le dessous du premier étage actuel ne for- 
mait autrefois. avec le rez-de-chaussée, qu’un même « comparti- 
ment. >» Par suite, au lieu d'un baptistère amoindri, rapetissé, à 
peine aussi élevé que celui de Mélas, il voit un baptistère vrai- 
ment » monumental ayant deux fois la hauteur de ce dernier 
(Note I). Il faut l'entendre lorsque, enthousiasmé par sa pré- 
cieuse découverte, il s'écrie : | 


« On doit reconnaître que le baptistère de Viviers est une belle 
page de l'architecture byzantine dans le midi de la France au 
VIII: siècle (*). Malgré les pertes que lui ont fait subir les 
vautours de la Réfoime et la voûte par laquelle on a eu la ma- 
lheureuse idée de le partager en deux ; l'intérieur de cet édifice 
est encore magnifique. De quelle admiration ne devait-on pas 
être saisi lorsqu'on pouvait juger, d'en bas, de sa hauteur com- 
parative, de ses belles proportions, et de l'élégance de sa voûte 
à coupole, qui se dessine dans une physionomie si pure et avec 
un éclat vraiment digne et pittoresque. Devant le spectacle d'une 
œuvre si grandiose, les catéchumènes, qui se disposaient au 


LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 357 


baptème, devaient éprouver des pensées d'un ordre sublime, et 
tous les mouvements d'une âme qu'absorbe la contemplation de 
la Divinité. » 

Notre digne confrère soutient : que la Tour a été construite 
en divers temps et non d'un seul jet, et sur ce point on lui a donné 
raison. « Si les artistes qui ont visité le monument se sont trom- 
pés, dit-il, en quelques parties de leurs appréciations, c'est que, 
avant rapidement visité l'édifice, ils n'ont pas assez remarqué 
qu'il est formé de plusieurs constructions, les unes superposées, 
les autres juxlaposées, élevées à des époques différentes et devant 
avoir chacune leur destination particulière ; » 

Que la formation, le revêtement mural, l'ornementation de 
l'étage superposé à la base de la Tour, datent en général de 
l'origine de l'édifice lui-même ; ce n'est que plus tard qu'on a eu 
« la malheureuse idée » de séparer, par une voûte, le fond du 
baptistère d'avec l'en haut. 

M. Bourg s'applique enfin à réfuter ses adversaires, opposant 
divers arguments ( à ceux qui croiraient, dit-il, que le rez-de- 
chaussée et le premier étage du clocher ont été dans le principe 
tels qu'on les voit aujourd'hui, et qui feraient du rez-de-chaussée 
un baplisière ei du premier étage une chapelle où les néophytes 
auraient reçu la Confirmation et l'Eucharistie, immédiatement 
après le baptème ; ou bien une f{résorerie où l'on aurait conservé 
les Reliques, le St-Chrème, et les objets précieux de l'église 
cathédrale. » Voici les preuves principales sur lesquelles il appuie 
son sentiment : 


1° La voûte superposée au rez-de-chaussée ne paraît pas trés 
ancienne ; ce qui est reconnu par la majeure partie des visiteurs. 
Les nervures et leurs supports ont un caractère ogival très 
prononcé et ressemblent fort aux nervures à ogive de !a sacristie 
de l'église abbatiale de Cruas. 

2° On aurait compris l'utilité d'une chapelle destinée aux 
nouveaux baptisés pour les autres sacrements, si le baptistère 
avait été éloigné de la cathédrale, mais ce n'est pas le cas, 
puisqu'il était à peu près contigu. 

3° Que le premier étage ait servi à la double destination 
indiquée par M. X., chapelle et trésorerie, soit ; mais si cela a 


358 LA TOUR OÙ CLOCHER DE VIVIERS 


eu lieu, ce na été que plus tard, lorsqu'on a jugé nécessaire 
d'avoir une « salle fortifiée » et hors d'atteinte. 

4° À l’époque où fut construite la partie inférieure de la Tour, 
le besoin d'une chapelle-trésorerie ne devait guére se faire 
sentir, « le Chapitre n'ayant pas encore beaucoup de Chartes, 
manuscrits, ou Reliques à conserver. » Cette dernière preuve 
pourra paraitre faible à ceux qui savent que les chanoines de 
Viviers avaient déjà, à l'époque présumée de la fondation de la 
Tour, au IX° siècle, plus de trois cents ans d'existence. 


(À suivre). Chanoine MOLLIER. 


ÉCHOS es 


BIBLIOGRAPHIE 


Le Collège d’'Annonay (1800-1880). Mémoires et 
Souvenirs recueillis par l'Abbé CaomeL, professeur 
de mathématiques. Annonay, Hervé frères, 1902. 


Voilà un ouvrage qui a droit à une place d'honneur dans notre 
bibliothèque vivaroise et son auteur a droit aussi à nos remer- 
ciements et à nos félicitations, car il a fait non seulement un bon 
livre, mais encore un livre utile. 

Un bon livre, par les souvenirs et les impressions qu'il ravive 
en nous et ce retour en arrière nest pas autre chose, qu'un 
examen de conscience ; exercice salutaire à tout âge. 

Un livre utile, car à cette heure, plus qu'à toute autre, il est 
nécessaire de montrer, pièces à l'appui. ce qu'ont fait. ce que font 
pour le bien général les hommes de foi et ce qu'ils ont eu à 
surmonter de difficultés de toute nature pour faire vivre leur 
œuvre si grande et si noble. 

Au point de vue historique le travail de M. l'Abbé Chomel a 
_aussi une sérieuse valeur et il y a dans ces pages plus d’un rensei- 
gnement inédit à glaner. Du reste. nous ne saurions trop approu- 
ver ces monographies particulières dont l’ensemble forme, en 
somme, l'histoire générale de notre province. 


BIBLIOGRAPHIE 359 


M. l'abbé Chomel a eu l'heureuse idée de joindre aux biogra- 
phies des principaux Maïtres qui illustrèrent le Collège d'An- 
nonay, des portraits et des gravures, complétant ainsi par 
l'image, un texte déjà trés intéressant tant par le fond que par 
la forme chatiée et élégante dans laquelle cet excellent ouvrage 
est écrit 

Si ce volume est bien accueilli par tout le monde, il l’est 
doublement par les anciens élèves des « Basiliens ». On n'oublie 
jamais « le Collège » et il n'est rien de plus doux pour un vieillard 
ou un homme à l’âge mur, que de revoir par la pensée, comme 
en un miroir fidèle, ces temps heureux où l'on travaillait ferme 
(pas toujours ') et où l'on s'amusait de même sans soucis et sans 
appréhensions pour l'avenir couleur de rose C'est quand le rose 
a passé au gris que l'on apprécie le mieux l'époque lointaine des 
pensums, des compositions difficiles et des joies exhubérantes des 
congés et des vacances. 

Conclusion ; tous les Collèges devraient avoir leur historien 
et nous félicitons vivement notre excellent professeur de mathé- 
matiques de s'être fait celui du vieux collège d'Annonay. 


» 
+ e 


Un Musée social à Privas, par E. Bonnann, Privas, 
Imprimerie Nouvelle, J.-J. Roux, 1902. 


Tel est le titre d'une brochure dans laquelle M. Bonnand 
démontre, en excellents termes, l'utilité d'un Musée social à 
Privas. Îl préconise, avec raison, la réunion dans un même local, 
des collections Malbos. des six mille volumes composant la 
bibliothéque municipale et de tout les échantillons des industries 
d'art ou autres, pouvant intéresser l'histoire sociale de notre 
département | 

Il est certain que ce Musée pourrait être visité avec intérêt et 
profit par tous, il sauverait de l'oubli et de la destruction bien 
des choses curieuses et précieuses ; il offrirait aux touristes, aux 
fonctionnaires nouvellement débarqués, des renseignements de 
toute nature sur notre pays et en fin de compte notre ville ne 
pourrait que gagner à la réalisation de ce projet. 

Nous faisons donc des vœux pour qu'il aboutisse. 


e 
+ + 


La librairie Desclée (30, rue St-Sulpice, à Paris), vient de 
puonee une nouvelle édition de l’intéressant volume de M l'abbé 

Omaine sur l'histoire du pélerinage de N -D. d'Ay. 

Cette édition est beaucoup plus complète que la premiére parue 
en 1897. Elle contient plus de vingt gravures, dont une quinzaine 
au moins entièrement nouvelles. 


360 BIBLIOGRAPHIE 


*+ 
e 
M. Emille Ginet, le mégissier-poète d'Annonay, qui avait déjà 
publié en 1890 et en 1893, les deux volumes des Paëéstes d'un 
ouvrier, vient de leur donner, sous le titre de Orseaux et Fleurs, 
une suite qui ne fait pas moins d'honneur à son mérite littéraire 
qu'à l'élévation de ses sentiments. Nous en reparlerons. 


L 

e * 
La Revue du Vivarais se fait un plaisir et un devoir de signaler 
à ceux de ses abonnés, qui s'intéressent aux questions archéologi- 
ques, la publication chez Picard (82, rue Bonaparte, à Paris) du 
Manuel d'archéologie française depuis les temps mérovingiens 
jusqu à la Renaissance, par M. Eulard, ancien membre de l'école 
française de Rome (in-8° de 816 pages avec 405 gravures). Cet 
ouvrage répond à un besoin réel, par suite des développements 
qu a pris l'étude de l'archéologie du moven-âge, et il est parti- 
culièrement intéressant pour l'Ardèche à cause du grand nombre 
de vieilles églises qui s'y trouvent. Les ecclésiastiques qui, plus 
que tout autres, ont besoin de connaître les principes de l'archi- 
tecture religieuse du moyen-äge, y trouveront un guide précieux 

et sûr. 

* 

e © 
Dans le beau volume in-folio, intitulé La Légion d'honneur de 
1802 à 19n2, que vient de publier M. Bonneville de Marsangy. 
nous remarquons une petite notice sur Clavel (Jean-Baptiste), 
un soldat de l'Ardèche qui prit un drapeau autrichien à la bataille 
de Solferino et qui, plus tard nommé buraliste des contributions 
indirectes à Lyon, v est mort en 1898, précisément le 24 juin, 
anniversaire de la bataille de Solferino. La notice est accompa- 
gnée d'une jolie photographie de ce brave soldat. Quand, aprés 
la campagne d'ltalie. l'armée française fit son entrée à Paris, 
Clavel marchait en tête, avec cinq autres soldats, qui, comme 
lui, avaient pris des drapeaux à l'ennemi. Îl était né à St-Etienne 


de Lugdarès le 23 juin 1835. 


B. E. 


CIN SE 
NOTRE-DAME D'AY 


Histoire inédite de 1789 à 1810 


La lecture des titres de propriété de Notre-Dame d'Ay m'a 
fourni l'occasion de faire des recherches sur la chapelle telle 
qu'elle existait au xvin* siècle. 

Des fouilles, dans le voisinage de la porte au nord, m'ont fait 
retrouver son étroit chemin. 

La porte de l'ancienne chapelle était là. Trois ou quatre 
marches, en partie taillées dans le roc, lui donnaient accès. 

Pendant ces fouilles, on m'a indiqué un repère gravé sur une 
pierre, à trois mètres à peu près de cette porte. Îl coïncidait 
exactement avec la face extérieure d'un mur dont j'avais retrouvé 
la trace. C'était le mur au couchant de la chapelle cherchée. 

Ces données et les dimensions en pieds conservées dans un 
acte du 3 thermidor an v, (21 juillet 1797), m'ont permis de la 
reconstituer et de la retrouver en partie dans la chapelle de 
Saint-Joseph. 

Les documents de l’époque m'ont prouvé que la nef de la 
chapelle actuelle existait en 1797. 

Elle a été construite, entre 1792 et 1796, par Antoine Farigoules, 
bienfaiteur qui pour être modeste n'en pas moins insigne. 

Les historiens de Notre-Dame d'Ay n'ont signalé ni Antoine 
Farigoules, ni son œuvre, ni l’action de ses successeurs jusqu'en 
1810. | 

C'est une page d'histoire inédite. 

Mon but en l'écrivant a été de fixer l'origine des titres actuels 
de propriété sur la chapelle, et de rendre à chaque bienfaiteur la 
part qui lui revient, dans la conservation, la reconstruction et la 
restauration de la chapelle de Notre-Dame d’Ay. 

Ed. DE GIGORD. 


Depuis une quarantaine d'années, les historiens de Notre-Dame 
d'Ay ne rapportent qu'à 1834 la construction de la chapelle 
actuelle, à Ia place d’une ancienne chapelle compiètement 
disparue. 

24 


362 NOTRE - DAME D'AY 


Il y a là deux erreurs. 

L'ancienne chapelle n'a pas complètement disparu. 

La nef de la chapelle actuelle existait déjà en 1797. Elle a plus 
d'un siècle. 


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w 1739-1707 


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parAnt.Fargoules avant 1797 
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L'ancienne chapelle nationalisée par le décret du 2 novembre 
1780, est celle qui est attribuée à la cure de St-Romain par le 
cadastre de 1602. 

Serait-ce ce celle qui appartenait à l'Abbaye de St-Claude, 


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NOTRE - DAME D AY 363 


mentionnée en 1184 dans une charte de l'Empereur Frédéric 
Barlerousse ? C'est possible. Rien, ce semble, ne permet de 
l'affirmer, malgré la direction du chemin trés étroit et bordé de 
précipices, malgré la proéminence du rother qui paraît avoir 
servi de base et de limite aux anciennes constructions. 

C'était un très petit bàätiment. Ses mesures sont conservées 
dans un acte du 3 thermidor an v. (21 juillet 1797). 

Il avait jusqu’au chœur, environ 20 pieds de largeur (6",60) et 
38 de longueur (12",54), y compris l'épaisseur des murs. 

La profondeur du chœur limité par l’abime dépassait à peine 5 
pieds. C'était la place de l'autel. 

Ces dimensions peuvent être retrouvées. 

L'inspection des lieux permet de reconnaître la position de la 
porte et la place des murs. 

A l'extérieur de la chapelle actuelle, un repère vertical creusé 
dans une pierre, entre les deux premières fenêtres au nord, 
indique la face externe du mur au couchant. 


À l'intérieur, une croix de dalles blanches en garde lesouvenir. 
La somme des diagonales des sept dalles qui se dirigent vers 
l'autel est une longueur de ;",25. 

Üne partie de ce bâtiment subsiste encore. C'est la chapelle de 
St- Joseph restaurée en 1847. Sa largeur entre deux murs est de 
s",20. Les anciens murs conservés en partie, ont o",80, ce qui 
fixerait la largeur extérieure à 6",80, entre 20 et 21 pieds. C'est 
bien la largeur donnée par environ 20 pieds. 

La longueur de 38 pieds, en tenant compte de l'épaisseur des 
murs, seretrouve exactement entre la porte et l'extrémité opposée 
de la diagonale d'une dalle grise isolée, dans cette même chapelle, 
au milieu de dalles blanches. 

La longueur totale de la chapelle de 1789 ainsi retrouvée est de 
14.30. En déduisant 1",60 pour l'épaisseur des murs, la longueur 
intérieure est de 12",70. C'est un rectangle dont la surface est de 
66 mètres carrés. 


Plusieurs pierres piquées disséminées dans la chapelle actuelle 
paraissent avoir appartenu au dallage de l'ancienne chapelle. 

Il y en a quatre sur le premier gradin du chœur, deux de chaque 
côté de la table de communion. 


364 NOTRE - DAME D AY 


Il y en a deux dans l'embrasure de la porte du nord, dix-huit 
devant Îla porte principale et quelques autres dans son 
embrasure. 

Ces pierres cairées ont 64 à 65 centimètres d'arête, y compris 
les joints. 

Leurs dimensions n'ont pas de rapport avec les dimensions de 
la chapelle actuelle, mais elles paraissent imposées par celles de 
l'ancienne chapelle. Il en fallait 8 dans la largeur et 20 dans la 
longueur. Leur surface totale est aussi très appraximativement 
66 mètres carrés. 

« Les Scigneurs d'Ay n'ont jamais été patrons de la chapelle 
« d'Ay. Le Curé de St-Romain en était titulaire né, 1l possédait 
« de droit les fonds territoriaux dont elle était dotée Ce fut sur 
« sa nommée qu'ils furent compris au cadastre, lors de sa 
« confection en 1602... 1l semble qu’elle dépend de l'église de 
« St-Romain.Lesfonctions curiales et paroissiales y ont toujours 
« été exercées, pour ainsi dire concur:emment avec la dite 
« église. 

« Cette chapelle, telle qu'elle était avant son accroissement, 
« avait toujours, jusqu'au moment où elle fut nationalement 
« vendue, été publique, au moins de temps immémoral. Cela est 
(« prouvé par la notoriété et encore par la vente qui en fut natio- 
« nalement faite. Comme on le sait très bien, le dècret qui 
« ordonna la vente des biens ecclésiastiques, en excepta les cha- 
« pelles domestiques. » 

(Mémoire de Monsieur de Larochette, 1807). 

Cette chapelle devenue bien national est acquise par Antoine 
Farigoules avec d'autres articles consistant en vigne, terres, 
rochers, le tout situé dans la commune de St-Romain, « qui 
« étaient ci-devant jouis par Île ci-devant curé de St-Romain, 
« suivant le procès-verbal d'adjudication passé avec Farigoules 
« parles citoyens administrateurs du ci-devant district du Mézenc, 
« du 11 avril 1791, enregistré à T'ournon le même jour. » 

Les autres articles comprennent aussi le mobilier de la cha- 
pelle dont il est question dans d'autres actes : la statue de Notre- 
Dame très soigneusement cachée par lui d’après la tradition 
locale, les vases sacrés, les ornements, et probablement la cloche 
et l'autel. 


NOTRE - DAME D'AY 365 


Tous ces précieux objets mis à l'abri d'une profanation, il s'est 
installé dans la chapelle, sa propriété. Pour en prévenir la démo- 
lition, il y fixé sa demeure, il y a fait son ménage. (Déposition 
de Régis Bernard, 78 ans, Recteur des Pénitents. Souvenirs de 
ce qu'il a enteudu raconter par sa grand'mère). 

De Iongues recherches sur les antécédents d'Antoine Farigoules 
n'ont donné aucun résultat. Il y a dans le département du Gard 
plusieurs familles portant le nom de Fabrigoulcs. [l est peut- 
être de ce pays là. 


Dans un acte du 16 germinal an XII {($ avril 1804), il est signalé 
comme débiteur de Jean Descours, de La Bathie d'Andaures, 
canton de St-Agrève, Ardèche, pour une somme de 460 francs, 
par suite d'un jugement de la ci-devant justice des Prieurs et 
Consuls de Montpellier du 26 mars 1778. Il avait alors 55 ans. 

Il en a 68, lorsqu'il achète la chapelle de Notre- Dame d'Ay. 

Six mois aprés, le 2 octobre 1791, habitant la paroisse de 
St-Romain, il achète pour 20 livres, une maison en ruine au 
lieu d'Av. 

Jl la revend dans le même état et pour le même prix, le 11 fri- 
maire an II] (1° décembre 1794). Dans l'acte de cette vente, il est 
dit marchand horloger, habitant au lieu d'Ay, commune de 
Roche d'Ay, ci-devant St-Romain-d'Ay. 

Dans un autre acte, il est dit cultivateur. Cherchait-il alors à 
réunir des ressources pour réaliser ses projets sur la chapelle de 
Notre-Dame d'Ay ? C'est bien possible. Robespierre avait été 
exécuté le 28 juillet ; le règne de la Terreur était fini. La paix 
n'était cependant pas rendue à l'Eglise. 


Le Comité contre la religion et contre les prêtres siégeait 
toujours à Annonay. Dans une réunion de ce comité signalée par 
M. l'abbé Picancel, un membre annonce qu'il se fait journelle- 
ment des rassemblements à Notre-Dame-d'Ay. La cloche y existe 
encore, c'est à ses yeux, un grand crime. 

Ce crime ne fut pas commis plus longtemps. 

Quelques énergumënes venus d'Annonay pour enlever la cloche 
furent mis en fuite, 1l est vrai, par une quinzaine de jeunes gens 
bien déterminés. Ils revinrent escortés par de nombreux soldats. 
Il fallut céder à la force, la cloche fut emportée. 


366 NOTRE- DAME D'AY 


Le sieur Barrier, citoyen-curé de St-Romain, avait prété 
serment sans aucune restriction. Îl avait brulé les archives de la 
paroisse devant la porte de l'église. On s'était éloigné de lui. 

Les réunions religieuses se faisaient au lieu d Ay. Des prêtres 
cachés dans le voisinage disaient la messe dans la maison Chifflet. 

Antoine Farigoules n'est pas étranger à ces réunions et à ces 
pieuses pratiques. Îl avait transporté la statue de la Vierge dans 
cette maison privilégiée, devenue plus tard lhabitation des 
Philomènes. | 

La tradition locale a conservé tous ces souvenirs. 

D'après les traditions de la famille Laurent, de Sparveyrès, à 
. St-Cirgues-en-Montagne, Ardèche, « Antoine Farigoules était 
« un artiste campagnard mais bon chrétien. IÎl avait obtenu de 
« M. de St-Romain, noble du pays, les concessions nécessaires 
« pour agrandir le sanctuaire d'Ay, d'abord chapelle insignifiante. 
« L'abbé Laurent et Farigoules étaient animés du même désir : 
« de là les rapports qui s'établirent entr'eux. » 

Ces traditions nous ont été communiquées par M. le curé de 
St-Cirgues-en-Montagne, sur la déposition de Jean-Pierre 
Laurent âgé de 79 ans, petit-neveu de l'abbé Laurent. 

Les habitants de St-Romain ont Farigoules en haute estime. 
« C'est un homme trés charitable. Il a fait à ses seuls frais une 
« augmentation très considérable à la chapelle de Notre-Dame 
« d'Ay. » « Il est bienfaiteur de la chapelle à l'accroissement de 
« laquelle il contribua de ses soins et deniers. » 

Ces appréciations insérées dans les actes de l'époque sont très 
justes. 

Il a sauvé du vandalisme révolutionnaire la chapelle avec tout 
ce qui en dépendait Îl l'a reconstruite et il lui a donné son 
agrandissement à une époque où la persécution était encore 
violente. 

Antoine Farigoules est un bienfaiteur insigne de la chapelle 
de Notre Dame d'Ay. 

Son œuvreest la reproduction trés amplifiée de l'ancienne 
chapelle. Les axes sont rectangulaires mais la forme est la mème. 
À l'intérieur le rapport de la longueur à la largeur est aussi le 
même. Longueur 18,05, largeur 7",40. 


NOTRE - DAME D AY 367 


« Le chœur est très bas et très petit. » (Déposition de Rose 
Olivier âgée de 87 ans). C'est le gradin inférieur du chœur actuel. 
Il a en largeur, la largeur de la chapelle, en profondeur 1",70, 
_ environ 5 pieds. C'est la profondeur du chœur de l'ancienne 
chapelle. 

Un arceau fait communiquer la nouvelle construction avec ce 
qui reste de l’ancienne. 

Antoine Farigoules a établi des fenëtres, « pour donner des 
« jours et procurer la salubrité de l'air. » 

Ce sont les fenêtres de la nef. Les fenêtres du chœur en sont une 
reproduction approchée : Elles sont plus hautes et plus étroites. 

€ 1] a construit un clocher, une tribune et un degré pour y 
« monter. » « Outre le sol et les matériaux qui sont entrés dans 
« l'agrandissement de la chapelle, il a fallu encore des pièces de 
« bois tant pour la toiture que pour la tribune. » 

(Extraits de plusieurs actes de l'époque.) 

Cette tribune étroite, appuyée sur les petits murs qui prolongent 
l'entrée de la chapelle, n’a qu'i",1s de profondeur. 

Il a établi trois portes. 

Dans une contestation qui paraît avoir duré deux ans, 1806- 
1807, entre Monsieur de Larochette et Monsieur l'abbé Descots, 
sur la propriété de la majeure partie de la chapelle ; l’abbé 
Descots a prétendu que la porte du nord sur le chemin public 
n'a pas toujours existé. | 

Monsieur de Larochette lui répond : « C’est là une assertion 
« tout au moins hazardée. Elle est démentie et par la notoriété 
« et par l'inspection des lieux. Jamais à moins d'une preuve bien 
( formelle et bien authentique, on ne persuadera que cette entrée 
« n'était que secondaire, et que celles méridionale et occidentale 
« étaient les principales. » 

Antoine Farigoules avait donc bien établi trois portes : la 
porte au nord, sur la voie publique ; la porte au couchant, porte 
principale actuelle ; la porte au midi, porte de la tribune. 

Le plafond était une boiserie ornée de quelques dessins et 
peintures. (Déposition de Régis Bernard). 

Son œuvre achevée, il la vend pour 900 francs avec ses dépen- 
dances, à Monsieur l'abbé Joseph Laurent, le 30 germinal an V, 
(19 avril 1797). 


an, 


308 NOTRE - DAME D AY 


Quinze jours après, le 3 mai, il meurt à 74 ans, au hameau de 
Brenieux, commune de St-Romain, chez un cultivateur nommé 
Jean Merle. 

L'abbé Joseph Laurent s'était chargé de ses dettes et des 
obligations auxquelles il pouvait ètre tenu par suite de l'acquisi- 
tion d'un bien ecclésiastique vendu nationalement. 

La chapelle d'Antoine Farigoules a été remaniée et agrandie 
en 1834 et 1846. 

Madame de Larochette a exhaussé les murs d'un mètre environ. 
L’assise inférieure de cette construction est indiquée par l'ins- 
cription 1834, au-dessus de la porte principale et par une pierre 
portant une ancienne inscription au-dessus de la porte du nord. 
On peut, avec une lunette, lire sur cette pierre : Indulgence 
plénière en caractères trés irréguliers. 


Elle a construit le chœur et le clocher. L'inscription r834 est 
en gros caractère à la base de ce bâtiment juxtaposé au bâtiment 
principal. Le petit clocher de 1797, placé à gauche de la porte, 
a été démoli à cette époque. 

Elle a ouvert le mur au levant. L'autel était appuyé contre ce 
mur. Les parties conservées portent la statue du Sacré-Cœur et 
celle de St-Ignace. 

Elle a fait la voûte et le dallage. Certaines dalles blanches, 
celles qui pavent la chapelle de St-Joseph, et d'autres dans les 
axes des deux portes, fixent le souvenir de la chapelle de 1789. 
Les dalles grises en bordure limitent, entre sa tribune et son 
chœur, la surface de la chapelle de Farigoules. Dans l'axe de la 
porte principale, elles rappellent l'agrandissement donné à 
l'ancienne chapelle : À la somme de leurs diagonales, il faudrait 
ajouter 1",15 pour la profondeur de la tribune et 1",70 pour celle 
du chœur. 

Elle a décoré la porte princeipale par le placage des pilastres 
et du frontispice. 

Ces affirmations sont basées sur l'observation des constructions, 
leur appareillage et leur défaut d'unité. 

La tribune a été élargie en 1846, et probablement abaissée, 
lorsque Madame de Larochette a fait construire la tribune 
supérieure. 


NOTRE - DAME D AY 369 


En 1847, elle a réparé, exhaussé, allongé d'une très courte 
abside le chœur de la chapelle de 1789, chapelle actuelle de 
St-Joseph. Quatre demi-dalles blanches, deux de chaque côté du 
marchepied de l'autel, paraissent placées là pour garder le 
souvenir de ce chœur et de sa profondeur. 

Avant de commencer tous ces travaux, Madame de Larochette 
sans déroger à ses droits et à ceux de ses enfants, a fait deman- 
der l'assentiment du conseil municipal de St-Romain pour faire 
réparer la chapelle à ses frais. 


Par une délibération du 28 février 1834. le conseil municipal 
reconnaît les droits de M. de La Chavas et de ses héritiers sur les 
3/4 environ de la chapelle. A l’unanimité il consent que Madame 
de Larochette, dame très pieuse et très charitable, fasse réparer la 
chapelle à ses frais, comme elle avisera. Il fait cependant ses 
réserves sur la conservation de la porte du nord. 

Dans une déclaration faite au Plantier, le 25 mai 183$, devant 
Monseigneur Bonnel, évêque de Viviers, qui vient de bénir la 
chapelle, et devant tous les témoins de la fête, Madame de 
Larochette parle, il est vrai, de la chapelle qu'elle a bâtie et du 
maçon qui l'a bâtie. Cette déclaration est écrite à la suite de 
l'acte constatant la cérémonie de la bénédiction et sur la même 
feuille de papier. 

Dans son testament du 30 avril 1847, elle ne parle plus que des 
réparations de la chapelle. 

L'agrandissement de l'ancienne chapelle avait été fait par 
Antoine Farigoules sur le terrain de Monsieur de Chave de 
Lachaves, avec des matériaux qui lui appartenaient. 

Ces travaux n'avaient pas été entrepris sans un premier con- 
sentement du propriétaire. Mais celui-ci n'avait pas pu les 
surveiller, indisposé au point de ne pouvoir sortir de son habita- 
tion du Plantier. Il n'avait jamais cru que l'empiétement fut 
aussi important. | 

Il revendique ses droits, et il menace d'un procès l'abbé 
Laurent acquéreur des droits et des dettes de Farigoules. 

Pour éviter le procés, l'abbé Laurent reconnaît que la grande 
majorité de la chapelle, les 3/4 environ de la surface totale, a été 
établie sur le terrain de M. de Chave de Lachavas, et que toutes 


370 NOTRE - DAME D AY 


les pierres lui appartiennent. « Farigoules le lui a dit, illui ena 
« donné la certitude, et le fait est connu du public. » 

Il lui reconnait son droit de propriété sur cette augmentation, 
et pour l'indemniser, il veut qu'après sa mort, M. de Chave de 
Lachavas reçoive la propriété et la jouissance des bâtiments. 

Monsieur de Lachavas concède alors volontairement à l'abbé 
_ Laurent pendant sa vie, pour lui seul et sans pouvoir subroger 
personne à ce droit, la jouissance, et du terrain sur lequel est 
établie l'augmentation de la chapelle, et des bâtiments qui 
viennent de lui être cédés. Ïl prend à sa charge l'impôt foncier. 

« Monsieur de Lachavas acquiert moyennant une valeur esti- 
mative de cent-vingt livres, une construction faite par Antoine 
Farigoules. Il cède à Monsieur l'abbé Joseph Laurent la 
« jouissance viagère d’un immeuble dont la valeur annuelle est 
de sept livres dix sols. » | 

Ce sont les clauses de la convention faite au Plantier, le 
3 thermidor an V. (21 juillet 1797), entre les citoyens, Alexandre- 
Bernardin Chave de Lachavas et Joseph Laurent prêtre, par 
devant le notaire public Tavernier résidant à Satillieu. 

« Tout dans ce traité annonce que M. de Lachavas n'a pas 
eu la pensée de distraire de l’ancienne chapelle l'addition faite 
« par Farigoules, mais au contraire il manifeste son intention de 
laisser le tout incorporé. » (Mémoirede M. de Larochette, 1803). 
« La transmission de la propriété de la majeure partie de la 
« chapelle de Notre Dame d'Ay à M. de Lachavas et par lui à ses 
héritiers, n'a donc pas eu d'autre cause que l'extinction du 
« procès sur le point d'éclater entre l'abbé Laurent et lui. Le 
« motif bien fondé de cette transmission est l'indemnité dùe à 
« M. de Lachavas pour le sol et les matériaux qui lui ont été pris, 
« pour l'agrandissement et la nouvelle construction de la 
« chapelle. » (Consultation de M. Le Gentil, avocat à Romans, 
8 mars 1807). 


| 


Em 
à 


Lun) 
Len) 


Monsieur l'abbé Laurent reconnaissant les droits de M. de 
Lachavas par la convention du 21 juillet 1597, a réservé tous ses 
droits personnels sur l’ancienne chapelle distincte âe l'augmen- 
tation qui lui a été donnée. 

Cette réserve justifie la cession volontaire, et en tant que de 


NOTRE - DAME D AY 371 


besoin la vente pure et irrévocable de la chapelle telle qu'elle était 
et existait quelques années avant l'acquisition qu'en fit Farigoules, 
de son mobilier et des terres dont elle était dotée. Cette vente es! 
faite pour six cents francs à quatre habitants de St-Romain d'Ay : 
Christophe Roche, Antoine Perrot, Jean Chifflet et Jean-Antoine 
Marcoux. Le tout doit leur être remis au décés de l'abbé Laurent, 
qui se réserve la jouissance et se charge des impôts. 

Cet acte du 5° jour complémentaire de l'an V, (21 septembre 
1507), est rédigé au Plantier, dans la maison du citoyen de Chave, 
comme celui du 21 juillet précédent. 

Les droits de M. de Chave de Lachavas, sur la majeure partie 
de la chapelle, y sont formellement rappelés et réservés. 

Les quatre habitants de St-Romain susnommés ne sont subro- 
gés qu'aux droits de Farigoules sur les biens nationalement 
acquis, et sur les obligations qui lui incombaient de ce chef et qui 
incombent à ceux qui le représentent. 

Monsieur de Larochette dans une lettre du 1°" février 1807 à 
l'abbé Descot, reconnaît aussi très clairement à l'abbé Laurent 
le droit de faire cette vente. 

1] parle de la consultation d’un avocat dans laquelle il relève 
plusieurs erreurs de fait et de droit, et il ajoute : « Elle ne saurait 
« rien changer à la persuation où je suis que l'ancienne partie de 
« la chapelle d'Ay appartient à quatre particuliers à qui elle a été 
« vendue par M. l'abbé Laurent, et que les 3/4 environ de 
« l'étendue de la dite chapelle prise dans sa totalité actuelle, sont 
« incorporés à l'hérédité de feu M. de Lachavas et m appartien- 
« nent lors du décès de M Laurent. » 


Dans un acte officiel du 16 octobre 1839, par devant M° Delau- 
rens notaire à Satillieu, Donation entre vifs en laveur de MM: 
Druilhet, Pierre Perrin et Antoine Perrin, Madame d: Larochette 
ne donne pas la chapelle de Notre Dame d'Ay, comme elle l'avait 
fait dans un acte du 24 mai 1836, sur papier ordinaire et sous 
seing privé ; elle donne seulement la majeure partie d'une 
chapelle dite de Notre Dame d’Ay. Elle ne pouvait pas donner 
davantage. Les héritiers de M. de La Chavas n'avaient aucun 
droit sur le reste. 

Monsieur l'abbé Joseph Laurent (Laurens, Laurans, Laurand, 


372 NOTRE - DAME D'AY 


était originaire de Sparveyrés, paroisse de St-Cirgues-en-Mon- 
tagne, canton de Montpezat, Ardèche. 

Né le 10 janvier 1749, il est baptisé le lendemain. Îl reçoi] 
dans une famille patriarcale une parfaite éeucation religieuse. 

La famille des Laurent, de Sparveyrés, figure au premier rang 
des bonnes maisons de la commune et de la paroisse de St- 
Cirgues-en-Montagne, pour les habitudes chrétiennes, pour la 
fortune, pour l'honorabilité. Tous les soirs le chapelet se récite 
en famille, du moins dans la saison d’hiver. 

Joseph Laurent a puisé dans un milieu si chrétien, son amour 
pour la Sainte Vierge, son dévouement à son culte, et la grâce 
de sa vocation. 

Les renseignements sur ses études, sur ses premiers ministères, 
nous échappent. 

Nous trouvons l'abbé Joseph Laurent à Préaux. Il ne parait 
pas y avoir fait partie du clergé paroissial. En 1797, d'après un 
acte de cette époque, il y est depuis quelques années. 

L'an II, 1793 et le 2 juin, il est désigné pour faire partie du 
contingent que la commune de Préaux doit fournir à la compagnie 
de la Garde Nationale de Satillieu.{Archives de la cure de Préaux.) 

Un fait raconté par son petit neveu, se rapporte sans doute à 
cette époque. 

Au plus fort de la persécution révolutionnaire, l'abbé Joseph 
fuyant le haut-Vivarais, se dirigeait vers Sparreyrès, déguisé et 
feignant de boiter. Arrivé sur les hauteurs de La Bâthie-d'Andaures 
il rencontre un soldat qui le dévisage, le traite de réfractaire et 
lui ordonne de le suivre à La Bathie. L'abbé Joseph se laisse 
faire quelques centaines de pas. Dans un endroit favorable, il 
terrasse son homme et il continue paisiblement son chemin. 

Aprés Le décès d'Antoine Farigoules, l'abbé Joseph Laurent 
fixe sa résidence à Ay. Pendant douze ans il dessert la chapelle. 
Il] en est le premier chapelain. Jusqu'à la Révolution, cette 
chapelle avait été desservie par le curé de St-Romain. 

Monsieur l'abbé Joseph Laurent est, comme Antoine Farigoules, 
mais à titres différents, un bienfaiteur très remarquable de la 
chapelle de Notre Dame d'Ay. 

Il a veillé à la conservation de la statue et de tout le mobilier 
cédé par Farigoules. 


NOÔTRE - DAME D'AY 373 


Il a rétabli le culte de Notre Dame d'Ay, et il a ramené dans 
sa chapelle les populations que la tourmente révolutionnaire en 
avait éloignées. 

Il est mort à Ay, âgé de 60 ans, le 16 août 1809. 

Huit mois aprés, le 20 mai 1810, Christophe Roche, Antoine 
Perrot, Jean Chifflet, Jean-Antoine Marcoux, propriétaires soli- 
dairement de l'ancienne chapelle et de ses dépendances depuis 
la vente du 2: septembre 1797, déclarent que cet acte n'est qu’un 
fidei commis. De fait, l'abbé Laurent n'a jamais réclamé le prix 
de cette vente. [ls ont voulu « faciliter à M. Laurent l’accomplis- 
« sement de ses vues et intentions qui étaient de séparer de son 
« patrimoine. les dits immeubles, vases sacrés et effets mobiliers, 
« pour en assurer la transmission en propriété et en jouissance 
« au curé et marguilliers de St-Romain d'Ay » ,à la Fabrique. 

Ils rappellent que la dite chapelle faisait depuis un temps 
immémorial partie iniégrante de l'église paroissiale de St-Romain. 

Ils parlent de l'accroissement donné par Farigoules à cette 
ancienne chapelle, et ils réservent les droits afférents à cet égard 
aux héritiers de M. de La Chavas, ainsi qu'il résulte de l'acte 
passé, le 21 juillet 1797, entre ce dernier et M. Laurent. 

Ils reconnaissent les droits des héritiers de M. de La Chavas 
sur l'accroissement donné à l'ancienne chapelle, de mème que 
M. de Larochette reconnaît les droits de M. l'abbé Laurent sur 
l'ancienne chapelle : « Le traité du 21 juillet n'a uniquement 
« pour objet que la portion de terrain dont l'ancienne chapelle 
« a été accrue. ) 

Les propriétaires de St-Romaïin déjà nommés rendent seulement 
à Monsieur le curé Bourret ce qui reste de l'ancienne chapelle 
sa surface et son mobilier. 

Monsieur l'abbé Bourret avaitété caché pendaït la Révolution 
à St-Alban d'Ayoüilétait vicaire. Il a été curé de St-Romain 
de 1796 à 1840. 

Les immeubles dont la chapelle était dotée sont encore signalés 
dans un acte du 16 germinal an XII, (6 avril 1804), au sujet 
d'une créance de Jean Descours, de La Bathie d'Andaures, contre 
Antoine Farigoules et ses successeurs. L'abbé Laurent a disposé 
de ces immeubles, légitimement à cette époque, pour payer les 


374 NOTRE - DAME D AY 


dettes d'Antoine Farigoules, « bienfaiteur, de la chapelle de 
Notre Dame d'Ay. » 


La chapelle vendue le 11 avril 1791 par suite du décret du 2 
novembre 1789, nationalisant les biens ecclésiastique, appartenait 
légalement à l'acquéreur ; mais le droit ecclésiastique frappait 
cette acquisition de nullité pour le for intérieur. 

Les actes de transmission de propriété qui ont suivi, manifes- 
tent l'intention de conserver la propriété légale de cette chapelle 
et de ses dépendances, aussi longtemps que ce sera nécessaire. 
[ls manifestent aussi l'acceptation de tous les devoirs imposés 
par cette irrégularité. 

En 1801, cette situation fausse est régularisée. 

Pour rendre la paix à l'Eglise de France, Pie VIT, par le 
Concordat, permet aux propriétaires des biens ecclésiastiques 
nationalement vendus, de se considérer désormais comme 
propriétaires légitimes 

L'ancienne chapelle de Notr-Dame d'Ay, avec tout ce qui en 
dépendait, appartenait donc légitimement depuis cette époque 
aux propriétaires successeurs d'Antoine Farigoules. 

Le curé de St-Romain n'avait plus de droit à faire valoir. 


Les quatre habitants de la paroisse, propriétaires de la chapelle 
depuis 1597, l'ont conservée dans des temps difficiles, et ils ont 
rempli fidèlement en 1810, des intentions que l'abbé Laurent n'a 
jamais rétractées. 

lls ont rendu à la Fabrique de St-Romain les restes d'une 
chapelle et d'un mobillier sur lesquels le Concordat lui avait fait 
perdre ses anciens droits. 

Ils se sont interdit, pour eux et pour leurs successeurs « de 
« pouvoir jamais former aucune prétention de propriété ou de 
« jouissance sur ces objets. » 

Ils auraient pu, d'accord avec l'abbé Laurent, prendre légiti- 
mement d'autres dispositions. Ils l'ont fait, du reste, pour les 
biens dont la chapelle était dotée, par l'acte du 5 avril 1804, 
entre eux et Jean Descours. 

L'abbé Joseph Laurent, Christophe Roche, du lieu de Bille, 
Antoine Perrot, du Mont, Jean Chifflet, habitant à Ay, Jean 


NOTRE - DAME D AY 375 


Antoine Marcoux, habitant à Prapérier, sont donc de vrais 
bienfaiteurs de l'église de St-Romain d'Ay. 
Honneur aux humbles. 


La chapelle de Notre Dame d'Ay est une propriété indivise. 

En 1797, par la convention du 21 juillet, Monsieur de La 
Chavas acquiert la propriété des 3/4 environ de la surface et celle 
des bâtiments. 

En 1810, la Fabrique de St-Romain recouvre ses anciens 
droits sur la surface de l'ancienne chapelle et sur tout ce qui peut 
encore en rester. 

En 1834, Madame de Larochetie, grande bienfaitrice et restau- 
ratrice de la chapelle, est propriétaire des réparations qu'elle a 
faites et de ses nouvelles constructions, le chœur et le clocher. 

Elle transmet en 18309, à ses successeurs à N.-D. d'Ay, cette 
propriété unie à celle de M. de La Chavas dont M. de Larochette 
avait hérité. 

En 1849, Madame de Larochette se réserve la propriété et la 
jouissance de la tribune inférieure. Elle a transmis cette propriété 
à ses successeurs au château du Plantier. 

Les historiens de l'avenir raconteront comme ceux du passé 
les fastes de Notre Dame d'Ay. Elle avait triomphé en 1797 des 
persécutions criminelles de la Révolution ; elle a triomphé des 
persécutions mesquines et violentes de 1880 ; elle triomphera 
des persécutions perfides et impies de l'époque actuelle. 

Le culte de Notre Dame d'Ay survivra à tous les persécuteurs. 


Edouard de GIGORD. 


Notre Dame d’'Ay, le 16 juillet 1902. 
En la fête de N.-D. du Mont Carmel 


Note. — Plusieurs faits dont la source n'a pas toujours pu être 
signalée dans le texte de cet article, ont été empruntés aux 
Minutes des notaires de Satillieu, M° de Lhermuzière et M° 
Cettier, au Mémoire de l'héritier de M. de La Chavas pour 
réfuter les prétentions de M. l'abbé Descots, (M. de Larochette 
1807), et à d'autres actes compris dans les Archives de Notre 
Dame d’Ay. 


FESSES IE - 


VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 


L'AMATEUR DE PLANTES 


I] y a quelques années déjà, le hasard des voyages, des 
relations, et pour une bonne part aussi la curiosité très-vive que 
j'ai toujours éprouvée pour les belles et rares collections de 
végétaux, m'avaient conduit dans une petite et ancienne ville du 
haut du Languedoc. Je la désignerai presque en disant que ses 
quartiers bas, les plus modernes d’ailleurs, et les mieux hab:tés, 
s'alignent sur la rive droite du Rhône, en bordure sur la belle 
route de Lyon à Marseille, tandis que les vieilles et curieuses 
bâtisses de la ville haute, s'étagent en gradins et découpent leurs 
silhouettes bizarres sur le fond grisâtre d’un côteau calcaire. 

Les pentes de ce côteau sont assez raides et forment comme 
le dernier ressaut de la montagne avant quelle baigne ses pieds 
dans les eaux glauques du fleuve. 

C'est à une très faible distance de la petite cité méridionale 
dont je parle, que s'élevait, face au Rhône, aux Alpes et au 
Ventoux, le très vaste et très coquet château de Fontcastel, bâti à 
l'italieune. 11 était assis sur une sorte d'éperon de la colline 
formant promontoire, et sa superbe façade à colonnade s'enlevait 
en lumière sur le fond vert sombre des cèdres, des thuyas et des 
chênes yeuses qui lui faisaient un vigoureux repoussoir. Cet 
édifice était plutôt un palais qu'un château, mais par sa masse 
imposante, son élégante et lumineuse architecture, il éclairait et 
meublait singulièrement ce coin de paysage où la monotonie des 
roches grises, des toisons noires des chênes verts, ou des 
oliviers poussiéreux, jetait une note sourde et triste. 

C'était là que résidait le plus aimable et le plus ardent amateur 
de raretés horticoles, un de ces colle:tionneurs qui non seulement 
ont l'expérience pratique des professionnels émérites, mais 
apportent par surcroit, dans leur art, une passion éclairée, une 
véritable science, et le sentiment toujours affiné de la beauté des 
choses crées. Le comte de Maléon depuis sa prise de 


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VARIÉIÉS LITTÉRAIRES 377 


possession du château et du domaine de Fontcastel, dont il avait 
hérité d'un très riche parent éloigné y avait fait construire à 
grands frais de vastes serres, dans lesquelles il avait voulu 
réaliser un de ses rêves :es plus caressés, en y réunissant des 
collections de plantes d'une richesse incomparable. 

Elles devaient, dans sa pensée, faire revivre, dans un milieu 
factice il est vrai, les plus belles et les plus curieuses créations 
de la flore du nouveau monde, qu'il avait connues ou entrevues 
pendant le séjour assez prolongé qu'il avait fait au nord et au 
centre de l'Amérique, avant et après son mariage. 

Car le comte de Maléon, issu d'une vieille et noble famille 
française établie depuis près de deux sièeles au Canada, n'avait 
été ramené que par le hasard des successions, dans ce pays de 
France qui avait été le berceau de ses ancêtres éloignés. 

Il descendait d'un de ces aventureux explorateurs, navigateurs 
intrépides ou coureurs de bois, souvent héroïques, qui depuis le 
seizième stécle, avaient si patriotiquement conquis à la France 
un immense et superbe domaine colonial quelle ne sut pas garder. 

Il avait épousé, fort jeune, une de ses belles et nobles cousines 
dont la famille, essaimée d'une ruche commune au dix-huitième 
siècle, était venu s'établir dans la Floride. 

Ce mariage qui avait été le but d'un long voyage à travers les 
états du nord de l'Amérique, avait été aussi le très romanesque 
dénouement de cette vaillante odyssée, et ce ne serait pas trop 
d'un long chapitre pour en conter les étonnantes péripéties. 

Il avait vécu là en gentilhomme planteur, les plus belles 
années de sa jeunesse, administrant de vastes domaines, 
parcourant en chasseur infatigable ces éverglades, ces cyprières 
et ces sichks étranges, s étendant au loin dans la région basse qui 
environne St-Augustin. Îl avait été appelé aussi à prendre part à 
ces terribles chasses à l'homme nécessitées par les sauvages et 
sanglantes incursions des indiens séminoles, ramassis de toutes 
les tribus mécontentes lancées sur les sentiers de la guerre, et 
qui tinrent si longtemps en échec’ les troupes blanches de leurs 
envahisseurs. 

Il avait donc grandi dans une vie faite d'aventures, de dangers, 
detravail et aussi de luxe et de plaisirs, sous un climat privilégié, 


25 


378 VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 


au milieu d'une société brillante, qui a gardé de son origine 
espagnole la piquante coquetterie, la beauté étrange et la gräce 
exquise, et une dévotion plus accomodante que rigide. 

M. de Maléon faisant pour'moi un retour vers ces années de sa 
jeunesse et de son adolescence, me déclarait qu'elles avaient eu 
la plus helle part de sa vie. | 

S'il avait éprouvé une singulière émotion à venir planter sa 
tente dans ce pays de France qui fut le berceau de ses ancêtres, 
et dont on parle toujours dans l'exil de la transplantation au- 
delà des océans, une seule chose avait pu cependant adoucir le 
regret de s'éloigner de la Floride, de la quitter pour toujours 
sans doute. C'était d'avoir pu s'entourer d'arbustes, de plantes et 
de fleurs qui lui rappelaient ceux des régions tropicales au milieu 
desquelles il avait longtemps vécu et connu ces ivresses de Ilumiére 
et de parfum qu’on ne peut oublier 

C'est en effut de son séjour dans la Floride, contrée dont le 
nom seul est une promesse et comme un symbole de ses richesses 
florales, que le comte de Maléon avait rapporté en France cette 
extraordinaire passion poua les plantes. Sa prédilection s'était 
fixée sur la flore des eaux et des forêts humides, dans lesquelles 
éclatent tant de magnificence et d'originale beauté. 

Il avait établi à Fontcastel, au prix de dépenses énormes, des 
serres merveilleusement disposées pour la culture des plus rares 
et des plus belles espèces de cette flore spéciale. Il avait su mettre 
à contribution les régions si diverses de la zône tropicale et 
équatoriale. Les relations qu'il avait conservées avec le Brésil, 
l'Amérique du sud, les Antilles, les côtes du golfe du Mexique, 
avaient puissamment contribué à lui faciliter les moyens de satis- 
faire ses goûts. 

Les serres de Fontcastel étaient une prodigieuse accumulation 
de raretés végétales, et elles faisaient non seulement l'objet de 
tous les soins, de toutes les préotupations du comte, mais encore 
elles attiraient de fortloin les riches collectionneurs, les horticul- 
teurs spéciaux, avec lesquels correspondait M. de Maléon, et 
parmi lesquels il avait acquis une réputation d'amateur hors de 
pair, par l'importance et la beauté de ses r-ll2cti i*, autant que 
par l'art tout personnel qu'il avait apporté dans ses installations 
et dans ses modes de culture. 


VARIÉTÉS LITTÉRAIRES | 379 


Nulle part peut-être, on ne pouvait citer un ensemble aussi 
complet des spécimens rares et admirés de la flore des eaux de 
tous les pays, auxquelsil avait su associer par les plus ingénieuses 
transitions, les plantes tropicales qui vivent dans les milieux 
humides et chauds, dans les sous-bois, sur les rives des cours 
d'eau et des lacs ombreux. 

Les fougères gigantesques, les lycopodes bizarres, les lichens 
monstrueux,les orchidées et les lianes aux formes et aux dévelop- 
pements fantastiques, formaient comme un cadre admirablement 
approprié à ces grands réservoirs d'eau toujours tiéde, à ces 
lagunes en miniature, où s'étalaient les larges feuillages, où 
éclataient comme des coupes de corail rose, d'albätre, de lapis, 
d'améthiste, d'or, de velours multicolores, les grandes corolles 
des nymphéacées, et d'une foule d'espèces qui prêtent aux eaux 
vives ou dormantes la luxuriante parure de leurs feuillages et de 
leurs fleurs. | 

C'est aux époques de la floraison dela plupart de ces fastueuses 
plantes qu'il fallait assister à ces fêtes intimes dont les serres du 
comte de Maléon étaient le théätre peu banal. Ïl n'y admettait 
volontiers que les initiés, que les sectateurs avérés de cette flore 
lacustre, origine selon lui de toute la genèse du monde organi- 
que. 

C'était alors dans les grandes serres de Fontcastel, vers le 
milieu d'une belle journée ensoleillée, comme la célébration d'un 
mystére, évoquée des âges lointains où florissait dans la profon- 
deur des temples de l'Inde et de l'Egypte, le symbolisme religieux 
du rose Nelumbo, de la Castalie mystique, du Lotus bleu du Nil 
et du Lotus rose de l'Inde et de la Chine. | 


Comme revêtu d'une fonction hiératique, le comte pontifiait 
en présentant à Ja religieuse admiration de ses visiteurs les hôtes 
affectionnés de ce sànctuaire. Dans l'atmosphère tiède et bleuâtre 
où flottaient des vapeurs d'eau et Îles arômes, incessamment 
vaporisés par l’action du soleil sur les vitrages et des thermosi- 
phons dont le réseau savant maintenait partout une haute tempé- 
rature, éclatait à tous les yeux la divine harmonie des formes, 
des couleurs et des parfums. 

Le regard était comme fasciné par les splendeurs éburnées, par 


380 VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 


les triomphantes nudités de ces grandes corolles de Nymphéas, 
pétries de neige et de lait, portant à leur centre, comme dans un 
écrin, le riche bouquet d'étamines d’or qui le décore. 

Le moindre rayon de lumiëre qui frappait ces pétales moites 
de rosée en faisait jaillir des feux d'un incomparable éclat de fines 
pierreries, et les perles de vif argent courant sur les vastes 
plateaux bleuäâtres des feuilles, étincelaient et s'irrisaient comme 
de pures gemmes. 

Dans les parties de la vaste serre où régnait une sorte de 
pénombre crepusculaire, rappelant les lagunes stagnantes des 
tropiques, sous le couvert des grands arbres et des lianes emmè- 
lés, rien n'égalait la mystique beauté de certaines fleurs qui, dans 
leurs larges corolles diaphanes, à demi-closes, semblaient avoir 
emprisonné un peu de lumière venue de loin, et comme les 
lampes discrètes d'un temple, éclairaient ce vivant tabernacle de 
lueurs infiniment douces et mélancoliques. 

Leurs chairs délicates, teintées d'azur ou de fine pourpre, 
imprégnées de lueurs mourantes, palpitaient cependant de vie et 
exhalaient d'indéfinissables parfums, capiteux et subtils comme 
ceux de riches courtisancs. 

Partout le regard était frappé de la somptuosité de ces lourdes 
draperies de moire ou de satin aux reflets changeants, formés 
par les grands feuillages, des Colladiums, des Colocases, des 
Arums, des Musa, des Strelitzia et de tant d'autres plantes super- 
bes et de fière allure, quoique réduites en esclavage sous un 
ciel qui n'était point fait pour elles. Rien n'égalait la richesse 
de coloris des Lotus sacrés du Nil, du Gange, de la Caroline. 
La gamme des lilas, des mauves, des roses, des jaunes et des 
bruns était inépuisable et d'une délicatesse idéale dans les 
capricieuses et folles grappes d'orchidées partout suspendues, 
et comme bercées dans leurs rustiques hamacs de branchages 
morts, ou s érigeant de troncs d'arbres èvidés par la décompo- 
sition de leurs moëlles. 

Ces voluptueuses parasites asiatiques et américaines, dont 
l'Europe devait s'éprendre comme de la révélation d'un monde 
végétal créé par la baguette magique d'une fée, répandaient de 
toute part dans l'intense verdure des frondaisons, leurs char- 
mantes volées de papillons aux nuances claires et tendres. 


VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 381 


L'eau tiéde pulvérisée et vaporisée par des appareils dissi- 
mulés dans des bouquets de fougères, dissolvait sans cesse les 
fines essences répandues dans l'air par les Wanda,les Lys d'eau, 
les Vanilles, les Bromelia, les Arums d'Ethiopie, et nombre 
d'autres fleurs plus rares encore. 

Dans une grande pièce d'eau dont la température était soi- 
gneusement maintenue à 21 degrés, s'étalait dans toute la pompe 
de sa royale magnificence, la Victoria de la Guyane et du Brésil, 
dont l'introduction sur le vieux continent ne remonte guëre au 
delà du milieu du dix-neuviëme siècle. Cette plante est bien par 
la grandeur extraordinaire de ses feuilles et de ses fleurs l'une 
des merveilles connues de la flore aquatique. 

Elle est la plus belle conquête de l'horticulture des serres 
chaudes, malheureusement réservée au luxe couteux que de rares 
privilégiès peuvent seuls se permettre, ce qui explique la rareté 
de ses apparitions, même dans les grandes exhibitions interna- 
tionales horticoles qui ont eu lieu avant et après 1889. 

Deux ou trois autres espèces de cette nymphéacée géante, 
venues de l'Amérique du Sud, se prélassaient dans leurs bassins, 
et formaient une suite d'honneur à leur belle suzeraine, revêtue 
d'un nom royal, par droit d’ainesse, mais que dépasse encore 
par sa grandeur et son étrangeté la monstrueuse fleur du Mont 
Apo de l'archipel des Philippines, dont la largeur est de plus 
d'un mètre et le poids de huit à dix kilogrammes paraît-il. 


C'était un émerveillement que cette réunion dans un même 
palais de verre de ces trésors de la flore des eaux des 
deux mondes. Îls en donnaient une idée moins grandiose sans 
doute que dans leurs paysages natifs, mais réduite et concentrée 
ainsi,sans fatigue,la vision d'un monde végétal aux formes et aux 
proportions des âges antédéluviens, gigantesques ou bizarres, 
dont quelques régions, encore ignorées, cachent les lointaines 
survivances, était bien faite pour charmer les yeux et captiver 
l'esprit des observateurs. 

Quelle chose plus étonnante que cette plante infiniment ori- 
ginale et curieuse que l'on ne rencontre guëre que dans la grande 
île africaine de Madagascar, et dont la guipure aérienne décon- 
certe l'imagination. 


382 VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 


L'ouviranda fenestralis abritait sa délicate texture multicolore 
sous l'aile plus robuste de ses grandes sœurs tropicales. 

Cette hydrocharidée d'une si surprenante originalité, sem- 
blait dans cette foule de solennelles et orgueilleuses créatures, 
l'œuvre inachevée d'une Pénélope, le projet d'une broderie dont 
le clair et léger canenas était seul préparé. 

Transportée avec mille précautions de son ile natale dans les 
serres de Fontcastel, l'étrange créâture paraissait cependant y 
avoir retrouvé, par un miracle de la science et de la passion d'un 
amateur émérite, le milieu d'élection, que ses habitudes acquises 
et ses destinées spécifiques lui assignaïient. 

C'est qu'en demandant à des regions lointaines si diverses, 
ces représentants de leur admirable fécondité et que l'on eut pu 
croire réfractaires à tout autre milieu, M. de Maléon n'avait 
point fait œuvre arbitraire et sans avenir. Il avait accompli pour 
ainsi dire une seconde création en reconstituant pour chacune 
de ses pensionnaires favorites, les conditions du climat et de 
l'habitat qui lui étaient familiers. Par une étude minutieuse de 
leurs mœurs. de leurs gouts, de leurs besoins, il avait refait pour 
chacune d'elle, et toujours à grands frais, son humus de prédi- 
lection. Pour obtenir de ses chères plantes rares, la faveur d'une 
acclimatation, la joie délicate de les voir ffeurir et fructifier, il 
les avait comblées de ses soins et de ses attentions. Rien ne lui 
avait paru trop cher ou trop difficile, et il ne s'était point épar- 
gné lui-même dans la constante étude des conditions spéciales à 
chacune de ces filles capricieuses et exigentes de la nature. 
Plus qu'un vulgaire amateur qui ne vise qu à étaler des richesses 
frivoles à la banale curiosité d'un public, M. de Maléon avait 
voulu tout connaitre de la vie pour ainsi dire intime et occulte 
de ses favorites, c’est-à-dire des plus belles, des plus bizarres, 
et des plus expressives des plantes de ses collections. 

Aussi, personne n'était-il mieux informé et documenté que lui 
sur les particularités intéressantes, singulières ou merveilleuses, 
de celles-ci. Il s'était laborieusement appliqué à les recueillir 
dans les travaux des savants botanistes, des maîtres de la phy- 
siologie végétale, et dans les observations, si souvent révéla- 
trices, des voyageurs. C'était mieux qu’un amateur de plantes 


VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 383 


rares et curieuses, c'était un initié de la science, un savant trés 
informé de tout ce qui touche à son domaine de prédilection, et 
de bonne heure il avait reconnu le précieux concours que lui 
apportait l'étude de la physique et de la chimie. 

Lni-même avait voulu expérimenter et contrôler des faits 
signalés parfois de façon peu scientifique, mais qui avaient 
néanmoins éveillé son attention et surexcité la curiosité que lui 
inspirait tout phénomène du monde végétal. : 

Il connaissait les propriétés phosphorogéniques de nombreuses 
substances minérales cristallines, métalliques ou terreuses qui, 
en dehors du diamant, dont la phosphorence fut si longtemps 
considérée comme un phénomène unique, avaient singulièrement 
accru, depuis le commencement du 17° siècle, la liste des corps 
lumineux dans l'obscurité. | 


I] savait aussi que des êtres vivants, appartenant surtout à la 
faune marine, des poissons, des mollusques, des crustacés, 
émettaient des clartés surprenantes longtemps même après avoir 
été arrachés aux profondeurs de la mer. D'autres, d'infiniment 
petits mollusques ou crustacés, suflisaient par leur innombrable 
multitude à la surface des eaux, pour donner aux vagues de 
l'océan, dans des conditions de température favorables, ces pro- 
digieuses phosphorescences bleuâtres, qui font naître l'illusion 
d'un punch immense sans cesse remué et flambant, pendant de 
longues heures de nuit. 

M. de Maléon avait eu l'occasion d'assister dans l'Amérique 
centrale, en Floride et ailleurs, à la surface des marécages, dans 
les cyprières et les éverglades de cette contrée où tant de débris 
organiques fermentent sans cesse, à de terriñantes visions de 
feux-follets et de phosphorescences brillantes. 

Il avait rencontré dans ses voyages aux régions chaudes, des 
insectes véritables porte-fallots, illuminant l'espace dans leur 
vol, comme des bolides lillipatiens ; des chenilles et des larves 
rampantes trainant après elles des foyers de lumière bleue ou 
verte, comme les vers luisants et les lucioles du midi de l'Europe, 
en offrent le spectacle si curieux, mais d'une moindre intensité. 

C'était donc sans étonnement, mais poussé par une vive curio- 
sité, qu'il avait constaté lui-même, ou par Île témoignage 


384 VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 


d'observateurs dignes de foi, que dans'le monde végétal, parmi 
ses chères plantes, il en était aussi qui s'éclairaient à certaines 
heures, en devenant phosphorescentes. 

Il lui semblait quelles exhalaient pour ainsi dire, dans l'obscu- 
rité, l'excès de lumière quelles avaient reçu pendant leur exposition 
au soleil. Tout comme le diamant, la topaze, le corindon, le rubis, 
et tant d'autres corps de composition plus grossière qui jouissent 
de cette propriété à des degrés divers, ainsi que les physiciens et 
les chimistes on pu le constater, les végétaux aussi bien que les 
animaux étaient donc doués de cette propriété lumineuse. 

Dans quelle proportion, dans quelles familles ou dans quel 
genre pouvait-on constater ces particularités remarquables ? 

Comment pénétrer ce mystère qui n'est sans doute, au fond, 
que la manifestation plus visible pour quelques uns, d'une 
propriété générale des corps ? 

L’électricité jouait-elle, au contraire, un rôle plus vraisemblable 
dans ces phénomènes lumineux ainsi que quelques savants l'ont 
pensé ? 

Rien ne lui permettait d'écarter absolument cette hypothèse. 

S'il existe, en effet, des animaux dont les moyens de chasse et 
de défense tout à la fois résident dans l'électricité qu’ils dégagent 
de façon opportune, comme on l'a constaté si fréquemment chez 
la torpille, la silure, le gymnote, et d'autres encore, il n'est 
nullement hasardé de supposer qu'il existe dans le monde végétal 
des êtres jouissant de propriétés analogues. 


Pour son compte, l'éminent horticulteur, doublé d'un voyageur 
et d'un observateur sagace qu'était M. de Maléon, ne mettait pas 
la chose en doute, et il avait pour cela, ainsi qu'il se plaisait à le 
dire, les meilleures raisons du monde. Il avait vu et il savait par 
expérience. 

__ [savait qu'au Honduras, par exemple, des arbres sont lumineux 
pendant la nuit, et qu’au Nicaragua, une arrockhe, c'est-à-dire une 
très proche parente de notre vulgaire épinard, la Phytolaque 
électrique, peut dégager des étincelles et exercer sur les appareils 
susceptibles de la déceler et de l'enregistrer, une influence électri- 
que et magnétique marquée, même à une certaine distance, et 
suivant les heures du jour ou l'état athmosphérique. Les insectes 


VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 385 


et les oiseaux évitent de se poser sur ces rameaux dangereux ‘pour 
eux. Mais ce qui est remarquable c'est qu'aucun gisement 
métallique susceptible de communiquer à la phytolaque ses 
propriétés magnétiques, n'a pu être constaté dans le voisinage 
de ce végétal. C'est donc une propriété qui lui est propre, 
intrinsèque, et dès lors permet de penser que le règne végétal est 
doué a des degrés plus ou moins sensibles, de cette même fonction 
électrogénique. 

La phytolaque des Indes, n’est pas en effet, l'unique plante qui 
dégage de l'électricité. 


Des Antilles, le comte de Maléon avait reçu une plante du 
genre Hura, décrite par Linné. et classée parlui dans la famille 
des Éuphorbiacées. Elle est connue en Amérique sous les noms 
vulgaires et significatifs d'arbre du diable buis de Sable, noyer de 
la Jamaïque, pet du diable, et plus simplement en botanique 
sous celui de sablier élastique [(Hura Crepitans). Ses mœurs sont 
assez singulières. Cet arbre, dit Boscowitz. portant sur le même 
pied des fleurs mâles et des fleurs femelles séparées, la fécondité 
ne peut s'accomplir que par un rapprochement spontané des 
branches portant les fleurs de chaque sexe. Mais cet hymen déjà 
étrange, est accompagné de crépitements que Berthollon a cru 
pouvoir attribuer à un phénomène électrique, dans le genre de 
celui qui se produit, de façon plus évidente, chez les phytolaques 
électriques. 

Cela eut été déjà suffisant pour déconcerter un esprit moins 
préparé aux surprises que le monde organique réserve à la curio- 
sité du savant et de l'observateur, à mesure qu'ils pénètrent plus 
avant dans les mystérieuses régions équatoriales de l'Amérique, 
de l'Afrique, de l'Asie. Combien d'autres végétaux, se disait-il, 
sont doués de ces mêmes propriétés, lesquelles restent ignorées 
parce que le hasard n’a pas favorisé leur découverte et leur 
constatation au contact d'un de ces instruments délicats qui 
servent à mesurer la moindre manifestation des phénoménes 
magnétiques et électrique ? 

Combien d'animaux et de végétaux dégagent de la lumière et 
de l'électricité dans les profondeurs presque insondables des 
océans, comme à leur surface ? Qui pourrait assigner une limite 


386 VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 


aux découvertes qui viendront signaler parmi les deux cent mille 
plantes déjà connues, celles qui dégagent pendant certaines phases 
de leur existence, de la chaleur, de la lumière et de l'électricité, 
comme elles exhalent des parfums si doux ou si intenses ? 


Il a fallu des siècles pour ajouter un nombre encore restreint 
de corps inorganiques lumineux, au très petit nombre de ceux 
qu'on avait observés jusqu’en 1604, c'est-à-dire jusqu'à Vincenzo 
Calcinarola, alors que le diamant semblait être le seul minéral 
doué de phosphorescence. 


M. de Maléon me mit trés obligeamment au courant des nom- 
breuses expériences qu'il avait tentées, des observations qu'il 
avait recueillies directement sur les propriétés physiques des 
plantes, en dehors même de la culture spéciale à laquelle il avait 
consacré ses soins depuis son arrivée à Fontcostel. Il ne tarissait 
pas d'admiration pour les inépuisables ressources de la nature et 
les lois si simples, si économiques, qui président à l'infinie variété 
des formes, des couleurs, des parfums, et des autres propriétés 
des végétaux. | 

Dans sa pensée, une vie intense, plus qu'instinctive, presque 
intelligente était le partage de ces êtres qui nese différençiaient 
qu'arbitrairement du règne animal, puisque chez bon nombre 
d'entreux, la mobilité volontaire, la sensibilité, et d'autres 
propriétés que la science avait longtemps méconnues ont pu étre 
constatées. 

Comme Boscowitz, il eut volontiers penché vers l’âme de la 
plante, en lui reconnaissant la faculté d'une détermination libre 
et raisonnée de ses actes, en plus d'un cas. 

Je fus frappé de cette vue si généreuse chez un homme qui 
vivait de la vie des plantes et avait eu tant d'occasions de pénétrer 
dans leur intimité, et d'assister à leur évolution. 

Mais il me semble, dis-je à M. de Maléon, que la nature accepte 
aussi des collaborateurs habiles, tels que vous, dans son incessante 
création. Je ne doute pas, en effet, que vous ayez ajouté de fort 
belles choses à son œuvre, à en juger par les splendides fleurs 
que vous êtes arrivé à obtenir par des travaux intelligents. 

Peuh ! répliqua le comte, modestement. Nous faisons, nous. 
horticulteurs en chambre cu en serre, si vous aimez mieux, des 


VARIÉTÉS LITTÉRAIRES 387 


mariages d'inclination ou de fantaisie, nous amplifions, nous 
dupliquons, nous semons, nous multiplions, nous acclimatons, 
et puis ? 

La nature nous apprend tout cela, et le fait sans effort, à peu 
de frais, par des moyens simples, qu'il faut surprendre ou deviner. 

Mais que valent,parexemple, les grandissements que nous avons 
obtenus, si nous les comparons à ceux qu'elle a donnés d'emblée 
aux fleuris monstrueuses de la Victoria du Brési: et de la Guyane, 
à la fleur du Bolo, des Philippines, sans parler des énormes 
corolles d'un moindre diamètre, qui font l'ornement d'un bon 
nombre d'espèces exotiques ? 

Il y a, ajouta-t-il, des conditions de sol, d'humus, de climat, de 
chaleur, d'ombre, d'humidité, que sais-je encore, que nous 
sommes impuissants à reproduire, malgré tous les progrès qui 
ont été accomplis jusqu à présent, dans la préparation des 
terreaux, des composts, aussi bien quedans l'application d'engrais 
artificiels organiques et inorganiques. 

Toute notre science, vous le voyez bien, tend à serrer de plus 
prés les procédés de la nature, quand nous pouvons pénétrer dans 
son mystérieux labotatoire de chimie. C'est sur cette conclusion 
d'un savant aussi modeste qu'heureux dans ses efforts, que 
je quittai les belles serres de Foncastel, pour passer à 
d'autres enthousiasmes. Je veux parler de ceux que me réservait, 
du haut de la terrasse du château, l'immense panorama des 
Alpes et de la vallée du Rhône, s'étendant devant nous, dans la 
féerie d'un éclairage que le peintre le plus habile et le plus 
exigent eut pu rêver pour un tableau. 

Là encore, la nature se montrait, comme dans la serre de 
M. de Maléon, l'incomparable magicienne et la créatrice infiniment 
féconde, qui sait faire jaillir la variété incessante des détails et 
des formes, dans la grandiose harmonie de l'ensemble. 


Paurz d'ALBIGNY. 


ag £S 
ASE ANT 


LA VALLÉE DE CHASSEZAC 


ET SES EAUX MINÉRALES 


UNE DÉLIBÉRATION PATRIOTIQUE ET INTELLIGENTE 


Nous recevons la lettre suivante que nous nous faisons un 
devoir et un plaisir de publier 


Villefort le 25 juillet 1902. 


Il y a peu de temps, Monsieur le Directeur, votre excellente 
Revue du Vivarais, toute désintéressée et où la politique et l'esprit 
de parti sont inconnus, a bien voulu publier sur les eaux 
sulfureuses de Malarce-Thines, un article que j'avais pris la 
liberté de vous adresser. (1) Je vous dois à ce sujet de vifs 
remerciements, car grâce à vous, Monsieur le Directeur, le réveil 
s'est produit, la population de la vallée de Chassezac parait enfin 
avoir compris la valeur et l'utilité du trésor,troplongtemps enfoui, 
qu'elle possède en son sein. . 

Vous pourrez en juger par l'acte public dont la municipalité de 
Malarce vient de prendre l'initiative. en attendant que celle de 
Thines, intéressée aussi, suive l'exemple de sa voisine. 

C'est une délibération prise le 20 juillet 1902. Comme son 
objet paraît être d'un intérèt général pour notre région vivaroise' 
et lozérienne, il vous plaira, j'en suis certain, d'en donner 
connaissance à vos lecteurs qu'intéressent l'avenir et la prospérité 
du pays. 

« L'an mil neuf cent deux et le 20 juillet à dix heures du 
« matin, dans Ja salle de la mairie. 

« Le Conseil municipal de la commune de Malarce s'est réuni 
« sur la convocation et sous la présidence de M. Brahic, maire. 
« Sont présents : MM. Roche Marius, Maurin J. Baptiste. 
&« Charaix Marcellin, Merle Edouard, Noël Louis, Plagnol 
« Régis, Gévaudan Ernest, Roux Joseph et Brahic Plaramond. 

« Le Conseil réuni au nombre prescrit par l'article 17 de la loi 


« du $ mai 1855 nomme M. Merle Edouard, conseiller municipal 
« secrétaire pour toute la durée de la session. 


(1) Rev. du Viv. T IX. P. 546 et suivantes. 


LA VALLÉE DE CHASSEZAC 389 


« M. le maire, après avoir communiqué au Conseil un long 
article intitulé « la Vallée de Chassezac el ses exux minérales, » 
publié dans la Revue du Vivarais, a exposé : 1° Que la com- 
mune possède sur son territoire plusieurs sources sulfureuses 
minérales pouvant fournir plusieurs millions de bouteilles 
d'eau par an ; 2° Que nos eaux sont de même nature que les 
eaux si renommées des Pyrénées, pouvant guérir une foule de 
maladies, telles que, maladies de la peau, maladies de poitrine, 
de la gorge et du larynx et autres chez les enfants et les 
adultes ; 3° Qu'enfouies jusqu'à ces dernières années comme un 
trésor inutile, faute de routes, elles sontmaintenant abordables 
aux voitures jusqu à Maurines ; 4° Qu'elles se trouvent placées 
aux limites de trois départements : Ardèche, Gard, Lozère ; 
entre trois gares : Villefort, St-Paul-le-Jeune et Beaulieu- 
Berrias, à quelques kilomètres de deux villes ; 5° Qu'il est fort 
à désirer qu'un acquéreur ou une société en fasse au plutôt 
l'objet d'une exploitation, soit pour expédition de bouteilles 
soit pour établissement médical ; 6° Qu'un ouvrier avantageu- 
sement connu à Malarce aurait, depuis trois ans, l'intention 
d'exploiter ces eaux, si cela lui était permis sans trop de frais, 
mais qu'il n'a pu obtenir l'autorisation de la Préfecture, malgré 
ses démarches ; 7° Que la commune est très intéressée à ce que 
ces démarches aboutissent ; qu'ouvriers, journaliers, portefaix, 
voituriers, la plupart des habitants y trouveraient leur avan- 
tage, comme cela arrive partout où se trouvent des eaux 
minérales de ce genre ; que bientôt cela pourrait attirer des 
étrangers, amener même l'établissement d'un courrier et peut 
être d'un chemin de fer, ou au moins d'un tramway, M. le 
maire demande en conséquence à MM. les Conseillers de 
délibérer à ce sujet. 


« Après cet exposé, le Conseil, ouies les explications de M. le 
maire, vu : ( La Vallée de Chassezac et ses eaux minérales », 


« considérant la vérité et la sagesse de ses observations, est d'avis 


Que M. le maire s'adresse à M. Belleudy, Préfet de l'Ardèche 
et ancien Préfet de la Lozère, pour appeler son attention sur 
nos eaux sulfureuses froides (d'exportation), qui sont le pendant 
des eaux sulfureuses chaudes (pour les bains) de Bagnols, 
personne ne pourrait mieux s y intéresser ; 2° Qu'il obtienne, 
de ce haut magistrat, au plus tôt, l'autorisation d'exploiter que 
réclame depuis trois ans M. Meyronnet ; 3° Qu'il fasse toutes 


« autres démarches utiles pour arriver à faire connaître au public 


ou tout au moins dans l'arrondissement.par la voie de la presse 
locale, l'existence et l'efficacité de nos eaux minérales, afin 
d'attirer sur elles l'attention des malades. Qu'il insiste auprés 
des médecins et pharmaciens des Vans et de Villefort pour 


«qu'ils ne négligent plus de les recommander à leur clientèle, 


« 
( 
« 


alors que les mêmes eaux se vendent jusqu'à deux à trois 
francs le litre et que leurs confrères envoient leurs malades au 
fond de la France, très loin d'ici. 


390 LA VALLÉE DE CHASSEZAC 


Fait et délibéré à Malarce, les jours, mois et ans susdits 
suivent les signatures 
pour copie conforme : 

Malarce le 22 juillet 1902. Le maire, signé Branic. 

Voilà un document qui restera, dans les annales de Malarce, 
comme un témoignage de zèle patriotique et d'intelligence 
administrative de la part de la municipalité de cette commune. 

Un autre renseignement, officiel aussi, touchant les eaux 
minérales de « La Vallée de Chassezac », concerne l'analyse des 
trois sources sulfureuses principales de la petite rivière de Thi- 
nette. J'entends les numéros 1 et 2, Source du Pipe et Source des 
Martyrs, dans la commune de Malarce, rive gauche, et le numéro 
3, Source de la Salle, commune de Thines, rive droite. 

Cette triple analyse sommaire a été faite, au Laboratoire des 
mines d'Alais par M. À. Coignard chef dudit Laboratoire d'essais. 
L'eau de chaque source avait été présentée le 11 novembre 1901. 
Le dosage de l'acide sulfhydrique fut effectué le 13 janvier 1902. 

Le résultat par litre est renfermé dans le tableau suivant. 
Analyse des trois sources principales de la Vallée de la Thinelte 


N° 1 N° 2 N° 3 
Par litre j Source Source Source 
| du Pape |des Martyrside la Salle 
Acide sulthydrique libre O gr.0040 | _Ogr.0044 | O0 gr.0047 
Carbonate de soude 0,160 0,160 0,160 
id de potasse 0,021 0,021 0,021 
Sulfate de soude 0,064 0,064 0,064 
id de chaux 0,029 0,029 0,029 
Protoxydede feretalumine, [races Fraces Traces 
Chlorure de sodium 0,057 0,057 0,057 
Acide silicique 0,058 0,068 0,068 
Total ogr.3G9 Ogr.399 Ogr.399 
Résidu à 180 degré 0,401 0,401 0,401 
Température au 13 janvier! 14° 12°5 1195 


J'espère que ces renseignements nouveaux pourront trouver 
place dans votre Revue et qu'ils intéresseront vos lecteurs. 
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, avec tous mes remer- 
ciements pour votre obligeante hospitalité, l'expression de mes 
sentiments bien dévoués. 
Un ami de l'Ardéche et de la Lozère. 


LA GENÈSE D'ANNONAY 


Propositions géologiques et étymologiques. — Hypothèses et préhistoire, — 
Buryondes et Carolingiens. — Terre d Empire et Comté de Viennois. — 
L'Eglise de Vienne et l'Eglise d'Annonay. — Les Archevèques de Lyon et les 
Dauphins. — Réunion à la Couronne de France. — Origines ecclésiastique 
et féodale. — La foi et la charité. — La Ville au moyen-âge. 


De bons auteurs ont pensé que, du côté de la rivière de 
Déome, un lac occupait, aux temps géologiques, l'emplacement 
d'Annonay. Les rochers de St-Denis formaient la digue de ce 
lac dont les eaux déversaient dans la Cance. Cette hypothèse ne 
péche ni contre la vraisemblance ni contre la théorie de la 
formation des thalwegs. En effet, les vallées n'ont pas été créées 
pour recevoir les rivières ; elles se sont formées, avec le temps, 
sous l'action érosive du nombre infini des siécles et du volume 
relativement considérable des eaux. Les bassins fluviaux ont 
évidemment perdu leur aspect primitif ; ils se composaient d'une 
succession de l£cs, de rapides et de cascades qui ont été remplacés 
par un thalweg régulier. Les eaux suivaient la pente douce des 
collines et divaguaient, en méandres capricieux et changeants, à 
la surface des plateaux qu'elles entamaient peu à peu. Un filon 
de roche dure, un épanchement de granit plus compact arrêétait, 
pour un temps, la rivière ou résistait,pour toujours, comme notre 
Roche Péréandre, à ses terribles assauts. 1] est toutefois évident 
que la configuration du pays annonéen n'est pas dûe seulement 
à l'érosion et à la dénudation pluviaire, mais aussi et surtout au 
mouvement orogénique qui, se propageant du sud est, plissa et 
rida nos contrées. Dans leurs hautes vallées, la Déome et la 
Cance coulent en ligne droite, la première du Tracol à Bourg- 
Argental, la seconde, de St-Bonnet à Villevocance ; elles parais- 
sent suivre la direction de deux plis hercyniens parallèles entre 
eux et séparés par le Pyfara et le Grand-Felletin. Dans les parties 
inférieures de leurs vallées, nos rivières étaient vraisemblablernent 
peu encaissées et leur pente n'augmenta qu'en conséquence de 
l'affaissement de la dépression rhodanienne (1). 


(1) Cf. Louis Bourdin, Le Vivarais. — Voir, dans le F’oyage autour d'Annonay, 
les ingénieuses hypothèses émises, par l'auteur, d’après M Rostaing-Morlas, 
sur la formation de la Roche Péréandre. 


392 LA GENÈSE D ANNONAY 


C'est en s'appuyant sur l'existence hypothétique ou légendaire 
du lac annonéen que la celtomanie trouve l'étymologie du nom 
de notre ville. Annonay viendrait du celtique ANNOUN, profonde, 
ou mieux, de ANNO, eau dormante (1). 

Quelques auteurs reconnaissent dans le latin annona l'étymo- 
logie d'Annonay, soit que notre ville ait été consacrée à la déesse 
Annona qui personnifiait l'abondance, soit qu'elle ait été un 
magasin de vivres, un dépôt de blé ou un lieu de perception de 
l'annone. Ces historiens s'accordent à attribuer la fondation 
d'Annonay aux Romains et les plus hardis à Jules César lui- 
même. Ils voient le conquérant passant par Annonay, au plus 
court, — car il n'y a pour eux point d'impedimenta — lorsqu'il 
conduit ses légions de Savoie en Forez (2). 

Il est évident que les vallées de la Cance et de la Déome étaient 
les deux chemins naturels qui, du Rhône conduisaient en Velay 
et au Forez, chez les Vellaunes et chez les Ségusiaves. Il est non 
moins évident que les vovages antiques suivaient toujours, 
comme les caravanes, le même itinéraire, les mêmes frayés. « Il 
ne suffisait pas, a-t-on dit, d'avoir fait le choix d'une voie facile, 
il fallait pendant le trajet être assuré de rencontrer de quoi se 
ravitailler, soi et ses bêtes de somme ; il était indispensable 
d'avoir de distance en distance des lieux convenables pour les 
haltes, des endroits commodes et bien défendus pour passer la 
nuit. » (3) 

C'est d'aprés ces considérations qu'il convient d'examiner la 
conjecture émise par M. l'abbé Caillet (4). Ce savant auteur 
admet l'existence d'une voie de communication qui, partant du 
pied de la montagne du Châtelet d'Andance, traversait Annonay 
et conduisait chez les Vellaunes ; il suppose que la numération 
milliaire débutait au Rhône et fait remarquer qu'Annonay est à 
environ neuf milles de ce fleuve (5J. Annonay aurait donc été une 


(1) Bullet, Mémoires sur la langrue celligque. 

(2) « AB ALLOBROGIBUS IN SEGUSIAVOS EXERCITUM DUCIT. » (Bell. gall. r, ro). 
(3) Alf. Maury, Les Voies romaines en Italie et en Ganle. 

(4) Abbé Caillet, Ruines et légendes, p. 15 et suiv. 


(s) Le mille romain équivalait 4 1481 mètres so. — M. l'abbé Condamin 
parle aussi (Histoire de St-Chamond) d'une route, ser ou strata, de St-Sym- 
phorien-le-Château à Annonaÿ (+) 


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LA GENÈSE D'ANNONAY 393 


mansio, lieu de séjour, ou une mufatio, lieu de relais, située au 
neuvième mille du Rhône, ad nonum lapidem. L'étymologie du 
nom d'Annonay se trouverait donc dans ces deux mots : ad nonum, 
Bien que cette hypothèse s'appuie, d'après son auteur, sur de 
multiples analogies de noms de lieux, elle porte en elle des 
points faibles. Rien ne prouve, en effet, que la numération 
milliaire ait dû commencer à Andance et l'existence d'une route 
romaine, dune voie de grande communication passant par 
Annonay, est au moins problématique. C'est à peine si, l'imagi- 
nation aidant, on a cru pouvoir reconnaître quelque vestige de 
chaussée près de St-Symphorien-de-Mahun (1). On n’a jamais 
vu dans nos environs, comme dans d'autres pays de montagnes, 
que les chemins de côte autrefois dallés par les paysans ; on n'y 
a jamais découvert de bornes milliaires. Ce que l'on sait mieux, 
c'est que la voie romaine qui conduisait en Velay passait par la 
vallée du Doux, par Desaignes (Disania), St-Agrève (Chinacum), 
traversait le pays des Boutières et gagnait Reversio Vellaviorum (2). 
Mais il pouvait exister chez nous une voie secondaire et, quoiqu'il 
en soit, la conjecture de M. l'abbé Caillet, plus étudiée et plus 


ingénieuse que celles de ses prédécesseurs en étymologie, n'a 


rien d'invraisemblable. Son auteur ne la présente d’ailleurs que 
sous une forme purement hypothétique. 

Il nous semble que, dans ces recherches étymologiques, on a 
trop négligé la méthode simple. Certains auteurs ayant quelque 
autorité en ces matières, il convient de les consulter. M. d'Arbois 
de Jubainville nous enseigne que « la manière la plus commode 
de désigner une propriété nouvellement bâtie est de lui donner 
le nom de son propriétaire, » et M. Fustel de Coulanges, 
démontrant la similitude qui exista en Italie et en Gaule après 
la conquête dans la constitution du domaine rural, nous apprend 
que « chez les Romains, les noms de terres ne sont presque 
jamais des noms géographiques. Ils sont toujours, dit-il, à très 
peu d'exceptions prés, formés par un radical qui est un nom 
d'homme, auquel s'ajoute la désinence d'adjectif qui marque la 
possession... Dans les idées anciennes, le premier propriétaire 


(1) Chanoine Sauzet (Congrès scientifique du Puy, 1855). 
(2) Abbé Rouchier, Histoire du Vivarais, t. 1, p. 110. 


26 


394 LA GENÈSE D'ANNONAY 


ressemble quelque peu à un fondateur de ville... En Gaule aussi 
bien qu'en Italie, ce sont les noms de propriétaires qui ont fait 
les noms de propriétés. Dans la suite ces noms de propriétés 
sont devenus les noms de nos villages, issus, pour les neuf 
dixièmes, d'anciens domaines. » (1) 

Annonay ne fait peut-être pas exceplion à cette règle presque 
générale et son nom serait formé d'un gentilice et de son suffixe. 
Anno, Annonus sont bien des noms d'hommes, noms qui peuvent 
être très anciens et qui, en tous cas, se retrouveront dans un 
grand nombre de cartulaires (2). Annonay pourrait donc devoir 
son nom, soit à l'un des propriétaires anciens de son emplacement, 
soit à l'un de ces hommes d'église qui organisèrent chez nous la 
vie monastique et y mirent le sol en valeur. 

Annoniacum est la forme ancienne la plus fréquente. Ac est la 
forme primitive, celtique, rude, du suffixe latinisé en acum et se 
transforme en ay. La phonétique nous enseigne comment la 
gutturale e se résout en : ou en y (3). Notre contrée, par sa 
situation géographique, occupait une zone intermédiaire entre 
les pays de langue d'oil et de langue d'oc. Ainsi s'explique la 
variété qui existe dans la transformation du suffixe d'appartenance 
dans les terminaisons des noms des villages voisins d'Annonay. 
Ex : Annoniacum, Annonay ; Ruffiacum, Roiffieu ; Quintiniacum 
Quintenas. Cette variété se trouve d'ailleurs dans tous les pays 
dont les dialectes patois appartiennent à Ja langue franco-proven- 
çale, comme dans le Lyonnais, en Bresse, dans le Bugey, en 
Dauphiné, en Savoie et jusqu’en Suisse (4). 

Au demeurant, ces recherches étymologiques sont assez vaines 
parce qu'elles ne reposent que sur une similitude de forme ou de 
consonnance des mots, alors que, dans le cours des siècles, le 
nom d'Annonay a pu se déformer et se reformer de façon à rendre 


(1) D'Arbois de Jubainville, Recherches sur l’origine de la propriété foncière. 
IX. — Fustel de Coulanges, Le Domaine rural che: les Romains. 


(2) Par ex : Anno, disciple de St-Benoit-d'Aniane, en 793 (Hist. de Languedoc, 
t,1, Preuves,p 19). Annon, archevèques d'Arles, en 985 (Eodem, t. 2,9. 125). 
Anno, diacre, mentionné dans la charte de Téotolon, archevêque de Tours 
(Archives du Rhône). Anno (Charle n° 31 du Cartulaire de St-Barnard de 
Romans). Annonus, en 987 (Chartes de l'Abbaye de Cleny,t. 3,p. 10, n° 1741). 


(3) Clédat, Grammaire du vieux français, p. 203. 


(4) Cfs : Nisier du Puitspelu, Dictionnaire étymologique du palois Lyonnais. 
--- Abhé Devaux, Les noms de lieux dans la révion Lyonnaise. 


LA GENÈSE D'ANNONAY 395 


son origine méconnaissable et à engager les curieux sur une 
fausse piste. De plus, comme c'est le cas pour beaucoup d'autres 
localités, Annonay peut avoir perdu l'appellation primitive de son 
terroir et ne posséder qu'un nom relativement récent. Il convient 
donc de ne pas nous livrer sur ce terrain à des exercices plus ou 
moins ingénieux et de ne pas accorder à ce genre de recherches 
plus d'importance qu'il n’en saurait avoir. 

Durant la période gallo-romaine, leterritoire d'Annonay faisait 
partie de la Gaule Viennoise qui s'étendait jusqu'au Doux et 
peut-être jusqu'à l'Erieux. Il est à peine besoin de dire qu'à cette 
époque Annonay n'existait pas à l'état de ville puisqu'on n'a 
jamais découvert sur son territoire ou dans sesenvirons immédiats 
des monuments épigraphiques, si nombreux dans les lieux où 
les Gallo-Romains ont fondé des établissements importants et 
durables. À peine y a-t-on trouvé quelques médailles romaines 
dont la réunion, plutôt collection que trésor, ne saurait rien 
prouver. (1) Annonay ne pouvait donc être qu'un lieu de séjour 
ou de relais, ou une agglomération de bâtiments servant à 
l'exploitation d'un domaine rural. 

On peut croire qu'Annonay ne commença à vivre que postérieu- 
rement aux invasions des Barbares, des Vandales de Chrosk, des 
Goths et des Burgondes qui, du ui* au v* siécle, ravagérent le 
Vivarais et ne laissérent pas pierre sur pierre dans Valence, 
Vienne et Lyon ; postérieurement même à l'exode des Sarrasins 
qui, établis dans la Septimanie, poussérent leurs incursions dans 
la vallée du Rhône et firent de Viviers un monceau de ruines.Si. 
à l'époque des invasions, Annonay avait été plus qu'une métairie 
ou qu'un simple village, les envahisseurs, Barbares du Nord ou 
du Midi, attirés par l'appât du butin, ne l'auraient pas épargné et 
la terre nous fournirait alors des vestiges lapidaires ou monétaires. 
Si l'Eglise d'Annonay avait existé, si elle avait eu de l'importance 
et un cortège d'institutions cléricales ou monastiques, toute cette 
vie ne se serait pas éteinte sans laisser quelques traces dans des 
chartes authentiques ou dans les récits des légendaires. Mais l’his- 
toire reste muette et notre terre ne nous livre point de secrets. 
L'absence de preuves constitue ici la preuve du contraire. 


(1) Voir Abbé Filhol, Hist. d'Annonay, t. [. p. 15. 


396 LA GENÈSE D ANNONAY 


Sous l'administration romaine, le territoire d’Annonay 
appartint à la Gaule Viennoise. Il fit partie ensuite du royaume 
des Burgondes qui avaient paru en 406. Mais Clovis contraignit 
les Burgondes à se reconnaitre tributaires. Son royaume fut 
démembré aprés sa mort, après celle de Clotaire et aprés celle de 
Dagobert. Les maires du palais devinrent les maitres du royaume 
des Francs. Charles Martel défit les Sarrasins à Poitiers et de sa 
victoire data une ére de tranquillité. Il s'empara des biens 
ecclésiastiques et plaça dansles évèchés ses compagnons d'armes, 
prélats peu vertueux. Pépin se débarrassa de Chilpéric et écarta 
de Rome le roi des Lombards et l'empereur de Constantinople. 
Enfin Charlemagne apparaît qui se fait reconnaître par le pape 
pour l'héritier des Romains et des Barbares. De cette union entre 
la tiare et l'épée nait une civilisation nouvelle. Les moines et les 
_ prêtres en sont les pionniers ; les Bénédictins fort défricher la 
terre. 

« Charlemage, dit M. Guizot, se trouve en quelque sorte en 
tête de toutes les histoires modernes,» Il en est bien ainsi pour 
notre coin de terre. La première pièce authentique où se trouve 
le nom de notre ville est la charte de réorganisation de l'Eglise 
de Vienne qui mentionne en 790, puis en 805, l’archiprétré rural 
d'Annonay. (1} Charlemagne a déjà donné au monastére de St- 
Claude, en 776, tout le territoire de Quintenas ; c'est une miette 
qui tombe de Îla table du roi, de tanlä rerum nostrarum copiä 
exigua quedam. (2) Nous pouvons croire que l'Eglise de Vienne 
reçut des mêmes mains la terre d Annonay. Les empereurs 
restituaient au clergé les biens confisqués par Charles Martel. 
Lothaire rend Tournon à l'Eglise de Lyon et son fils Charles, 
qui réside à Mantaille près de Vienne, dote largement les 
monastéres. 

Annonay, ville d'origine ecclésiastique, est donc, en 790, le 
siège d'un archiprêtré rural, à l'égal de Quintenas et, sans doute, 
de la même importance. Autour de l'église romane vient se 
grouper la foule ces misérables, serfs et colons. La situation 


(1) Charver, Hist. de la Ste-Eglise de Vienne, p. 157. --- Notes pour servir 
à l'hist. du Vivarais, MS., Coll. Rousset, n° 138. 


(2) Dom Benoit, Hist. de l'Abbaye de St-Claude, t. I. p. 635. 


LA GENÈSE D'ANNONAY 397 


topographique d'Annonay, la conformation géologique de son 
emplacement favorisent le développement de la cité ancienne. 
Les valiées qui y aboutissent indiquent les chemins du Velay et 
du Forez. Le long de sesrivières s'élévent les huttes des pêcheurs 
et se créent des industries embryonnaires. Sur son rocher le 
château féodal, sauvegarde de la ville future, se dressera un jour. 
Il faudra trois siècles toutefois pour que l'histoire nous fournisse 
sur Annonay autre chose que les sèches mentions qui dorment 
dans les cartulaires. 

Il est à croire, que pendant tout ce temps Annonay suit 
obscurément les destinées politiques du Comté de Viennois. 
Charles le Chauve donne, en 877, la Provence à Boson, comte de 
Vienne, et le fait roi. Puis, le 15 octobre 870, les évèques assem- 
blés à Mantaille choisissent Boson pour roi de Burgondie. Après 
Boson, aprés son fils Louis l'Aveugle, le Comté de Vienne tombe 
dans l'anarchie et son territoire demeure en litige jusqu'au 
moment où le roi de France, Louis d'Outremer, l'abandonne, 
avec le Comté de Lvon, au jeune roi de Germanie, Conrad-le- 
Pacifique (942). Notre pays allait redevenir terre d'empire. Le 
jeune souverain, âgé de quatorze ans, fut amené et montré à ses 
sujets au bord du Rhône, in pago Viennensi. Conrad devint le 
paisible possesseur de nos contrées et fit de Vienne sa résidence, 
sedes regia. Mais les rois s'éloignent et Vienne déchoit. Un siècle 
plus tard, en 1032, Rodolphe-le-Fainéant dispose de ses états en 
faveur de l'empereur Conrad-le-Salique. L'Empereur est trop 
loin pour que ses vassaux lui demeurent obéissants. Guigues-le- 
Vieux, comte d'Albon, s'érige en Souverain et devient la tige des 
premiers Dauphins. Sans doute ces Dauphins reconnaissent tenir 
en fief des Archevèques le comté de Vienne et, au jour de la 
St-Maurice, ils leurs offrent, en signe d'hommage. un cierge de 
douze livres, mais ce n'est là qu'une vaine cérémonie. Les 
archevêques sont consignés dans leur église et les Dauphins 
sont, après l'Empereur, les maïtres incontestés jusqu'au jour où 
Philippe le Bel imposera à nos contrées ses officiers et sa justice(r). 

Plusieurs auteurs ont cru qu'Annonay avait appartenu aux 
comtes de Forez. Cette opinion parait résulter d'une fausse inter- 


(x Cfs : Valbonnais, Hist. du Dauphiné. — A. Steycrt, Histoire de Lyon. 


398 LA GENÈSE D ANNONAY 


prétation du fameux contrat de 1173. Le comte de Forez s'étant 
emparé de Lyon et en ayant chassé l'archevèque Héraclius, un 
accord fixa les limites qui devaient séparer le comté de Lyon du 
comté de Forez. De nos côtés la ligne de délimitation allait de 
St-Victor à St-Genest-Malifaux, puis à Rochetaillée et descen- 
dait à Malleval. La convention ne concernait ni Annonay, ni 
Argental qui n'appartenaient pas au comte de Forez, comme on 
l'a cru, mais au dauphin de Viennois. Annonay demeura toujours 
terre delphinale et lorsque Alix, fille du dauphin, apporta en 
dot la seigneurie d'Argental au comte de Forez, en 1296, celui-ci 
rendit immédiatement hommage à l'archevêque de Vienne. Il 
reconnut tenir en fief de l'Eglise de Vienne les châteaux de 
Malleval et de Rocheblaine et généralement tout ce qu'il avait 
acquis en deça du Rhône par contrat de mariage depuis le fleuve 
jusqu'au Tracol, infra diocesim Viennensem a fluvio Rodant usque 
ad cochias seu cacumen Sancii Salvaloris in quibus cochüs seu 
cacumine sunt furche, qui locus dividit diocesim Viennensem et 
Annictensem. (1) | 
Notre région était donc un coin d'Erapire fiché en la terre de 
France. Pour se défendre des incursions foréziennes, les empe- 
reurs ou les dauphins avaient semé de forteresses la rive droite du 
Rhône et les chemins qui aboutissaient au fleuve. Les dauphins 
possédaient, en 1183, Champagne en propriété, et parmi leurs 
anciens fiefs, fenda antiqua, se trouvaient les châteaux d'Argental 
de Chavanay, de Malleval, de Serrières, de Peyraud, d'Arras, 
d'Oriol, de Revirand, le territoire de Quintenas, le château et 
la baronnie d'Annonay. (2) 
D'autres auteurs ont pensé qu Annonay avait, antérieurement 
à l'an 1231, dépendu temporairement de l'Eglise de Lyonet 
nous ne voyons pas sur quels textes leur opinion pourrait s'appu- 
yer solidement. [Il n'est pas impossible qu'Annonayÿ de même 
que Tournon, ait dépendu temporairement de l'Eglise de Lvon, 
mais les anciennes chartes placent toujours le district, territoire 
ou viguerie d'Annonay,ager ou vicarta Aunonacensis dans le 
(1) Huillard-Bréholles,/nventaire des Titres de la maison de Bourbon.n® 960. 
(2) H. de Pisançon. Bullelin de la Socièlé archéologique de la Drôme, 1800, 


2° div, p. rqn. Regislie des possessions des “Dauphins en 1183, d'après 
Fontanieu. — Valbonnais, Histoire de Dauphiné, tome 2, p. 387. 


LA GENÈSE D ANNONAY 399 


pays ou comté de Viennois, in payo Viennensi, sur lequel les 
Empereurs avaient concédé aux Archevèques de Vienne les 
droits régaliens. 

Les Dauphins rendent encore hommage, en 1217, à l'église de 
Vienne pour leurs possessions qui s'étendent depuis Voreppe 
jusqu'au Tracol de Saint-Sauveur. Mais quatorze ans aprés la 
situation est changée. En janvier 1231, l'archevêque de Lyon, 
Robert d'Auvergne, recevait du Dauphin Guignes-André l'hom- 
mage dés châteaux d'Annonay et d'Argental. Le Dauphin tien- 
drait ces seigneuries en fief non rendable, de façon qu'elles ne 
püssent jamais être séparées du comté d'Albon. Il s’engageait 
à aider l'Eglise de Lyon envers et contre tous, per diœcesim 
Lugdunensem adversus quoslibet homines qui justitiam nollent 
facere ers vel accipere ab eisdem. De son côté l'archevêque s'obli- 
geait à secourir le dauphin pour le Viennois. C'était un traité 
d'alliance et si le dauphin plaçait ses châteaux d'Annonay et 
d'Argental sous la suzeraineté de l'Eglise de Lyon, ce n'était 
vraisemblablement pas en reconnaissance d'un droit formel que 
celle-ci avait possédé, mais par raison de déférence, d'amitié et 
surtout à cause du secours qui lui était promis : Nos Dalphinus 
Viennensis... nolum facimus universis. . quod ob reverentiam 
amorem necnon el manutenentiam (1) Archepiscopo Ecclesie 
Lugdunensi nobis promissam. L'archevèque réservait de son côté 
au dauphin une place de chanoine au Chapitre de Lyon (2). 

L'hommage est une chose sacrée: Quicumque pro tempore fierit 
comes Albonensis lenelur ad idem homagium scilicel sacramentum. 
Mais si sacré qu'il fut, l'engagement allait bientôt être violé. Le 
Dauphin va abandonner l'archevêque pour un protecteur plus 
puissant. Dans le concile de Lyon, en 1245, Innocent IV excom- 
munie l'empereur. Frédéric Il conçoit alors le projet d'une expé- 
dition contre la ville qui abrite le pontife quoiqu'elle relève de 
l'empire, en droit sinon en fait. Dans cette intention, il se 
ménage l'alliance du dauphin et, à la suite de longues négocia- 
tions, il lui concède les alleux situés dans les comtés de Vienne, 


(1) Du Cange cite précisément la charte en question à propos du mot 
manulenentia qu'il traduit par auxilium, præœsidium. 


(2) Valbonnais, Histoire du Dauphiné, t. 2. p. 600. -- Duchesne, Jfistoire 
des Dauphins de Viennois, p. 21. 


400 LA GENÈSE D ANNONAY 


d'Albon et de Grenoble, en ne se réservant l'hommage que pour 
lui seul. Le dauphin serait donc le seul maitre après l'empereur. 
Mais, le 13 décembre 1250, la mort de Frédéric Il délivre l'Eglise 
d'un ennemi dangereux. (1) La politique de St-Louis va assurer 
lee progrés de la monarchie française dans nos contrées et la 
paix va permettre aux archevèques de Lyon de revendiquer les 
droits qu'ils possédaient sur la terre d'Annonay. 

Le temps est sependant nécessaire pour que l'église de Lyon 
se sente assez puissante. Elle n'agit qu'en 1266 contre « l'usur- 
pateur ». (2) Elle a dù, pour les besoins de la cause, placer sur 
le siège archiépiscopal, non un bénisseur, mais un guerrier, 
Philippe de Savoie, qui est déjà évêque de Valence, qui n'est 
pas dans les ordres et qui s'empare de deux fiefs du dauphin, 
Septème et Villeneuve. Alors la paix se conclut entre les deux 
adversaires. Annonay restera au dauphin, mais l'archevèque en 
recevra l'hommage. Cette paix est toutefois de courte durée. Le 
singulier prélat abandonne son église pour se marier, à l’âge 
de soixante-quatre ans et les seigneurs de la Tour, futurs dau- 
phins, prêtent la main à l'insurrection des bourgeois lyonnais (3). 

Les dauphins et les seigneurs particuliers seront $mpatients de 
secouer le vasselage. Avec la noblesse qui assistera à l'Assemblée 
de Lyon du 19 octobre 1311, le seigneur d'Annonay, Aymar de 
Roussillon, dira : « Si nous tenons de l’Archevèque ou du Cha- 
pitre de Lyon des fiefs ou arriére-fiefs, nous ne sommes pas sou- 
mis à leur juridiction. Ils nous ont pour voisins et nous auront, 
tant qu'ils le voudront, pour amis, uf sibi vicinos el quantumin 
futurum meruerint in amicos, mais sujets dévoués du roi, nous lui 


(1) Cf., P. Fournier, Le Rovaume d'Arles et de Vienne, p. 177. 


(2) Eodem anno 11266) cum Guido Delphinus castra d'Annonay et d'Argental 
usurpassel... (Gallia chrisliana, t. 4, col. 146. Art. sur Philippe de Savoie). — 
Le conflit était ancien et le 12 novembre 1242, l'archevêque avait déjà donné 
procuration à Me Durand de Champagne pour le représenter dans cette affaire, 
negocia seu causa... ralione feudi. (Guigue, Cartulaire Lyonnais, t. 2, n° 604.) 


G) André Steyert, Nouvelle Histoire de Lyon. — Argental passa aux comtes 
de Forez par le mariage de la Dauphine Alix avec Jean de Forez (?K mars 1296). 
Le dauphin donnait aux nouveaux époux tout ce qu'il possédait au-delà du 
Rhône, au royaume de France, sénéchaussée de Beaucaire et bailliage de 
Macon, à l’exception des fiefs d'Artaud ct de (Guigues de Roussillon, d'Hugues 
de Peyraud, du village et du mandement de Champagne et de tout ce que les 
nouveaux époux pouvaient déjà posséder dans la ville d'Annonay. (Extrait du 
contrat de mariage de Jean comte de Fore; avec Alix, Dauphine. Abbé Darnaud. 
Acles divers, ms., p. 144). 


LA GENÈSE D'ANNONAY 401 


offrons nos biens et notre vie. » (1) Il faut encore quelque temps 
pour que les seigneurs s affranchissent. En 1319,le dauphin 
Guigues doit encore se reconnaitre vassal de l'archevêque Pierre 
de Savoie et, en 1349, le dauphin Charles rend encore hommage 
pour Annonay et pour Argental, à l’archevèque Henri II de 
Villars. (2) Mais la réunion du Dauphiné à la France est con- 
sommée. Alors les anneaux de la chaine féodale sont rompue et 
Je seigneurs particuliers d'Annonay ne reléveront désormais que 
du roi de France. 

Lorsque les seigneurs particuliers vinrent s'établir à Annonay, 
ils y trouvèrent les chanoines de St-Ruf installés depuis long- 
temps déjà. Nous ne savons pas exactement dans quelles 
conditions ces moines étaient venus. On leur concèda vraisem- 
blablement de grands avantages qui se développérent encore en 
raison de l'accroissement de la ville. Ils possédaient presque tout 
l'emplacement d'Annonay puisque, dans la suite, toutes les 
maisons relevérent en fief du Prieuré et furent assujetties aux 
formalités d’investiture et aux droits de lods envers le Prieur.Les 
chanoines de St-Ruf avaient peut-être été appelés à Annonay par 
l'archevêque de Vienne, Guy de Bourgogne, qui, en 1120, avait 
soumis de nouveau l'église d'Annonay à l’église de Vienne et qui, 
devenu pape sous le nom de Calixte II, les confirma en 1123 dans 
la possession de tous les biens qu'il détenaient,qusfis acquisitiontbus 
au dedans et au dehors de la ville, sent à Gurgile feminarum (3) 
et à Villa Valetta infra decursus fluviorum Deumæ et Caciæ conclu- 
duntur Les chanoines de St-Ruf avaient alors les églises de Ste- 
Marie (Notre-Dame), de St-Jean et de St-Rustique, des écoles et 
aussi certains droits de justice, ban et amendes, cum scolis puero- 
rum, cancellaria, banno et forisfactura, cimiterio.….. Innocent Ill 
confirmait aussi, le 6 mai 1206, toutes ces possessions. Les 
chanoines avaient alors deux églises de plus, celles de St-Michel 
et de St-Denis (4). 

{1} P. RBonnassieux, De la réunion de Lyon à la France, p. 132. 
+ (2) Valbonnais, Histoire de Dauphiné, t. 2, p. 600. -- L'archevèque de Lyon 
ratifia aussi, en 1343, la donation du château de Colombier, à cause de la 
baronnie d’Annonay que le dauphin tenait en arrière-fief de l'Eglise de Lyon. 
(31 Le gourd des lemmes, gurges feminarum a fait gourfemenu, puis rue du 
Breffier-Menu!1 


(4) Ulysse Robert, Bullaire de Calixte II, 25, 145 et 402. (Confirmation des 
possessions, des privilèges et du genre de vie de l’abbaye de St-Ruf, 28 avril 


402 LA GENÈSE D ANNONAY 


Au moyen-äge où la foi était une des forces vives de la société, 
Annonay fut donc, dans le principe, une ville religieuse. La piété 
s y manifesta par l'existence de nombreuses églises et la charité 
par la fondation de plusieurs établissements hospitaliers. La 
formule: Æleemosina exlinguil peccatum était en vigueur. Le riche 
écoutait encare le précepte de St-Ambroise : « Tu as de l'argent, 
rachète ton péché ;» le moribond s'en souvenait et donnait 
toujours une part des biens de ce monde aux serviteurs et aux 
pauvres de Jésus Christ. — A côté de la vieille église paroissiale 
s'élevaient de nombreuses chapelles dont les dates de fondation 
ne peuvent être que très incertaines.C'étaient au Champ,les deux 
églises de St-Michel ; à Déome.les chapelles de St-Pierre-des- 
Martins, de St-Victor, celle de St-Louis, située près du pontet 
dont il reste des vestiges ; à Cance, celle de St-Claude. Les 
chanoines de St-Ruf, les Cordeliers et les Clarisses arrivèrent 
successivement. Annonay possédait aussi une de ces recluseries 
du moyen-äge où les pénitents laïques se muraient et mouraient 
au monde et qui, à défaut d'autre souvenir, a laissé son nom 
à un de nos faubourgs. Les Templiers avaient fait, croit-on, un 
établissement à Annonay. Les ordres laïques y exerçaient la 
charité. C'étaient les Frères de St-Antoine qui soignaient l'horri- 
ble mal des ardents ; les Hospitaliers de St-Jean-de-Jérusalem 
qui hébergeaient et soignaient les pélerins. Les maladières de 
Roiffieux, du Planet (près Ay) et de Chalons (près Savas) don- 
naient un refuge aux lépreux. Les Confrères du St-Esprit el ceux 
de la Très-Sainte-Trinité secouraient les malheureux ; l'hôpital 
de l'Aumône, Domus Eleemosinarum, recevait les malades. Plus 
tard les fondations de Trachi et du cardinal Bertrand centinue- 
rOnt ce mouvement de ferveur religieuse. 

Quant à la cité féodale, Annonay, à la façon de beaucoup de 
villes, ne fut vraisemblablement à ses débuts qu'une aggloméra- 
tion de bourgs fortifiés, tels que Bourgville, Malatour et Seyssel. 
D'autres constructions s'élevèrent peu à peu, demeures de 
bourgeois ou de vilains, remplaçant et éloignant les masures- 


1123. d'après le cartulaire de St-Ruf, ms. 1458 de la bibliothèque de Grenoble 


fe so, XVIIe siècle). -— Codex diplomaticus ordinis Sancti “Raufi, n° 15, publié 
par la Sacicté d'archéologie de la Drome, --- M, C. Guigne, Cartulaire Lyon- 


nais, L. 1, n° 97. 


LA GENÈSE D ANNONAY 403 


Puis les faubourgs naquirent et se développèrent, peuplés par les 
établissements religieux. En 1183, la terre d'Annonay était déjà 
érigée en baronnie. C'était un fief important. La ville murée 
s'était organisée pour la défense et pouvait grandir sous Ja 
protection du château, derrière son enceinte de remparts. Elle 
pouvait vivre de la vie féodale, dans une tranquillité relative et 
subordonnée aux entreprises aventureuses de ses seigneurs qui 
revendiquaient leur droit de guerre comme un des privilèges 
dont ils étaient le plus jaloux. Elle était toute pleine de maisons 
fortes, de tours, autant de refuges que l'ennemi aurait à enlever 
d'assaut. Le château de Malatour dominait la Déome, les maisons 
fortes de Seyssel et de la Poterne surveillaient la Cance, et, du 
haut du donjon seigneurial, le veilleur tenait sous ses veux 
presque toute la ville et découvrait au loin la campagne. Dans 
l'enceinte même du château ou tout auprès, à Bourgville, les 
familiers du seigneur, les nobles, les mililes du moven âge 
avaient leurs demeures. (‘à et là, comme au hasard, se groupaient 
les huttes misérables des vilains. Les maisons des bourgeois se 
serraient les unes contre les autres, formant des rues tortueuses. 
Au-dessus. sous l'avancement des toits et des étages surplom- 
bant, serpentait un ruban de ciel. Des ponceaux enjambaient les 
rues étroites et reliaient les maisons {1}. La Charte des Franchises 
d'Annenay reconnaissait aux habitants le droit de « faire en leurs 
dites maisons et joignant icelles advents ou estres, entrées et 
degrés du costé de la rue et caves ou ouvertures au-dessous de 
la face de leurs dites maisons jusqu'à la tierce partie de la rue. 
moyennant que le passage et chemin public ne soient par icelles 
empeschés et destournés. » 

Tandis que le prieur était le propriétaire, aliénait les emplace- 
ments, percevait les droits de mutation sur les immeubles et en 
donnait l'investiture, le seigneur n'était que le gendarme, faisant 


(1) Viollet-le-Duc (Dict. raisonné de l’archit. franç., t. 6. p. 255)a donné la 
description et le dessin d’une maison en bois qui existait à Annonay ct qu'il 
rapporte au XIVe siècle, L'encorbellement de cette maison faisait une saillie 
d'environ 3 m. $6. « À Annonay, dit-il, on voulait non seulement garantir les 
façades contre les bourrasques de neige. mais aussi les rues montueuses, de 
maniere à faciliter la circulation des habitants en hiver. C'est qu’au moyen-âge 
quoiqu en aient pu dire les détracteurs de cette époque, le citadin ne se renfer- 
Mail pas dans cet égoisme brutal si général aujourd'hui ; en élevant sa maison, 
il pensait aussi qu'il était citoyen et batissait pour lui et pour sa ville, » 


404 LA GENÈSE D ANNONAY 


la police et rendant la justice en échange de certains droits dont 
la charge n'avait rien d’arbitraire. Car Annonay avait participé 
aux revendications communales. La Charte des Franchises 
octroyait à la communauté le droit d'imposer la taille pécuniaire 
pour se clore de murs, se garder et subvenir aux autres besoins 
de la ville. La Charte réglementait la levée des tailles, les collec- 
tes en nature, la perception de la leyde sur les grains, les corvées, 
les chevauchées en cas de guerre, les salaires des officiers de 
justice, les droits d'enregistrement, les appellations, la répression 
des crimes et délits, le châtiment des adultéres, la liberté des 
fours et moulins, etc. À chaque mutation des seigneurs, les 
bourgeois exigeaient la confirmation de ces privilèges dont ne 
jouissaient pas les seuls habitants d'Annonay, mais aussi les 
étrangers qui venaient s'y fixer. Les Annonéens étaient hommes 
libres. 


E. NICOD. 


LA 


TOUR OÙ CLOCHER 
DE VIVIERS 


(Suire V) 


Si l’on nous demande quelle est, de ces deux opinions, celle 
qui nous paraît la plus probable et qui a nos préférences, nous 
répandrons que c'est la seconde, quoique nous n'ayons pu amener 
encore certains de nos amis à la partager. Le 2 mars dernier 
nous recevions, en effet, le billet suivant d’un architecte de notre 
connaissance : K Je ne partage pas votre opinion. Selon la confi- 
guration du monument, la voûte du rez-de-chaussée a toujours 
existé. Sans elle impossible d'aller du petit escalier, pratiqué 
dans l'angle du sud-est, jusqu'à l'abside. — La galerie dont vous 
parlez était trop étroite près de l'abside. D'ailleurs cette abside 
ne pouvait être faite que pour la chapelle au 1° étage, dédiée 
peut-être à St-Michel, comme toutes les chapelles haut perchées. » 

Ayant eu l'occasion de faire part de cette objection, à un père 
missionnaire qui visitait la l'our, et que j avais mis au courant 
de la question, il ne la jugea point suffisante pour démontrer que 
« la voûte du rez-de-chaussée a toujours existé ; » ni pour 
détruire la valeur de la seconde opinion qu'on vient d'exposer. 
« La galerie ou couloir formant tribune, ajouta le Révérend 
Père, pouvait trés bien, malgré son étroitesse, permettre d'aller 
de l'escalier à l’abside. Il suffisait pour cela de mettre en commu- 
nication celle-ci avec l'extrémité des couloirs, en y établissant un 
tout petit passage en bois. » Nous pourrions même ajouter que 
ce plancher, s'il était fait en forme de pont-levis, pouvait parfois 
avoir son utilité, en temps de guerre, par exemple. 

Ce qui, du reste, a achevé de nous convaincre que la voûte 
intermédiaire n’a été construite qu'après la Tour,c'est qu'on pour- 
rait très bien la supprimer, sans rien ébranler, rien détruire, rien 
endommager. Et, en effet, aucune partie essentielle, je dirai même 


406 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


accessoire, sauf le pavé qui la surmonte, aucune partie, dis-je, ne 
s'appuie sur elle, ni murs, ni piliers. ni arcatures, ni colonnes. Elle 
ne fait que combler le vide de 4 mètres 80 sur 5 mètres, qui existe 
entre les quatre murailles perpendiculaires de la base de la Tour. 
Elle ne supporte pas même le tiers de la surface du dallage de 
la chapelle actuelle ; puisque celle-ci mesure dans œuvre, jusqu'à 
l'extrèmité de l'abside, 10 mètres 70 centimètres de long sur 8 
mètres 40 centimètres de large. 

En faisant disparaître cette voûte, le premier étage, bâti en 
retrait sur Îles murs inférieurs, étant beaucoup plus large et 
surtout beaucoup plus long que le rez-de-chaussée, serait ramené 
à une première forme qui ne serait pas sans grâce, je veux dire 
à l'état de tribune, mais de tribune avec abside et autel sur le 
porche ou avant portique ; avec couloir sur les trois autres côtés, 
formant une sorte de f{rifortum, au dessous de la coupole. 
« Le mur par un retrait, dit M. Bourg, formait une sorte de 
galerie sur laquelle reposaient des pilastres et des colonnes. » 
Là, quelques privilégiés, les chanoines par exemple, pouvaient 
entendre la messe, tandis que la foule des fidèles y assistaient 
d'en bas, comme cela a lieu dans certaines églises. 

En outre, on aurait l'explication du titre-de St-Michel donné 
à l'ancien autel de la Tour, par la tradition locale ; tradition 
corroborée par les paroles de M. de Caumont qu'on dirait écrites 
pour nous. « Au dessus du porche, dit-il, quand il en existait un 
(c'est notre cas), on consacrait un autel à St-Michel.... Dans 
beaucoup d'églises, la chapelle St-Michel était établie au premier 
étage des tours.» Xe serait-ce pas pour réparer l'oubli dans lequel 
était tombé l'ancien culte de St-Michel, au clocher de la cathé- 
drale, que fut élevé, dans le premier quart du XVII: siècle, une 
chapelle en son honneur sur le rocher qui porte son nom et 
domine le Rhône ? 


D'autre part, le principal argument apporté en faveur de sa 
thèse, par l'honorable archéologues anonyme,nous semble n'avoir 
aucun fondement solide. En effet, pour établir la coexistence de 
la chapelle-trésorerie avec la Tour, dès l’origine — nous l'avons 
vu par la citation de ses propres paroles — c'est sur la présence 
dela purte à échelle qu'il se fonde. « Ce qui prouve, dit-il, que 


LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 407 


ce premier étage a été une de ces chapelles, c'est la porte qui fait 
face à la Cathédrale. 

Pour enlever toute force à cette preuve, je ne veux pas, avec 
l'auteur des articles sur le Clocher de Viviers, alléguer que la 
porte en question est postérieure à la Tour ; les adversaires ne 
manqueraient pas de le nier ; j'admets qu'elle lui est contempo- 
raine, malgré sa physionomie rajeunie par des réparations 
modernes. Il suffit d'établir qu'elle a été ouverte ou du moins 
qu'elle a pu être ouverte pour d'autres usages. C'est ce que je 
fais plus loin, en parlant de la Tour comme donjon. j'y 
renvoie le lecteur avec la pensée, sinon la certitude, qu'il 
partagera notre propre conviction et ne verra, dans cette ouverture, 
qu'un moyen de défense très usité dans la plupart des tours du 
moyen-âge. Celles-ci assez ordinairement étaient privées de toute 
porte d'entrée à leur base, jusqu'à une certaine hauteur,et quand 
elles en possédaient une, il n'était pas rare, en temps de guerre, 
qu'on la murât provisoirement. 

Cette porte ne prouve donc pas l'existence d'une chapelle- 
trésorerie dès la fondation de la Tour. D'ailleurs, dirai-je à mon 
contradicteur, vous admettez qu'à l'origine la voûte existait telle 
qu'elle est aujourd'hui, avec son ouverture au centre, par consé- 
quent avec la possibilité de monter, par l'intérieur, au premier 
étage qui lui est superposé. À quoi bon alors votre porteextérieure, 
si vous n'avez pas d'autre motif de la créer ? Vous voulez, dites- 
vous, préserver le trésor de la rapacité des voleurs et vous prenez 
gratuitement un moyen de la favoriser. Bref, si cette porte existe, 
c'est qu'on a eu d’autres raisons de la construire, en dehors de 
toute idée de chapelle-trésorerie (1). On y a été amené par un 
motif de défense. 

À quelle époque a eu lieu la /rans/ormation, en chapelle, de la 
partie supérieure du baplsière ? | 

Il est facile de s'expliquer les motifs qui portérent à diviser en 
deux parties le baptistère, dans le sens de sa hauteur, comme on 
l'a fait à Avignon pour la chapelle du château des papes. A cette 

{1} Notons en passant qu'un trésor n'était pas moins en sûreté, dans une 
simple chapelle à tribune, que dans une chapelle du genre de celle d'aujourd'hui, 


c'est-à-dire percée au milieu d'une ouverture qui ne diffère, au surplns, avec 
l'ancienne, que par la dimension. 


408 LA TOUR OU CLOCHER DE VIVIERS 


fin, on éleva la voûte actuelle du rez-de-chaussée, à la hauteur 
de l'abside déjà existante, où l'on accédait par l'escalier de la 
Tour et par la petite galerie des murs en retrait qui la reliait avec 
lui et avec la porte de défense. Voir ce que nous avons dit à ce 
sujet aux pages précédentes : 71-76. Par là les chanoines de la 
cathédrale trouvèrent le moyen d'avoir, au premier étage. 


1° Une chapelle, non pas nouvelle puisqu'elle datait de l'origine 
de la Tour, mais agrandie, plus que doublée, et d'une forme 
différente ; chapelle où ils pouvaient pénétrer commodément 
sans recourir ni à l'escalier tournant de la tour, d'un accès difficile 
pour des vieillards, ni à la porte à échelle. 

2° Une salle capitulaire d'un caractère religieux et monumental, 
accessible par la porte du nord,dite porte du Chapitre. 

3° Un lieu plus sûr pour le trésor de la cathédrale de St-Vincent 
et les archives de l'évêque et des chanoines. Voir ce qui a été 
dit au paragraphe du baptistère. 

4° Un emplacement pour l'horloge paroissiale, dont nous 
parlons plus loin. 

Quand s'est produite cette transformation du premier étage, et 
par suite, quand a eu lieu l'ouverture de